Les essais,II, Montaigne

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Les essais,II, Montaigne
Les essais, Montaigne
Livre I, Chapitre 31, « Les cannibales ».
Introduction : Dans Les essais, Montaigne évoque à plusieurs reprises la découverte
du nouveau monde, qui fascine tous les hommes du 16è siècle, mais aussi le sort
réservé aux populations, et s’interroge sur la validité de nos valeurs européennes.
Il part d’une pratique, le cannibalisme, pour se livrer à une argumentation visant à
dénoncer les préjugés dont nous sommes encombrés, puis à travers un récit fondé sur
une anecdote, il élargit son propos à une critique politique et sociale d’une grande
hardiesse / audace.
Axe I : Un discours argumentatif sur la notion de barbarie.
Le texte commence par une affirmation catégorique. Il pose une thèse : il y a une
incapacité à concevoir autre chose que notre monde. Il y a toutefois une volonté
d’honnêteté intellectuelle et de rigueur avec « à ce qu’on m’en a rapporté ».
L’auteur veut ensuite montrer que nous ne jugeons ce qui est raisonnable que selon
nos usages : c’est une dénonciation de l’ethnocentrisme. « Là est toujours … » (l.5) :
ce sont des paroles rapportées d’européens avec une satire de ceux-ci.
Montaigne procède à la redéfinition de l’épithète ‘sauvage’ appliqué de façon
beaucoup trop rapide et péjorative aux nouveaux peuples. Il a une volonté de rendre à
ce mot son vrai sens et procède ainsi par analogie : il fait le rapprochement avec
quelque chose de plus concret, ici les fruits. Selon lui, sauvage a pour sens naturel ; et
on voit se développer une opposition entre nature et culture.
Ce mot va ainsi avoir deux sens : ce qui n’a pas été altérer par l’homme (sens positif)
et ce que l’homme a altéré (sens péjoratif). Il donne à ce mot un sens mélioratif.
En réalité, l’intervention de l’homme et sa corruption a dénaturé l’ordre naturel et ce
sont les européens les vrais sauvages. Il pousse l’analogie des fruits en comparant
ceux qui sont sauvages « ceux là » en utilisant des termes mélioratifs et une
allitération en ‘v’ et ceux liés à l’homme « ceux-cy » qu’il qualifie de corrompus,
dénaturés et bouleversant l’ordre naturel.
L’auteur a une volonté de rétablir les vrais notions de barbaries et ce civilisations, de
montrer que ces valeurs ne sont pas utilisées à bon escient. Il fait une satire de leurs
valeurs et nous montre une image de l’Europe liée à la dégénérescence en remettant
en cause toute sa culture, tout en s’inclut dans ces européens. Ces derniers se
comportent comme des pillards, des barbares, des sauvages (esclavage + violence).
Cf. : Discours sur les arts et les sciences (1750) où Rousseau défend l’idée que
l’homme est devenu mauvais avec l’apparition de la société.
Axe II : Un récit évoquant le contact entre l’ancien et le nouveau monde qui
permet d’illustrer et d’élargir son argumentation.
Montaigne s’appuie sur une anecdote : la venue des indigènes à Rouen.
Ici, commerce = fréquentation, misérable = malheureux et pipé = trompé.
(l.14-19) Cette longue phrase, qui s’agit d’une période, frappe par son ton très
alarmiste, très pessimiste avant même que le récit ne commence. Elle sonne comme
un cri d’alarme et elle va déterminer notre lecture qui suit avec pessimisme. Il évoque
le sort qui attend ces indigènes, qui vont être pris au piège, comme des victimes. Il
utilise un futur qui est prophétique et des termes forts « corruption, ruine, … ».
Le processus est déjà entamé chez eux car ils ont déjà été en contact avec les
européens (l.16). C’est également une accusation contre le peuple d’Europe : on va
leur montrer quelque chose de merveilleux mais qui est faux : on va les tromper.
C’est seulement à la fin de sa phrase qu’il énonce les circonstances de son récit et
qu’il donne plus de relief au cri d’alarme énoncé en début de phrase.
C’est un sommaire : on ne connait pas le détail des propos du roi. L’auteur est très
succinct quand il s’agit des européens alors qu’il développe les propos des indigènes
et il montre ainsi son camp.
On veut imposer une vision à ces sauvages, les conditionner, ce qui montre la vanité
de ces européens et leurs incapacités à penser qu’ils peuvent être imparfait. On ne
leurs demande pas d’avoir un jugement mais de sélectionner le plus extraordinaire
parmi ce qui est extraordinaire.
Montaigne va rapporter les propos de ces indignes avec une volonté d’honnêteté en
avouant avoir oublié le 3è discours.
Ici, il détail et met en valeur ces propos. Ceux-ci sont extrêmement critiques et
dérangeant : ils remettent en cause la légitimité dynastique car un enfant peut se
retrouver à diriger. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils sont capables de réflexion et de
discernement alors qu’on leurs a imposé une vision des choses. Ceci annonce les
contes philosophiques du 18è s. qui posent des questions naïves mais dérangeantes.
Au lieu de se laisser ensorceler par tous les beaux discours, ils voient tous de suite les
défauts et les anomalies.
Dans cette parenthèse (l. 28-29), il précise que les indigènes se considèrent comme
des frères les uns les autres et ce qui parait inutile est en fait une critique de la société
européenne qui devrait en faire de même.
La deuxième intervention des indigènes est encore plus violente et dérangeante car
elle remet en cause les inégalités sociales entre les riches et les pauvres qui sont leurs
« frères ». Ces indigènes trouvent étrange que les pauvres puissent supporter cette
injustice. La fin est encore plus violente car elle suppose une révolution, une révolte,
ce qui est encore plus dérangeant.
C’est un tableau de la société de l’époque.
En faisant parler les indigènes, Montaigne porte une vision très subversive de la
société et su système européen.
L’attaque devient politique et sociale.
Conclusion :
Montaigne, dans ce texte, reprend une idée qui est chère aux humanistes, celle de
l’ouverture à autrui qui nous permet non seulement de connaître ceux que nous
jugeons trop vite, ceux que nous jugeons en fonction de notre système de valeur, mais
aussi de mieux nous connaître nous et de nous remettre en cause, d’avoir un regard
critique sur soi même et sur la société européenne.
On pourrait reprocher à Montaigne de trop idéaliser l’autre, l’indigène, et d’opposer
trop systématiquement nature et culture. Mais c’est à travers cette confrontation qu’il
veut faire passer un message de sagesse, de tolérance, de lucidité et de modestie :
Nous européen, qu’avons-nous de plus que les autres ?

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