Évasion fiscale et criminalité financière en Europe: nouvelles formes
Transcription
Évasion fiscale et criminalité financière en Europe: nouvelles formes
Évasion fiscale et criminalité financière en Europe: nouvelles formes de fraude, nouvelles luttes sociales L’aide au développement : solution contre les biens non imposables et le blanchiment de capitaux Dotun Oloko 1. Introduction : aide au développement/financement du développement Les termes « aide au développement » et « financement du développement » sont souvent utilisés pour désigner la même chose mais il arrive qu’ils réfèrent à deux agences de développement très distinctes. Parmi les agences de développement reconnus internationalement on trouve entre autres, l’Agence française de Développement (AfD), le Département du Développement International britannique (DfID) et l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID). L’USAID est l’agence indépendante du gouvernement des Etats-Unis, elle est chargée de l’éducation, l’environnement et du changement global. Pour leur part, les agences AfD et DfID ont pour missions de combattre la pauvreté dans les pays les plus pauvres par le biais du financement de développement. Par financement du développement on comprend des fonds prêtés par les pays occidentaux les plus riches par le biais de leurs institutions de financement du développement (DFIs) respectives aux pays pauvres. Pour mener à bien ses missions, l’AfD est aidée par l’institution financière de développement, Proparco, filiale du secteur privé. Pour ce qui est de la DfID, elle est également aidée d’une institution financière de développement, la CDC qui est, elle aussi, investisseur du secteur privé. Pour réaliser leur mission, les Etats-Unis passent par la Overseas Private Investment Corporation (OPIC). Contrairement à certaines agences de développements qui possèdent un mandat de développement exclusif, les institutions de financement du développement se concentrent particulièrement sur la rentabilité de leurs investissements ; le fait que certaines agences de développement fournissent l’aide au développement par le biais d’institutions de financement du développement a créé une situation où l’aide au développement peut être remplacée par le financement du développement alors qu’en temps normal, ce sont deux entités bien différentes (notamment sur le point de vue idéologique). Le document qui suit propose un regard sur le financement du développement comme moyen de fournir l’aide au développement. 2. Le financement du développement assuré par les fonds d’investissement privé Le financement du développement a traditionnellement été assuré par le biais de nombreux circuits tels que les garanties, les prêts, les assurances, les investissements directs, et les structures d’investissements collectifs connus comme étant des fonds d’investissement privé. Cependant, une part de plus en plus grande du financement de développement est assurée par les fonds d’investissement privé qui sont possiblement alimentés par les profits supranormaux générés par les principales institutions de financement du développement, telles que la CDC britannique, qui avait stratégiquement décidé d’agir uniquement en tant que fonds de fonds en 2004. Le modèle de la CDC est unique au sein de l’univers du financement du développement. Services Projets en 2009 Fonds OPIC – 1971 Garanties CDC – 1948 Fonds d’investissement DEG – 1962 Garanties Prêts Prêts Assurance Fonds propres Fonds d’investissement Fonds d’investissement Portée 158 11 Portée 90 Assurance (7,62 %) Garanties (2,24 %) Financement (77,10 %) Crédits (83,07 %) Fonds d’investissement (15,28 %) >50 Fonds d’investissement (100 %) 134 Fonds (14,69 %) Inconnu propres 3. Les fonds d’investissement privé assuré par des paradis fiscaux Les fonds d’investissement privé sont essentiellement assurés par des paradis fiscaux. L’une des principales raisons est que la nature collective des fonds, du fait des différentes juridictions des investisseurs, rend la localisation au sein d’une juridiction au régime fiscal neutre très efficace pour les investisseurs qui ne sont plus obligés de payer les taxes deux fois1 ; CDC rapporte que le 12 septembre 2012, 45 % de ses fonds étaient domiciliés dans le paradis fiscal de Maurice2. Cependant, on pourrait faire valoir que les pays destinataires développent leurs systèmes de taxe, en promulguant des lois fiscales et des concessions qui éradiquent ou atténuent les obstacles de la double taxation au lieu d’encourager l’évitement des frais de douane et l’évasion fiscale par le biais de paradis fiscaux. 4. Les paradis fiscaux comme moyen d’éviter les frais de douane L’évitement fiscal est une activité légale qui prive les nations en développement des revenus dont elles ont le plus besoin. Les effets négatifs des paradis fiscaux sur le développement ont bien été établis. Prenons pour exemple la CDC qui a investi dans une société minière australienne, Mineral Deposits Ltd, qui extrait 1 Voir le mémorandum additionnel de la DfID sur l’EV24 du rapport du Public Accounts Committe sur la surveillance de la DfID par la CDC, disponible à cette adresse : http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200809/cmselect/cmpubacc/94/94.pdf 2 Groupe CDC, Private Eye and CDC: A different view, CDC, 8 septembre 2010, http://www.cdcgroup.com/uploads/privateeyeandcdc-adifferentview.pdf de l’or et d’autres ressources minérales3 au Sénégal. Il a été révélé que pour l’année 2009/10, la société n’a payé au Sénégal que 20 000£ de taxe et s’est donc délestée de 6 millions£4 de taxe. Les profits ont alors été enregistrés dans un paradis fiscal de Maurice par le biais d’une société écran. Pour citer un autre exemple, Oando, une entité émettrice au Nigéria a évité de payer les taxes au Nigéria grâce aux paiements de frais techniques et de gestion hors taxe à la CDC et aux co-investisseurs5. En 2009, Oando a enregistré la moitié de ses profits par le biais d’une société écran située à Bermuda ; elle a privé le Nigéria de 15 millions de dollars de taxes6. 5. Utilisation des paradis fiscaux pour la fuite de flux financiers illicites hors des pays en développement Dans son rapport écrit en avril 2010, « Investments for developement : Derailed to tax havens », Richard Murphy affirme que les paradis fiscaux « sont un circuit par lequel les flux financiers illicites quittent les pays en développement ». Dans son rapport il explique que les paradis fiscaux ont des effets très nuisibles sur les pays en développement et que de ce fait, les institutions de financement du développement doivent à tout prix arrêter de passer par les centres financiers offshores pour investir. En 2009, un rapport de l’ONG Global Financial Integrity (GFI), « Des flux financiers illicites en provenance d'Afrique - Des ressources pour le développement cachées », a montré que l’Afrique a perdu plus d’argent à cause des flux financiers illicites que ce qu’elle en a reçu de l’aide publique au développement (APD). La proportion était plus importante parmi les exportateurs d’énergies fossiles et dans les régions occidentales et centrales de l’Afrique7. Un séminaire, organisé par l’Institute of Development Studies au Royaume-Uni, a conclu que ces flux passaient par « le système financier mondial parallèle spécifiquement créé pour faciliter les transactions faisant sortir l’argent illicite et non enregistré du pays. » Les paradis fiscaux sont au cœur de ce système financier parallèle, de fait, le système utilisé par les nations occidentales pour acheminer le financement du développement au sein des pays émergents est le même système utilisé pour faire sortir les flux financiers illicites de ces mêmes pays pour aller jusqu’aux pays occidentaux. Il est à la fois important et accablant de voir que les sorties sont supérieures aux afflux. Le bilan est lourd de conséquences étant donné que le système met les pays en développement dans une situation pire qu’auparavant. Pour l’analyse de l’impact du développement, il faut noter que le principal moteur des flux financiers illicites des pays pauvres vers les pays riches est l’évasion fiscale et découle des vols des représentants des gouvernements. Les grandes sociétés tirent un avantage de la corruption, des faibles taxes et des structures juridiques pour frauder. Les représentants corrompus des gouvernements et les PPEs tirent également profit des structures politiques et sociales sous-développées pour détourner les ressources publiques et en faire des bénéfices privés. Le flux illicite est propre aux économies émergentes et impliquent, généralement, des sorties des pays les plus pauvres qui ont beaucoup moins de moyens vers les pays les plus riches. 3 Poverty Relief: Looting in Senegal’, Private Eye, Issue 1260, 16 avril 2010 'That's Rich', Private Eye, Issue 1270, 3 septembre 2010 5 ‘Haven help us’, Private Eye, Issue 1259, 2 avril 2010 6 'That's Rich', Private Eye, Issue 1270, 3 septembre 2010 7 Voir le tableau 2 du rapport de la GFI « Des flux financiers illicites en provenance d'Afrique - Des ressources pour le développement cachées », disponible à cette adresse : http://www.gfip.org/storage/gfip/documents/reports/gfi_africareport_web.pdf 4 6. Directives de l’Union européenne relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent L’Union européenne a reconnu le préjudice que les flux massifs d’argent blanchi pouvait porter à la réputation et à la stabilité de son système financier. En 1991, elle a mis en place sa première directive relative à la lutte contre le blanchiment d’argent afin d’empêcher que le système financier ne soit utilisé pour blanchir de l’argent8. Or, il y a des preuves qui montrent que l’UE se préoccuperait plus de prendre des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent ciblant les activités criminelles (crime organisé et trafic de stupéfiant) qui représentent une menace pour les sociétés européennes que l’élaboration de mesures ciblant les activités criminelles (biens mal acquis) perçues comme une menace particulière par les sociétés du monde en développement et considérées comme étant un bénéfice par le monde développé du fait des flux financiers illicites qu’elles génèrent. 7. Le cas des Emerging Capital Partners (ECP) L’ECP est un gestionnaire Nord-américain de fonds d’investissement privé dont les principaux fonds proviennent del’ Africa Fund II, appuyé par la BEI (banque de l’UE) et de nombreuses institutions de financement du développement telles que OPIC, CDC, Proparco, Swedfund et IFU. ECP Africa Fund II investit dans plusieurs sociétés qui selon les sources tremperaient dans des affaires de blanchiment d’argent et auraient été acquises illicitement par un PPE nigérian corrompu, James Ibori. Depuis 2008/09, période à laquelle j’ai dénoncé ces activités aux investisseurs de l’Etat, ECP a violemment nié tout lien possible entre Ibori et les entités émettrices comme je l’avais déclaré. Parmi ces entités, il y avait Oando et Notore. Aujourd’hui, il est de notoriété publique que le procureur général du Royaume-Uni est à la recherche des biens qu’Ibori aurait cachés au sein de ces entités. Chose étonnante, malgré la preuve accablante de la complicité d’ECP dans cette affaire de blanchiment d’argent (preuve que j’ai fournie conjointement avec des groupes de la société civile : la Corner House et Re :Common), le Serious Fraud Office a rapporté qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour « prouver la culpabilité de ECP au Royaume-Uni », de plus, « il semblerait que les régulations FATF n’aient pas été enfreintes » et enfin, « il ne semblerait pas que la CDC n’ait pas perdu, financièrement parlant, après s’être engagée avec ECP ». Pour sa part, l’Office européenne de lutte antifraude (OLAF) a conclu « qu’aucune preuve de fraude ou d’irrégularité affectant l’intérêt financier, ou autre, de l’UE » n’a été établie. Bibliographie L’avenir de la CDC disponible à l’adresse suivante : http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201011/cmselect/cmintdev/writev/607/m10.htm Document informatif sur le cas Emerging Capital Partners et la revue de la loi européenne sur le blanchiment d’argent disponibles à l’adresse suivante : 8 La première directive de l’Union européenne relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent 91/308/EEC disponible à l’adresse suivante : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:1991:166:0077:0082:EN:PDF http://www.eurodad.org/files/pdf/52eb71ebc2a0c.pdf