SÉQUENCE 2 : le sonnet parnassien, nʼimporte où hors de ce monde
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SÉQUENCE 2 : le sonnet parnassien, nʼimporte où hors de ce monde
Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG SÉQUENCE 2 : le sonnet parnassien, nʼimporte où hors de ce monde ? Objet dʼétude : Écriture poétique et quête du sens, du moyen âge à nos jours. Problématique : Comment lʼauteur des Trophées utilise-t-il le sonnet pour exprimer lʼidéal parnassien ? Textes : Lecture dʼune oeuvre intégrale : José-Maria de Heredia, Les Trophées, 1893. Lectures analytiques (oeuvre intégrale, trois premières parties du recueil) : José-Maria de Heredia, «LʼOubli», Les Trophées, «La Grèce et la Sicile», 1893. José-Maria de Heredia, «À un triomphateur», Les Trophées, «Rome et les Barbares», 1893. José-Maria de Heredia, «Les Conquérants», Les Trophées, «Le Moyen Âge et la Renaissance», 1893. Textes complémentaires : «Les avatars du sonnet» : Arthur Rimbaud, «Le Dormeur du val» (1870), Poésies, 1891. Tristan Corbière, «Le Crapaud», Les Amours jaunes, 1873. Guillaume Apollinaire, «Les Colchiques», Alcools, 1913. René Char, «Allégeance», Fureur et Mystère, 1947. «Leconte de Lisle, le Parnassien» : Leconte de Lisle, «Les Montreurs», «La Mort dʼun lion», «Aux Modernes», Poèmes barbares, 1862. Charles Baudelaire, «Nʼimporte où hors du monde», XLVIII, Le Spleen de Paris, 1869. Charles dʼOrléans (1394-1465), «En la forest dʼEnnuyeuse Tristesse», Ballades et Rondeaux. François Villon (vers 1431-après 1463), «Ballade des Pendus», Poésies diverses. Documents iconographiques, sonores et audiovisuels : Audition de sonnets célèbres. Activités de lecture : Lectures analytiques. Lecture, dans le recueil Les Trophées de José-Maria de Heredia, des trois premières parties : «La Grèce et la Sicile», «Rome et les Barbares», «Le Moyen Âge et la Renaissance». Groupement de textes : les avatars du sonnet. Groupement de textes : Leconte de Lisle, le Parnassien. Lecture du poème en prose «Nʼimporte où hors du monde» de Charles Baudelaire. Lecture des ballades de Charles dʼOrléans et de François Villon : «En la forest dʼEnnuyeuse Tristesse» ; «Ballade des Pendus». M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 1 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG Lectures des groupements de textes suivants : Georges-Emmanuel Clancier (1914), Contre-Chants, © Éditions Gallimard, 2001. Robert Desnos (1900-1945), « La peste », Contrée, © Éditions Gallimard, 1944. Pierre Emmanuel (1916-1984), « Les dents serrées », LʼHonneur des poètes (recueil collectif), © Éditions de Minuit, 1943. Jean Tardieu (1903-1995), « Vous étiez pourtant responsable », Domaine français, © Éditions Gallimard, 1943. Annexe - Paul Éluard (1895-1952), présentation de lʼouvrage collectif, LʼHonneur des poètes, © Éditions de Minuit, 1943. Max Jacob (1876-1944), «Avenue du Maine», Oeuvres burlesques et mystiques de frère Matorel, Éditions Gallimard, 1912. Robert Desnos (1900-1945), «Un jour quʼil faisait nuit», Langage cuit, Éditions Gallimard, 1923. René de Obaldia (1918), «Le plus beau vers de la langue française», Innocentines, Grasset, 1969. Raymond Queneau (1903-1976), «Lipogramme en A, en E et en Z», Oulipo et littérature potentielle, Éditions Gallimard, 1973. Activités dʼécriture : Sur le groupement de textes concernant la poésie engagée : 1. Justifiez le rapprochement de ces quatre poèmes (textes A, B, C et D). 2. Vous commenterez le poème de Jean Tardieu (texte D) à partir du parcours de lecture suivant : - Vous analyserez précisément lʼénonciation en tenant compte du titre. - Vous étudierez la vision de la nature proposée par le poète. Notions abordées : La structure du recueil ; réflexion sur la forme fixe en poésie ; réflexion sur le rôle de la poésie (lyrisme, engagement, exploration et célébration du langage, jeu avec le langage) ; registres satirique et élégiaque ; les grands mouvements littéraires fondés sur la poésie (Pléiade, Romantisme, Parnasse, Symbolisme, Surréalisme, Oulipo). M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 2 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG L'OUBLI Le temple est en ruine au haut du promontoire. Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain, Les Déesses de marbre et les Héros d'airain Dont l'herbe solitaire ensevelit la gloire. Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire, De sa conque où soupire un antique refrain Emplissant le ciel calme et l'horizon marin, Sur l'azur infini dresse sa forme noire. La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux Fait à chaque printemps, vainement éloquente, Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe ; Mais l'Homme indifférent au rêve des aïeux Écoute sans frémir, du fond des nuits sereines, La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes. José-Maria de Heredia, Les Trophées, «La Grèce et la Sicile», 1893. A UN TRIOMPHATEUR Fais sculpter sur ton arc, Imperator illustre, Des files de guerriers barbares, de vieux chefs Sous le joug, des tronçons dʼarmures et de nefs, Et la flotte captive et le rostre et lʼaplustre. Quel que tu sois, issu dʼAncus ou né dʼun rustre, Tes noms, famille, honneurs et titres, longs ou brefs, Grave-les dans la frise et dans les bas-reliefs Profondément, de peur que lʼavenir te frustre. Déjà le Temps brandit lʼarme fatale. As-tu Lʼespoir dʼéterniser le bruit de ta vertu ? Un vil lierre suffit à disjoindre un trophée ; Et seul, aux blocs épars des marbres triomphaux Où ta gloire en ruine est par lʼherbe étouffée, Quelque faucheur Samnite ébréchera sa faulx. José-Maria de Heredia, Les Trophées, «Rome et les Barbares», 1893. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 3 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG LES CONQUERANTS Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, Fatigués de porter leurs misères hautaines, De Palos de Moguer, routiers et capitaines Partaient, ivres dʼun rêve héroïque et brutal. Ils allaient conquérir le fabuleux métal Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines, Et les vents alizés inclinaient leurs antennes Aux bords mystérieux du monde Occidental. Chaque soir, espérant des lendemains épiques, Lʼazur phosphorescent de la mer des Tropiques Enchantait leur sommeil dʼun mirage doré ; Ou penchés à lʼavant des blanches caravelles, Ils regardaient monter en un ciel ignoré Du fond de lʼOcéan des étoiles nouvelles. José-Maria de Heredia, Les Trophées, «Le Moyen Âge et la Renaissance», 1893. LE DORMEUR DU VAL C'est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. Octobre 1870. Arthur Rimbaud, Poésies. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 4 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG LE CRAPAUD Un chant dans une nuit sans air… La lune plaque en métal clair Les découpures du vert sombre. …Un chant ; comme un écho, tout vif Enterré, là, sous le massif… - ça se tait : Viens, c'est là, dans l'ombre… - Un crapaud ! - Pourquoi cette peur, Près de moi, ton soldat fidèle ! Vois-le, poète tondu, sans aile, Rossignol de la boue… - Horreur ! … Il chante. - Horreur !! - Horreur pourquoi ? Vois-tu pas son œil de lumière … Non : il s'en va, froid, sous sa pierre. ....................................... Bonsoir - ce crapaud-là c'est moi. ( Ce soir, 20 juillet.) Tristan Corbière, Les Amours jaunes, 1873. LES COLCHIQUES Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement sʼempoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement sʼempoisonne Les enfants de lʼécole viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de lʼharmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleurs de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par lʼautomne Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 5 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG ALLÉGEANCE Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il nʼest plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste lʼaima ? Il cherche son pareil dans le vœu des regards. Lʼespace quʼil parcourt est ma fidélité. Il dessine lʼespoir et léger lʼéconduit. Il est prépondérant sans quʼil y prenne part. Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où sʼinscrit son essor, ma liberté le creuse. Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il nʼest plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste lʼaima et lʼéclaire de loin pour quʼil ne tombe pas ? René Char, Fureur et Mystère, 1947. LES MONTREURS Tel quʼun morne animal, meurtri, plein de poussière, La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil dʼété, Promène qui voudra son cœur ensanglanté Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière ! Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété, Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière, Déchire qui voudra la robe de lumière De la pudeur divine et de la volupté. Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire, Dussé-je mʼengloutir pour lʼéternité noire, Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal, Je ne livrerai pas ma vie à tes huées, Je ne danserai pas sur ton tréteau banal Avec tes histrions et tes prostituées. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 6 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG LA MORT DʼUN LION Étant un vieux chasseur altéré de grand air Et du sang noir des boeufs, il avait l'habitude De contempler de haut les plaines et la mer, Et de rugir en paix, libre en sa solitude. Aussi, comme un damné qui rôde dans l'enfer, Pour l'inepte plaisir de cette multitude Il allait et venait dans sa cage de fer, Heurtant les deux cloisons avec sa tête rude. L'horrible sort, enfin, ne devant plus changer, Il cessa brusquement de boire et de manger, Et la mort emporta son âme vagabonde. Ô coeur toujours en proie à la rébellion, Qui tournes, haletant, dans la cage du monde, Lâche, que ne fais-tu comme a fait ce lion ? AUX MODERNES Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein, Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde, Châtrés dès le berceau par le siècle assassin De toute passion vigoureuse et profonde. Votre cervelle est vide autant que votre sein, Et vous avez souillé ce misérable monde Dʼun sang si corrompu, dʼun souffle si malsain, Que la mort germe seule en cette boue immonde. Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin Où, sur un grand tas dʼor vautrés dans quelque coin, Ayant rongé le sol nourricier jusquʼaux roches, Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits, Noyés dans le néant des suprêmes ennuis, Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches. Leconte de Lisle, Poèmes barbares, 1862. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 7 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG ANY WHERE OUT OF THE WORLD N'IMPORTE OÙ HORS DU MONDE Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celuici voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit quʼil guérirait à côté de la fenêtre. Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme. «Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu dʼhabiter Lisbonne ? Il doit y faire chaud, et tu tʼy ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de l'eau; on dit qu'elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, quʼil arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût ; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir !» Mon âme ne répond pas. «Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante ? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré lʼimage dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons ?» Mon âme reste muette. «Batavia te sourirait peut-être davantage ? Nous y trouverions d'ailleurs lʼesprit de l'Europe marié à la beauté tropicale.» Pas un mot. - Mon âme serait-elle morte ? «En es-tu donc venue à ce point d'engourdissement que tu ne te plaises que dans ton mal ? S'il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort. - Je tiens notre affaire, pauvre âme ! Nous ferons nos malles pour Tornéa. Allons plus loin encore, à l'extrême bout de la Baltique ; encore plus loin de la vie, si c'est possible ; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise qu'obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant. Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps leurs gerbes roses, comme des reflets d'un feu d'artifice de lʼEnfer !» Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie: «Nʼimporte où! nʼimporte où ! pourvu que ce soit hors de ce monde !» Charles Baudelaire, XLVIII, Le Spleen de Paris, 1869. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 8 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG En la forest d'Ennuyeuse Tristesse, Un jour m'avint qu'a par moy cheminoye, Si rencontray l'Amoureuse Deesse Qui m'appella, demandant ou j'aloye. Je respondy que, par Fortune, estoye Mis en exil en ce bois, long temps a, Et qu'a bon droit appeller me povoye L'omme esgaré qui ne scet ou il va. En sousriant, par sa tresgrant humblesse, Me respondy : « Amy, se je savoye Pourquoy tu es mis en ceste destresse, A mon povair voulentiers t'ayderoye ; Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye De tout plaisir, ne sçay qui l'en osta ; Or me desplaist qu'a present je te voye L'omme esgaré qui ne scet ou il va. - Helas ! dis je, souverainne Princesse, Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ? Cʼest par la Mort qui fait a tous rudesse, Qui m'a tollu celle que tant amoye, En qui estoit tout l'espoir que j'avoye, Qui me guidoit, si bien m'acompaigna En son vivant, que point ne me trouvoye L'omme esgaré qui ne scet ou il va. " « Aveugle suy, ne sçay ou aler doye ; De mon baston, affin que ne fervoye, Je vois tastant mon chemin ça et la ; C'est grant pitié qu'il couvient que je soye L'omme esgaré qui ne scet ou il va ! » Charles dʼOrléans (1394-1465), Ballades et Rondeaux. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 9 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG Frères humains qui après nous vivez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis, Car, si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercis. Vous nous voyez ci attachés cinq, six : Quant de la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéça dévorée et pourrie, Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s'en rie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! Si frères vous clamons, pas n'en devez Avoir dédain, quoique fûmes occis Par justice. Toutefois vous savez Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis ; Excusez-nous, puisque sommes transis, Envers le fils de la Vierge Marie, Que sa grâce ne soit pour nous tarie, Nous préservant de l'infernale foudre. Nous sommes morts, âme ne nous harie, Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! La pluie nous a débués et lavés, Et le soleil desséchés et noircis ; Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés, Et arraché la barbe et les sourcils. Jamais nul temps nous ne sommes assis ; Puis çà, puis là, comme le vent varie, À son plaisir sans cesser nous charrie, Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre. Ne soyez donc de notre confrérie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! Prince Jésus, qui sur tous a maistrie, Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie : À lui n'ayons que faire ni que soudre. Hommes, ici n'a point de moquerie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! François Villon (vers 1431-après 1463), Poésies diverses. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 10 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG Texte A — Georges-Emmanuel Clancier, Contre-Chants Ferme grise aux rives des châtaigneraies : lʼexacte paix dans les feuilles, chaude pénombre, appel du troupeau, psalmodie dʼune voix paysanne et couleur dʼinfini la promesse dans les yeux de lʼenfant. Bel été. Soudain flambent les Oradour1 . Texte B — Robert Desnos, Contrée [Robert Desnos est mort en déportation en 1945.] La peste Dans la rue un pas retentit. La cloche nʼa quʼun seul battant. Où va-t il le promeneur qui se rapproche lentement et sʼarrête par instant ? Le voici devant la maison. Jʼentends son souffle derrière la porte. Je vois le ciel à travers la vitre. Je vois le ciel où les astres roulent sur lʼarête des toits. Cʼest la grande Ourse ou Bételgeuse, cʼest Vénus au ventre blanc, cʼest Diane2 qui dégrafe sa tunique près dʼune fontaine de lumière. Jamais lunes ni soleils ne roulèrent si loin de la terre, jamais lʼair de nuit ne fut si opaque et si lourd. Je pèse sur ma porte qui résiste… Elle sʼouvre enfin, son battant claque contre le mur. Et tandis que le pas sʼéloigne je déchiffre sur une affiche jaune les lettres noires du mot « Peste ». Texte C — Pierre Emmanuel, LʼHonneur des poètes Les dents serrées Je hais. Ne me demandez pas ce que je hais Il y a des mondes de mutisme entre les hommes Et le ciel veule3 sur lʼabîme, et le mépris Des morts. Il y a des mots entrechoqués, des lèvres Sans visage, se parjurant dans les ténèbres Il y a lʼair prostitué au mensonge, et la Voix Souillant jusquʼau secret de lʼâme 1 Le 10 juin 1944, les Allemands massacrent la population entière dʼOradour-sur-Glane, 642 hommes, femmes et enfants. 2 Bételgeuse, Vénus, Diane évoquent des astres et des constellations. 3 Qui nʼa aucune énergie, aucune volonté, qui est lâche. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 11 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG mais il y a le feu sanglant, la soif rageuse dʼêtre libre il y a des millions de sourds les dents serrées il y a le sang qui commence à peine à couler il y a la haine et cʼest assez pour espérer. Texte D — Jean Tardieu, Domaine français Vous étiez pourtant responsable Et pendant ce temps-là que faisait le soleil ? — Il dépensait les biens que je lui ai donnés. Et que faisait la mer ? — Imbécile, têtue elle ouvrait et fermait des portes pour personne. Et les arbres ? — Ils nʼavaient plus assez de feuilles pour les oiseaux sans voix qui attendaient le jour. Et les fleuves ? Et les montagnes ? Et les villes ? — Je ne sais plus, je ne sais plus, je ne sais plus. Annexe — Paul Éluard, présentation de lʼouvrage collectif, LʼHonneur des poètes Whitman4 animé par son peuple, Hugo appelant aux armes, Rimbaud aspiré par la commune, Maïakovski5 exalté, exaltant, cʼest vers lʼaction que les poètes à la vue immense sont, un jour ou lʼautre, entraînés. Leur pouvoir sur les mots étant absolu, leur poésie ne saurait jamais être diminuée par le contact plus ou moins rude du monde extérieur. La lutte ne peut que leur rendre des forces. Il est temps de redire, de proclamer que les poètes sont des hommes comme les autres, puisque les meilleurs dʼentre eux ne cessent de soutenir que tous les hommes sont ou peuvent être à lʼéchelle du poète. Devant le péril aujourdʼhui couru par lʼhomme, des poètes nous sont venus de tous les points de lʼhorizon français. Une fois de plus la poésie mise au défi se regroupe, retrouve un sens précis à sa violence latente, crie, accuse, espère. 4 Poète américain du XIXè siècle qui souhaite que la poésie exalte lʼhomme moderne au travail. 5 Poète russe du début du XXè siècle qui a célébré la Révolution dʼOctobre (1917). M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 12 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG Texte A : Max Jacob, Oeuvres burlesques et mystiques de frère Matorel Avenue du Maine Les manèges déménagent. Manèges, ménageries, où ?... et pour quels voyages ? Moi qui suis en ménage Depuis... ah ! il y a bel âge ! De vous goûter manèges, Je nʼai plus... que nʼai-je ?... Lʼâge. Les manèges déménagent. Ménager manager De lʼavenue du Maine Qui ton manège mène Pour mener ton ménage ! Ménage ton manège Manège ton manège. Manège ton ménage Mets des ménagements Au déménagement. Les manèges déménagent, Ah ! vers quels mirages ? Dites pour quels voyages Les manèges déménagent. Texte B : Robert Desnos, Langage cuit Un jour quʼil faisait nuit Il sʼenvola au fond de la rivière. Les pierres en bois dʼébène les fils de fer en or et la croix sans branche. Tout rien. Je la hais dʼamour comme tout un chacun. La mort respirait de grandes bouffées de vide. Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés. Après cela il descendit au grenier. Les étoiles de midi resplendissaient. Le chasseur revenait, carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine. Un ver de terre, marque le centre du cercle sur la circonférence. En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours. Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule. Quand la marche nous eut bien reposés nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et lʼaube versa sur nous les réservoirs de la nuit. La pluie nous sécha. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 13 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG Texte C : René de Obaldia, Innocentines Le plus beau vers de la langue française «Le geai gélatineux geignait dans le jasmin» Voici, mes zinfints Sans en avoir lʼair Le plus beau vers De la langue française. Ai, eu, ai, in Le geai gélatineux geignait dans le jasmin... Le poite aurait pu dire Tout à son aise : «Le geai volumineux picorait des pois fins» Eh bien ! non, mes zinfints Le poite qui a du génie Jusque dans son délire Dʼune main moite A écrit : «Cʼétait lʼheure divine où, sous le ciel gamin, LE GEAI GÉLATINEUX GEIGNAIT DANS LE JASMIN.» Gé, gé, gé, les gé expirent dans le ji. Là, le geai est agi Par le génie du poite Du poite qui sʼidentifie À lʼoiseau sorti de son nid Sorti de sa ouate. Quel galop ! Quel train dans le soupir ! Quel élan souterrain ! Quand vous serez grinds Mes zinfints Et que vous aurez une petite amie anglaise Vous pourrez murmurer À son oreille dénaturée Ce vers, le plus beau de la langue française Et qui vient tout droit du gallo-romain : «Le geai gélatineux geignait dans le jasmin.» Admirez comme Voyelles et consonnes sont étroitement liées Les zunes zappuyant les zuns de leurs zailes. Admirez aussi, mes zinfints, Ces gé à vif, Ces gé sans fin Tous ces gé zingénus qui sonnent comme un glas : Le geai géla... «Blaise ! Trois heures de retenue M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 14 Descriptif des lectures et activités / Année 2011-2012 / Première STG Motif : Tape le rythme avec son soulier froid Sur la tête nue de son voisin. Me copierez cent fois : «Le geai gélatineux geignait dans le jasmin». Texte D : Raymond Queneau, Oulipo et littérature potentielle Lipogramme en A, en E et en Z. Ondoyons un poupon, dit Orgon, fils dʼUbu. Bouffons choux, bijoux, poux, puis du mou, du confit, buvons non point un grog : un punch. Il but du vin itou, du rhum, du whisky, du coco, puis il dormit sur un roc. Un bruit du ru couvrit son son. Nous irons sous un pont où nous pourrons promouvoir un dodo, dodo du poupon du fils dʼOrgon fils dʼUbu. Un condor prit son vol. Un lion riquiqui sortit pour voir un dingo. Un loup fuit. Un opossum court. Où vont-ils ? Lʼours rompit son cou. Il souffrit. Un lis croît sur un mur : voici quʼil couvrit orillons ou goulots du cruchon ou du pot pur stuc. Ubu pond son poids dʼor. M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe 15