Dugain STG

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Dugain STG
Descriptif des lectures et activités / Année 2009-2010 / Première STG
Séquence n°
Intitulé : Les gueules cassées : le vrai visage de la
guerre
Le roman et ses personnages : visions de lʼhomme et du
Objets dʼétude,
monde ; le récit de guerre sans la guerre ; lʼexpérience
perspectives et orientations individuelle et collective de la violence et de la souffrance ; la
principales
nécessité du témoignage.
Titre
Auteur
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Marc Dugain, La Chambre des officiers, 1999.
(édition Pocket)
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Analyse de lʼincipit.
Extraits
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La “scène” du diagnostic.
Etudes
La structure de lʼoeuvre ; les personnages ; “lʼhéroïsme” du
dʼensemble personnage principal ; le thème du regard.
Documents
complémentaires et/ou
activités proposées à la
classe par le professeur
Documents iconographiques sur le thème des “gueules
cassées” ; présentation de lʼadaptation cinématographique
réalisée par François Dupeyron (2001), Télérama n° 2698;
documents historiques. Voyage au bout de la nuit, LouisFerdinand Céline, 1932, extrait, «lʼobus», illustrations de
Jacques Tardi.
M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe
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La guerre de 14, je ne lʼai pas connue. Je veux dire, la tranchée boueuse, lʼhumidité
qui transperce les os, les gros rats noirs en pelage dʼhiver qui se faufilent entre des
détritus informes, les odeurs mélangées de tabac gris et dʼexcréments mal enterrés,
avec, pour couvrir le tout, un ciel métallique uniforme qui se déverse à intervalles
réguliers comme si Dieu nʼen finissait plus de sʼacharner sur le simple soldat.
Cʼest cette guerre-là que je nʼai pas connue.
Jʼai quitté mon village de Dordogne le jour de la mobilisation. Mon grand-père a
couvert ma fuite de la maison de famille dans le silence du petit matin, pour éviter
dʼinutiles effusions. Jʼai chargé mon paquetage dans la carriole du vieil André. A la
cadence du balancement de la croupe de sa jument brune, nous avons pris la
direction de Lalinde. Ce nʼest que dans la descente de la gare quʼil sʼest décidé à me
dire : «Ne pars pas trop longtemps mon garcon, ça va être une sacrée année pour
les cèpes.»
A Lalinde, une dizaine de petits moustachus endimanchés dans leur vareuse se
laissaient étreindre par des mères rougeaudes, en larmes. Comme je regardais le
vieil André sʼéloigner, un gros joufflu aux yeux comme des billes sʼest approché
timidement de moi.
Cʼétait Chabrol, un gars de Clermont-de-Beauregard que je nʼavais pas revu depuis
la communale. Il était là, seul, sans famille, sans adieux. Il redoutait de prendre le
train pour la première fois, sʼinquiétait des changements. Pour se rassurer, il tirait à
petites gorgées sur une gourde accrochée à sa ceinture. Cʼétait un mélange dʼeaude-vie de prune et de monbazillac. Il en avait trois litres dans son sac, trois litres pour
trois semaines de guerre, puisquʼon lui avait dit quʼon leur mettrait la pâtée en trois
semaines, aux Allemands. Ce gros communiant qui sentait un drôle de vin de messe
sʼinstalla à côté de moi pour ne plus me quitter des yeux.
Marc Dugain, La Chambre des officiers, 1999.
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Je suis réveillé quelques heures plus tard par une douleur si forte et si diffuse que je suis
incapable dʼen localiser lʼorigine précise. Mes pieds bougent. Les deux. Les mains aussi.
Chacun de mes yeux perce la semi-obscurité. Je suis entier. Avec ma langue je fais le tour
de ma bouche. En bas, elle vient sʼappuyer sur les gencives de la mâchoire inférieure : les
dents ont été pulvérisées. Les hauteurs, elles, sʼannoncent comme un couloir sans fin ; ma
langue ne rencontre pas dʼobstacle et, lorsquʼelle vient toucher les sinus, je décide
dʼinterrompre cette première visite. Cʼest tout ce vide qui me fait souffrir.
De nouveau, je vois sʼagiter au-dessus de moi deux mentons. Les deux hommes sont en
blouse blanche. Nouvelle tentative pour parler, qui se solde par un gargouillis sourd comme
la plainte dʼun grand mammifère.
Les médecins nʼont pas remarqué ma tentative malheureuse et continuent à discourir sur
mon cas. Deux longues sangles me maintiennent pieds et mains liés au lit de camp et
mʼinterdisent le moindre geste. On sʼagite beaucoup dans ce couloir qui ressemble à une
gare de triage. La guerre a donc bel et bien commencé. Je nʼai pas été victime dʼun coup de
semonce.
- Une fiche a été faite au poste de secours, mais elle est illisible. Couverte de salive et de
sang mélangés.
- Voyons voir. Destruction maxillo-faciale. Notez, mon vieux ! Béance totale des parties
situées du sommet du menton jusquʼà la moitié du nez, avec destruction totale du
maxillaire supérieur et du palais, décloisonnant lʼespace entre la bouche et les sinus.
Destruction partielle de la langue. Apparition des organes de lʼarrière-gorge qui ne sont
plus protégés. Infection généralisée des tissus meurtris par apparition de pus.
Il poursuit :
- Sérions les problèmes ! Risque de gangrène par infection des parties meurtries. Risque
dʼinfection des voies aériennes et régions pulmonaires par manque de protection.
Risque dʼanémie par difficulté dʼalimenter le blessé par les voies buccales et nasales.
Conclusion, Charpot : vous me dégagez ce bougre à lʼarrière. Direction Val-de-Grâce. A
ma connaissance, il nʼy a que là quʼon puisse faire quelque chose pour lui. Si la
gangrène ne sʼy met pas. En attendant, nettoyez les plaies. Faites-lui un ordre de
transport par wagon sanitaire. Pas de transport fluvial, ce serait trop long. Essayez de
lʼalimenter une fois avant le départ, par sonde nasale. Gardez-lui les sangles. Surtout
sʼil est conscient au moment de le nourrir. Il risque de souffrir.
- Rien dʼautre, major ?
- Rien dʼautre, Charpot. En attendant, ne le laissez pas là. Ses plaies dégagent une telle
puanteur quʼil va faire tomber ceux qui tiennent encore debout.
Marc Dugain, La Chambre des officiers, 1999.
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Rassemblement de gueules cassées1 à Moussy-le-Vieux, en Seine-et-Marne, juin 1927.
Otto Dix, Invalides de guerre jouant aux cartes, 1920.
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Mutilés de guerre blessés au visage.
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La face cachée de la guerre
Le livre de Marc Dugain porté à l'écran par François Dupeyron est tiré d'une histoire vraie : celle d'un
de ces soldats revenus de la Grande Guerre le visage ravagé à jamais.
Un jour où son grand-père venait chercher Marc Dugain à la sortie de l'école, un de ses camarades
de classe, voyant la tête défigurée du sexagénaire, s'exclama : «Tu as vu sa tête, c'est un monstre ! Non, c'est un héros», répliqua le petit-fils, avant de casser la figure du malotru. Ce grand-père-là,
victime d'un éclat d'obus en plein visage dès les premiers matins de la guerre de 14, c'est Adrien,
l'homme à la «gueule cassée», le principal personnage de La Chambre des officiers (1), dont est tiré
le film de François Dupeyron.
Marc Dugain avait une pressante raison d'écrire ce livre. A l'aube des années 60, entre sa cinquième
et sa neuvième année, il s'est rendu souvent pendant les vacances avec son aïeul au château de
Moussy-le-Vieux, le domaine des Gueules cassées en Seine-et-Marne : «Je me souviens de
l'immense salle à manger avec sa table interminable en fer à cheval, devant laquelle étaient assis
deux cents blessés de la face ; des grands traumatisés inaptes à la vie en société, des invalides et
des rescapés venus là se ressourcer quelques semaines. Impressionné mais jamais gêné, je les
regardais comme je regardais mon grand-père. Quand j'ai constaté que ma grand-mère, qui a survécu
longtemps à son mari, commençait de décliner, je me suis dit : il faut laisser un témoignage.» C'est
alors qu'en deux semaines La Chambre des officiers était écrit par un homme jusque-là spécialisé
dans la finance aéronautique !
Auteur, elle, d'un rigoureux ouvrage sur les Gueules cassées (2), Sophie Delaporte estime qu'il y en
avait entre 15 000 et 20 000 au lendemain de la Grande Guerre. Les registres de l'époque attestent
qu'une hospitalisation durait en moyenne deux ans et demi mais pouvait aller jusqu'à cinq ans,
comme ce fut le cas pour le grand-père de Marc Dugain ; il sortit du Val-de-Grâce en 1919, au terme
d'un supplice de seize opérations. Sans avoir jamais vu un soldat allemand !
Trois questions obsédaient un grand blessé de la face : comment accepterait-il sa nouvelle image ?
Comment accepterait-il le regard des autres, et d'abord celui de ses proches ? Quel regard jetterait-il
sur la société à sa sortie de l'hôpital ? «L'épreuve du miroir était essentielle dans le processus
d'acceptation d'un handicap facial, souligne Sophie Delaporte. Les miroirs étaient bannis par le
règlement de ces immenses salles communes, mais il en entrait clandestinement. Dans cette vaste
collectivité d'êtres défigurés, chacun trouvait un premier réconfort en découvrant presque toujours
plus atteint que lui. L'hôpital était le lieu de la reconnaissance de soi, puis de la renaissance sous une
autre identité morphologique. La difficulté se situait toujours entre la dissimulation du visage, derrière
des bandages, un masque ou une prothèse, et son exhibition, vécue comme une provocation pour
forcer le regard des autres.»
Tout était bienvenu pour soutenir le moral d'une chambrée, où l'autodérision, forcément de mise, se
traduisait quelquefois par un concours de grimaces. Au Val-de-Grâce parurent en 1917-1918 huit
numéros de La Greffe générale, dont le titre donne déjà le ton : c'était une sorte d'Almanach Vermot
macabre où l'on avertissait le pékin que «ce n'est pas de la pitié que vous demandent les blessés».
C'est dans cet hôpital que la 5e division était nommée « le service des baveux », parce que nombre
de malades, privés de lèvres ou de mâchoires, ne parvenaient plus à contenir leur salive. Dire que
leur devise était «Sourire quand même»...
Affronter le regard des autres, c'était déjà pour un défiguré épier celui, décisif, de l'infirmière et du
chirurgien, avec qui il allait vivre un long compagnonnage. Entre eux s'imposait une indispensable
confiance puisque c'est à l'occasion de la Grande Guerre et de ses horreurs qu'a été inventée mois
après mois, c'est-à-dire improvisée, bricolée, la chirurgie réparatrice et reconstructrice. Mais plus une
gueule cassée était atteinte, plus son hospitalisation était longue, et plus son retour à la société civile
était douloureux car, du jour au lendemain, elle était privée de la compréhension et de la complicité
rassurantes de ses camarades de chambrée. Contrairement à aujourd'hui, où l'on assure une prise en
charge psychologique pour les traumatisés d'attentats ou d'accidents de la route, rien n'était prévu
pour ménager la rencontre entre un blessé de la face et sa famille ; parfois, le chirurgien accordait
quelques brèves permissions pour habituer le handicapé et les siens à refaire connaissance ; il arrivait
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aussi qu'une mise en scène préventive permît à la famille de rencontrer au préalable les plus
défigurés d'une salle commune de manière que le mari, le père ou le fils parût sur le coup moins
atteint que d'autres.
En général, la réinsertion dans le milieu familial se passait sans trop de dommages, même si
quelques cas de suicides sont relatés, comme celui de ce père qui n'a pas supporté que son jeune fils
s'enfuie en le voyant, aux cris de «Pas papa, pas papa ! ». Mais les quelques femmes, infirmières ou
téléphonistes postées en première ligne, qui affichèrent les stigmates d'une gueule cassée,
échouèrent presque toutes à refaire leur vie dans le civil quand la plupart des hommes se marièrent.
«Lorsque j'ai demandé à ma grand-mère pourquoi elle avait épousé une gueule cassée, rappelle Marc
Dugain, sa réponse est venue spontanément : "Il faut te dire que c'était un héros."»
N'empêche, ce héros eut beaucoup de mal à affronter le regard de ses contemporains. Pour éviter de
les côtoyer dans les transports en commun, le banlieusard qu'il était - et qui travaillait près de la gare
Saint-Lazare - devint un marcheur émérite. L'Adrien rapiécé du film de Dupeyron a le visage
beaucoup moins labouré que celui de son modèle, qui avait laissé le nez, les dents, le palais et la
bouche sur le champ de bataille. Longtemps après la guerre, ce dernier porta un bandeau noir dans
les cérémonies officielles. Et puis, un matin, il le retira définitivement. Sans doute pour affirmer sa
véritable identité, puisqu'il refusera ensuite les bienfaits de la chirurgie esthétique, qui avait fait entretemps de considérables progrès.
Quand on a côtoyé la souffrance et l'horreur, on n'a pas envie d'en parler. Les gueules cassées
gardèrent obstinément le silence sur leur calvaire ; comme, vingt-cinq ans plus tard, nombre de
survivants des camps de la mort nazis. À la demande expresse de Georges Clemenceau, une
délégation de cinq blessés de la face assistait à Versailles, en 1919, dans la galerie des Glaces, à la
signature du traité de paix. Ces reproches vivants étaient installés de telle sorte que chaque signataire
croisait leur regard avant d'apposer son paraphe...
Pourtant, quand Marc Dugain se rappelle ses déjeuners au château de Moussy-le-Vieux, il se
souvient d'une assemblée étonnamment gaie, où personne ne songeait à s'économiser. On mangeait,
on buvait, on fumait sans la moindre retenue. On avait tellement dégusté qu'on n'avait plus rien à
perdre. Les gueules cassées de 14-18 ont toutes disparu aujourd'hui. Leur ont succédé les défigurés
de 40, de la Résistance, des guerres de Corée, d'Indochine et d'Algérie. La dernière gueule cassée
enregistrée est une victime de la guerre du Golfe.
(1) Editions Lattès-Pocket.
(2) Editions Noêsis.
Jean Belot, Télérama n° 2698 - 29 septembre 2001
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Nos Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer dʼinstrument2. Cʼest
à la mitrailleuse quʼils poursuivaient à présent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros
paquets dʼallumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses,
pointilleuses comme des guêpes.
Lʼhomme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose dʼarticulé :
-
Le maréchal des logis3 Barousse vient dʼêtre tué, mon colonel, quʼil dit tout dʼun trait.
Et alors ?
Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Etrapes, mon colonel !
Et alors ?
Il a été éclaté par un obus !
Et alors, nom de Dieu !
Et voilà ! Mon colonel …
Cʼest tout Oui, cʼest tout, mon colonel.
Et le pain ? demanda le colonel.
2
Les soldats allemands ont tout dʼabord tenté dʼatteindre leurs cibles en tirant au fusil.
3
Sous-officier de cavalerie. Grade correspondant à celui de sergent dans lʼinfanterie.
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Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien quʼil a eu le temps de dire tout juste : « Et
le pain ? » Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces
bruits comme on ne croirait jamais quʼil en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le
nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que cʼétait fini que jʼétais devenu du feu et
du bruit moi-même.
Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes
qui tremblaient comme si quelquʼun vous les secouait de par-derrière. Ils avaient lʼair de me quitter, et
puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant
longtemps, lʼodeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les
puces de la terre entière.
Tout de suite après ça, jʼai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait dʼéclater comme lʼautre
nous lʼavait appris. Cʼétait une bonne nouvelle. Tant mieux ! que je pensais tout de suite ainsi : « Cʼest
une bien grande charogne en moins dans le régiment ! » Il avait voulu me faire passer au Conseil4
pour une boîte de conserves. « Chacun sa guerre ! » que je me dis. De ce côté-là, faut en convenir,
de temps en temps, elle avait lʼair de servir à quelque chose la guerre ! Jʼen connaissais bien encore
trois ou quatre dans le régiment, de sacrées ordures que jʼaurais aidé bien volontiers à trouver un
obus comme Barousse.
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Tribunal militaire chargé de juger les soldats auteurs de délits ou de crimes.
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Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus, tout
dʼabord. Cʼest quʼil avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par lʼexplosion et projeté jusque
dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils sʼembrassaient tous les deux pour le
moment et pour toujours, mais le cavalier nʼavait plus sa tête, rien quʼune ouverture au-dessus du cou,
avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel
avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là au
moment où cʼétait arrivé. Tant pis pour lui ! Sʼil était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas
arrivé.
Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble.
Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène.
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, 1932
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