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l’accès au savoir en santé mentale populationnelle
Volume 5, Numéro 1, janvier 2013
Pour favoriser la santé psychologique au travail, il faut d’abord
satisfaire les besoins humains fondamentaux
Michel Vézina, M.D., M.P.H., Université Laval et Institut national de santé publique du Québec
Contexte
Consciente de la croissance importante des problèmes de santé mentale attribuables au travail, la Commission de
santé mentale du Canada faisait récemment appel à l’Association canadienne de normalisation aussi connue
sous le nom de Groupe CSA et au Bureau de normalisation du Québec (BNQ), pour l’élaboration d’une
norme visant à rendre les milieux de travail psychologiquement sains et sécuritaires (CSA – Z 1003/BNQ
9700-803-7)i.
Il existe de
nombreuses
pratiques de
gestion qui
peuvent être
mises en
œuvre.
S’appuyant sur les résultats de nombreuses recherches scientifiques, le groupe de travail chargé
d’élaborer cette norme a identifié comme piliers stratégiques de sa proposition un certain nombre de
besoins humains jugés fondamentaux; des besoins dont la satisfaction est considérée comme essentielle
à l’équilibre psychologique d’une personne. Cette perspective permet de faire d’une pierre deux coups
en réconciliant à la fois les objectifs de prévention et de promotion de la santé mentale en milieu de
travail. En effet, lorsque ces besoins ne sont pas entièrement satisfaits ou que la personne se sent
menacée, ils deviennent des facteurs de risque de détresse psychologique qui doivent donc être ciblés
par des programmes de prévention. Par ailleurs, dans une perspective de promotion de la santé mentale,
ces besoins deviennent autant de cibles à valoriser et à promouvoir au sein d’une organisation pour
favoriser le bien-être ou la santé psychologique du personnel.
En plus du besoin primaire de se sentir en sécurité au travail, les besoins identifiés dans la norme sont
les suivants :
•
besoin d’autonomie et d’accomplissement, c’est-à-dire celui d’exercer un certain contrôle sur
son travail, ce qui permet d’utiliser ses habiletés et ses compétences et d’en développer de nouvelles,
d’exploiter son potentiel créateur, de se sentir efficace et capable de relever des défis à la hauteur de ses
capacités;
•
besoin d’appartenance ou d’affiliation, c’est-à-dire celui de bénéficier du soutien de ses collègues et de son supérieur pour
faire face aux difficultés, être fier de l’organisation ou de l’équipe à laquelle on appartient;
•
besoin d’estime de soi, c’est-à-dire cette nécessité d’être reconnu pour ses efforts et réalisations, de sentir qu’on est utile et
qu’on a un statut dans l’organisation;
•
besoin de justice sociale, c’est-à-dire ce besoin d’être traité avec équité et respect par ses collègues et ses supérieurs.
Comment l’entreprise peut-elle s’y prendre pour permettre à son personnel de satisfaire ces besoins? Plusieurs études ont démontré
qu’il existe de nombreuses pratiques de gestion qui peuvent être mises en œuvre pour atteindre cet objectif.
Ainsi, pour combler le besoin d’autonomie et d’accomplissement, les entreprises doivent permettre à leurs travailleurs d’avoir
suffisamment d’influence et de participer aux décisions qui les concernent, notamment sur les moyens, la façon et les méthodes de
travailler compatibles avec la nature du travail à faire. Dans ce contexte, l’autonomie signifie également que les personnes doivent
se sentir libres d’exprimer leurs idées sur la nature du travail et la façon de l’accomplir.
vivre en bonne santé mentale
Il faut par contre se méfier de ce que certains appellent « l’autonomie piégée », laquelle se caractérise par une autonomie
quasi sans limites, mais accompagnée d’objectifs de plus en plus élevés à atteindre. Voilà pourquoi l’autonomie est
indissociable du soutien ou de l’accès aux ressources techniques et humaines permettant de faire un travail de qualité. En
fait, le supérieur soucieux de combler ce besoin doit donc faire preuve de disponibilité et d’une réelle capacité d’écoute ou
d’une présence de qualité auprès du personnel de son unité. La sensibilité aux difficultés vécues par son personnel, la capacité
de donner suite à ses suggestions dans un délai raisonnable et celle de gérer rapidement les conflits sont également des
moyens d’offrir du soutien et de développer un sentiment d’appartenance et d’affiliation.
Le besoin de
reconnaissance
lié à l’estime de
soi passe par
des marques
d’appréciation
répétées,
sincères et
discrètes sur le
travail accompli
ou les efforts
fournis.
Le besoin de reconnaissance lié à l’estime de soi passe par des marques d’appréciation répétées, sincères et discrètes sur le
travail accompli ou les efforts fournis. Pour ce faire, le supérieur doit absolument connaître les difficultés réelles et les
exigences du travail. En effet, pour reconnaître le travail, il faut d’abord connaître les imprévus possibles, les délais hors
contrôle, le manque de coordination ou de collaboration avec les autres membres du personnel. Une bonne connaissance du
travail, des exigences professionnelles ou du métier est essentielle, surtout lorsque les membres du personnel ont une grosse
charge de travail à accomplir. Comme le disait un professionnel de la santé lors d’une enquête que j’ai réalisée au Québec :
« Ce qu’ils nous demandent de faire, et ce que les normes disent, et ce que l’on nous permet de faire sans les moyens de faire…
c’est comme deux mondes… Et là, ils nous laissent avec des cas de conscience ». Cette situation entraîne ce qu’on appelle un
état de souffrance éthique, d’où l’importance d’établir les exigences de rendement après avoir consulté les personnes
concernées.
Enfin, le besoin de justice sociale passe par l’absence de discrimination ou de favoritisme au quotidien, comme dans
l’attribution des charges de travail, des promotions, des congés, des activités de formation ou de perfectionnement, de même
que dans l’application des règles et des mesures disciplinaires.
Le respect de ces besoins humains fondamentaux n’a pas seulement un impact favorable sur la santé psychologique du
personnel, mais il en a également un sur la santé de l’organisation. Une enquête réalisée en 2008 auprès de 52 entreprises
américaines a en effet démontré que 85 % des nouveaux employés perdent leur enthousiasme au cours des six premiers
mois suivant leur embauche et cette baisse se poursuit au cours des années suivantes (Sirota, Mischkind, & Meltzer, 2008).
Qu’est-ce qui caractérise les enthousiastes? L’enquête a bien démontré que la motivation et l’engagement dépendent du
sentiment d’accomplissement, de respect et d’estime, ainsi que de la camaraderie qui naît en milieu de travail (appartenance
et affiliation).
Conclusion
En somme, la norme canadienne visant à rendre les milieux de travail psychologiquement sains et sécuritaires fournit aux
entreprises un cadre de référence leur permettant de faire d’une pierre trois coups, soit : prévenir la détresse psychologique
des membres de leur personnel, promouvoir leur santé mentale et favoriser la santé de leur organisation.
Bibliographie
1. Brunet, L et Savoie, A. (2012). La santé psychologique au travail : au-delà du stress et vers la performance. Communication présentée au 17e
Congrès international de psychologie du travail de langue française, 11 juillet, Lyon, France.
2. Brun, J.P. (2008). Les 7 pièces manquantes du management. Montréal : Les Éditions Transcontinental.
3. Laliberté, S. (2007). Pour diminuer le risque humain : savoir connaître et reconnaître. Entrevue avec Michel Vézina, Bulletin Échange, 20(2), 1-8.
4. Sirota, D., Mischkind, L.A., & Meltzer, M.I. (2008). Stop demotivating your employees! Harvard management update, 13(7), 5-7.
5. Vézina, M. (2010). Santé mentale au travail : répondre à des besoins humains fondamentaux. Dans Clot, Y. et Lhuilier, D. (dir.), Travail et santé
(p.169-174). Paris : Éd. Érès.
6. Vézina, M. (2008). Santé psychologique au travail : répondre aux besoins fondamentaux de l’être humain, Prévention au travail, 21(2), 27.
i
Pour plus d’information sur la norme canadienne en santé et sécurité psychologique au travail (CSA – Z 1003/BNQ 9700803-7), consultez le site http://www.mentalhealthcommission.ca/Francais/Pages/Consultations_WF_Fre.aspx