Jacques DELORS - Symétal CFDT Sud Francilien
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Jacques DELORS - Symétal CFDT Sud Francilien
Jacques DELORS Une vie de militant Jacques Delors, un désir permanent d'améliorer la société Fil Bleu. Jacques Delors, êtesvous un militant ? Jacques Delors. J'ai travaillé après mon baccalauréat, ce qui était déjà une chance pour ma génération. J'adhère à la CFTC après mon embauche à la Banque de France, suite à un concours. Pendant 5 ans, de 1945 à 1950, j'entreprends des études supérieures tout en travaillant. En même temps, je joue au basket-ball à la Jeanne d'Arc de Ménilmontant et je dirige un cinéclub. Après mes études je commence à militer. Je suis rapidement en rapport avec " Reconstruction ". Avec Paul Vignaux, Albert Detraz et d'autres camarades remarquables, même pendant les vacances, nous nous retrouvions. Ils ont fait mon éducation. Je travaille pour la CFTC avec René Bonety et Théo Braun. La CFTC me nomme membre d'une section au Conseil économique et social. En 1962, je suis appelé au Commissariat général au Plan. Je rédige le rapport du comité des sages sur la grève des mineurs en 1963. Mon épouse se rappelle des dîners à la maison pendant cette grève, et pas seulement avec la CFTC. Au Commissariat général au Plan, on a beaucoup de contacts avec les syndicats. En 1969, après avoir consulté Eugène Descamps [secrétaire général de la CFDT], j'accepte l'offre du nouveau Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, d'entrer à son cabinet. Après Mai 68, j'ai pensé qu'il y avait beaucoup à faire. Eugène Descamps a dû s'expliquer auprès de certains camarades ! Des décisions ont été prises mais beaucoup seront vite oubliées, sauf la loi sur la formation permanente que j'ai réussi à faire passer. Innovation pour l'époque : un accord interprofessionnel en 1970 avait précédé et inspiré la loi de 1971. Nommé ensuite se10 SYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN crétaire général à la formation permanente, je démissionne en 1973 pour désaccord avec le gouvernement. Je choisis alors d'enseigner à l'université. J'ai répondu aux sollicitations du mouvement syndical. Puis, comme d'autres, je me suis dit "le syndicalisme c'est bien, mais tu dois aussi agir par la voie politique". Je m'engage donc en politique. Pourtant, les partis politiques ne sont pas attrayants, je préfère le syndicat… Mais votre engagement politique est fort ? Historiquement, des catholiques ont fait pencher la société vers la gauche. Les militants dans leurs mouvements de jeunesse s'engagent, comme à la Joc (Jeunesse ouvrière chrétienne), à laquelle j'ai appartenu à 14 ans, ou d'adultes comme l'ACO (Action catholique ouvrière). Tous ces militants font la distinction entre la foi et la politique. Au mouvement La Vie Nouvelle, courant personnaliste, nous distinguions bien ces deux dimensions. Cela a permis à beaucoup de militants chrétiens de travailler aux côtés de militants non croyants. A un moment donné, il nous a semblé qu'il fallait entrer en politique. En 1971, au congrès d'Épinay du parti socialiste, les militants du club Citoyens 60 que j'avais fondé étaient là. Ensuite, il y a eu les Assises du socialisme en 1974. Le rôle essentiel est joué par Michel Rocard, c'est lui le leader. Après avoir été à la Jeune République et au PSU - un mois - j'adhère au PS. La gauche du parti me convoque devant un " tribunal " dans ma section du 12e arrondissement de Paris. Ils m'ont accepté mais avec difficulté. Ils s'en souviennent toujours… et moi aussi. Cette vague importante a ren- forcé la gauche ; regardez l'évolution de la sociologie électorale de l'Est et de l'Ouest de la France ! Qu'est-ce que le courant personnaliste ? Certains ont été nourris au lait du personnalisme : " la personne se définit par elle-même et par ses rela tions avec les autres ". Ce courant communautariste a été très impor tant puisque Mounier l'a lancé avant guerre, mais aujourd'hui il est moins visible depuis la mort, notamment, de Paul Ricœur. Il demeure vivace en Italie, en Belgique et en Amérique du sud, notamment. Dans le dernier numéro de la revue Esprit sur Mai 68, les rédacteurs signent - me semble-t-il - soit la fin du personnalisme, soit leur séparation du personnalisme. Le personnalisme était très répandu à la CFTC. Ce courant a beaucoup travaillé, réfléchi, proposé, suggéré. La revue Esprit a été très agitée pendant cette période là par le pacifisme et par le débat réforme/révolution. Puis il y a eu Soljenitsyne, et la liberté est devenue l'élément essentiel avec le combat contre le totalitarisme. L'Europe : " la compétition stimule, la coopération renforce, la solidarité unit " Pouvez-vous développer le concept européen d'économie sociale de marché ? C'est une formule dont on abuse. Le concept d'économie sociale de marché a été fondé en Allemagne. L'économie sociale de marché repose d'abord sur un constat : le marché est le moins mauvais système pour sélectionner des activités et stimuler la compétitivité et la productivité. L'économie de marché est sociale si elle est flanquée d'une régulation par les partenaires sociaux au niveau national, régional et dans les entreprises par la cogestion. Enfin, elle est complétée, enrichie, par le système de sécurité sociale. C'est la définition de départ. On la retrouve aussi en Autriche. Mais il y a trois autres modèles en Europe. Il y a le modèle du Nord, la vraie sociale démocratie, la mienne. Elle est fondée sur des principes équivalents avec un poids donné aux partenaires sociaux encore plus grand mais sans la cogestion. Dans le système suédois, le tempo était donné par le congrès de LO (Confédération syndicale suédoise) et non pas par le parti politique. Même si cela a changé, le système nordique reste le système le plus égalitaire. Un autre système était celui de l'anglais William Beveridge, l'autre fondateur de la sécurité sociale. Il a fonctionné en Grande-Bretagne jusqu'au moment où ce pays, accumulant trop de retard économique, ne pouvait plus du tout faire face. Est alors arrivée la période Thatcher ! Elle n'a pas tout liquidé mais a quand même changé la donne. La troisième voie de Tony Blair est un autre système plus axé sur la responsabilité individuelle. En France, nous vivons dans un système étatique. L'État domine dans la protection sociale, même si les partenaires sociaux y ont une place. Le politique l'emporte sur le social. Combien de fois j'ai entendu des camarades me dire : tout est politique ! C'est une des erreurs les plus manifestes que l'on peut commettre. La France est marquée par un système étatique où l'on a beaucoup de mal à respecter les partenaires sociaux. Se référer à l'économie sociale de marché demeure valable. Mais, à mon sens cette notion reste à redéfinir pour chaque pays, car nous n'allons pas vers la convergence des systèmes. En Europe, il ne faut jamais oublier la répartition des compétences telle que prévue dans les traités. Pour aller vite, une grande partie des questions sociales demeurent de la compétence nationale. C'est pour cela que je vous ai décrit ces systèmes et que je veux souligner l'importance vitale de la diversité. Pour certains de nos concitoyens, l'Europe coûte cher et rapporte peu ? D'abord donnons les chiffres. Le budget de l'Union européenne repré sente un peu moins de 1% de la richesse nationale (PNB) de tous nos pays. Ce sont 2,1% des dépenses publiques additionnées des pays. L'Europe revient actuellement à 63 centimes par jour à chaque citoyen. Sur ces dépenses, 43% vont à la politique agricole commune, 40% aux politiques de cohésion économique et sociale que j'ai lancées. Le reste va aux actions de compétitivité sur la recherche, le fonctionnement… Ce budget stagne à 1% du PNB depuis longtemps. J'avais demandé, dès 1989, qu'on le porte à 1,3%. La rigueur budgétaire que chaque pays s'applique a des conséquences sur le budget européen. Compte tenu, par exemple, de la stratégie de Lisbonne et des élargissements, cette augmentation est encore plus justifiée. Quel a été l'apport de l'Europe dans l'essor économique ? La construction européenne a stimulé l'économie française. Cela explique que le Général de Gaulle, pourtant peu favorable à l'intégration européenne, ait accepté les traités de Rome quand il est revenu au pouvoir en 1958. L'économie française a été stimulée, mais pas au point de la rendre aussi compétitive que souhaité. Autre aspect à souligner : les politiques de cohésion annoncées par le traité dit de l'Acte unique représentaient 5% du budget quand je suis arrivé à la Commission. Maintenant, elles en représentent 40%. Quand j'ai quitté la Commission, 46% du territoire français était couvert par ces politiques ! Je crains qu'elles ne deviennent plus que des subventions aux États membres les moins riches. Si la politique de cohésion économique et sociale ne s'applique pas à tous les pays, y compris aux plus riches, c'est une déformation de l'esprit de l'Acte unique. Ses grands principes sont : la compétition qui stimule, la coopération qui renforce, la solidarité qui unit. Il faut continuer à se référer à ces principes. Bien entendu, la cohésion économique et sociale a énormément aidé l'Irlande, la Grèce, l'Espagne, le Portugal. Il suffit de regarder maintenant leur niveau de vie. S'ils ont aussi fait un effort eux-mêmes, sans ces aides, ils ne seraient pas arrivés au stade actuel de leur développement. La solidarité a joué. Une des dimensions sociales essentielles de l'Europe est donc bien la politique de cohésion économique et sociale. L'euro a beaucoup monté par rapport au dollar américain. Qu'est-ce qui ne va pas ? Du point de vue de l'histoire, l'euro est un succès pour la construction européenne. Du point de vue des économies nationales, l'euro aura évité bien des difficultés à certains pays, durant ces dix dernières années. Mais si l'euro protège, il ne dynamise pas. L'Union économique monétaire doit marcher sur deux jambes : la jambe monétaire et la jambe économique. En 1997, en tant que simple militant européen, j'ai proposé, à côté du pacte de stabilité, un pacte de coordination des politiques économiques. Mais cette suggestion a été pratiquement ignorée par le président de la République et le Premier ministre de l'époque... La baisse du dollar fait monter l'euro. Le problème c'est le dollar. C'est aussi la suprématie des ÉtatsUnis. Ils ont un déficit budgétaire et surtout un déficit de la balance des paiements considérable et ils ne font rien. Comment voulez-vous que l'EuSYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN 11 rope dise quelque chose puisqu'elle n'a ni cette coordination des poli tiques économiques, ni une voix extérieure unique ? A mon avis, si on avait eu un pacte de coopération des politiques économiques depuis la création de l'euro, nous aurions en moyenne 0,5% de croissance en plus chaque année. En résumé, les deux points faibles de l'euro sont l'absence de la jambe économique et d'une parole extérieure commune. Jusqu'où élargir l'Europe ? 12 Jusqu'où faut-il aller dans l'élargissement de l'Europe ? Jusqu'où l'Europe ? Quand la France de Pompidou décide de trouver une solution avec la GrandeBretagne, nous savons tous qu'elle sera une empêcheuse de tourner en rond. La Grande-Bretagne reste toujours à équidistance des États-Unis, du continent et du Commonwealth. Le Président français de l'époque a pris le risque, poussé par les autres pays, d'accepter l'élargissement à la Grande-Bretagne mais aussi au Danemark et l'Irlande. C'est un choix historique. La Grèce sortait du régime des Colonels ! Nouveau choix historique. Ensuite il y a eu l'Espagne et le Portugal juste libérés de régimes dictatoriaux. Vous vous rappelez l'opposition de Jacques Chirac : " si ce traité d'élargissement est signé, ce sera catastrophique pour la France… " Le quatrième choix historique vient après la chute du Mur de Berlin. Sur les élargissements aux pays d'Europe centrale et orientale, nos gouvernements ont été lamentables ! Ils se cachaient, ils rasaient les murs. Comment ne pas ouvrir les bras à des peuples qui pendant 40 ans ont subi la nuit du totalitarisme ! Leur adhésion a conforté leur démocratie et permis leur développement. Pour l'avenir, on devra consacrer plus de moyens politiques et économiques aux Balkans (les pays de l'ex-Yougoslavie en particulier) et les accueillir aussi dans la famille européenne. Quand Robert Schumann a SYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN lancé son appel en mai 1950, il y avait dans le gouvernement français et dans les partis politiques des personnalités réticentes à cet appel à la paix et à la réconciliation. Il y avait la mémoire des morts de la guerre des deux côtés, le souvenir cruel de la déportation, la méfiance, voire la haine… Plusieurs fois l'Europe a été devant un défi historique : à chaque étape elle a dit oui. On pouvait concevoir une autre solution : une Europe plus petite, plus cohérente, plus cohésive. La grandeur de l'Europe est aussi de faire face à ces défis historiques, au nom de la liberté, de la paix et de la compréhension mutuelle entre les peuples… La grandeur de l’Europe est aussi de faire face à ces défis historiques” “ Que pensez-vous de l'adhésion de la Turquie ? Mon raisonnement est simple : compte tenu de la montée de l'intégrisme, de sa propagande, de son impact sur les populations - des centaines de millions - je ne dit pas dit non à la Turquie a priori, mais oui à la négociation et… point à la ligne. On verra après. Le non renforce la tension et la propagande des extré- mistes : "Vous voyez bien que l'Europe est un club chrétien, un club de riches". Pourquoi dire non à la Turquie alors qu'au même moment on veut faire une Union pour la Méditerranée ? Il faut de la cohérence. La Turquie peut très bien ne jamais répondre aux critères d'adhésion. Mais je sais que le non brutal sera désastreux du point de vue de la bataille idéologique entre les démocraties et certaines formes d'intégrisme. L'Union des pays de la Méditerranée proposée par Sarkozy, effet d'annonce ou réelle bonne idée ? Il lui a déjà fallu trouver un compromis avec les autres États membres, car ils ne voulaient pas d'un ensemble ne comportant que les pays européens du Sud. A présent, toute l'Union européenne participe à l'Union pour la Méditerranée. Cette zone couvre deux conflits : celui dramatique Israël/ Palestine, et l'antagonisme sans solution entre le Maroc et l'Algérie. Ils ne sont pas arrivés à faire le Maghreb uni, un marché commun entre Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Mauritanie… Il faut tenir compte de cette réalité. On peut avoir des projets communs comme la lutte contre la pollution dans la Méditerranée, un marché commun de l'énergie... La coopération entre les peuples est un facteur de compréhension mutuelle et de paix. C'est l'objectif essentiel. La coopération renforce et reste un moyen de mieux se connaître. Dans ce débat entre Français, évitons l'emphase et le lyrisme d'un côté, et le dénigrement systématique de l'autre. "Pour une politique commune de l'énergie" Une politique européenne peutelle assurer notre indépendance énergétique ? Si le " paquet climat énergie " de la Commission est accepté, en 2020 nous aurons 20% d'énergie de substitution et 10% de biocarburant, mais l'Europe des 27 restera dépendante à 50% de l'énergie extérieure. Actuellement, il n'y a pas de politique commune de l'énergie. Chaque pays va faire sa cour à Monsieur Poutine ou à un autre. Par exemple, il y a trois projets différents de pipelines pour le transport du gaz ! Une politique commune de l'énergie est essentielle, avec une politique extérieure commune. Si Monsieur Poutine a un seul interlocuteur, si les pays arabes ont un seul interlocuteur, ce sera différent et bien plus efficace pour les pays européens. Quels sont les problèmes entre européens ? Premièrement, le rôle de l'énergie nucléaire. Notre situation s'avère plus satisfaisante que d'autres, notamment pour notre balance commerciale, à cause de l'énergie nucléaire. Est-ce que tous les pays acceptent de développer le nucléaire de la nouvelle génération ? Cette première question peut nous diviser. Deuxièmement, dans le marché commun de l'énergie la concurrence doit jouer. Des thèses très différentes s'affrontent. La Commission propose de scinder les grandes entreprises énergétiques : d'un côté la production, de l'autre côté le transport. Les Français et les Allemands sont réticents. Si nous avons un marché commun de l'énergie, il faut non seulement un régulateur interne, mais aussi un régulateur externe. Pour nos approvisionnements, soit on continue chacun de son côté, soit on s'oriente vers une politique commune. Mais cette politique énergétique sera une dimension importante d'une politique extérieure commune. Qu'est-ce qu'on veut faire avec la Russie, avec les pays arabes, avec la Libye, avec l'Algérie ? Comme l'Europe s'est bâtie par l'économie, va-t-elle être bloquée dans son développement économique parce qu'elle ne passe pas à l'échelon supérieur ? Voici des chiffres qui nourrissent la réflexion : l'Union européenne représentait 15% de la population mondiale il y a un siècle ; aujourd'hui c'est 6% et en 2050, ce sera 3%. Ce chiffre justifie la nécessité de l'Europe. Vous vous rendez compte qu'en 2050, nos arrière-petits-enfants ne représenteront que 3% de la population mondiale ! Vous proposez une politique commune de l'énergie par une "avantgarde" ? Si les 27 ne sont pas tous d'accord, revenons à une "avant-garde" ! C'est un mauvais mot mais il faut faire choc ! Je l'avais proposé, mais l'idée n'a pas été retenue. On ne pourra pas avancer tous ensemble en même temps. Deux des grandes réussites européennes, l'espace Schengen et l'euro, ont été réalisées par une partie des membres de l'Union. Au nom du même principe, je propose de créer une communauté de l'énergie sur la base de l'expérience réussie de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). Appelons ceci, pour reprendre une formulation des traités existant, une coopération renforcée. "La convention collective summum du socialisme démocratique" Quelle est votre conception de l'Europe sociale ? Pendant mes dix ans à la présidence de la Commission européenne, je me suis attaché à trois idées fortes : le dialogue social, la cohésion économique et sociale et les minima sociaux. Le dialogue social, c'était pour remettre les partenaires sociaux dans le jeu afin qu'ils puissent devenir facteur d'influence. Aux patronats j'ai dit : " si vous continuez ainsi, je suis pour la grève générale et la révolution. Je la ferai avec eux, je serai dans la rue avec eux parce qu'il y en a marre. Vous ne voulez rien faire, vous êtes trop prudents ". Comme j'avais proposé le marché unique, et que les plus grands chefs d'entreprise soutenaient ce projet, ils ont accepté le dialogue social. La cohésion économique et sociale c'est la solidarité entre les régions riches et les régions moins riches, les régions développées et les régions en développement : 40% du budget aujourd'hui ! Pour les minima sociaux, j'ai réussi à introduire, dans l'Acte unique, les minima en matière de conditions de travail, de santé et de sécurité sur le lieu de travail. Depuis il s'est passé bien des évènements contrariants… Qu'est-ce qui vous contrarie actuellement ? Un arrêt de la Cour de justice européenne me contrarie. En Suède, une entreprise non suédoise réalise un chantier et veut appliquer à ses salariés expatriés les conditions sociales du pays d'origine. Les syndicats suédois refusent et exigent l'application des conditions sociales suédoises. La Cour de justice leur donne tort avec comme argument que ces conditions sociales ne résultent pas d'une loi suédoise, mais d'une convention collective ! Ils n'ont pas compris, ou n'ont pas voulu comprendre, que la convention collective s'avère le summum du socialisme démocratique, le summum de l'écoSYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN 13 nomie sociale de marché. Cela signifie qu'il n'y a même pas besoin de légiférer. Le syndicalisme doit donc obtenir des lois européennes légalisant cette pratique. Sinon nous aurons ce que nous avons le plus combattu dans la fameuse directive sur les services. Un arrêt de la Cour de justice dit de "Cassis de Dijon" sur la reconnaissance mutuelle des normes m'a permis de faire le " grand marché ". Si avant de faire le marché unique européen, nous avions dû unifier toutes les normes, nous n'y serions jamais arrivés. La Cour de justice de l'Union européenne joue un rôle important. La loi ou le contrat entre les patronats et les syndicats, ce sont les deux cadres de la politique sociale dans mon pays. Ils doivent être consacrés au nom de la diversité et de l'importance vitale du dialogue social. nous avons produit un autre document sur "La France en transition" portant sur l'évolution en France couvrant la période de 2003 à 2005. Que dit ce rapport sur l'évolution de la France ? "La France en transition" fait la part des choses entre les Français qui râlent et ceux ayant des raisons de se plaindre. Nous avons même dénoncé le manque de compétitivité flagrante de l'économie française. C'est en effet notre talon d'Achille numéro un. Si on ajoute aux inégalités traditionnelles, les temps partiels, les emplois précaires et les familles monoparentales nous avons les causes essentielles des inégalités. Pour la hiérarchie des salaires, en moyenne, l'écart est de un à quatre. Mais pour les salaires perçus annuellement, l'écart passe de un à trente, cela montre l'impact négatif du non-emploi permanent. Ce rapDes rapports au CERC pour déport met en exergue les gens qui crire la réalité et la dénoncer souffrent réellement. On y fait référence aux petites retraites et aussi à Huit années à la présidence du certains habitants des communes CERC, cela compte ? rurales. Quelqu'un voulant trouver Un peu d'histoire d'abord. Le CERC un boulot et vivant dans une com(Centre d'études des revenus et des mune rurale a besoin d'une auto, coûts) est créé à la suite de mon soit au moins 200 euros de frais par rapport sur la politique des revenus mois (250 euros avec la hausse du en 1964 lorsque je travaillais au prix de l'essence). Si on lui offre un Commissariat général au plan. A salaire de 1 000 euros, qu'est-ce qui cette époque, l'information écono- lui reste pour vivre ? Mais ce rapport mique est beaucoup plus faible est passé inaperçu ! qu'aujourd'hui. Le CERC - dans sa première for- Et les autres travaux du CERC ? mulation - n'avait jamais été accepté Nous avons beaucoup contribué par les " pompidoliens " M. Balladur, aussi pour tout ce qui concerne le devenu Premier ministre, le trans- marché de l'emploi et nous avons forme en CSERC. Finalement, la soutenu la CFDT pour la mise en gauche rétablit l'actuel CERC place du Pare (plan d'aide au retour (Conseil de l'emploi, des revenus et à l'emploi). Nous avons beaucoup de la cohésion sociale). Lionel Jos- travaillé sur l'emploi et la réintégrapin, Premier ministre, me demande tion dans le marché du travail. en 2000 de le présider et de le lan- Quand le salaire n'est pas suffisant, cer. la solution n'est pas la prime pour Contrairement à d'autres orga- l'emploi, mais une meilleure politique nismes du Premier ministre, il a un salariale. Conseil indépendant qui choisit ses Le rapport ayant eu le plus de sujets de travail. Il peut être saisi par succès porte sur les enfants le Gouvernement ou par le Parle- pauvres. ment. Il publie, en plus des rapports Le dernier rapport publié découle thématiques, un rapport sur l'évolu- d'un cri que j'ai lancé : il y a chaque tion pluriannuelle. "La longue route année 180 000 jeunes qui sortent du vers l'euro" date de 2002. En 2007, système d'enseignement sans di14 SYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN plôme ; 110 000 de l'enseignement secondaire et 70 000 de l'université. Le thème du rapport porte donc sur "que faire pour ces 180 000 exclus ?". Que faire en attendant une réforme idyllique de l'enseignement donnant à tous ces jeunes leur chance ? C'est mon combat essentiel après celui sur la formation permanente. J'estime que chaque enfant a un trésor au fond de lui-même et que c'est au système éducatif et à la famille de le faire sortir. C'est l'égalité des chances. Notre société est trop fondée sur l'inné, y compris la famille, bien sûr, et pas assez sur l'acquis. Écartés avant la retraite, oubliés après Le niveau d'emploi de l'ensemble des actifs présente des écarts importants selon les pays de l'Union européenne. Pourquoi la France a un niveau d'emploi très faible des seniors, des 55 à 65 ans ? Lors de la campagne du "non" en France, on a entendu dire que la situation de l'emploi est mauvaise à cause de l'Europe. Il y a une seule réponse : ce que la France doit faire pour elle-même, l'Europe ne le fera pas pour elle. C'est fondamental. D'autres pays y arrivent ! Veut-on proposer un traité dans lequel toutes les questions sociales du marché du travail seront traitées à Bruxelles avec un gouvernement européen ? Non, bien sûr. Cette confusion sciemment entretenue a, entre autres, fait perdre le référendum en 2005. S'il y avait des non fondamentaux, il y avait aussi des gens troublés par de fausses affirmations. En France, à partir des années 70, nous avons, plus que d'autres, réglé nos problèmes structurels de l'industrie par les préretraites. J'ai lu récemment dans un grand journal que les DRH consultés disent " les plus de 50 ans sont rigides, pas mobiles, etc. ". Certains écartent même les plus de 45 ans. C'est terrible ! La société tourne mal ! Les organisations syndicales ont mis longtemps à se saisir du problème du travail des seniors. Ils le font maintenant à propos de la discussion sur le passage de 40 à 41 ans de la durée de versement des cotisations. …La CFDT s'est impliquée tout de même ! Oui la CFDT, mais pas les autres… François Chérèque insiste là-dessus et essaye de changer l'opinion des gens. Il faut redonner au travail son sens profond. Si je n'ai pas un travail, je ne suis pas intégré dans la société, j'ai du mal à me regarder dans la glace. Le travail reste un facteur central de cohésion personnelle. Le mouvement ouvrier a lutté pour que tous aient un travail, pour que ce travail soit supportable et qu'il puisse permettre de vivre. Il faut remettre cette valeur du travail au centre des préoccupations. Les plus de 55 ans voulant continuer à travailler doivent pouvoir le faire. Parce que la retraite est faible et parce qu'ils seraient fiers de pouvoir transmettre leur savoir-faire professionnel. C'est un grand combat à mener, pas simplement pour des questions d'équilibre de nos systèmes de retraite, mais pour des questions de société, de notre conception de la société. S'il y en a qui veulent partir plus tôt, ils partent plus tôt, mais on doit pouvoir continuer. La balle est principalement dans le camp des patrons qui doivent changer leur manière de voir et de gérer leur personnel Dans une société où le travail donne une place à chacun, quelle place pour le retraité citoyen ? On accorde beaucoup d'importance aux retraités lors des élections. Les retraités ont encore un rôle à jouer dans la société. Sauf peut-être en Italie et en Espagne, il y a une coupure entre les générations. Si en France l'esprit familial existe encore, il se réduit trop souvent au "bonjour Papa, bonjour Maman, peux-tu garder les enfants ?". Cette partie de la population va représenter bientôt 22% du total. Pourtant on ne la met pas en valeur en leur disant : " vous êtes des citoyens, vous avez un rôle à jouer dans la société ". Il faut les stimuler en diffusant des émissions montrant les bienfaits de la vie syndicale et associative. On nous montre trop des résidences pour personnes âgées avec piscine, golf… inaccessibles pour le plus grand nombre. On ne fait pas appel à leur sens citoyen, on ne leur dit pas : "vous existez !". Souvent la rupture avec le travail n'est pas facile à gérer. C'est le moment où il devrait y avoir, par exemple, un développement des universités des seniors, et donc de l'éducation permanente. Dans les nouveaux États membres de l'Union, la situation des personnes âgées est très pénible parce que la coupure entre les générations est encore plus flagrante. Les enfants reprochent implicitement à leurs anciens d'avoir supporté le régime totalitaire, voire de l'avoir soutenu. En Europe du Nord, on rêve des Baléares, de Majorque, de la Tunisie… Quelle conception de la société effroyablement matérialiste ! L'Europe occidentale est en déclin, sans parler du religieux, sur le plan du vivre ensemble, du respect des gens, de l'attention porté aux autres. C'est indiscutable, l'individualisme contemporain est très poignant. Claude Wagner Article publié avec l’aimable autorisation du Fil Bleu Lexique Lexique des mots et noms cités par Jacques Delors dans son interview, triés par ordre alphabétique. René Bonety 1920-2003. Membre du bureau confédéral. Rapporteur sur la politique des salaires au congrès confédéral de 1961. Responsable du secteur économique de 1962 à 1973. Théo Braun Né en 1920. Membre dirigeant de la CFTC puis de la CFDT. Conseiller général du BasRhin, dirigeant du Crédit Mutuel d'Alsace. Ministre délégué chargé des personnes âgées dans le gouvernement Rocard (1988 à 1990). Braec Bureau de recherches et d'action économique de la CFTC / CFDT (de 1956 à 1988). Commissariat au Plan I n s t i t u t i o n française chargée de définir la planification économique par la concertation (1946 à 2006). Eugène Descamps 1922-1990. Secrétaire général de la CFDT de 1961 à 1971. Esprit Revue intellectuelle française fondée en 1932 par Emmanuel Mounier. Soutien d'une " nouvelle gauche ". Passe du personnalisme à un rôle de carrefour intellectuel. Emmanuel Mounier 1905-1950. Fondateur de la revue Esprit. A l'origine du courant personnaliste. PNB Produit national brut : mesure la richesse produite par un pays. Reconstruction Revue des acteurs de l'évolution de la CFTC en CFDT. Paul Ricoeur 1913-2005. Philosophe ayant beaucoup écrit dans la revue Esprit. Commonwealth Association des pays ayant fait partie de l'ancien Empire britannique (anciennes colonies ou protectorats). Alexandre Soljenitsyne 19182008. Écrivain russe, prix Nobel, ayant décrit le goulag soviétique comme il l'avait vécu. Albert Detraz Né en 1920. Responsable national de la fédération du Bâtiment de 1952 à 1969. A la confédération, responsable de la revue de réflexion CFDT Aujourd'hui et du Braec à partir de 1961 jusqu'en 1976. Paul Vignaux 1904-1987. Fondateur du Sgen et responsable national de 1948 à 1970. Leader du groupe de réflexion Reconstruction. Avec l'aide du service archives documentation CFDT SYMÉTAL CFDT SUD FRANCILIEN 15