Figures « illustres » de l`histoire africaine et diaspora noire Manger
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Figures « illustres » de l`histoire africaine et diaspora noire Manger
Figures « illustres » de l’histoire africaine et diaspora noire Par Antoine WONGO AHANDA Maître de Conférences Conseiller Culturel Ambassade du Cameroun en France Manger le ndolè du Cameroun dans un restaurant africain à Paris, le Tiep bou dien à New-York, le Saka Saka congolais à Stockholm ou le Yassa riz-aloko à Montréal n’a aujourd’hui rien de foncièrement nouveau ni de de surprenant. Rencontrer des boutiques qui vendent des produits alimentaires, des vêtements, des coiffeurs spécialisés pour les cheveux crépus ou des boites de nuit proposant la musique aux populations qu’il est convenu d’appeler de façon prude afrocaribéennes, ou tout simplement noires,197 est aussi vieux que la présence de ces populations en Occident198 au sens large. Ce qui est différent de nos jours ou du moins ce par quoi se distingue la consommation des produits africains de nos jours de celle d’il y a quelques années, c’est la modalité de cette consommation. Par modalité, il faut entendre ici l’ensemble des justifications idéologiques dont la fonction principale est de justifier ce type de consommation. En effet, si leurs pères mangeaient le Foutou sauce graine de Côte d’Ivoire à la place d’un sandwich MacDonald, écoutaient du Tabu Ley Rochereau de la République Démocratique du Congo ou portaient des vêtements en tissu-pagne (« dits africains ») même par temps de grand froid par nostalgie ou comme l’expression d’une forme décontextualisée des fragments culturels qui ont survécu à leur immigration, les générations actuelles qui vivent immergées dans les sociétés d’accueil adoptent cette consommation souvent qualifiée d’ethnique ou de nostalgique sur la base rationnelle d’une idéologie ou d’un ensemble de justifications rationalisantes de cet acte économique. Quelle est donc cette justification affirmée de ces Noirs ? La volonté de consommer des produits issus du continent dont ils sont originaires. Autrement dit, par l’acte de consommer, ces populations noires installées aussi bien dans les grandes capitales européennes, américaines que dans les Caraïbes entendent affirmer et préserver leur identité d’être Africain ou d’origine africaine. 197 Le débat sur ce sujet fait l’objet de moult controverses qui enserrent des thèses opposées tant chez ceux qui désignent que chez les désignés. Pour ce qui du rapport avec cette notion, il convient de se référer au travail de Pape N’diaye La Condition noire, Paris, Calmann-Lévy, 2008 et Pascal Blanchard : La France noire, Paris : La Découverte / ACHAC, 2011. 198 Par Occident ici il convient d’entendre l’Europe, les États-Unis et le Canada principalement. 183 Ce mouvement que l’on constate à travers la consommation est en fait un minuscule aspect d’une tendance plus grande qui se décline dans plusieurs aspects du quotidien de ces populations noires avec le même substrat rationnel ou idéologique à savoir la référence à l’Afrique, à sa glorieuse histoire. Une histoire dans laquelle les personnages considérés comme illustres et les modèles jouent un rôle prépondérant. La référence à ces derniers permet d’envisager ici de rendre compte de la part de ces Hommes illustres dans la construction d’une identité noire chez ces populations qui ont tout ou partie de leur parentèle en Afrique. Dans l’espace sociétal, les différentes identités ne bénéficient pas d'une estime sociale égale, car les rapports entre les groupes s'inscrivent dans un contexte d'inégalité et de pouvoir, imprégnant par là les identités sous forme d’identités majoritaires et minoritaires. Actuellement, on observe une reethnicisation des identités du côté de nombre de groupes noirs ou africains minoritaires (Eckman, 2004), qui est à mettre en parallèle avec une recrudescence du sentiment national du côté de bien des membres des groupes majoritaires. La mondialisation implique des contacts directs et indirects entre cultures de pays différents. Ces contacts, qu'ils soient directs par les rencontres entre individus et groupes, ou indirects par les objets et les capitaux, peuvent conduire à trois types de réactions : l'assimilation, l'intégration ou alors le refus culturel. Concrètement, il est question de se demander comment le passé de l’Afrique mais aussi le présent d’illustres personnalités permettent aux noirs de se voir, d’agir, de penser et de se sentir comme Africains en Occident. Une telle interrogation présuppose d’aborder dans un premier temps les modalités ou les formes de la référence à ces personnages illustres. Les raisons à l’origine d’une telle démarche seront exposées dans un second temps. Ce qui permettra dans une troisième articulation d’inférer les conséquences que cela induit dans un espace mondialisé. 1- Altérité et identité africaine en diaspora Du fait d’une longue présence dans les pays d’accueil, de plus en plus d’immigrés africains réussissent une intégration de participation. Certains membres de la première vague d’immigration en Europe et en Amérique avaient déjà pu s’assurer une place au sein des diverses structures de pouvoir, et ce, au prix d’une identification plus complète à leur patrie d’accueil. L’acquisition de la nationalité est souvent la démarche préalable à cette forme d’intégration. En France, 38 % des Camerounais ont été naturalisés et résident en France en tant que « Français d’origine étrangère ». Le 12 novembre 2008, Pierre N'Gahane, Français d'origine camerounaise a été nommé à la tête de la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence en France devenant ainsi le troisième préfet français issu de l'immigration.199 Cette nomination s’ajoutait, en termes d’intégration en 199 La nomination de Pierre N'Gahane qui avait eu un grand retentissement en France et en Afrique était intervenue en 2008 en plein débat français sur la discrimination positive. Titulaire d'un doctorat en sciences de gestion, Pierre N'Gahane était avant d'occuper ces fonctions administratives, vice-président de l'Université catholique de Lille et Président de l’Association IDEAL qui entretient une coopération universitaire avec le Cameroun. 184 France, à l’élection depuis 1989 dans les municipalités françaises d’élus « d’origine étrangère » ou de conseillers dits « issus de la diversité », dont une vingtaine d’origine camerounaise. Au Canada, avec un peu plus de 40 % des voix, Maka Kotto, comédien et metteur en scène d’origine camerounaise qui s'était fait remarquer par différents rôles au cinéma, a été élu en mai 2008, député à l'Assemblée nationale du Québec, sous la bannière du parti nationaliste, le Parti Québécois (PQ). Député de Bourget (Montréal), il est le premier Africain de l'histoire du Canada à siéger à la Chambre des communes. À nouveau candidat lors des élections législatives du 4 septembre 2012, Maka Kotto a largement battu son rival, le candidat de la Coalition Avenir Québec, Mario Bentrovato 45,76 % contre 20,92 %. Il a été nommé le 19 septembre 2012 ministre de la Culture et des Communications du Québec, devenant ainsi le premier Canadien d'origine africaine à obtenir un portefeuille ministériel au Québec. L’intégration visée n’est cependant pas à sens unique et on observe le maintien de liens multiformes avec le pays d’origine. Le processus d'enracinement dans les sociétés de résidence va souvent de pair avec un attachement très fort aux sociétés d'origine qui se manifeste à travers le maintien des identités d’origine. Selon le quotidien français Le Figaro, Pierre N'Gahane, le tout premier préfet noir de France, se définit comme « un noir africain » attaché à ses origines africaines. Bon nombre d’associations africaines cultivent les traditions culturelles par des rencontres festives et des activités conviviales, mais en même temps qu’elles facilitent les échanges sur les thèmes politiques et sociaux concernant le pays d’origine et le pays d’accueil. Dans la plupart des pays d’émigration, les groupements formés au niveau des villes, les associations professionnelles, les supporters des équipes de football ont des intérêts communs et cultivent l’identification nationale en tant qu’Africains. Bon nombre d’associations africaines cultivent les traditions culturelles par des rencontres festives et des activités conviviales, mais en même temps qu’elles facilitent les échanges sur les thèmes politiques et sociaux concernant le pays d’origine et le pays d’accueil. Pour prévenir la rupture notamment celle des deuxièmes et troisièmes générations nées et grandies dans les pays d’immigration, on voit se développer un tourisme des racines200 qui, malgré les prix élevés de la destination Afrique, déverse à chaque vacance scolaire des dizaines de milliers d’Africains de l’étranger, parfois des familles entières, dans leur pays d’origine. Nommée tourisme généalogique, de la mémoire, des racines, ou encore du retour, cette forme particulière de voyage est située entre l’entreprise identitaire et récréative. Découvrir la terre des ancêtres, renouer les fils de la généalogie familiale, faire l’expérience concrète du pays d’origine, telles sont quelquesunes des motivations qui poussent les migrants, les descendants de migrants et d’exilés à effectuer ce parcours touristique initiatique. Ce tourisme exprime la volonté des parents d’enfants camerounais nés en Occident de maintenir un lien 200 Lire à ce propos le N° 47 de la revue Critique Internationale. 185 avec le pays d’origine. Le risque d’oubli des racines par cette génération est également au centre des préoccupations des associations culturelles africaines. Une autre stratégie choisie par certaines associations culturelles passe par l’enseignement de la langue maternelle des parents et par la création d’écoles où les enfants reçoivent une formation bilingue intégrant les apports de la culture du pays d’accueil et celle du pays d’origine. En France, l'association camerounaise FEDABA (Fédération des Associations Babimbi) créée en 1998 a mis ainsi en place avec succès un espace de rencontres et un dispositif d'enseignement de la langue basaa pour les enfants camerounais ou d’origine de parents camerounais qui appartiennent à cette aire linguistique. Si les membres de la diaspora201 noire ne s'identifient pas uniquement avec leur lieu d'arrivée, il en va de même avec leur lieu de provenance, de sorte qu’ils revendiquent une appartenance aux deux. En Europe, les nombreux doublesdrapeaux africains et européens apposés partout durant les coupes du monde et européennes de football en témoignent aussi. En fait, tout en étant citoyens ici, les Africains de la diaspora s’inscrivent également dans leur communauté nationale d’origine. I- Les modalités de l’affirmation d’une identité diasporique Longtemps marqué par l’expérience juive, peuple dispersé depuis deux mille ans et ayant maintenu une conscience d’appartenance par-delà des siècles, le terme diaspora signifie dispersion. Il désigne un groupe vivant dispersé loin de sa terre d’origine, et qui maintient des liens institutionnalisés, objectifs ou symboliques, par-delà les frontières des États-nations (Schnapper, 2001). Aujourd’hui, cette expérience s’est étendue à bien d’autres groupes : on parle de diaspora arménienne, latino-américaine, africaine ou afro-caribéenne, des musulmans et bien d’autres encore. L’Union africaine définit la diaspora africaine comme « consistant en des personnes d’origine africaine vivant à l’extérieur du continent, peu importe leur nationalité et leur citoyenneté, et qui sont prêtes à contribuer au développement du continent et à construire l’Union africaine » (Union africaine, 2005). La diaspora considérée comme la « sixième région » d’Afrique se répartit de la façon suivante dans le monde : 39,16 millions de personnes en Amérique du Nord, 112,65 millions en Amérique latine, 13,56 millions aux Caraïbes et 3,51 millions en Europe. Un peu partout à travers le monde, une diaspora de communautés anciennement immigrées ou déportées par la traite négrière découvre désormais l’existence durable d'un lien particulier entre « ici et là-bas ». En Amérique, la diaspora africaine a tendu la 201 Il n’existe pas de définition universelle du terme « diaspora » qui, en fait, désigne toutes sortes de phénomènes différents. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OMI) et le Migration Policy Institute (MPI), la diaspora, ce sont « Les émigrants et leur descendance qui vivent hors de leur pays natal ou du pays de leurs parents, sur une base temporaire ou permanente, tout en conservant des liens affectifs et matériels avec leur pays d’origine ». (OMI, 2012). Le terme de diaspora se distingue par ailleurs de celui d’exilé à la connotation plus négative, qui désigne un séjour forcé, voire un retour désiré, mais rendu impossible. 186 main au continent dès le début du XIXe siècle. À l’époque, Marcus Garvey, originaire de Jamaïque, avait préconisé un mouvement de « retour à l’Afrique ». Des esclaves américains libérés avaient alors établi une colonie au Liberia. Le mouvement de la conscience noire, dans les années 1960, a également suscité un regain d’intérêt pour les racines africaines. La dimension de la mémoire forme un volet central de cette identité. Au Cameroun, 53 Africains-Américains ayant découvert leurs origines camerounaises via un test ADN sont allés en 2010 à la découverte du pays de leurs ancêtres emmenés en esclavage en Amérique. Ils ont tour à tour visité Douala, Limbé et Bimbia, ancien port négrier situé dans l’actuel sud-ouest anglophone. Face au Premier ministre, chef du gouvernement camerounais qui les recevait, ils s’étaient présentés comme Bamiléké, Bassa, Ewondo, Foulani, Massa, Kotoko ou Tikar, en indiquant ainsi leurs origines telles que révélées par la science. Ils avaient fait 3217 kilomètres de voyage, pris part à 17 réceptions et 33 cérémonies et en redemandaient encore. Ils étaient curieux de savoir comment leurs ancêtres avaient été victimes de la traite négrière. Une parcelle de terrain leur avait gracieusement été offerte dans la ville balnéaire de Kribi. En janvier 2012, une délégation de 87 autres Africains-Américains composée d’élèves, d’étudiants, d’enseignants, de pasteurs, de chercheurs et de membres de la société civile encadrés par l'ONG ARK Jammers s’est à nouveau rendue au Cameroun. Dans les villes et villages, la délégation a rencontré des personnalités et des chefs traditionnels en voulant tout savoir de la vie de leurs ancêtres. Leur visite a également été marquée par une série d’activités culturelles : méditations, causeries, débats, séances de sorcellerie… Cette quête de connaissance sur le continent africain s’explique par le fait que l’image de l’Afrique qui est projetée dans les médias occidentaux est souvent de type apocalyptique : sécheresses, famines, maladies mortelles de tout genre (sida, virus ebola), guerres interethniques, coups d’État militaires, instabilité politique, corruption, etc. (Fair, 1993). La plupart des Occidentaux ne connaissent l’Afrique que sous ce tableau sombre et fataliste. Jo Allen Fair, enseignante en communication internationale à la School of Journalism and Mass Communication de l’University of Wisconsin-Madison a demandé, au début des années 1990, à ses étudiants de premier cycle, majoritairement blancs, de classe moyenne, de lui décrire l’image et les idées qu’ils ont de l’Afrique et des Africains. Selon ses étudiants, « Africa is : a basketcase, jungle-covered, big game safari, impoverished, falling apart, famine-plagued, full of war, AIDSridden, torn by apartheid, weird, brutal, savage, primitive, backward, tribal, underdeveloped, and black ».202 Quant aux Africains, les étudiants les perçoivent comme étant malades du sida, paresseux, stupides, corrompus, ayant de nombreux problèmes, sous-développés, bagarreurs, brutaux, sauvages, 202 Traduction libre de l’auteur : « L’Afrique est un cas social. Grand safari, couverte de jungle, elle s’écroule, appauvrie, ravagée par la famine, la guerre, le sida, déchirée par l’Apartheid. L’Afrique est bizarre, brutale, sauvage, primitive, attardée, tribale, sousdéveloppée et noire. » 187 exotiques, sexuellement actifs, attardés, tribaux, primitifs et noirs (Fair, 1993). Ces idées et ces perceptions sont largement partagées dans les pays occidentaux (Beatie et al., 1999 ; Hawk, 1992 ; Nederveen Pieterse,1992 ; Mudimbe, 1988 ; McCarthy, 1983) et blessent les Africains qui ne se reconnaissent ni euxmêmes, ni le continent d’où ils sont venus de façon volontaire ou forcée. Une conséquence de ce genre de portraits est l’établissement de répertoires de connaissances, de symboles et de structures prédéfinies qui contribuent à l’élaboration d’une représentation stéréotypée de la réalité africaine. Décrivant le retour à ses racines africaines par l’acteur noir américain Isaiah Washington, le quotidien Los Angeles Times raconte que « Quand il était enfant, Isaiah Washington n’avait des Africains que l’image que lui en donnait la télévision, celle d’"indigènes en pagne avec un os dans le nez". Aujourd’hui âgé de 45 ans, cet acteur noir américain raconte que sa mère ne lui parlait jamais de l’Afrique, que l’école ne lui a pas enseigné grand-chose à propos du continent de ses ancêtres. Quant aux informations, elles décrivaient un lieu où régnaient la misère, la maladie, la corruption et la guerre. Depuis peu, cependant, il est si fier de l’Afrique qu’il est devenu citoyen de la Sierra Leone. Il a désormais la double nationalité sierra-léonaise et américaine. Il a été nommé chef d’un village, a créé une fondation pour venir en aide au pays et versé près de 1 million de dollars pour y construire une école, restaurer un hôpital et préserver le site d’une forteresse esclavagiste britannique sur l’île de Bunce ».203 Aiguillonné par un test qui lui attribue des origines sierra léonaises, Isaiah Washington s’est rendu en Sierra Leone pour la première fois en 2006. L’acteur en est convaincu, « l’ADN a de la mémoire », et cet appel à rentrer au pays et à aider les siens a toujours été inscrit dans ses gènes. « Je suis, qui je suis, conclut l’acteur. Cela n’efface en rien l’amour que je voue aux Etats-Unis, mais ma vraie famille, c’est la Sierra Leone. » Il y’ a quelques années, le réalisateur de films Spike Lee n’était pas passé par quatre chemins à la suite de son test d’ADN lui donnant des origines camerounaises, pour déclarer : « Les images de l’Afrique que nous recevons sont souvent limitées et négatives. Il n’est donc pas surprenant que les AfroAméricains n’aient pas de lien positif avec le continent. Maintenant, grâce à l’ADN, les Afro-Américains peuvent enfin découvrir de quelle région de l’Afrique leurs ancêtres sont originaires. Ce fût une révélation pour ma famille et moi de pouvoir finalement découvrir une partie de notre généalogie ». L’identité ne s’exprime pas uniquement par sa dimension ethnoculturelle, mais se constitue aussi sur la base d’interactions entre majorités et minorités. Ici, les termes de majorité et de minorité ne s'entendent pas au sens numérique, mais se rapportent aux positions dominantes ou dominées. Les minorités sont des groupes se trouvant dans une situation de moindres pouvoirs du point de vue économique, juridique ou politique, alors que la majorité occupe une position hégémonique, disposant de ressources matérielles et symboliques (Guillaumin 1992), ce qui engendre une relation de dominance, marquée pour les uns par des 203 Source : Courrierinternational.com 188 privilèges, pour les autres par des désavantages. Il ne s’agit pas là de positions figées et immuables, mais de relations qui se font et se défont en fonction de contextes et de situations historiques et sociales. Il se produit néanmoins dans un contexte donné une « culture de dominance » (Rommelsbacher 1995) qui agit sous forme de mode de vie, d’interprétation de soi et des autres, faisant appel à des images basées sur une catégorisation et une autocatégorisation en termes de supériorité et d’infériorité. Ainsi, les positions sociales objectives sont intériorisées de part et d’autre en termes de dominance ou de discrimination. L’identité majoritaire sert de référence et procure un sentiment d’évidence ; alors que la minorité se vit comme écart de la norme, avec une conscience de sa particularité, marquée par des déficits et des stigmatisations. Le véritable dilemme de la minorité est d’être tiraillé entre révolte, impuissance et affirmation de soi, avec comme corollaire le risque de dévalorisation de soi duquel seul un processus d’émancipation permet de sortir ; ce qui requiert la reconnaissance de sa spécificité ethnoculturelle, ainsi qu’un renforcement du groupe lui-même. 1- Les modalités de l’affirmation d’une identité Il est question ici de dire les façons à travers lesquelles se décline l’affirmation d’une identité africaine inspirée par les figures illustres de l’histoire africaine. La notion d’identité peut être entendue ici comme la reconnaissance ou l’affirmation de la spécificité de soi comme être différent appartenant à une communauté plus grande. Autrement dit, elle traduit la façon dont on se perçoit et dont on veut être perçu socialement. Inspirées par les personnages perçus comme illustres dans l’histoire africaine, ces populations noires notamment en France affirment leur identité à travers différents axes dont deux principaux interpellent l’observateur : l’esthétique et l’anthroponymie. La dimension esthétique de cette référence aux acteurs glorieux du passé africain se traduit concrètement par le fait d’adopter notamment des éléments cosmétiques et vestimentaires. Parmi les éléments cosmétiques qui sont notoires ou prépondérants, il faut signaler le volet capillaire qui, principalement chez les jeunes femmes noires, est entouré d’une forte rationalisation avec pour référence les beautés de l’histoire africaine ou noire. En effet, on observe une propension à utiliser des produits naturels c’est-à-dire ceux qui ne modifient pas la nature du cheveu ni dans sa texture ni sa couleur. L’un des courants majeurs de cette manière de penser est le mouvement NAPPY qui est une contraction des mots anglais Natural et Happy. Les NAPPY girls affirment à travers cet entretien naturel des cheveux le fait que la beauté est immanente à la couleur noire. Autrement dit, elles affirment que le noir est beau par essence. Dès lors, on n’a pas besoin de mettre des rallonges, des huiles ou des couleurs empruntées aux codes esthétiques des populations blanches ou caucasiennes. Le courant des NAPPY s’oppose aux canons de la beauté diffusés par les magazines de mode qui encensent essentiellement la beauté de ces populations caucasiennes au point de l’ériger en beauté unique ou exclusive. La posture des 189 NAPPY est de dire que la beauté est plurielle. Aucune race n’en a le monopole comme le présentent les médias à savoir blonde, et des mensurations idéales204. Le phénomène NAPPY entend restituer à la femme noire mais également à l’homme sa place dans le concert des beautés humaines. Le cheveu crépu est beau. Il n’a pas besoin d’être modifié dans sa texture à l’aide de défrisant ou de rallonges. L’argument sur lequel s’appuient ces NAPPY c’est que l’histoire de l’humanité a déjà connu et reconnu des beautés noires dont le secret des qualités esthétiques se trouvait dans l’utilisation de produits qui respectent le cheveu crépu. Ici, les habitudes cosmétiques de la Reine Cléopâtre sont souvent citées en exemple pour motiver les femmes noires à adopter de telles pratiques cosmétiques. Le message des NAPPY est véhiculé à travers toutes sortes de médias (blog, sites internet, pages Facebook) et des événements tels que le salon « Boucles d’ébène », « Beyond color », le « Salon de la beauté divine » pour ne citer que quelques-uns de ceux qui se déroulent annuellement à Paris dont l’arrière-plan idéologique est notamment de saluer le charme du cheveu crépu et de la beauté ébène. Si le phénomène NAPPY a des références de l’Égypte antique et donc d’une Afrique quelque peu lointaines, il est un volet des modes d’agir des populations noires qui empruntent à une histoire un peu plus récente. Il s’agit notamment des noms adoptés par ces populations ou donnés à leurs enfants. L’adoption des noms et prénoms dits « africains » depuis la décennie 2000 est en elle-même marquée du sédiment idéologique qui le justifie. En effet, on retrouve une tendance qui consiste à donner des prénoms qui ont un sens dans des langues africaines ou en suivant la coutume que l’on trouve notamment au Ghana, au Togo ou en Côte d’Ivoire qui consiste à donner entre autres comme prénoms le jour de la semaine qui a vu naître l’enfant. Chez les Akan par exemple, des enfants nés le dimanche se prénomment Akissi si ce sont des filles et Kouassi si ce sont des garçons. La tendance est si grande dans les communautés africaines expatriées qu’elle a fait l’objet d’un livre qui répertorie ce qu’il est convenu de désigner comme prénoms africains et dont peuvent s’inspirer les futurs parents.205On remarque également une tendance à prendre pour prénom les noms de personnages illustres de l’histoire africaine tels que Samory, Sankara, 204 Ces mensurations idéales véhiculées par les modèles occidentaux dans les magazines féminins sont 1m70 de taille et un tour de poitrine de 85 cm, un tour de taille de 60 cm et un tour de hanches de 85 cm soit le fameux 85-60-85. 205 Lire à ce propos Nathalie AHANDA, Guide des prénoms africains, 2006 ; Paris. Voici ce qu’en dit la quatrième de couverture de l’ouvrage : « Premier guide de ce type en français, vous y trouverez plus de 4000 noms et prénoms provenant de toutes les parties de l’Afrique. Célébration de la diversité culturelle du continent africain à travers son anthroponymie, cet ouvrage unique est une mine d’informations que vous cherchiez un prénom féminin ou masculin. Voyage à travers les époques, vous y découvrirez l’histoire des grands personnages de l’histoire africaine de l’Egypte antique à nos jours ainsi que les nombreuses personnalités qui portent des noms africains. Alors, laissez-vous emporter et écoutez l’appel des tambours … » 190 Chaka, Cabral, Mandela, etc. On peut remarquer que la plupart de ces personnages ont en commun un élément fondamental : celui d’avoir opposé une résistance à l’Occident ou du moins d’avoir su se battre pour défendre les intérêts des populations noires à un moment ou un autre de l’histoire africaine. Aussi bien le volet esthétique que le volet patronymique de ces façons d’agir de cette diaspora sont soutenus et diffusés par une série de lieux de rencontre, d’échange et de diffusion de ces références à l’Afrique telles que les cercles de réflexion, des auteurs, des chercheurs, des bibliothèques ou des librairies qui défendent une identité noire au minimum, voire la supériorité des populations noires (depuis l’Égypte antique) sur les populations occidentales dites blanches à l’autre extrême. 1- Au fondement d’une démarche identitaire africaine Les deux volets évoqués ci-dessus rendent compte d’une vive volonté d’être africain à travers les éléments cosmétiques et les noms principalement et pas exclusivement. Au cœur de cette tendance observée chez les populations noires de France principalement, semble se trouver une volonté d’être tout simplement. Être dans un espace national schizophrène tant il tend à faire d’une part l’apologie d’une identité nationale qui serait commune à toute la population et, d’autre part, traite ces populations noires comme une portion différente de sa démographie. En effet, les noirs de France sont régulièrement renvoyés à leurs origines africaines à travers des éléments du discours public qui les situe dans une trajectoire générationnelle de migrants à travers des qualificatifs du type migrants de la première, de la seconde ou encore de la troisième génération. Bien qu’ayant grandi et été éduqué dans les écoles de la République, leur capacité d’intégration est souvent mesurée, évaluée ou soupesée à l’aune de leur capacité à restituer les codes de l’Occident bourgeois. Dès lors que ces codes sont absents, ces populations se voient nier le fait d’appartenir à la communauté nationale française. Ainsi renvoyés à un passé, celui de leurs parents émigrés ou descendants d’esclaves, ils se tournent vers la culture ou ce qu’il leur apparait comme étant leur substrat culturel ; celui de leurs ancêtres. Cette culture devient dès lors un moyen pour ces populations d’exister de façon spécifique dans un creuset français qui tend, par son modèle d’intégration jacobin, à réifier toutes les autres cultures pour n’en produire qu’une : celle de la France. Autrement dit, le modèle d’intégration labellisé par la notion d’assimilation en France ne reconnait pas de différence ou du moins prétend ne pas en reconnaitre. Selon ce modèle, s’intégrer en France revient à nier d’où l’on vient pour partager une communauté de destin avec le reste de la nation. Or, cet effort de renonciation opéré par les populations noires ne semble pas avoir suffi à en faire de « bons Français » d’où la régulière question de leur intégration qui est posée alors que ces populations noires sont nées et ont grandi en France. La référence aux personnages illustres de l’histoire et plus largement de la culture africaine semble ainsi structurée par la volonté de ces populations d’être des Français spécifiquement africains. Des citoyens dont l’identité n’est pas niée et dont l’intégration n’est pas évaluée à partir de la maitrise des canons de la culture bourgeoise française qui domine et qui est communément considérée comme 191 l’ensemble des façons d’agir, de penser et sentir qu’il est convenu d’avoir lorsqu’on est intégré. Outre cette volonté d’exister de façon sui generis dans un espace national qui veut unifier au profit d’une culture dominante, la référence aux figures africaines peut être également perçue comme une résistance. Une résistance face aux modèles occidentaux blancs ou caucasiens qui ne sont pas ressemblants. La référence aux Samory, Njoya, Um Nyobè, Cabral et autres Sankara n’est pas anodine. Ils ont tous comme mentionné ci-dessus un point commun : celui d’avoir résisté à l’Occident ou aux blancs. Dès lors, le fait que les noms de ces personnages sont utilisés comme prénoms ou composante du nom chez les populations noires semble traduire chez celles-ci, une volonté de s’approprier et à transmettre un pédigree de résistant africain à leur progéniture qui, quelle que soit la durée du séjour en France sera toujours renvoyée à ses origines africaines bien que lointaines. La référence aux personnages illustres de l’histoire africaine est également un choix délibéré de modèles ayant la même couleur de peau ; des modèles auxquels ces populations sont susceptibles de s’identifier sans que la barrière raciale ne les en distance. Ces personnages illustres de l’histoire africaine participent d’une tendance à la modélisation. La notion de modélisation est le fait pour une catégorie de la population d’identifier dans l’histoire des personnages qui peuvent lui servir. La modélisation est devenue une problématique française à la faveur de l’émergence de la notion de diversité dans l’espace public français. La diversité ici renvoie au fait de donner une chance à toutes les catégories sociales différentes ; différentes parce qu’elles le sentent ou différentes parce qu’elles sont perçues comme telles. Cette volonté de lutter contre les discriminations a été traduite chez les populations noires par la recherche des modèles ressemblants dans l’espace public et plus spécifiquement encore ailleurs que dans le sport ou dans la musique. À cette volonté de trouver des modèles contemporains a été assortie une quête de modèles dans le passé africain parmi les résistants à l’esclavage, à l’expansion européenne ou la colonisation. Ce repli semble indiquer que la violence de la discrimination que ces populations noires vivent est à l’image de la violence de la conquête coloniale par exemple et que dès lors, il faut y résister en s’inspirant des modèles qui peuplent le Panthéon africain. À côté de cette tendance médiane qui cherche en Afrique des modèles pour survivre efficacement à la discrimination ambiante, un certain nombre de populations noires ont une posture beaucoup plus extrême. Pour ces derniers, l’Afrique n’a pas seulement de modèles inspirant pour les noirs. Elle est le berceau de l’humanité et de toutes les civilisations notamment l’européenne qui a tout emprunté à l’Égypte ancienne206 : sciences, mathématiques, technologie, cultes, cosmétiques, etc., etc. Les personnes appartenant à cette mouvance présentée par eux-mêmes comme afrocentristes se débaptisent au profit de noms de l’Égypte ancienne et se saluent parfois dans la rue en disant « Hem otep » qui 206 Cf. Les publications des éditions Menaibuc qui regroupent un grand nombre d’auteurs appartenant à ce courant www.menaibuc.com 192 signifierait « Bonjour ». La posture adoptée par ce courant est la restauration de la suprématie noire et africaine sur toutes les autres races. 2- Mondialisation et identité noire L’observation des modalités de la référence aux personnages illustres et aux modèles de l’histoire africaine induit une incidence majeure du point de vue de la mondialisation qu’il est intéressant de mettre en lumière. Premièrement, on se rend compte que la mondialisation dont la matrice majeure est la rencontre d’autres peuples et d’autres cultures pousse les uns et les autres à se souvenir d’où ils viennent. Autrement dit, la rencontre de l’altérité génère un besoin de se retrouver soi-même ; de savoir qui l’on est dans un espace où les cultures se croisent avec une tendance hégémonique des unes sur les autres. En clair, le contact permanent des populations noires de la diaspora avec les autres cultures du monde en Occident semble stimuler un besoin d’Afrique dans leur quotidien. Un besoin qui n’est pas le produit d’une nostalgie mais un besoin de se rappeler sa spécificité dans cet espace mondialisé. Ainsi, face aux autres cultures, apparait la nécessité de se souvenir qui l’on est, dans le sillage de quelle ancestralité on se situe, quels sont les modèles de la culture dont on est issu. Il ne s’agit pas forcément de s’opposer comme semble le faire les afrocentristes qui ont une vision par trop hégémonique de la culture et des civilisations africaines. Le contact à l’autre est révélateur de soi, de sa différence et de sa spécificité. Une telle spécificité se nourrit des éléments du passé du groupe auquel on appartient. Dans des sociétés dans lesquelles on est minoré comme le sont les populations noires parce qu’on serait congénitalement incapables, se rappeler ou se rapprocher des personnages illustres du passé africain comporte l’atout de restaurer la confiance en soi. Conclusion L’objet de cette communication visait à présenter la part que jouent les figures illustres et les modèles du passé africain dans la quête d’identité africaine des populations noires de la diaspora. Le processus d'acculturation est un phénomène complexe. D'une part, il est indéniable que les cultures se transforment en permanence au contact des autres sociétés. Mais cette transformation ne signifie pas harmonisation culturelle ou convergence des cultures vers un modèle culturel mondial empruntant beaucoup à la culture américaine ou à la culture occidentale. En effet, l'acculturation ne signifie pas abandon total de la culture dominée, ce qui serait un génocide culturel. Les peuples s'acculturent en permanence tout en préservant leurs spécificités socioculturelles. Pour cela, ils font un tri entre les différents éléments culturels et ils les réinterprètent pour qu'ils soient compatibles avec leur culture. Malgré la mondialisation du marché et l'internationalisation des langues, des institutions, des modèles de gestion, les particularismes culturels ne sont pas voués à la disparition. Bien au contraire, les individus vont se réfugier petit à petit dans ce qui fait leur identité, leur particularité. L'Homme a besoin de connaître ses racines culturelles et s'y rattache d'autant plus lorsqu'il se sent 193 menacé ou marginalisé par une culture dominante ou une puissance étrangère. Il se trouve qu’une telle quête se décline dans plusieurs aspects du quotidien dont on a pu explorer le volet cosmétique et le volet patronymique. Il se trouve que ce recours à ce qui a jadis fait la gloire de l’Afrique résulte des problèmes d’intégration et la discrimination que connaissent les populations noires en Europe et en Amérique. Le recours aux personnages illustres et aux modèles du passé africain apparait dès lors comme une volonté de se retrouver en face d’un autre qui peut parfois apparaitre oppressant. Enfin, la quête identitaire permet de contribuer, même modestement, à la rencontre des cultures, matrice majeure de la mondialisation. 194 BIBLIOGRAPHIE - AHANDA, Nathalie (2006), Guide des prénoms africains, Paris, Ed. 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