Séquence 9 : Regards sur l`histoire de l`éducation populaire L
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Séquence 9 : Regards sur l`histoire de l`éducation populaire L
Séquence 9 : Regards sur l’histoire de l’éducation populaire L’éducation populaire envisage très tôt de rendre accessible à tous l’instruction, et elle sera une alliée de la progression vers l’enseignement obligatoire et gratuit. Se réclamant souvent d’idéaux déjà formulés par un Condorcet au XVIIIe siècle relatifs à ce que nous appellerions l’éducation permanente, elle se subdivise en différents courants - catholiques, protestants, républicains, ouvriers - entrant en concurrence sur fond de changements sociaux et de volonté de pacification sociale. Les universités populaires seront l’un des éléments les plus importants de cette éducation pour le peuple. 1) Tentative de définition Il n’est pas aisé de définir avec précision ce qu’est l’éducation populaire tant aujourd’hui les notions d’Education permanente, d’Education des adultes, ou d’Animation socioculturelle par exemple lui sont voisines. Différentes institutions assez proches dans leurs finalités et pratiques éducatives se côtoient désormais. Les rôles des acteurs qui les composent et les font vivre se superposent et se complètent souvent à l’intérieur d’une constellation éducative où il est parfois difficile d’identifier ce qui ressort plus particulièrement de l’éducation populaire. Selon une formule de Saint-Simon (les saint-simoniens furent actifs dans l’éducation populaire), l’éducation populaire est une éducation conçue pour la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Il s’agit d’un projet de démocratisation de l’enseignement porté principalement par des associations dans le but de compléter l’enseignement scolaire (souvent indépendamment des structures éducatives nationales, mais pas systématiquement) et de former des citoyens. Le but est de donner à tous l’instruction et la formation nécessaires, afin qu’ils deviennent des citoyens aptes à participer activement à la vie du pays. Ce thème de la citoyenneté sera une constante historique de l’éducation populaire, que l’on peut encore rencontrer aujourd’hui, avec son enchaînement logique, la démocratisation de la culture. Cette tendance sera particulièrement marquée à partir de 1936 avec l’augmentation du temps libre qui devait permettre à tous l’accès à des loisirs de “ qualité ”. D’une manière générale la notion d’éducation populaire désigne tout un ensemble d’activités péri et post-scolaires, que ces activités aient trait à l’instruction, à l’éducation, à la profession ou aux loisirs. Sur ce dernier point, il est possible de dire que l’histoire de l’éducation populaire est aussi celle de la conquête de loisir et du temps libre, indispensable condition à la conduite de toute éducation d’adultes engagés professionnellement, ce qu’a abondamment souligné le sociologue et militant de l’éducation populaire Joffre Dumazedier. Directement issue d’une conception humaniste de l’homme, de projets sociaux et culturels émancipateurs à l’intention des couches défavorisées, l’éducation populaire lutte pour l’avènement d’un homme plus conscient de son propre devenir et de celui de la société dans laquelle il vit, ainsi que de celle dans laquelle il vivra demain, et qu’il se doit de préparer. Les fonctions assignées à l’éducation populaire sont à la fois de compensation et de réparation de ce qui n’est pas advenu sur le plan culturel. Mais elle a également une fonction idéologique et politique : pour les laïques préparer un citoyen républicain (XIXe siècle), pour les catholiques de 1896 à 1930 réaliser l’harmonie sociale, puis après 1930 christianiser divers milieux sociaux. L’éducation populaire est sous-tendue par une éthique se référant à des valeurs (le devoir, le travail, la solidarité), et à un projet humaniste : celui de la culture bourgeoise du XIXe siècle jusqu’en 1930 au moins, puis celui de la démocratisation sociale et culturelle ensuite. 1-1) Les étapes de développement de l’éducation populaire Selon Bénigne Cacérès, cette éducation ne s’est pas développée uniquement par le jeu d’événements historiques particuliers, mais “ aussi lorsqu’il existe une certaine unanimité au sein de milieux assez larges, où se recrutent des hommes décidés à mettre leur savoir à la disposition de tous ” (Lien 1). Et les grandes périodes de l’histoire de cette éducation seront effectivement marquées par la confluence de faits historiques marquants et d’une volonté “ d’aller au peuple ” des couches sociales détentrices du savoir : les journées insurrectionnelles de 1830 seront suivies de la création de l’Association Polytechnique, la révolution de 1848 préfigurera une rapide extension des cours pour adultes, les lois Ferry de 1882 sur l’école gratuite, obligatoire et laïque sont précédées d’une grande activité de la Ligue de l’Enseignement fondée en 1866 par Jean Macé ; 1898 et la puissance de l’affaire Dreyfus font descendre les intellectuels vers les ouvriers au sein des Universités populaires ; 1919 et la fin de la grande guerre voient la naissance des Equipes sociales ; 1936 rendra possible la concrétisation de nombreuses ambitions de l’éducation populaire, avec principalement la reconnaissance du droit au loisir et savoir ; 1945 et la Libération seront l’occasion de constituer, souvent sur la base du brassage de populations différentes sur les plans sociaux et culturels, à Uriage puis dans la résistance, de nouvelles structures pour l’éducation populaire, qui se verra reconnu un droit de cité officiel dans la nation. Ce qui fait peut-être l’une des spécificités de l’éducation populaire par rapport à la formation des adultes ou à l’animation socioculturelle, c’est son antériorité : de ce point de vue, l’histoire de l’éducation populaire s’inscrit principalement entre le rapport Condorcet (1792) et la notion actuelle d’éducation permanente (surtout depuis les lois de 1971). La base associationniste qui l’a longtemps marquée, ainsi que la militance et le bénévolat qui caractérisaient ses membres sont des traits importants de l’éducation populaire. Les temps forts de son histoire sont marqués par l’ère du volontariat et du militantisme, il n’y a ni professionnels ni rapports employeursemployés. La formation des éducateurs populaires est assurée en direct, sur le tas, en direct avec l’action. Cette dimension militante doit être constamment à l’esprit de qui veut comprendre l’éducation populaire. Des tâches, jadis accomplies par des associations d’éducation populaire, comme l’alphabétisation par exemple, sont fréquemment aujourd’hui le fait d’organismes professionnels de la formation des adultes. De même, des activités longtemps assurées par l’éducation populaire, comme la mise à disposition du théâtre pour les classes populaires par exemple (et l’accès aux loisirs “ cultivés ” en général), sont maintenant également le fait de l’animation socioculturelle, et l’éducateur d’éducation populaire peut devenir animateur socioculturel. Sans perdre sa spécificité, l’éducation populaire partage donc aujourd’hui avec d’autres institutions les tâches qui jadis lui incombaient en priorité. 2) Les principaux courants de l’éducation populaire au XIXe siècle (Lien 2) L’accès à la culture est un enjeu majeur pour l’éducation populaire, et cela dès le début du XIXe siècle. Plus précisément l’accès à la culture dominante, celle de la classe dominante. Cependant, la culture populaire, celle du “ peuple ” ne sera pas méconnue ou niée par l’éducation populaire qui saura la mettre en valeur, en tirer parti. Elle tentera souvent d’aller de l’une à l’autre de ces cultures, que l’on considérait comme complémentaires plutôt qu’opposées. C’est par rapport à une population socialement caractérisée - la classe ouvrière principalement et par référence à des inégalités devant le savoir dans une perspective de changement social et politique que ce type d’éducation trouve son idéal. Ses défenseurs avaient pour objectifs de démocratiser le pouvoir en rendant plus accessibles la culture et le savoir, mais aussi de répondre aux besoins de l’industrie en qualifications nouvelles dans un contexte d’essor économique et d’un développement des sciences et techniques sans précédent. Lorsque le projet d’éducation populaire arrive à maturité, l’école est un enjeu politique de première importance. On assiste à une opposition entre conservateurs catholiques qui entendent maintenir leur position privilégiée au sein de l’école, qu’elle soit publique ou privée, et les partisans de la généralisation de l’enseignement public laïque. En suivant Geneviève Poujol, présentons les trois courants qui vont se retrouver à l’origine de l’Education populaire au cours du XIXe siècle : 2-1) Le courant catholique et protestant (Lien 3) Les responsables d’écoles chrétiennes dans le premier tiers du XIXe siècle vont créer des lieux de rencontre, d’échange et d’entraide entre populations d’origine sociale différentes. Dans le cadre de leurs écoles, ils vont mettre en place des cours destinés à des adolescents ou des adultes. Rappelons que, soit spontanément ou sur incitation de l’Etat, à partir de 1816, chaque commune est dans l’obligation d’ouvrir une école délivrant aux enfants les plus pauvres des cours gratuits, une ordonnance précisant qu’un comité cantonal composé du maire et du curé doit se charger de contrôler ces écoles. En 1833 la loi Guizot ajoute qu’un impôt spécial peut être prescrit aux communes refusant d’ouvrir de telles écoles. La fréquentation de l’école primaire va alors progresser, et on comptera en 1847 3.530.000 élèves (toutefois, la fréquentation baisse en été de près de 40%). Un peu plus tard, les cours d’adultes sous l’impulsion de la loi de 1833 vont connaître un rapide développement : en 1837, on compte 37.000 adultes suivant ces cours, et ils seront 120.000 en 1848. Les enseignements sont alors centrés sur les disciplines de base. Les Jésuites encouragent la création de l’Association Catholique de la Jeunesse française (ACJF) qui sera la matrice des œuvres catholiques d’éducation populaire. Certaines de ces associations existent encore de nos jours : la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC), la Jeunesse Ouvrière Agricole (JAC). Au fil du siècle, on créera les Patronages (1840), les Unions Chrétiennes (1844), l’œuvre des Cercles Catholiques Ouvriers (1870), le Cercle d’Etudes Sociales (1889), le scoutisme, etc. Du courant des patronages naîtra l’Union Française des Centres de vacances et de loisirs. D’un courant autre originaire de la mouvance chrétienne sociale, le “ Sillon ”, dirigé par Marc Sangnier, naîtront les Equipes sociales, les Instituts populaires (concurrents des Universités populaires à l’extrême fin du XIXe siècle), l’Union Féminine Civique et Sociale, puis plus tard Culture et Liberté. Durant leur histoire, nombreuses de ces associations connaîtront des rapports difficiles avec la hiérarchie catholique, parcourus de crises fréquentes. Par exemple, l’orientation des Instituts populaires étant jugée trop socialisante par la hiérarchie catholique, Marc Sangnier sera condamné par Pie X, et sommé de se soumettre ou de se démettre. Ces associations catholiques font certes de l’éducation populaire, mais elles ont aussi pour but de préserver ou d’amener à la foi catholique les enfants et les jeunes, et notamment ceux qui passent par l’école publique. Le courant protestant quant à lui, bien que minoritaire fut certainement plus novateur, particulièrement en matière de bibliothèques populaires. Dès 1850, dans cette mouvance sont créées les Unions chrétiennes des Jeunes gens (UCJG) qui vont développer des activités d’éducation populaire. Il est à noter que les protestants rejoindront les laïques lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. 2-2) Le courant laïque et républicain C’est le projet d’école obligatoire, publique et gratuite qui fédère ce courant : pour les républicains, c’est la fréquentation de l’école qui permettra de donner un élan à une citoyenneté accomplie. C’était la vision de Jean Macé, fondateur de la Ligue de l'enseignement en 1866. A l’occasion de son centenaire, la Ligue deviendra Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente. Forte aujourd’hui de 2.600.000 adhérents, cette association est une des plus importantes et plus anciennes institutions pratiquant l’éducation populaire. Elle sera un moyen de pression sur le gouvernement pour la mise en place d’un enseignement gratuit mais aussi laïque (Mouvement du sou contre l’ignorance). Une fois ce combat gagné en 1882 par les votes au Parlement sur l’enseignement obligatoire, la Ligue encouragera les instituteurs pour qu’ils agissent dans le domaine de l’extra-scolaire. Par de nombreux aspects ces instituteurs, qui furent très souvent des éducateurs bénévoles, peuvent être considérés comme les fers de lance de l’éducation populaire. Les associations Polytechnique (1830) et Philotechnique (1848), les Universités populaires à partir de 1898, le mouvement pour la “ culture populaire ” un peu avant et après la Seconde Guerre mondiale seront quelques-uns des points forts de ce courant. Il s’agit de promouvoir le citoyen d’un Etat républicain, usant de sa raison et développant par l’éducation ses capacités à entrer dans le progrès et à défendre la démocratie. C’est de la science, du savoir, de la culture que ce courant attend non seulement l’épanouissement de l’individu, mais aussi une démocratie politique et sociale. 2-3) Le courant ouvrier On peut considérer le mouvement comme étant le véritable promoteur de l’éducation populaire. A l’intérieur de ce courant ouvrier, on trouve en ce XIXe siècle plusieurs tendances de pensée sur l’éducation, qui se retrouveront en tension dans les Universités populaires. La première est issue du guesdisme : l’éducation n’a de sens que si elle donne les armes pour le combat social. Ce n’est qu’après la révolution que se poseront vraiment les problèmes de culture. La seconde tendance est constituée du courant chrétien, qui voit dans l’éducation la possibilité de nouer des liens entre travailleurs chrétiens et les autres chrétiens. Il s’agit de lutter contre la sécession, de jouer la carte de l’intégration grâce aux valeurs morales. Les anarchistes forment une troisième tendance. Ils sont eux-mêmes divisés en plusieurs tendances, mais ils sont toutefois en accord sur le fait que chacun doit se forger sa propre vérité. Généralement issus d’une culture autodidacte, ils apprennent aussi bien par des lectures que par des conférences, des conversations, que par l’action. On trouve également des personnalités comme Jean Jaurès ou Jean Allemane, qu’il est possible de classer comme socialistes non marxistes. Ils croient en l’éducation pour former une nouvelle culture, un nouvel humanisme. Leur stratégie éducative serait d’allumer ici et là des foyers de pensée qui peu à peu irradieraient les masses. On trouve enfin les “ administratifs ” qui gèrent les mutuelles, les coopératives, et les syndicats à partir de leur légalisation en 1884. Ils sont à la recherche d’une culture technique pour mener à bien leurs tâches. Par ce courant ouvrier, l’éducation populaire est marquée du sceau du socialisme utopique. Des revendications éducatives du journal L’Atelier qui veut que les ouvriers soient les éducateurs des ouvriers (1843) en passant parles premières Bourses du travail (1890) de Fernand Pelloutier et le journal la Vie Ouvrière (1890-1914) ce courant appartient en grande partie à l’histoire du mouvement ouvrier qui possède ses traditions : défense de l’autonomie culturelle des ouvriers, souci de préserver son originalité. L’enseignement mutuel est le moyen privilégié de l’éducation ouvrière, et l’auto-éducation ouvrière est vue comme source d’auto-émancipation. La vie et les luttes ouvrières sont le but et le fondement de ce courant. Ajoutons qu’il existera également un courant plus spécifiquement dit Education ouvrière, qui se démarquera de l’éducation populaire. Selon Marcel David “ (…) les syndicats particulièrement n’ont jamais cru pouvoir s’en remettre aux organismes d’éducation populaire du soin de former leurs militants ni même leurs simples adhérents ”. Fréquemment, l’éducation populaire sera soupçonnée d’être davantage intégratrice qu’émancipatrice, de par ses origines souvent philanthropiques. Ce couple émancipation/intégration sera une des ambiguïtés majeures de l’éducation populaire durant toute son histoire. 3) Quelques caractéristiques de l’éducation populaire L’éducation populaire trouve donc son origine durant le XIXe siècle, en une époque de transformations sociales et politiques. Aux yeux de nombreux responsables, éduquer le peuple apparaît souvent comme le moyen de lutter contre les dissidences ouvrières, de parvenir à une pacification sociale. Elle se développe avec force sous les effets d’une laïcité militante et républicaine, à partir surtout de 1866 et sous les débuts de la IIIe République. Elle est longtemps un enjeu politique national. Des ministres, Léon Bourgeois, Ferdinand Buisson, un président de la République, A. Fallière, présideront aux destinées de la Ligue de l’enseignement. L’éducation populaire, principalement entre 1895 et 1905, fait l’objet d’articles et de débats importants dans la presse nationale. Le destinataire de l’éducation populaire est “ l’homo civis ” : l’enfant et l’adulte futur citoyen d’une totalité dont le centre est pour les uns (républicains) l’Etat républicain, et pour les autres (catholiques) l’Eglise catholique. On s’adresse à l’individu citoyen qui apprend, use des lumières de la raison ou de la foi pour entrer dans une nouvelle phase de l’histoire de la Nation, pour entrer dans le Savoir, le Progrès, défendre ou développer un patrimoine commun. Dans les divers courants de l’éducation populaire le cadre de réalisation existentielle est collectif : l’accent est mis sur les contenus, les savoirs, et le lien est souvent étroit avec les contenus et les méthodes de l’enseignement scolaire. En s’adressant au peuple, l’éducation populaire exprime l’espoir pour celui-ci, de travailler à l’appropriation de biens culturels, puis, en 1936 et à partir de 1945, par le thème de la Culture Populaire, à la gestion et au renouvellement collectif du patrimoine culturel. Le peuple devient sujet historique. 4) Les Grandes étapes • Dès le début du XIXe siècle, l’éducation populaire est un projet social, une ambition d’émancipation du peuple par le savoir pour instaurer une société nouvelle. • De 1875 à 1900 il s’agit pour les laïques d’instruire le peuple en vue d’une citoyenneté républicaine, pour les catholiques de l’instruire pour restaurer ou instaurer un nouvel ordre chrétien. • En 1936, il s’agit s’instaurer le loisir populaire pour construire une société “ saine et heureuse ” (Léo Lagrange). Cette période marque un renouveau de l’idée d’éducation populaire. • En 1945 il s’agit de “ former le peuple à une culture ‘’militante’’ pour renforcer une république progressiste en lutte contre les forces réactionnaires et les puissances d’argent ” (Dumazedier) et de “ créer des loisirs sains et éducatifs pour mener à bien l’immense œuvre de rénovation nationale ” (Revue L’action laïque, 1950). Outre les périodes de développement déjà mentionnées (1830, 1882, 1936, 1948), l’affaire Dreyfus puis la Libération seront des événements particulièrement importants. 4-1) L’affaire Dreyfus C’est avec l’affaire Dreyfus que l’éducation populaire va connaître une sorte d’apogée. Le sentiment est grand à cette époque d’une république en danger, menacée tant par l’armée que par l’Eglise, et toute une partie de la classe intellectuelle pense que le salut viendra du peuple, qu’il faut éduquer au plus vite, en lui apportant l’enseignement supérieur qui lui fait défaut. Il faut donc “ aller au peuple ”, et les Universités populaires seront le moyen privilégié de réaliser ce projet. En l’espace de dix ans, de 1899 à 1908, naîtront 230 Universités populaires dans toute la France. Les auditeurs des Universités populaires parisiennes étaient 6.000 en 1900. Entre 1901 et 1902, les Universités populaires de Paris et de province comptaient plus de 50.000 auditeurs (Lien 4). Mais ce succès fut de courte durée. Le mouvement s’essouffla rapidement devant les difficultés financières et pédagogiques, les divergences idéologiques au sein des associations et la retombée de la passion soulevée par l’affaire Dreyfus lui fut fatale. L’échec le plus marquant fut cependant l’impossibilité de parvenir au but que s’étaient fixé les Universités populaires : atteindre le peuple, ce peuple qui ne fut jamais majoritaire, il s’en faut de beaucoup, dans le public venant assister aux cours et conférences. Certains ont vu dans cet échec le symbole de l’impossible quête de l’éducation populaire. Etait-il possible dans le contexte qui était celui de l’époque de délivrer un enseignement de type supérieur à ce peuple qui bien souvent ne possédait que des rudiments d’instruction élémentaire ? Quoi qu’il en soit, l’expérience des Universités populaires demeurera une référence incontournable et une source de réflexion constante pour tout éducateur populaire. Notons tout de même que de nouvelles Universités populaires sont réapparues à partir des années 1970 (quelques-unes à la Libération également), dans un paysage politique et scolaire très différent de celui de la fin du XIXe siècle. Dans les années 1990, on comptait en France 40 Universités populaires pour environ 45.000 adhérents. La raison d’être de ces nouvelles associations upistes n’a plus grand chose à voir avec celle de leurs ancêtres sur le plan politique, mais la défense de valeurs liées à l’idée de citoyenneté continue d’être souvent un idéal auquel on semble encore tenir. La séquence 10 leur sera consacrée. 4-2) La Libération C’est à cette époque que la rencontre entre les deux courants de l’éducation populaire sera la plus forte puisque les catholiques, les protestants, les francsmaçons, les militants syndicaux se retrouveront dans les maquis de la résistance, souvent sur la lancée de l’Ecole des Cadres d’Uriage. De cet élan naîtront d’importants mouvements d’éducation populaire comme Peuple et Culture (PEC), la Fédération des Maisons de Jeunes et de la Culture (FFMJC). De la rencontre entre les instituteurs et le scoutisme étaient nés précédemment en 1937 les Centres d’Entraînement aux Méthodes Actives (CEMEA). De la même rencontre naîtra en 1944 les Francs et Franches Camarades (FRANCAS). Les dynamiques successives du Front populaire, de la résistance puis de la libération donnent une nouvelle vigueur à l’éducation populaire et entraînent un mouvement d’institutionnalisation. 5) La prise en compte de l’éducation populaire par l’Etat Le Front Populaire en 1936 marque un début de reconnaissance par l’Etat de certaines associations d’éducation populaire, comme les Auberges de la Jeunesse, tant dans leur version catholique que dans leur version laïque. C’est au régime de Vichy que l’on doit un système d’agrément et de subvention qui ne sera pas remis en question à la Libération, la Direction des Mouvements de Jeunesse et de l’éducation populaire étant également une survivance de Vichy. C’est depuis ce moment que l’éducation populaire est sous la tutelle de “ Jeunesse et sports ”, qui sera parfois Secrétariat d’Etat, Haut Commissariat, ou encore Ministère comme en 1993. Jean Guéhenno, chargé de cette Direction des mouvements de jeunesse, institua un corps officiel d’instructeurs spécialisés, qui fut recruté parmi des militants culturels de l’époque. Ce corps existe encore aujourd’hui sous l’intitulé “ Conseiller d’Education Populaire et de Jeunesse ” (CEPJ). Longtemps l’éducation populaire avait fonctionné sur la base du bénévolat ou tirait ses ressources du domaine privé. Pour Geneviève Poujol, la mise à sa disposition par l’Etat d’instructeurs spécialisés va lui être en partie fatale, ainsi que le développement à partir des années 1960 de l’animation socioculturelle. En 1985, on dénombrait 50.000 animateurs socioculturels. Contrairement aux bénévoles de l’éducation populaire, ces animateurs sont des professionnels, et souvent des contre-modèles de l’éducateur habituel : leur tâche consiste surtout à faire jaillir la demande, à faciliter les relations, la relation d’enseignement frontal maître-enseigné n’est pas une référence privilégiée. Curieusement, c’est en partie en réaction contre ce type d’animation que renaîtront au début des années 1970 les Universités populaires nouvelle manière, revenant à une transmission des savoirs beaucoup plus traditionnelle. 5-1) Aujourd’hui Ces deux institutions, éducation populaire et animation vont désormais cheminer l’une à côté de l’autre, parfois se confondre. Toutefois, les associations se réclamant de l’éducation populaire sont encore nombreuses, même si avec cette professionnalisation la donnée fondamentale du militantisme aura tendance à s’affaiblir. D’autre part, la citoyenneté ne mobilise finalement aujourd’hui que peu d’énergies, le temps n’est plus de la “ République en danger de la fin du siècle dernier. Les lois de 1971 sur l’éducation permanente donneront à tous la possibilité de se former hors du cadre professionnel, et de nombreux organismes de formation viendront accomplir un travail qui depuis toujours avait été celui des associations d’éducation populaire (alphabétisation, rattrapage scolaire, diverses initiations culturelles). Cependant la formation des adultes est un marché assujetti à la concurrence, fonctionnant comme tout marché en fonction de règles d’efficacité et de rentabilité, et de ce fait n’a pas pour vocation de s’adresser prioritairement au “ populaire ”. L’éducation populaire, selon une formule de R. Labourie, est aujourd’hui “ désarticulée ”, principalement parce que le système social et culturel dans lequel elle s’est constituée a connu de grands changements. Les référents de l’humanisme, du collectif, ont été remplacés par ceux des identités et des différences. Les référents à des systèmes de valeurs à prétention universaliste sont battus en brèche par l’affirmation de la diversité des identités, des singularités. Ce qui faisait les caractéristiques fondatrices de l’éducation populaire n’a plus cours dans un monde contemporain dans lequel un repliement sur lui-même de l’individu détourne des valeurs collectives traditionnellement portées par cette éducation. L’animation socioculturelle, émanation d’un esprit “ Cinquième République ”, semblerait être mieux à même de correspondre à cette réalité contemporaine. Quelques institutions d’éducation populaire (présentes ou passées) • • • • • • Association Catholique de la Jeunesse Française (ACJF) Bourses du Travail Culture et liberté Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education active (CEMEA) Fédération des Francs et Franches Camarades (FRANCAS) Fédération Française des Maisons des Jeunes et de la Culture (FFMJC) • • • • • • • Fédération Nationale Léo Lagrange Fédération Unie des Auberges de la Jeunesse (FUAJ) Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC), anciennement (JAC) Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente Peuple et Culture (PEC) Union Féminine Civique et Sociale Bibliographie séquence 9 Besnard (P), (1985), L’animation socio-culturelle, Paris, PUF, QSJ n° 1855, 126 p. Besnard (P), La culture populaire, discours et théories, in Labourie (R), Poujol (G) (Dir) (1979) Les cultures populaires, Privat. Cacérès (B), (1964 rééd. 1992), Histoire de l’éducation populaire, Paris, Seuil, 251 p. 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Séquence 9 : Lien 2 : Visuel : Cours public pour ouvriers dans la grand amphithéâtre des Conservatoire des Arts et Métiers (Tuilier (A), (1994), Histoire de l’université de Paris et de la Sorbonne, tome 2, De Louis XIV à la crise de 1968, Paris, Nouvelle Librairie de France, p. 427). Séquence 9 : Lien 3 : Visuel : Conférence pour ouvriers dans la crypte à SaintSulpice (Parias (L.H) (dir), (1981), Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, tome 3, Mayeur (F), De la Révolution à l’Ecole républicaine, Paris, Nouvelle Librairie de France, p. 280). Séquence 9 : Lien 4 : Visuel : La rencontre manquée intellectuelle ouvriers dans les Universités populaires (Parias (L.H) (dir), (1981), Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, tome 3, Mayeur (F), De la Révolution à l’Ecole républicaine, Paris, Nouvelle Librairie de France, p. 275). Séquence établie à partir de textes de B. Cacérès, D. Groscolas, R. Labourie, A. Léon et G. Poujol.