Le disciple anonyme de Jean

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Le disciple anonyme de Jean
FAMILLE DU CŒUR DE DIEU
Le disciple anonyme de Jean
Lettre 13/5
Pentecôte 2013
Le disciple anonyme de Jean
« Un des disciples, celui-là même que Jésus aimait » (Jn 13,23)
Qui est ce disciple ?
Il y a dans l’Evangile de Jean une énigme qui n’a pas encore été résolue jusqu’à
ce jour. Qui est le disciple que Jésus aimait ? L’apôtre Jean, frère de Jacques et fils de
Zébédée de Galilée ou l’évangéliste lui-même ? Depuis le 2ème siècle, la tradition,
presque unanime, attribue le quatrième évangile à l’apôtre Jean, frère de Jacques. Mais
cette 'quasi' certitude est remise en question aujourd’hui, sans pour autant lever
entièrement le doute. Nous avons de sérieuses raisons de penser que ce disciple bienaimé n’est pas l’apôtre Jean, mais bien l’évangéliste Jean. En effet, à la fin de son
Evangile (Jn 21,1-14), on constate que ce disciple anonyme, bien qu’il fasse partie de
l’équipe des pêcheurs, ne se confond pas avec les « fils de Zébédée ». Il est l’un des
deux pêcheurs qui ne sont pas nommés. Témoin de la pêche miraculeuse, « le disciple
que Jésus aimait » est le premier à reconnaître le Christ ressuscité, debout au bord du
lac. D’autre part, on peut légitimement se demander s’il est possible qu’un modeste
pêcheur de Galilée puisse, à la fin de sa vie, produire une œuvre aussi magistrale que
le quatrième Evangile. Enfin, toujours d’après le quatrième Evangile, ce disciple
anonyme est un familier du Grand Prêtre (Jn 18,15). Il a ses entrées au palais et est très
bien informé des délibérations du Sanhédrin au sujet de Jésus (Jn 11,45-53). Difficile à
imaginer cela de la part d’un pêcheur de Galilée ! Toutes ces remarques suggèrent
l’idée que le disciple que Jésus aimait pourrait être un homme cultivé de Jérusalem,
connu du Grand Prêtre et très versé dans les Ecritures. En ce qui me concerne –c’est
une opinion qui ne change rien à la réalité ni au fond des choses–, je préfère penser
que le disciple que Jésus aimait est l’évangéliste lui-même et non pas l’apôtre Jean.
Chacun peut penser différemment. Il est clair en tous cas que ce disciple est un témoin
du Christ, de la première à la dernière heure de son ministère public, à savoir : de son
baptême au Jourdain à son Ascension. (Ac 1,15-26) Ils étaient plusieurs dans ce cas.
Ceci étant, même si les questions demeurent au sujet de son identité, on ne peut
exclure à priori que l’apôtre Jean ne soit pas l’auteur de cet évangile, c’est-à-dire celui
qui l’a inspiré et en a témoigné.
Une hypothèse séduisante
Voici comment je conçois les choses. Au désert, autour de Jean-Baptiste, des
chercheurs de Dieu en attente du Messie, venus d’horizons divers, se rassemblent.
Parmi eux, il y a des habitants de Jérusalem (Mt 3,7 ; Mc 1,5) et des Galiléens, pèlerins
venus à Jérusalem (Jn 4,45). Quand Jésus arrive auprès du Baptiste, certains d’entre
eux, sur les injonctions de Jean (Jn 1,29-39), se mettent à suivre l’Agneau de Dieu.
Parmi eux, probablement cet habitant de Jérusalem auquel j’ai fait allusion. Si c’est le
cas, on peut penser que le Seigneur, lorsqu’il montait à Jérusalem, logeait avec les
siens chez ce disciple qui, sans être « apôtre », était reconnu par la communauté des
Douze comme « le disciple que Jésus aimait ». Sa maison était celle du Seigneur,
comme la maison de Pierre était celle de Jésus et de Marie à Capharnaüm. Cette
hypothèse permet de comprendre comment ce disciple a pu accueillir Marie chez lui
après la mort de Jésus. Il l’a reçue dans sa maison, c’est-à-dire là où sans doute « le
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groupe des disciples » constitué à Cana, et auquel Jésus avait intégré sa mère, était
réuni le soir de Pâques. Il y avait aussi vraisemblablement ses frères, Marie-Madeleine
(Jn 20,1-18) et d’autres femmes. C’est là que l’Eglise se tenait au moment de la
Pentecôte (Jn 20,19-23). Cela me semble tout à fait cohérent avec l’ensemble de
l’Evangile. Le peuple dont Jésus est le Berger n’est pas constitué que des seuls
apôtres. Je ne pense pas d’ailleurs qu’au cénacle, le soir du Jeudi Saint, ils n’étaient
que douze, même si le lavement des pieds ne concernait que les apôtres choisis par
Jésus. J’en veux pour preuve le fait que le jour de la Pentecôte en Saint Luc (Ac 1,15),
ils étaient bien plus nombreux : cent vingt personnes environ !
Cette façon de voir souligne combien, dès le début, l’Eglise du Christ est une et
diverse à la fois. Chacun y trouve sa place, comme l’écrira plus tard St Paul (1 Co
12,28-30). Il y a les apôtres, les évangélistes, les prophètes, etc. « Il y a beaucoup de
demeures dans la maison du Père. » (Jn 14) L’essentiel est que tous soient « le disciple
que Jésus aime », c’est-à-dire des disciples qui aiment Jésus. Le fait que ce disciple ne
se désigne pas lui-même est pour moi une indication précieuse qui me donne à penser
qu’à travers ce disciple anonyme, l’Evangile de Jean nous trace le portrait du véritable
disciple, qu’il soit apôtre ou non. Ce disciple "monsieur ou madame Tout le Monde" est
en réalité chacun de nous. Voyons de plus près en suivant son parcours dans
l’Evangile à quoi il ressemble et à qui nous devons ressembler.
Un chercheur de Dieu (Jn 1,35-39)
Ce qui frappe chez ce disciple est qu’il n’est pas seul quand il rencontre le
Christ. Avec d’autres, il est en quête d’absolu. La prédication du Baptiste en a fait un
homme de désir, en attente de plus et de mieux. Nous ne pouvons pas rencontrer
Jésus tout seul. Pensons à toutes celles et ceux qui, sur notre chemin, nous ont
orientés vers lui. Nous avons besoin des autres, d’un autre qui nous éveille à sa
Présence, qui nous fait désirer sa rencontre, qui nous mette en route vers lui et nous
soutient dans notre quête. Et, quand l’occasion se présente, on voit ce disciple
disponible. Immédiatement, séduit par le regard de Jésus, il quitte tout pour lui. Il se
met à marcher derrière lui pour demeurer avec lui. Il vit avec Jésus dès le premier jour
de sa rencontre et ne le lâche plus. Il veut le connaître. Il lui faut pour cela fréquenter
assidûment le Maître : « Venez et vous verrez ». Pendant trois ans, il le regardera et le
contemplera sans dire un mot, toujours à ses côtés. Présence discrète et quotidienne,
présence fidèle jusqu’au bout, jusqu’à la croix où il verra enfin « en Celui qu’ils ont
transpercé », son Dieu. À ce moment-là, il comprendra que Dieu est amour. Il n’est
qu’Amour pour toujours parce qu’il est Cœur ouvert, Cœur offert, livré à notre faim, à
notre soif. Il en sort du sang et de l’eau : le pain de la Vie et l’eau vive de l’Esprit !
Un amoureux de Jésus
(Jn 13,23)
Il se sait « aimé » de Jésus, comme nous le sommes tous. Il se qualifie lui-même
de « disciple que Jésus aime » (on êgapa). Le verbe « agapaô » utilisé ici signifie
« aimer » au sens d’un attachement fort et solide comme celui qui unit Dieu à l’homme
ou celui qui unit deux êtres qui s’aiment d’un amour fidèle et gratuit. C’est d’ailleurs en
cela que ce disciple se distingue des autres apôtres que Jésus appellera « amis »
(philoi), « ses chéris », après le lavement des pieds et le don de lui-même dans
l’Eucharistie (Jn 15,14) dans la mesure où ils garderont fidèlement le commandement
de l’amour fraternel. Ce disciple croit à l’amour du Christ pour lui et ne se prive pas de
le lui manifester avec tendresse et confiance. Par deux fois, il n’hésite pas à se
pencher vers lui, à poser sa tête sur sa poitrine, contre son cœur (Jn 13,23-25).
Littéralement, le texte dit qu’ « il était couché dans le sein de Jésus » : selon la mode
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gréco-romaine, les convives sont allongés sur des lits d’apparat et s’appuient sur le
bras gauche ; le disciple situé à droite de Jésus est donc tout près de sa poitrine
lorsqu’il s’incline vers lui. L’expression signifiait aussi la simplicité et la franchise des
relations amicales. » (Cf. Note f, Nouveau Testament TOB, Cerf 2000 p. 315)
Se sachant aimé de Jésus, ce disciple aime Jésus avec beaucoup de liberté. Il
est le seul, avec Marie-Madeleine, à manifester son amour envers le Seigneur avec
autant d’audace et de simplicité. « Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, de la
tendresse ! » (Pape François, 19 mars 2013) Cet amour pour Jésus se révèle aussi dans
sa façon de suivre le Maître et de l’accompagner durant les étapes douloureuses de sa
Passion, de Gethsémani au Calvaire en passant par le palais de Caïphe.
Allié indéfectible de Pierre
Bien qu’il soit le disciple que Jésus aimait, Jean manifeste un immense respect
et une très grande discrétion vis-à-vis de Pierre. Il ne revendique aucune prérogative
du fait de sa relation privilégiée avec Jésus. Le Seigneur a fondé son Eglise sur la foi
de Pierre (Mt 16,18) en lui confiant la responsabilité et le discernement au service de
l’Eglise (Lc 22,32). Le disciple reconnaît cette primauté et s’efface toujours devant lui.
Il sert d’intermédiaire entre Jésus et Pierre (Jn 13,24) qu’il introduit dans la cour du
Grand Prêtre (Jn 18,15-16). Plus tard, arrivé le premier au tombeau après le témoignage
de Marie-Madeleine, il laisse à Pierre le soin de constater que ce dernier est vide avant
d’y pénétrer lui-même (Jn 20,3-10). Plus rapide et perspicace que Pierre, il l’aidera à
reconnaître le Ressuscité debout au bord du lac (Jn 21,1-7). Toujours à ses côtés, il ne
prend jamais sa place, tout en l’aidant à remplir sa mission. Solidaire du groupe des
disciples, il est un allié sûr et fidèle de Pierre.
Fils de Marie (Jn 19,25-27)
L’amour pour Jésus conduit le disciple bien-aimé à l’accompagner avec Marie
jusqu’à la croix. À cette occasion, le Seigneur mourant offre à celui qu’il aime ce qu’il a
de plus précieux sur la terre : sa mère pour qu’elle devienne « sienne » comme il donne
à Marie ce qui lui est le plus cher : l’Eglise représentée ici par le disciple, afin qu’elle
l’adopte comme « son fils ». L’Evangile dit simplement que ce dernier la prit chez lui,
comme son bien propre. Dernier acte de sa vie publique, Jésus greffe spirituellement
son disciple sur la foi de Marie pour que l’Eglise dont elle est la mère puisse recevoir
l’Esprit qu’il est en train de remettre au monde. Marie apparaît comme le dernier don
que le Christ fait aux croyants, don qui fait du disciple le disciple parfait de Jésus. On
ne peut l’être ni le devenir sans accueillir Marie dans notre vie comme Jean l’a reçue.
Témoin de la vie plus forte que la mort
(Jn 19,31-37)
Sa présence au pied de la croix au moment où le côté de Jésus est transpercé
fait de lui le représentant de tous ceux qui ont entendu l’appel du Seigneur : « Si
quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me
suive » (Mt 16,24-28 et Mc 8,34-38). Etant donné que ce signe est la preuve du plus
grand amour, de l’amour jusqu’à l’extrême, cela signifie que le véritable disciple ne
peut suivre son Maître jusque-là que par amour pour lui et pour les frères : « Le Fils de
l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon
pour la multitude » (Mt 20,28). C’est à ce moment-là que Jésus donne rendez-vous au
disciple qu’il aime afin qu’il regarde et contemple son Seigneur avec foi, qu’il
s’imprègne de son amour plus fort que la haine et découvre, à travers cette blessure,
que seul l’amour qui se donne et pardonne est source de vie pour tout homme qui croit
en lui. Impossible de suivre Jésus si, par amour pour lui et les hommes, on n’intègre
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pas dans notre vie sa croix qui est le chemin vers la gloire :
« Quand nous marchons sans la Croix, quand nous édifions sans la Croix et
quand nous confessons un Christ sans Croix, nous ne sommes pas disciples du
Seigneur : nous sommes mondains…, mais pas des disciples du Seigneur. (Pape
François, Messe avec les Cardinaux, 14 mars 2013)
« La
forme caractéristique de la vie chrétienne lui vient de la croix. L'ouverture
chrétienne au monde, tant prônée aujourd'hui, ne peut trouver son vrai modèle que
dans le côté ouvert du Seigneur (Jn 19,34), expression de cet amour radical, seul
capable de sauver. Du sang et de l'eau ont jailli du côté transpercé de Jésus crucifié.
Ce qui, à première vue, est signe de sa mort, signe de son échec le plus complet,
constitue en même temps un commencement nouveau : le Crucifié ressuscite et ne
meurt plus. Des profondeurs de la mort surgit la promesse de la vie éternelle... C'est
pourquoi, vivre avec lui sous le signe de la croix est synonyme de vivre sous la
promesse de la joie pascale. (Joseph Ratzinger, Un seul Seigneur, Mame, p. 118)
Témoin de l’Amour (Jn 19,35)
Parce qu’il est chercheur de Dieu, amoureux de Jésus, ami fidèle de Pierre et
« fils »de Marie, le disciple que Jésus aimait a pu témoigner de ce qu’il a vu et
entendu : « Nous savons que son témoignage est conforme à la vérité » (Jn 21,24). Ce
disciple anonyme est en réalité celui qui nous est le plus proche, celui qui nous touche
le plus par son parcours et sa façon de se situer dans sa relation avec Jésus. Il lui est
tellement uni qu’il ne peut pas ne pas témoigner de ce qu’il a partagé avec lui. Dans la
mesure où nous agissons comme lui, nous verrons et nous entendrons ce dont il
témoigne. Comme lui, nous désirons tous connaître cette intimité amoureuse avec le
Seigneur Jésus, faire l’expérience de cet amour qui nous bouleverse et nous
enthousiasme. Parce qu’il a osé croire à l’amour du Seigneur pour lui, parce qu’il en a
vécu, le disciple a pu en donner un témoignage authentique : « Celui qui a vu a rendu
témoignage, et son témoignage est conforme à la vérité, et d’ailleurs celui-là sait qu’il
dit ce qui est vrai afin que vous aussi vous croyiez. » (Jn 19,35). Ce n’est qu’après avoir
longuement contemplé la blessure au côté de Jésus, après avoir été lui-même blessé
au cœur par tant d’amour, que le disciple est devenu témoin de ces faits, convaincu de
l’immense amour de Dieu dont ces faits témoignent (Jn 19,34). Avec lui, contemplons le
Cœur transpercé du Sauveur afin de croire à son amour pour nous, d’en vivre et de le
manifester à travers notre amour de Dieu et de ces frères qu’il place sur notre chemin
pour les aimer avec bonté et tendresse, pour les servir avec humilité et patience.
Qui est en définitive ce disciple bien-aimé ?
Le fait qu’il ne soit pas nommé et ne se nomme pas non plus signifie que celui
qui essaie de vivre sa relation à Jésus comme ce disciple anonyme est en réalité le
disciple que Jésus aime. Nous sommes ce disciple quand nous aimons Jésus de tout
notre cœur et que nous aimons les hommes comme lui, avec bonté et tendresse. Les
Lettres des mois précédents nous ont rappelé notre identité chrétienne. Il nous reste à
mettre en pratique ce que nous savons pour vivre en disciple de Jésus. Concrètement,
je vous invite à reprendre les différents points de cette Lettre qui décrit ce qu’est un
disciple selon le Cœur de Dieu et de les confronter à votre vie actuelle. Y a-t-il
correspondance ou non ? Que nous manque-t-il pour être ce disciple bien-aimé ? Bon
courage ! Soyons vrais, persévérants et patients avec nous mêmes !
P. Henri Caldélari msc
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La Pomarède 15230 Paulhenc (France) - www.la-pomarede.cef.fr - rubrique L’Actualité
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