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Les filles à l’école :
de l’égalité des chances à la prévention
des mariages forcés ?
Instaurée discrètement dans les années soixante-dix, la mixité à l’École, dans un premier temps,
n’a pas été revendiquée par l’institution en tant que facteur d’égalité entre les sexes.
Dix à quinze ans plus tard seulement, cette notion d’équité sera mise en exergue dans la politique
de l’Éducation nationale, qui la fera apparaître dans ces directives, ces programmes
et ces manuels. L’École s’efforce aujourd’hui d’aborder la prévention des mariages forcés.
La prise en charge par l’École de la prévention des mariages forcés
peut paraître déplacée et incongrue. À voir l’institution scolaire s’emparer d’un sujet qui ne relève pas directement de ses compétences, on
peut craindre que celle-ci n’empiète sur la liberté des familles, le
droit des parents à exercer l’éducation de leur choix. Ne court-on pas
également le risque de stigmatiser, une nouvelle fois, certains parents
et par là-même de mettre en danger les processus d’intégration à
l’œuvre ? Comment l’École peut-elle juger de pratiques familiales qui
relèvent de stratégies matrimoniales et sociales proches de celles
qu’exercent aussi d’autres familles, plus reconnues socialement et
culturellement et qui n’hésitent pas à pratiquer une endogamie
sociale que les travaux de Pierre Bourdieu se sont attachés à démontrer ? Ces questions et d’autres, comme la réticence que certains ont
à voir l’École s’emparer de sujets qui sont des débats de société et qui
de surcroît concernent un nombre relativement marginal d’élèves –
combien de jeunes filles sont concernées par cette question ? Cela
vaut-il la peine d’en parler ? En matière d’éducation, les programmes
ne suffisent-ils pas à prévenir ces pratiques ? –, interrogent fortement
sa légitimité à se placer sur ce terrain.
La place de l’éducation des filles à l’école n’est pas une question
nouvelle, comme ne l’est pas non plus celle des pratiques éducatives
des familles migrantes à leur égard. Michelle Perrot rappelle très justement que “les Italiens qui arrivaient souvent célibataires, puis faisaient venir femmes et enfants, avaient souvent tendance à surenchérir sur la morale et les valeurs familiales qui constituaient à
leurs yeux un capital important”(1), bien souvent considéré de la
seule responsabilité des femmes. Les trente dernières années ont
néanmoins changé le paysage social et culturel dans lequel s’inscrivait
cette emprise morale sur les femmes, qui était aussi globalement celle
qu’exerçait la société française dans son ensemble.
Femmes contre la violence
par Marie Lazaridis,
chargée de mission au
ministère de la Jeunesse,
de l’Éducation nationale
et de la Recherche
1)- Michelle Perrot,
Les relations
hommes-femmes dans
les quartiers
de la politique de la ville,
séminaire du 27 février 2003,
Div, p. 14.
39
Dans ce domaine, les politiques scolaires peuvent constituer des
étapes visibles de cette évolution et de ces changements, comme le
furent certaines étapes politiques, et notamment celles qui ont marqué
en 1938 la reconnaissance des femmes comme des sujets de droit, ou
consacré en 1944 leur pleine citoyenneté. C’est dans le cadre des politiques publiques, des dispositifs déjà existants, que la question de la
prévention des mariages forcés doit être abordée à l’École. Il est pour
cela nécessaire de connaître dans quels cadres généraux peut s’exercer
cette prévention, et c’est seulement dans un second temps, si ceux-ci ne
suffisent pas, qu’il faut développer une réponse spécifique. Le colloque
organisé par le ministère de l’Éducation nationale le 7 mars 2002 sur le
thème “Égalité, mixité, laïcité, de la mission générale d’émancipation
par l’école à la lutte contre les mariages forcés et pour l’égalité des
droits”, et qui a réuni près de deux cents participants, l’avait reconnu
en intégrant cette question dans la mission générale de l’École et dans
les principes qui la fondent.
Mixité et lutte contre les préjugés sexistes
2)- Françoise
et Claude Lelièvre,
L’histoire de femmes
publiques contée
aux enfants, Puf, 2001,
p. 195.
3)- Michelle Perrot,
Les femmes ou les silences
de l’histoire,
Champs-Flammarion,
1998, p. 9.
40
L’École, en instituant la mixité scolaire sous les effets conjugués de sa
massification et de sa démocratisation, n’a pas accompagné celle-ci,
dans un premier temps, d’un discours politique sur les principes d’égalité qui la sous-tendaient. La mixité a d’abord été instituée pour
répondre à la nécessité de rentabiliser les moyens financiers et pédagogiques. À l’école élémentaire sont réunies les écoles des garçons et
des filles, qui sont ensuite regroupés dans les mêmes classes au secondaire. La mixité est mise en place dans les années soixante-dix par de
simples mesures administratives, et c’est seulement dans une circulaire de 1982 qu’elle se voit assignée des finalités d’égalité et de lutte
contre les préjugés sexistes. Comme le soulignent Françoise et Claude
Lelièvre, “il n’y a pas eu un aggiornamento culturel et idéologique de
l’École, au moment où l’on revenait sur le principe de non-mixité qui
avait été pris pour principe de base lors de la fondation de l’école
républicaine. Il n’y a pas eu de rupture problématisée et pensée lors
de la mise en place de la mixité ; et tout a continué un peu comme
avant, en particulier dans les manuels, y compris dans les livres
d’histoire.”(2) Certaines études soulignent que cette absence de débat
est plutôt le signe d’une absence de résistance au principe de mixité,
principe qui était déjà largement acquis dans l’opinion.
Les questions que posent les contenus des programmes et les représentations qu’ils véhiculent sont plus délicates, mais l’on peut constater,
à la suite de Michelle Perrot, que l’histoire des femmes “tend d’abord à
l’effacement de leurs traces, tant publiques que privées”(3). Mona Ozouf
nuance également l’approche, quand elle constate l’importance que
tient à l’école laïque “la profonde mixité des programmes (l’enseigne-
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© Jacques Gayard.
ment ménager a peu de consistance) et la figure pionnière de l’institutrice, remplissant les mêmes réquisits, soumis aux mêmes modes de
recrutement, aux mêmes examens”. Elle poursuit en soulignant à quel
point cette singularité française, bien en avance sur de nombreux pays
européens “est aussi une des chances du féminisme français”(4).
Mais c’est seulement à la fin des années quatre-vingt-dix que l’on
admet sans ambiguïté dans les livres d’histoire de l’école élémentaire que
les femmes n’ont pas eu le droit de vote en 1848, et que le suffrage universel n’était alors qu’un suffrage masculin. L’esprit des programmes est
à ce sujet plus éclairant que celui des manuels. Très généraux et succincts, ils ont le souci de ne pas laisser apparaître les femmes comme un
groupe distinct, même si les récents programmes de l’école primaire ont
recommandé, “à chaque fois que cela est possible, de souligner le rôle des
femmes dans la vie publique, en s’interrogeant sur leur faible place”(5)
et ont fait émerger de nouvelles figures, comme Camille Claudel, Hélène
Boucher ou Marie Curie, aux côtés de Jeanne d’Arc.
Les manuels, qui ne reflètent pas toujours la mise en œuvre des programmes mais plutôt les tendances, les “humeurs” de la société civile et
que les enseignants utilisent plus massivement que les documents d’accompagnement publiés par le ministère, ont fait depuis plusieurs décennies l’objet d’études et de recommandations. Les initiatives prises au
début des années quatre-vingt, si elles ont le mérite de sensibiliser les
éditeurs de manière ponctuelle et d’éliminer les stéréotypes les plus vifs,
n’ont pas réussi à imposer une véritable norme de comportement à l’intérieur de l’Éducation nationale. La liberté donnée au monde de l’édi-
Femmes contre la violence
Ce n’est qu’en 1982
que la mixité, déjà mise
en place, se voit assigner
des finalités égalitaires.
4)- Mona Ozouf,
Les mots des femmes,
essai sur la singularité
française, Gallimard,
1999, p. 370.
5)- Documents d’application
des programmes,
Histoire-géographie,
cycle 3, DESCO,
SCEREN-CNDP, 2002.
41
tion et l’obligation faite aux pouvoirs publics de ne pas empiéter sur
celle-ci laissent à l’éditeur une grande liberté dans le choix des iconographies et des textes.
Politique globale d’égalité des chances
En 1981, une commission de contrôle des manuels est créée par Yvette
Roudy, ministre des Droits de la femme. Un arrêté du 12 juillet 1982 sur
l’action éducative contre les préjugés sexistes, accompagné d’une note de
service le 10 novembre 1983, demande aux enseignants d’exercer une vigilance critique sur les outils pédagogiques, concernant notamment les
manuels, mais également sur les représentations dans la vie quotidienne à l’école et la
Longtemps réduite à une approche
formation des personnels susceptibles de
biologique, l’éducation à la sexualité
véhiculer ces stéréotypes. Pour Dominique
Torsat, chargée de mission à la direction de
englobe aujourd’hui le champ plus
l’Enseignement
scolaire sur l’égalité, ce fut
vaste de la citoyenneté, afin d’amener les élèves
le premier temps fort de cette politique,
“à faire des choix libres et responsables”.
suivi en 1989 par l’action conjointe de deux
secrétaires d’État, Michelle André (aux
droits des femmes) et Robert Chapuis (à l’enseignement technique),
qui travaillèrent à l’élargissement des choix professionnels des filles.
Entre 1994 et 2000 s’instaure une traversée du désert, interrompue par la
6)- Convention pour
parution de la circulaire du 25 février 2000(6), qui présente la convention
la promotion de l’égalité
interministérielle sur la promotion de l’égalité des chances.
des chances entre
les filles et les garçons,
Ambitieuse, cette circulaire promeut une politique globale d’égalité
les femmes et les hommes
des
chances entre les sexes, du pré-élementaire à l’enseignement supédans le système éducatif,
25 février 2000, BOEN
rieur, de la formation initiale à la formation tout au long de la vie. Cette
n° 10 du 9 mars 2000.
convention est encore aujourd’hui le fil d’Ariane des actions de l’Éducation nationale, qui se déclinent à partir de l’amélioration de l’orientation
scolaire et professionnelle et du développement du respect mutuel des
deux sexes dans les contenus d’enseignement et les actions d’éducation.
L’éducation civique, la prévention des violences sexistes, l’information
sur la connaissance du corps, la mise en place des comités d’éducation à
la santé et à la citoyenneté sont également mobilisés pour répondre à
cette nécessité. Comme le constate Dominique Torsat, “on est passé
d’une action ponctuelle à une action transversale. Aujourd’hui, si la
mixité semble acquise, il faut continuer à penser l’égalité dans une
approche commune des filles et des garçons, travailler à l’égalité sans
7)- Entretien
ignorer les hommes”(7). Les controverses qui ont resurgi récemment sur
avec Dominique Torsat.
les questions de mixité scolaire entre les filles et les garçons sont le
signe que le débat n’est pas clôt pour autant.
Il reste que de nombreuses études ont démontré qu’aujourd’hui les
filles réussissent mieux que les garçons, toutes catégories sociales
confondues. Dans le domaine des inégalités, celles qui demeurent les
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N° 1248 - Mars-avril 2004
plus fortes sont liées à l’origine sociale. Comme l’a montré récemment
un rapport, les chances des enfants de cadres d’obtenir le baccalauréat
sont aujourd’hui dix fois supérieures à celles des enfants d’ouvriers,
alors que la supériorité des filles est de 1,1 chez les enfants de cadres,
et de 1,3 chez ceux d’ouvriers(8).
Même si le partage des sexes est une histoire inachevée, comme le
soulignait Michelle Perrot dans un article du journal Le Monde en date
du 26 novembre 2003, la mixité scolaire, comme le taux d’activité des
femmes françaises (qui demeure l’un des plus élevés d’Europe), ne suffisent pas à fonder l’égalité. Dans ce domaine, la question des mariages
forcés nous rappelle que tout n’est pas seulement une affaire de visibilité. Les phénomènes les plus marginaux sont souvent révélateurs de
dysfonctionnements plus généraux.
8)- Catherine Marry,
Les paradoxes de la mixité
filles-garçons à l’école,
perspectives internationales,
Piref, octobre 2003.
Sexualité et citoyenneté
L’étude d’une pièce de Molière sur les mariages forcés, la venue d’une
troupe de théâtre comme celle des Fat Mama, ou encore les cours d’histoire et d’éducation civique sont autant d’actions préventives complémentaires de l’éducation à la sexualité. Longtemps réduite à une
approche biologique, qui semble avoir montré ses limites, l’éducation à la
sexualité englobe aujourd’hui le champ plus vaste de la citoyenneté et
souhaite aider les élèves à développer un esprit critique, notamment par
l’analyse des modèles et des rôles sociaux véhiculés en la matière, et ce
“afin de les amener à faire des choix libres et responsables”(9). C’est tout
autant par ses contenus que par la forte mobilisation de ces intervenants
(le plus souvent des assistantes sociales ou/et des infirmières) et par les
partenariats qu’ils sollicitent que ces cours, souvent élaborés en lien avec
le comité d’éducation à la santé et la citoyenneté, semblent devoir devenir des lieux de prévention dynamiques. Si dans le premier degré, les trois
séances annuelles sont assurées par les enseignants, en collège et en
lycée c’est une équipe de volontaires qui est constituée. Ces équipes qui
se veulent pluridisciplinaires et qui sont composées le plus souvent de
l’enseignant de biologie, d’assistantes sociales et d’infirmières travaillent
en partenariat avec des associations. Dans les établissements où la question des mariages forcés se pose, c’est ce réseau qui est mobilisé.
Catherine Richet, assistante sociale, conseillère technique à l’inspection académique du Val-d’Oise, souligne l’importance que tiennent
notamment les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC)
et les cours d’éducation à la sexualité dans la prévention des mariages
forcés : “C’est vrai que l’on est passé en dix ans des problèmes d’agressions sexuelles bien souvent intrafamiliales – pédophilie, inceste – à la
question de la violence filles-garçons, de la pornographie et à celle des
mariages forcés qui sont devenus dernièrement une vraie préoccupation.” Les CESC ont l’avantage de fédérer les actions avec plusieurs
Femmes contre la violence
9)- L’éducation
à la sexualité dans les écoles,
collèges et lycées, circulaire
du 17 février 2003,
BOEN du 27 février 2003.
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partenaires, mais peuvent connaître parfois des difficultés à recenser
l’existant. Bien souvent le chef d’établissement, qui en est le responsable, construit un projet pour obtenir une subvention. “L’énergie passée à fédérer les partenaires autour du projet est trop importante,
alors qu’il existe souvent des actions clés en main présentées par les
conseils généraux mais qui ne sont pas utilisées par les établissements qui fabriquent leurs propres outils”, souligne Catherine Richet.
Difficile prévention des mariages forcés
L’autre difficulté réside dans le fait que les mariages forcés sont encore
une question taboue parce qu’elle pointe les familles du doigt. Les
signalements ne sont pas toujours faciles à faire. C’est souvent l’infirmière qui la première prend connaissance du risque. C’est le plus souvent elle qui a en charge dans l’établissement les problèmes d’ordre individuel, qui recueille les confidences des élèves quand ils ont des
difficultés personnelles. Le rôle de prévention et d’information qu’elle
exerce dans l’établissement sur les questions de contraception et de
maladies sexuellement transmissibles la présente comme plus apte à
recevoir les confidences les plus intimes. Elle oriente dans un second
temps l’élève vers l’assistante sociale ou le médecin, qui ont les coudées
plus franches pour intervenir. Elle est en effet tenue d’une part par le
secret professionnel et par le fait qu’elle dépend administrativement du
chef d’établissement, qui n’accueille pas toujours favorablement l’arrivée d’une difficulté avec les parents.
“Il est vrai que face à la demande urgente des jeunes filles d’échapper rapidement à la conclusion d’un mariage ou au départ forcé dans
le pays d’origine des parents, on ne travaille pas avec les familles dans
un premier temps. Nous devons décider rapidement d’une mesure de
protection. Cette nécessité, dans un contexte où l’Éducation nationale
a développé prioritairement depuis dix ans le dialogue avec les
familles, nous met dans la situation difficile de transgression de la
norme établie, cela explique en partie que le sujet reste difficile à aborder avec certains collègues. À cela s’ajoutent certainement les craintes
de stigmatisation des familles immigrées et les ambiguïtés que peut
susciter le respect de la diversité des cultures chez certains”, constate
Catherine Richet. Il est vrai que pour les jeunes filles d’âge scolaire, la
grande majorité des cas est signalée aux associations par des assistantes
sociales scolaires. Dans le Val-d’Oise, soixante-dix assistantes sociales
scolaires, cent cinquante infirmières et quarante-cinq médecins couvrent les cent collèges et les quarante lycées du département. Leur présence est inégalement répartie dans l’académie. Leur mission est
d’abord d’agir dans les établissements prioritaires. Ceci les oblige bien
souvent à négliger les établissements plus favorisés, où des problèmes
peuvent néanmoins se produire.
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N° 1248 - Mars-avril 2004
© Jacques Gayard.
Le travail de prévention se fait en lien également avec la délégation
départementale aux droits des femmes ou dans les commissions départementales d’actions contre les violences faites aux femmes. Ce travail en
partenariat a permis que les cas de mariages forcés soient plus facilement connus. Dans le Val-d’Oise, c’est une quinzaine de cas par an que les
services de l’Éducation nationale ont à connaître, et la Seine-Saint-Denis
en dénombre plus d’une trentaine. Dans ce département, des actions de
formation ont été menées en direction des assistantes sociales scolaires
dans le cadre d’un groupe de travail associant le conseil général, le
Mouvement français pour le planning familial, la Ddass, les délégations
régionales et départementales aux droits des femmes et l’inspection académique. Formation juridique, médiation, travail en partenariat ont permis d’aborder les actions de prévention dans les établissements avec une
plus grande confiance : des forums citoyens, l’organisation de débats
autour de la pièce de théâtre Les chaînes de Nora, de la troupe des Fat
Mama, ont sensibilisé les élèves, constate Martine Carn, assistante
sociale à l’Inspection académique(10).
Lutter contre
les mariages forcés
revient à débusquer
l’invisible
chez les élèves.
10)- Intervention
du 7 mars 2002, colloque
“Égalité, mixité, laïcité,
de la mission générale
d’émancipation par l’école
à la lutte contre les mariages
forcés et pour l’égalité
des droits”, lycée
Louis le Grand, Paris.
Un plan de sensibilisation dans les écoles
Au lycée Galilée de Gennevilliers, une action identique a été menée avec
la représentation de la même pièce lors de la journée de la femme, le
8 mars 2001. Les débats qui ont suivi ont soulevé les difficultés des élèves
à en parler : “La révolte verbale des jeunes gens qui ne veulent pas se
voir imposer un choix de vie, la nuance apportée par certaines jeunes
filles qui ont évoqué le respect dû à l’autorité des familles a bien révélé
l’existence du problème et sa connaissance” constate M. Rosano, provi-
Femmes contre la violence
45
11)- Ibid.
seur du lycée(11). Il faut en effet souvent composer avec ce que Catherine
Richet présente comme l’“ambivalence des jeunes filles”, leur difficulté
à refuser le choix des parents. Pour cela, si dans un premier temps
l’éloignement provisoire du foyer parental peut-être nécessaire, il faut
très rapidement renouer le dialogue et permettre à la jeune fille de
retourner dans sa famille. Le cas récent d’une jeune fille dont le père
avait déjà perçu une partie de la somme qui devait lui revenir après la
conclusion du mariage a été significatif. Cette jeune fille, qui faisait la
fierté de son père par ses résultats scolaires, s’est adressée à l’assistante
sociale quand elle a pris connaissance de l’imminence de son départ
pour l’Afrique. Elle a été placée dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance après un signalement au parquet. Cette situation et la conscience
soudaine du refus résolu de sa fille ont fait revenir le père sur sa décision, et la jeune fille a regagné le foyer parental.
Les mariages forcés ont été intégrés dans les mesures lancées par le
comité interministériel à l’Intégration du 10 avril 2003, qui souhaite lancer un plan de prévention et de sensibilisation dans les écoles. Il est difficile de connaître le nombre des jeunes filles d’âge scolaire concernées au
niveau national, mais le souci qui se dessine de les prévenir dès le plus
jeune âge amène à porter aujourd’hui une attention particulière aux
élèves du primaire. Des actions ponctuelles sont menées dans ce domaine,
et un premier pas a été fait vers la présentation de cette question, souvent
considérée comme relevant plutôt de l’enseignement secondaire.
Les cas de mariages forcés de jeunes garçons commencent également
à être connus. Un jeune pakistanais a souhaité récemment être placé en
internat pour échapper à un mariage auquel sa famille le destinait. Au
niveau légal, rien n’a pu être entrepris parce qu’il était majeur, mais cet
exemple révèle bien que cette question qui concerne essentiellement les
jeunes filles ne peut plus être ignorée pour les garçons. Des exemples plus
rares, mais qui peuvent aider les garçons à prendre conscience qu’il s’agit
là d’un risque partagé. Un proviseur a eu récemment à le constater quand
à la suite d’un débat, “les garçons se sont sentis concernés et ont réagi
fortement quand a été évoqué cet exemple”. La question est également
importante, s’il s’agit de promouvoir le libre choix de tous et de travailler
à l’égalité des chances.
Alain Pierrot, “Homo homini pitbull : violence et autorité en milieu scolaire”
Dossier Violences, mythes et réalités, n° 1227, septembre-octobre 2000
A PUBLIÉ
Jean-Louis Auduc, “L’approche laïque et citoyenne dans la formation
des enseignants d’aujourd’hui”
Dossier Laïcité mode d’emploi, n° 1218, mars-avril 1999
Jean-Paul Payet, “Mixité et ségrégations dans l’école urbaine”
Dossier La ville désintégrée ?, n° 1217, janvier-février 1999
Éric Debarbieux, “Violence et ethnicisation dans l’école française”
Dossier À l’école de la République, n° 1201, septembre 1996
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