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« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
« REGARDER L’AUTRE, ECRIRE L’AUTRE » DANS L’ŒUVRE
D’ALEXANDRE SOLJENITSYNE
Dominique LEFEVBRE77
Résumé : à travers deux œuvres romanesques conséquentes, tant par leur ampleur que par leur rayonnement, de
l'écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des Cancéreux et Le Premier Cercle, nous avons abordé la
problématique "Regarder l'autre, écrire l'autre". Les deux romans se déroulent dans des lieux clos, dans une salle
commune d'hôpital pour le premier, dans l'univers carcéral à l'époque de Staline où sont relégués des savants
prisonniers politiques, pour le second. Confrontés à la maladie et à la mort, ou à l'incarcération, les hommes
entretiennent entre eux des rapports et des sentiments complexes et ambivalents. Paradoxalement, c'est
l'émerveillement de vivre qui domine, et l'humanisme d'Alexandre Soljenitsyne qui transparaît.
Mots-clés : autrui, altérité, bienveillance, inimitié, trahison, adversaire, solitude, humanisme, transmission.
maître77
de
volumineux roman, reprenant et comparant certains
conférence à l'IUFM et responsable du séminaire
passages, me permirent d'admirer, outre la qualité
« Regarder l'autre, écrire l'autre » m'invita à intervenir
littéraire de ce texte romanesque et la place
devant les étudiants préparant le concours PLP sur
nécessaire de chaque mot,
le thème de l'altérité, le choix du Pavillon des
Soljenitsyne, la délicatesse de la description des
cancéreux d'Alexandre Soljenitsyne s'imposa comme
rapports entre les hommes et les femmes, malades,
une nécessité : dans ce roman, l'autre y est décrit et
médecins et personnes anonymes, et de confirmer
considéré avec bienveillance et humanité. Quelques
mes premières impressions d'étonnement. Ces deux
mois auparavant, une lecture, puis une relecture
lectures personnelles m'émerveillèrent. Après mon
Quand
Madame
Sylvie
lente, pendant laquelle je
Loignon,
déambulais78
intervention
dans ce
dans
le
l'humanisme de
séminaire,
je
décidai
d'approfondir cette recherche sur l'altérité par la
relecture d'un autre roman de cet auteur, Le Premier
PIUFM, docteur en littérature
77
Cercle, dans lequel le rapport à l'autre est le thème
78
Pour décrire mon attitude de lectrice, j'emprunterais
volontiers les métaphores filées du « vagabondage » ou de la
« promenade » que Catherine Tauveron utilise dans un article
intitulé « Quelles compétences développer chez les élèves ? Des
savoir-faire ou comportements spécifiques face aux textes », dans
Lire la littérature à l'école de la GS au CM, sous la direction de
Catherine Tauveron, Hatier, collection « Hatier Pédagogie », février
2002, si le sujet traité était autre que le cancer : « Le rôle du
lecteur est à la fois ici un rôle d'archéologue, qui met au jour dans
une seule histoire toutes les histoires en strates, et de vagabond
central. Si, dans Le Pavillon des cancéreux, univers
qui peut dans un premier temps aller le plus vite possible d'un
point à un autre et qui, dans un second temps, revient sur ses pas
pour mieux voir ce qu'il n'a pas eu le temps de bien voir, s'arrête à
des points de vue, traverse les ponts que sa mémoire a
construits. »
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
marqué par la souffrance physique et morale, l'autre
sang, pour sûr, c'est fort terrifiant. Mais, pour un
est paradoxalement source d'émerveillement, dans
homme depuis longtemps arraché à ses attaches
Le Premier Cercle, l’autre est souvent synonyme
familiales, qui n'a pas d'assises pour bâtir une vie
d'adversité, de méfiance, voire d'inimitié.
extérieure (et n'y aspire plus), et qui vit plus
qu'intérieurement, pour cet homme-là, un contact
après l'autre, une cache après l'autre, une relation
La lecture de l’ouvrage Le Chêne et le
nouée avec quelqu'un et par celui-ci avec un autre,
Veau79 et, en particulier, du premier chapitre,
ici une phrase convenue dans une lettre ou une
« L'écrivain souterrain »80, m'éclaira quant au choix
entrevue, là un nom de guerre, ou bien encore une
de ces romans comme objets littéraires et objets
chaîne de quelques personnes — et un beau jour on
d'étude de formation : je pris alors conscience que
se réveille : bonnes gens, mais il y a belle lurette que
les deux axes allaient se superposer et coïncider. La
je suis un hors-la-loi !
connaissance de la genèse de ces livres, que je
C'est bien amer, assurément, d'être obligé de
pressentais lors de la lecture du Premier Cercle81,
descendre dans ce souterrain pour faire non pas la
confirma cette superposition : dans « L'écrivain
révolution, mais tout simplement de la littérature. […]
souterrain », Soljenitsyne décrit la condition d'auteur
à
l'époque
de
Staline,
ayant
recours
à
L'envers de cette vie — la littérature souterraine —
la
m'était devenu aussi familier que sa face visible —
cryptographie et à divers procédés pour engranger et
l'enseignement83.
sauvegarder ses écrits sur des fragments de feuilles
minuscules ou dans la mémoire : « Les écrivains
commencèrent à cacher leurs écrits sans pour autant
L'impossibilité,
désespérer à tout jamais de voir leurs livres édités de
pendant
des
années
de
création littéraire, de transmettre ses écrits, de
leur vivant »82. La situation de prisonnier de cet
communiquer avec ses amis, avec ses lecteurs est
auteur, au camp, en exil et ensuite après sa
l'enjeu de ce premier chapitre de l’ouvrage Le Chêne
réhabilitation l'obligea à adopter une prudence
et le Veau84. Quand Soljenitsyne eut la possibilité
extrême vis-à-vis de sa production littéraire et à
d'éditer en Union Soviétique ses écrits, il refusa avec
garder secrets ses écrits :
fermeté de modifier et de retrancher certains
passages de ses ouvrages85.
Le souterrain aussi, si l'on doit y entrer de but en
blanc, à la lueur d'une lanterne rouge, masqué de
noir, et prononcer quelque serment ou signer de son
79
80
83
Alexandre Soljenitsyne, Le Chêne et le Veau, esquisses de
la vie littéraire, Éditions du Seuil, Paris, 1975.
84
« Et puis, toutes ces années de création souterraine, je
les vécus avec cette conviction que je n'étais pas le seul à me
contenir et à ruser ainsi. », Ibid., p. 14.
Ibid., p. 8-23.
85
Les annexes de l’ouvrage Le Chêne et le Veau sont un
témoignage des différents pourparlers auxquels fut soumis
Soljenitsyne pour l'édition de ses œuvres et de sa très grande
ténacité pour maintenir l'intégrité de ses écrits vis-à-vis des
autorités politiques, p. 439-533.
81
Les prisonniers, savants scientifiques, appelés « zeks »,
trouvent de multiples ruses pour cacher leurs écrits dans Le
Premier Cercle.
82
Ibid., p.11.
Ibid., p. 9.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
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Ces conditions d'écriture me rappelèrent Le
dévoilement des œuvres, exercice nécessaire quand
Vol du Vampire de Michel Tournier86 ; il y est montré
celles-ci sont d'un accès difficile, ou volumineuses
qu'un livre ne peut vivre que s'il a des lecteurs :
comme les deux romans, objets de notre étude.
L'exigence, la rigueur intellectuelle et morale de
Oui, la vocation naturelle, irrépressible, du livre est
Soljenitsyne dans la création littéraire, dans la
centrifuge. Il est fait pour être publié, diffusé, lancé,
publication de ses écrits, les conditions de leur
acheté, lu. La fameuse tour d'ivoire de l'écrivain est
genèse m'ont paru transposables sur le plan
en vérité une tour de lancement. On en revient
toujours
au
lecteur,
comme
à
didactique et permettent de mesurer et d'apprécier la
l'indispensable
complexité du travail de transmission du professeur.
collaborateur de l'écrivain. Un livre n'a pas un auteur,
L'authenticité de cet écrivain, pressentie lors de
mais un nombre indéfini d'auteurs. Car à celui qui l'a
lectures personnelles, confirmée lors de l'élaboration
écrit s'ajoutent de plein droit dans l'acte créateur
de cette communication, m'a donc conduite à
l'ensemble de ceux qui l'ont lu, le lisent et le liront. Un
présenter aux étudiants cette étude littéraire sur
livre écrit, mais non lu, n'existe pas pleinement. C'est
l'altérité.
une virtualité, un être exsangue, vide, malheureux
qui s'épuise dans un appel à l'aide pour exister.87
« Chaque personne doit aider autrui à
découvrir ce qu'il y a de mieux en lui », ainsi
De même qu'une œuvre littéraire ne vit que
si elle est lue et ainsi recréée par les lecteurs,
s'exprime Kondrachev face à Nerjine évoquant les
—
relations humaines88 ; ce propos illustre la perception
c'est bien ce que m'avait montré l'étude de deux
d'autrui dans l'œuvre d'Alexandre Soljenitsyne et en
romans de Soljenitsyne et ce qui m'avait décidé de
particulier dans Le Premier Cercle et dans Le
les prendre comme objets littéraires, car à travers le
Pavillon
thème de l'altérité, c'est aussi le rapport de l'auteur à
la
des univers clos où règne la promiscuité : la
des étudiants en formation et la mienne. Les
charachka est une prison destinée aux scientifiques,
connaissances d'un professeur ne peuvent vivre qu'à
ingénieurs, savants et médecins ; celle-ci « avait
travers l'enseignement prodigué aux élèves et aux
emprunté son nom au village voisin de Mavrino, qui
étudiants ; sinon, elles sont stériles. L'entraînement à
depuis longtemps appartenait à l'agglomération
la transmission des connaissances est donc l'objet
urbaine de Moscou »90 ; dans Le Pavillon des
de la formation des enseignants. La didactique
cancéreux, l'histoire se déroule dans une salle
littéraire repose à la fois sur une connaissance
commune où se trouvent des malades atteints du
précise et rigoureuse des œuvres littéraires et sur la
capacité à les éclairer : le professeur contribue au
88
89
Ibid., p. 10.
illustrant
genèse, leur taille et leur contenu se déroulent dans
formation et approfondir la réflexion didactique, celle
87
romans
l'autre ». Ces deux romans conséquents par leur
transposer ces objets littéraires en objets de
Michel Tournier, Le Vol du Vampire, Paris, Mercure de France,
1981.
cancéreux89,
problématique de l'altérité : « Regarder l'autre, écrire
ses lecteurs qui est en jeu —, de même je pouvais
86
des
Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, Paris, Le
Livre de Poche, 1968, p. 471.
Le Premier Cercle et Le Pavillon des cancéreux furent
publiés en France aux éditions Fayard (Paris) en 1968.
90
38.
Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, éd. cit., p.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
cancer. La présence d'autrui dans les deux situations
placés les uns à côté des autres appartiennent à des
graves que sont la maladie et l'approche de la mort
univers sociaux différents : un représentant de la
d'une part, l'emprisonnement d'autre part, est propice
classe soviétique privilégiée, Roussanov, côtoie un
à la réflexion sur le sens de la vie, sur la place de
ancien déporté, relégué en Ouzbékistan, Kostoglotov,
l'homme dans le monde, l'univers étroit de la prison
et cette cohabitation exacerbe les inégalités sociales
et de la salle commune d'hôpital ramenant ainsi
et les ressentiments que l'éventualité de la mort rend
chacun à l'essentiel et le libérant paradoxalement
vains et dérisoires.
des contingences matérielles et courantes de la vie
quotidienne : « Où pouvait-on en apprendre plus sur
les gens qu'ici ? Et y avait-il un meilleur endroit pour
Ces deux romans de Soljenitsyne sont écrits
91
réfléchir sur soi-même ? » . L'autre est omniprésent
à
et suscite des sentiments ambivalents se traduisant à
focalisation omnisciente ; cependant, même si le
la fois par son besoin et son rejet, de même que la
narrateur s'efface et que les marques d'appréciation
solitude à laquelle chacun est par essence confronté
de l'auteur ne sont pas explicites, Soljenitsyne, animé
est, dans ces deux situations, source de sentiments
d'un souci rigoureux de vérité et manifestant quelque
contraires : besoin essentiel de préserver son
défiance
intimité, associé à la nécessité de partager avec
engendrer la forme romanesque, mais utilisant
autrui angoisses et inquiétudes et de trouver ainsi
cependant la fiction pour décrire la réalité soviétique
réconfort et consolation. Mais l'étroitesse des lieux
sous Staline, certains personnages fictifs sont des
maintient
économique
doubles de l'écrivain : Nerjine, comme Soljenitsyne,
extérieure ou en instaure une autre, souvent plus
est un zek93 qui « réfléchissait aux moyens de
rude, celle des gardiens et des prisonniers qui sont
dissimuler des bouts de crayons cassés dans la
parfois
une
doublure de son blouson, d'emporter de la charachka
extraordinaire rapidité, il [Rousska] avait assimilé les
sa vieille tenue de travail car pour un zek qui
lois de la jungle du GOULAG, il était toujours sur ses
travaillait, chaque couche supplémentaire de tissu
la
hiérarchie
eux-mêmes
92
sociale
espions,
et
« Avec
la
troisième
personne
vis-à-vis
de
sur
le
l'inexactitude
mode
que
d'une
peut
; l'espace réduit rend plus vives aussi les
était précieuse »94. Mais ce roman est polyphonique
différences, les méfiances, les inimitiés et contribue à
et d'autres voix que celle de Nerjine pourraient être
l'utilisation de ruses pour se servir de l'autre et le
celle de Soljenitsyne comme celles de Rubine, de
manipuler ou pour résister à l'autre et à sa présence
Volodia Innokenty, tant Le Premier Cercle revêt une
perçue d'une manière hostile ou envahissante. Le
forme narrative éclatée, puisque Soljenitsyne y fait
mélange de ces sentiments ambivalents est rendu
entendre la diversité et la multiplicité des voix :
complexe par l'arrière-plan politique : ces deux
Innokenty, Volodine, Nerjine, Rubine, Sologdine,
romans se déroulent à l'époque de Staline, de sorte
voire le doux et intègre Guerassimovitch, pourraient
que les événements de la prison ou de l'hôpital sont
être tour à tour l'auteur. Le protagoniste Kostoglotov
gardes »
déterminés par le pouvoir en place. Les prisonniers
de la charachka sont des opposants au régime, les
93
« Zek » : abréviation de Zaklioutchenii qui signifie
« détenus du GOULAG ». Soljenitsyne décrit longuement sa
condition de « zek » dans son autobiographie Le Chêne et le
Veau, Paris, Seuil, 1975.
malades du Pavillon des cancéreux que la maladie a
91
92
Ibidem, p. 372.
94
107 sq.
Ibidem, p. 109.
Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, éd. cit., p.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
du Pavillon des cancéreux, comme l'auteur, un
de l'impressionnante mémoire de Soljenitsyne et de
95
ancien déporté, « un relégué administratif » , est
son attention minutieuse à l'égard de ceux qui
aussi tombé gravement malade et a guéri également
traversent son existence même d'une manière
du cancer, au grand étonnement des médecins, de
éphémère.
sorte que la référence autobiographique est dans ce
roman explicite. De fait, ces deux romans sont
étroitement liés à la vie de leur auteur et à ses
Quelques
chapitres
du
Pavillon
des
expériences de détenu et de malade et, s’ils
cancéreux sont consacrés à un seul personnage :
semblent
« Vega », titre éponyme XXV de la deuxième partie98,
se
dérouler
selon
la
focalisation
omnisciente, leurs nombreux personnages sont
est
dépeints à travers le regard et les pensées de
Kornilievna Gangart dont les diagnostics sont sûrs ;
protagonistes qui sont proches de l’auteur : ils sont
cette femme médecin plaît à Kostoglotov et c'est à
attentifs à autrui, quel qu'il soit ; depuis l'hôpital ou la
travers le point de vue de ce dernier qu'elle est mise
prison, ils sont observateurs de la société soviétique
en valeur moralement et physiquement ; ce chapitre
stalinienne et montrent à quel point le pouvoir
XXV annonce, à cet égard, le dernier chapitre
politique détermine les rapports humains : « Ici, il
relatant la sortie de l'hôpital de Kostoglotov : il
[Nerjine] apprenait à connaître des gens et des
dépeint la vie de cette femme et sa nature
événements dont il ne pourrait rien apprendre nulle
contemplative au moment où elle admire les
part ailleurs sur terre, et certainement pas dans la
abricotiers en fleur : « Il n'y avait rien de plus beau
96
solitude tranquille et repue du foyer domestique » .
consacré
exclusivement
au
docteur
Vera
dans leur ville que l'abricotier en fleur »99, arbre
réapparaissant à la fin du roman100 dans le regard de
Kostoglotov, celui d'un homme admiratif et amoureux
La description d'autrui, les sentiments qui
de Véga. Même quand les chapitres ne concernent
animent les protagonistes dans leur regard sur
pas un seul personnage, Soljenitsyne s'attarde
l'autre, et la place accordée aux gens de l'ombre ou
cependant sur certains d'entre eux : le chapitre
97
« aux gens de peu » , tels sont les axes de cette
premier de la première partie, « Ce n'est pas le
analyse sur l'altérité.
cancer... »,
concerne
essentiellement
Paul
Roussanov entrant pour la première fois au pavillon
des cancéreux, et ce passage donne lieu à des
Le Premier Cercle et le Pavillon des
réflexions sociologiques ; ce personnage apparaît
cancéreux fourmillent de portraits d'hommes et de
comme quelqu'un auquel tout est dû et qui devrait,
femmes rencontrés brièvement ou donnant lieu à une
étant donné son statut social, bénéficier de soins
relation durable : cette profusion de portraits atteste
98
95
96
99
Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des cancéreux, Paris, Le
Livre de Poche, 1970, p. 234.
100
Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des cancéreux, éd. cit., p.
451-468.
Ibidem, p. 451.
Ibidem, p. 639 : « Pas un seul abricotier, cependant, et
pourtant on lui avait dit qu'ils fleurissaient déjà. C'était dans la
vieille ville qu'on pouvait en voir. » ; p. 644 : « C'était l'abricotier !...
Et Oleg se répétait : voilà le prix de la patience, car qu'est-ce que
cela signifie ? Qu'il ne faut jamais foncer tête basse sans avoir
regardé ce qui est à portée de main. ».
Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, éd. cit., p. 236.
97
Pierre Sansot, Les Gens de peu, Paris, PUF, coll,
« Quadrige », 1991, rééd. 2002. Cet ouvrage décrit la vie
quotidienne des ouvriers dans les années 1960 en France.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
privilégiés, «
Mon mari n'est pas le premier venu et
c'est un travailleur d'une grande valeur »
service en radiologie, elle-même atteinte d'un cancer
101
: elle pressent qu'elle souffre de cette pathologie au
, dit
Capitoline Matveïevna, son épouse ; aussi n'accepte-
cours d'un entretien chez lui avec «
104
le vieux
Orechtchenkov, chef de service en
t-il pas d'être placé aux côtés d'êtres différents de lui
docteur »
socialement : « Et vite, elle [l'infirmière] s'en allait.
chirurgie. Les qualités humaines
C'était un des aspects désagréables de ces hôpitaux
personnages sont traduites par l'attitude qu'ils
publics : on ne restait jamais avec vous, on ne
adoptent l'un et l'autre à l'égard du chien du docteur :
prenait jamais le temps de bavarder »
Roussanov
dans
un
monologue
de ces deux
102
, dit Paul
intérieur.
Orechtchenkov coupa un morceau de gâteau
Les
et l'offrit au chien, mais il ne lui lança pas, comme on
chapitres III et XII, « La petite frange » et « Les
passions reviennent toutes », situés dans la première
le fait par pitié ou pour s'amuser à d'autres chiens
partie et consacrés l'un et l'autre à une jeune
qui, eux, se dressent sur les pattes de derrière,
infirmière Zoé, permettent, à travers son portrait, la
sautent et font claquer leurs dents. Ce chien-là,
description de son mode de vie libéré et l'évocation
lorsqu'il se dressait sur ses pattes de derrière, ce
des rapports qu'elle entretient avec les hommes et de
n'était pas en témoignage de servilité, mais en signe
la relation sensuelle et amoureuse avec Kostoglotov,
d'amitié pour poser ses pattes sur les épaules de
l’invitation à la réflexion sur la vie et la place des
l'homme.
femmes dans la société stalinienne, après la seconde
qu'Orechtchenkov lui avait offert du gâteau, et le
guerre mondiale : beaucoup d'entre elles étaient
chien, comme un égal, sans hâte, avait pris entre ses
103
Et
c'est
comme
à
un
égal
; Zoé invite Kostoglotov
dents le morceau qui lui était présenté dans la main
au carpe diem et à vivre pleinement le présent : cette
ouverte en soucoupe, sans avoir faim peut-être, par
réflexion prend toute sa valeur quand elle est menée
pure politesse. Et pour quelque raison obscure, la
avec Kostoglotov aux prises avec la maladie et en
venue de ce chien paisible, méditatif, avait fait du
voie de guérison.
bien à Lioudmila Afanassievna, l'avait égayée, elle
veuves et vivaient seules
s'était déjà levée de table et elle se dit soudain
qu'après tout elle n'allait vraiment pas aussi mal que
ça, quand bien même il faudrait une opération.105
Autrui, même si un chapitre ne lui est pas
entièrement consacré, quel qu'il soit, est décrit à
travers des détails apparemment insignifiants et des
annotations semblant éparses, mais le caractère
Soljenitsyne attend de son lecteur une
éclaté des ces remarques donne aux personnages
lecture fine, attentive et fondée sur la mémoire : les
leur vraisemblance, leur crédibilité et leur épaisseur :
nombreux portraits qu'il dresse sont crédibles et
ainsi en est-il dans ce même roman de la
authentiques, car ils ne sont pas constitués d'une
protagoniste,
seule pièce ; c'est au lecteur de relier les différents
Lioudmila Afanassievna, chef de
indices répandus çà et là et qui s'éclairent, quand,
101
Ibidem, p. 20.
prenant de la hauteur, il est à même d'associer ces
102
Ibidem, p. 24.
104
103
Ibidem, p. 224 : « En effet à quoi bon, puisque les
femmes étaient devenues si accessibles ? C'était comme au
marché, lorsqu'il y a un grand arrivage... ».
Ibidem, p. 546 : titre du chapitre XXX de la deuxième
partie.
105
Ibidem, p. 565 sq.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
éléments disjoints : dans l'art du portrait, Soljenitsyne
interrogatoire110. Tout membre de l'administration de
rejoint Victor Hugo106. Tout personnage acquiert sa
la charachka espionne aussi ses pairs et se trouve
crédibilité quand le lecteur a embrassé l'ensemble du
fréquemment dans une position instable et vulnérable
roman.
: l'effroyable peur que connaît le colonel du génie
Yakonov111 à son retour chez lui, craignant sa
destitution,
traduit
cette
insécurité
;
Volodia
112
Innokenty , juste avant son arrestation, cache
Cette méthode fondée sur un apparent
avec
difficilement ses appréhensions, au moment où il
personnage
s'apprête à se rendre avec son épouse à un
profondément humain, même quand il s'agit d'un
spectacle à Moscou. En effet, la charachka est un
adversaire,
au
système « destiné à avoir un effet anéantissant sur
manichéisme. Cet aspect est particulièrement net
l'âme du prisonnier »113 et miné par l'espionnage. Cet
dans Le Premier Cercle où parmi les prisonniers
anéantissement s’observe non seulement dans
existent une hiérarchie et des rivalités, sources de
l'esprit des zeks, mais aussi dans celui des
sentiments hostiles. En effet, les rapports à autrui y
administrateurs. Ainsi zeks et administrateurs ont-ils
sont complexes : il n'y a pas, comme dans Le
comme armes la feinte, la dissimulation et la
Pavillon des cancéreux l'inexorable dualité entre la
flagornerie, empreintes de violence sourde, quand
vie et la mort. Dans Le Premier Cercle, la vie est bien
celle-ci ne se manifeste pas : lors d’un entretien entre
présente, et la manipulation et la ruse s'y ajoutent :
le zek Sologdine et Yakonov, les rapports de force
l'autre, même s'il appartient au même camp, zek ou
s’inversent : Sologdine donne brutalement des ordres
membre de l'administration de la charachka, peut
à Yakonov114 ; la charachka bouleverse les rapports
être un adversaire ; ainsi Siromakha, « avec ses airs
sociaux et culturels, car les connaissances des zeks
éparpillement
permet
authenticité,
de
et
de
de
peindre
rendre
ne
tout
jamais
l'autre
céder
ainsi
s'avère-t-il être un agent double
sont supérieures à celles des commandants115. Cette
espionnant ses pairs et renseignant les autorités
inversion des rôles s’aperçoit aussi lors de l’entretien
administratives108 ; au moment du vol d'un tour, le
entre le commandant Roitman et le prisonnier
chef Chikine se renseigne auprès d'un gardien
Rubine : le premier supplie le second d’achever
prisonnier, Spiridon109, répondant sans ruse, ni
rapidement ses travaux scientifiques, mais Rubine
malice, mais avec lucidité quant à la raison de cet
de serpent »
107
110
Ibidem, p. 697 : « Et, avec la vieille habitude qu'il avait
de tromper les autorités, il [Spiridon] entra sans mal dans l'esprit
de ce jeu cruel ».
106
Cet aspect est probant dans L'Homme qui rit, œuvre
de Victor Hugo, parue chez Albert Lacroix à Paris en 1869 : les
rapports entre les personnages ne s'éclairent réellement qu'à la fin
de l'ouvrage.
107
698.
111
Ibidem, p. 182 : « Ce n'était plus le même homme. Les
lèvres calmes et tranquilles, jadis serrées dans une moue
hautaine, tremblaient violemment ». Ce passage trouve un écho à
la page 661: « Les affaires de Yakonov qui, la veille encore,
semblaient si désespérées, venaient de prendre un tour
nouveau. »
Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, éd. cit., p.
112
Ibidem, p. 744.
113
Ibidem, p. 693.
108
Ibidem, p. 709 sq. : « Il [Siromakha] était hautement
estimé et on ne le chassait jamais des conciliabules entre
dirigeants du Numéro Sept. Il jugeait que ce genre d'attitude le
servirait mieux à longue échéance que son activité d'indicateur. Il
avait donc de bonnes chances d'être libéré. »
109
114
Ibidem, p. 658 : « Ce n'était plus le colonel du génie qui
parlait, mais un homme désespéré, épuisé, sans pouvoir. »
Ibidem, p. 694.
115
Ibidem, p. 711-713.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
« gard[e] un silence courtois, laissant Roitman faire
son
116
rapport » .
Cet
état
prend
des
est bien conscient de la gravité de son acte ; ce
formes
même
violentes : humiliation des hommes entre eux perdant
sentiment
de
culpabilité
gagne
Paul
Roussanov lui-même, quand sa femme Capitoline,
117
leur façon de penser , torture physique et morale
avec les traits caricaturaux de la femme parvenue,
qui guette à la fois les zeks et les commandants, idée
annonce avec crainte et hésitation à son mari la
118
du suicide qui est envisagée par Innokenty .
libération d’un relégué, victime de déportation à
L’inversion des rôles et l’impossibilité de savoir qui
cause de lui, ce qui provoque chez Roussanov des
est l’autre rendent les zeks dociles, voire insensibles.
remords et l’assaille de cauchemars le terrassant,
L’autre n’est pas source de consolation et de
tant ce dernier redoute la vengeance du déporté ;
douceur : « Il était interdit aux prisonniers de se
sans commentaire explicite, Soljenitsyne intitule le
rencontrer. Il leur était interdit de puiser quelque
chapitre XIV « La justice » pour décrire le vif
119
sentiment de culpabilité de Roussanov : « Il se hâta
réconfort dans le regard d’un autre » .
de regagner son lit. À quoi pensait-il encore ?... Qui
craignait-il encore ? En qui avait-il espoir ? Là, entre
Quels sont les sentiments des protagonistes
sa mâchoire et sa clavicule, il y avait son destin. Son
à l’égard d’autrui, quel est l’état d’âme de l'auteur
tribunal. Et devant ce tribunal, il n’avait ni relations, ni
face à l'autre ? C’est toujours de la part des doubles
mérites, ni défense »120.
de Soljenitsyne, avec le souci de comprendre, avec
Quand l’auteur décrit de jeunes gens frappés
empathie et même bienveillance que l’autre est
appréhendé.
Si
Soljenitsyne
analyse
par la maladie comme Diomka et Vadim, ce n’est pas
sans
le regard d’un homme épris de pitié, mais celui d’un
complaisance la part d’ombre et la noirceur que
homme admiratif devant leur caractère valeureux et
contiennent certains de ses personnages, c’est pour
héroïque : Diomka, malgré sa jambe malade et
mettre en exergue que les actes ne se réduisent pas
condamnée, est déterminé à poursuivre ses études
à des explications rationnelles, mais qu’ils sont le
résultat
de
contingences
sociales,
de lettres : « Et tu passeras le concours ? Je pense
politiques,
que oui, je ne me suis jamais laissé émotionner. Je
idéologiques et morales.
suis du genre calme »121. Chez Vadim, même
détermination, même soif de connaissances, même
envie de vivre et émerveillement devant la vie : sa
Ainsi l’auteur décrit-il sans pitié dans Le
vaillance le rend semblable à un héros et sa lucidité
Pavillon des cancéreux les délations commises par le
lui permet de transcender son destin tragique ; le
fils de Paul Roussanov, Ioura, et les conséquences
roman ne suggère jamais la pitié.
graves qui s’ensuivent sur deux jeunes ouvrières : le
sentiment de culpabilité qui taraude Ioura montre qu’il
116
À travers les monologues intérieurs des
Ibidem, p. 725.
personnages malades, Soljenitsyne met en exergue
117
Ibidem, p. 780 : « Le prisonnier suit régulièrement le
régime avilissant et odieux de la prison qui lentement tue l'être
humain qu'il y a en lui. » 118
Ibidem, p. 704.
119
Ibidem, p. 778.
120
Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des cancéreux, éd.
cit., p. 277.
121
Ibidem, p. 278.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
tout le processus d’introspection qu’engendre la
« Tous trois marchaient précautionneusement : l'un
maladie. L’attention portée aux expressions du
ménageait son dos, l'autre sa jambe, le troisième
visage,
corps
marchait avec une béquille »124. Si Soljenitsyne décrit
malades rend ces regards sur soi réalistes et
les femmes malades portant toutes la même blouse
conduisent le lecteur à la réflexion.
inesthétique et mal cousue, il les montre la tenant
aux
mouvements
laborieux
des
fermée avec pudeur. De même, Diomka125, avant
d'être amputé de sa jambe malade, avait aperçu
Dans Le Premier Cercle, les chapitres
admiratif une belle jeune fille Assia dont la présence
consacrés à Staline et à ses conversations avec ses
détonait au milieu des autres femmes malades ; elle
proches attestent, de la part de l'auteur, de son
regardait ces dernières d'un œil sévère, animée
humanisme et de sa bienveillance pour tout être
d'une gourmandise légitime et compréhensible de
humain : la solitude du chef suprême, ses peurs, son
santé et de beauté : jeune et belle, elle n'avait pas
besoin éperdu d’amitié et de sentiments sincères et
conscience de la mort. Grâce à Assia, présentée
chaleureux ne le montrent pas sous les traits
sous les traits d' « ange »126, le regard porté sur les
caricaturaux du bourreau qu’il fut pourtant réellement
malades n'est pas empreint de pitié insincère, mais
et dont l’auteur fut une des innombrables victimes. Il
de révolte. Lors de leur première rencontre, Diomka
décrit Staline en proie à la solitude, à des peurs
avoue difficilement sa maladie et écoute avec
irrépressibles, et lui confère une stature humaine. Le
émerveillement les propos pleins de vie de la jeune
regard de la victime qu'est celui de Soljenitsyne à
fille, évoquant son plaisir de danser, d'écouter de la
travers celui de ses personnages sur celui du
musique, sa préoccupation essentielle qu'est l'amour
bourreau que fut Staline est un regard dénué de toute
; elle dissuade avec fermeté Diomka de se faire
vengeance,
à
amputer ; Assia qui « [a] réponse à tout »127, pour qui
comprendre les origines de la cruauté du chef
« tout est clair »128 chante une ode à la vie. Le
suprême122.
premier volet de ce diptyque que constitue cette
mais
cherchant
au
contraire
première rencontre prend tout son sens dans le
second volet, tragique, quand Assia, venue pour des
examens du sein et arborant un admirable aplomb,
Si, à travers Staline, l'auteur décrit un
apparaît alors anéantie quand il lui est annoncé
personnage illustre dans l'ombre, il dépeint surtout
l'ablation d'un sein ; c'est à Diomka qu 'elle confie sa
les gens de l'ombre ou « les gens de peu »123 :
détresse ; ce second volet se mue paradoxalement
l'attention constitue un des intérêts importants des
en une merveilleuse scène : « Elle [Assia] restait là,
deux romans de Soljenitsyne quant à la manière de
au-dessus de lui [Diomka], et il revenait vers ce rose
regarder l'autre sans indiscrétion ; les regards de
et faisait doucement des lèvres ce que l'enfant qu'elle
l'auteur se présentent sous forme de tableaux :
124
Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des cancéreux, éd.
cit., p. 172.
122
Les chapitres 18 à 21 du Premier Cercle constituent un
portrait à la fois très fouillé et très éclaté de Staline, illustrant
comment l'auteur appréhende autrui : ces chapitres fourmillent de
formules frappantes comme : « Il [Staline] aurait beaucoup aimé
avoir un ami aussi droit, aussi désintéressé pour lui confier toutes
les pensées qu'il avait au cours de ses longues nuits solitaires. »
(p. 141). 123
Voir note 10. 125
Ibidem, p. 173-191.
126
Ibidem, p. 182.
127
Ibidem, p. 187.
128
Ibidem, p. 189.
« Regarder l’autre, écrire l’autre » dans l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne
Dominique Lefebvre
respect par leur dignité et leur droiture132.
aurait un jour ne pourrait jamais faire avec ce sein. Ils
étaient seuls dans la pièce, et il enveloppait de
baisers cette merveille suspendue au-dessus de lui.
Aujourd'hui merveille, demain au panier »129.
« Dignité », « honnêteté », « émerveillement
de vivre », « partage » sont des mots-clés incarnant
les mondes difficiles des deux romans. Leur lecture
Le Pavillon des cancéreux est ponctué,
est fondatrice : autrui, quel qu'il soit, est toujours
grâce aux gens de l'ombre, de moments de grâce
décrit
constituant un hommage subtil à la vie et à
complaisance. Cependant Soljenitsyne n'explicite
l'humanisme.
d'Elizabeth
jamais sa générosité dans son rapport à l'autre :
Anatolievna, femme d'un physique insignifiant, voire
cette qualité transparaît dans toutes les lignes de ses
ingrat, et qui suscite l'admiration de Kostoglotov, en
romans que l’on doit lire d'une manière attentive et
raison de son immense culture et de sa parfaite
minutieuse, comme le sont dans leur travail les
connaissance de la langue française, et il lui rend
infirmières du pavillon, ainsi que les zeks protégeant
hommage dans des monologues intérieurs: « C'était
leurs écrits et travaux : paradoxalement dans ces
Elizabeth Anatolievna, cette fille de salle en lunettes,
deux situations de détresse, ces hommes et femmes
d'une culture ahurissante. Elle avait terminé tout son
construisent leur humanité133.
Ainsi
en
est-il
aussi
avec
humanité,
mais
sans
pitié,
ni
travail dans la soirée et elle était maintenant en train
de lire. Durant les mois qu'Oleg avait passés ici, cette
fille de salle, travailleuse, au visage empreint d'une
vive compréhension, avait plus d'une fois rampé sous
les lits où ils y déjà étaient couchés pour laver les
planchers »130.
Cette attention aux « perles »131 de l'ombre
se retrouve pareillement dans Le Premier Cercle :
Soljenitsyne rend hommage à ceux qui gardent leur
intégrité malgré la légitime tentation d'être achetés
par les membres de l'administration pénitentiaire ;
des personnages comme Guerassimovitch forcent le
Ibidem, p. 525.
129
42
130
Ibidem, p. 625.
132
717.
131
J'emprunte cette nomination à un titre d'une nouvelle de
Guy de Maupassant « Mademoiselle Perle » dans laquelle cet
auteur rend hommage à une servante humble et très réservée,
mais travaillant avec une grande efficacité.
133
Alexandre Soljenitsyne, Le Premier Cercle, éd. cit., p.
Ibidem, p. 561 : « Il faut essayer de tremper, de tailler
et de polir son âme de façon à devenir un être humain. »