Une approche déterministe du taux de change euro
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Une approche déterministe du taux de change euro
Une approche déterministe du taux de change euro-dollar Jean-François Goux(*) Pourquoi les fondamentaux économiques ne réussissent-ils pas vraiment à expliquer l’évolution du taux de change euro-dollar ? Depuis la naissance de l’euro, de nombreuses recherches ont pourtant tenté de rendre compte de l’évolution du taux de change (nominal ou réel, bilatéral ou effectif) de l’euro, à l’aide de ces fondamentaux. Il est frappant de constater que nombre de ces études ont débouché sur un constat d’échec ou de semi échec. Les prévisions sont mauvaises et confirment la position de Meese et Rogoff (1983), qui montrent que les modèles ne font pas mieux qu’une prévision naïve. Quelques tentatives de sauvetage émergent cependant : distinction entre court terme (domaine des chartistes et de l’analyse technique) et long terme (plus propice aux fondamentalistes) ; prise en compte de ruptures ; modèles nonlinéaires ou à changement de régime ; périodisation ; etc. L’hypothèse de la stationnarité du taux de change entre l’euro et le dollar, étonnante au moment de l’écriture de cet article, mérite cependant d’être vérifiée. En effet, la nature stochastique ou non de cette série a des conséquences sur ses propriétés de long terme et en matière de prévisions. Si la série est stationnaire, cela signifie que le taux de change euro-dollar est de nature à absorber les chocs économiques et qu’il existe un niveau d’équilibre de long terme vers lequel ce taux tend à revenir en permanence. Si la série est stationnaire autour d’un trend, c’est ce dernier qui servira de base de prévision. Dans le cas contraire d’une série non stationnaire, avec une racine unitaire par exemple, des investigations plus poussées seront nécessaires, comme la recherche d’éventuelles relations de cointégration avec des fondamentaux, qui n’ont, évidemment, aucune réalité dans la situation de stationnarité. Dans cet article, nous réexaminons cette question dans le cas du taux de change nominal bilatéral entre l’euro et le dollar. Notre objectif n’est pas de vérifier un modèle théorique particulier, il est : – de montrer l’importance des composantes déterministes et, en particulier, des ruptures (Perron, 2007) ; – de démontrer, sous certaines hypothèses et restrictions, que le taux de change bilatéral nominal euro contre dollar est stationnaire avec ou sans tendance temporelle sur longue période. Nous avons tout d’abord utilisé les techniques traditionnelles afin de repérer l’existence d’une racine unitaire dans la série du taux de change. Dans la lignée des travaux antérieurs, le résultat est positif et infirme l’existence d’un processus stationnaire. Nous avons alors utilisé des tests plus performants permettant de prendre en compte l’existence de changements structurels, mais sans plus de succès. Nous avons alors choisi une méthode plus générale, intégrant deux ruptures structurelles dans la composante déterministe du taux de change. Cela nous permet de trouver de meilleurs résultats, mais qui restent néanmoins en faveur d’une racine unitaire. Seule la prise en compte de deux ruptures consécutives et de sens inverses (*) Professeur, Université Lyon 2 et Gate - CNRS. E-mail : [email protected] Je remercie les deux rapporteurs de la revue pour leurs critiques, qui ont permis une amélioration notable de cet article. Je remercie également Hélène Erkel-Rousse pour sa relecture attentive et les reformulations et harmonisations qu’elle a effectuées. Accepté le 15 octobre 2009. Économie et Prévision n°195-196 2010-4/5 35 (rupture transitoire épaisse), selon la méthodologie de Bai et Perron (1998, 2006) ou de Papell et Prodan (2004, 2006, 2007) nous permet d’établir la stationnarité. En retenant alors la période s’étalant des accords du Louvre à mars 2009 et en neutralisant les premières années d’existence de l’euro, qui constituent une période de rupture, nous pouvons affirmer que ce taux est stationnaire par rapport à une tendance déterministe. Il existe donc un mécanisme de rappel vers un niveau d’équilibre qui, cependant, se modifie, puisqu’il s’inscrit dans un trend déterministe croissant sur la dizaine d’années qui marque la fin de la période d’étude. Un changement de tendance s’opère à partir de 1996, année qui correspond au moment où les marchés ont considéré l’arrivée de l’euro comme inéluctable. Ces hypothèses sont confirmées à l’aide d’une nouvelle procédure de test fondée sur l’élimination des ruptures transitoires épaisses traitées comme un ensemble de points aberrants (outliers). Après élimination ou neutralisation de ces derniers, les tests usuels sont utilisés, en privilégiant cependant ceux qui sont les moins sensibles à ce type de correction. La prise en compte d’une période de rupture (rupture épaisse transitoire) permet donc d’analyser correctement la série statistique du taux de change nominal euro-dollar et de proposer une prévision adaptée. On peut considérer qu’il existerait donc bien différentes forces de rappel assurant une cohésion entre les monnaies que l’on peut qualifier de managed rate system (Dooley et alii, 2004 a, b, c ; Fisher , 2001), mais sous une forme qui reste très modérée (mild managed). Cette cohésion est parfois testée par les marchés mais elle a toujours résisté sur la période d’étude. Elle a même permis de surmonter et de « digérer » cette évolution majeure qu’a été la mise en place de l’euro. Le retour à la moyenne après cette rupture transitoire est ainsi une preuve supplémentaire en faveur de la thèse de la stationnarité. Les années postérieures à 2009 le confirment également. 36