Tribunal administratif

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Tribunal administratif
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
Ire chambre
N° 37787 du rôle
Inscrit le 15 avril 2016
Audience publique du 15 juin 2016
Recours formé par
Monsieur ..., alias ..., alias ..., Schrassig,
contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile
en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37787 du rôle et déposée le 15 avril 2016 au
greffe du tribunal administratif par Maître Frank Mausen, avocat à la Cour, inscrit au tableau
de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le … à … (Algérie), de
nationalité algérienne, alias ..., né le …, de nationalité algérienne, alias ..., né le …, de
nationalité marocaine, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg, tendant à
l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er avril 2016 par
laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Suisse sur
base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et
à la protection temporaire et de l’article 18 (1) d) du règlement (UE) n° 604/2013 du
Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de
détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection
internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un
apatride ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée le 26 avril 2016 au
greffe du tribunal administratif par Maître Vanessa Fober, avocat à la Cour, assistée par
Maître Cindy Coutinho, avocat, toutes deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à
Luxembourg ;
Vu l’ordonnance présidentielle du 26 avril 2016, inscrite sous le numéro 37810 du
rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 25 mai 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cindy Coutinho, en
remplacement de Maître Vanessa Fober, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves
Huberty en leurs plaidoiries respectives.
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Le 22 février 2016, Monsieur ..., alias ..., alias ..., ci-après désigné par « Monsieur ... »,
introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes
une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la
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protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18
décembre 2015 ».
Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police
des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi
pour venir au Luxembourg.
Le 10 mars 2016, il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et
européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen
de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du
Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de
détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection
internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un
apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Par une décision du 1er avril 2016, notifiée à l’intéressé par les soins du greffe du
Centre pénitentiaire de Luxembourg en date du 4 avril 2016, le ministre de l’Immigration et
de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur ... que le Grand-Duché de
Luxembourg avait, en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18
(1) d) du règlement Dublin III, pris la décision de le transférer vers la Suisse, qui serait l’Etat
responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, au motif, d’une part,
qu’il y aurait déposé deux demandes afférentes en date du 1er septembre 2011, respectivement
en date du 24 juin 2013 et, d’autre part, que les autorités suisses auraient, en date du 21 mars
2016, accepté de prendre, respectivement de reprendre en charge l’examen de sa demande
d’asile.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2016, inscrite sous le
numéro 37787 du rôle, Monsieur ... a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la
décision ministérielle de transfert précitée du 1er avril 2016.
Par requête séparée, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril
2016, inscrite sous le numéro 37810 du rôle, il fit encore introduire une demande tendant à
l’institution d’un sursis à exécution par rapport à la décision susmentionnée du 1er avril 2016,
demande dont il fut débouté par une ordonnance du président du tribunal administratif du 26
avril 2016.
Etant donné que l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en
annulation contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que
la décision litigieuse, un recours en annulation a valablement pu être introduit à l’encontre de
celle-ci, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et
délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à
la base de la décision déférée.
Il explique dans ce contexte qu’il n’aurait pas eu de réponse à ses deux demandes de
protection internationale introduites en Suisse, de sorte qu’il aurait jugé être en droit
d’introduire une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.
En droit, le demandeur sollicite l’annulation de la décision du 1 er avril 2016 pour
violation de la loi.
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En se basant sur l’article 4, paragraphe 1, c) du règlement Dublin III et sur l’article 13
de la loi du 18 décembre 2015, il expose qu’il n’aurait pas été informé de son droit à un
entretien individuel et qu’il n’aurait pas pu exposer son point de vue concernant l’application
des motifs visés à l’article 28, paragraphe 2 de la loi du 18 décembre 2015 à sa situation
particulière. Il donne à considérer qu’un tel entretien individuel lui aurait permis de fonder la
compétence du Luxembourg en tant qu’Etat membre responsable pour examiner la demande
de protection internationale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en précisant que le
demandeur aurait été entendu dans le cadre d’un entretien prévu par le règlement Dublin III et
qu’il y aurait expliqué avoir traversé plusieurs pays et y avoir déposé des demandes de
protection internationale. Il souligne que Monsieur ... ne soulèverait aucun moyen s’opposant
à son transfert vers la Suisse et n’invoquerait aucun argument en relation avec des éventuelles
défaillances systémiques dans le système suisse du traitement des demandes de protection
internationale.
Il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Suisse et de
ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en
application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du
règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de
protection internationale serait la Suisse, en ce qu’il y aurait introduit auparavant deux
demandes d’asile le 1er septembre 2011, respectivement le 24 juin 2013 et que les autorités
suisses auraient accepté sa reprise en charge le 21 mars 2016.
L’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application
du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable
de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable
sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la
prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne
concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner
sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre
pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays
accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne
concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection
internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour
conclure à la responsabilité des autorités suisses pour procéder à l’examen de la demande de
protection internationale de Monsieur ..., prévoit que l’ « L’État membre responsable en vertu
du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux
articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été
rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans
titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Force est au tribunal de constater que le demandeur ne remet pas en cause la
responsabilité de principe des autorités suisses pour procéder à l’examen de sa demande de
protection internationale, mais qu’il soutient, en substance, qu’avant de décider de transmettre
une demande de reprise en charge auxdites autorités il aurait dû en être informé et mis en
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mesure d’y prendre position dans le cadre d’un entretien individuel y relatif visé à l’article 4
du règlement Dublin III, respectivement à l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015.
Force est cependant au tribunal de constater que les entretiens visés par les deux
articles précités poursuivent deux finalités différentes.
L’article 4 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit : « 1. Dès qu’une demande de
protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État
membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent
règlement, et notamment:
a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d’une
autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d’un
État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l’État membre responsable en
vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est
examinée;
b) des critères de détermination de l’État membre responsable, de la hiérarchie de ces
critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait
qu’une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la
désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si
cette responsabilité n’est pas fondée sur ces critères;
c) de l’entretien individuel en vertu de l’article 5 et de la possibilité de fournir des
informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent
dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces
informations;
d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de
demander une suspension du transfert;
e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des
données le concernant aux seules fins d’exécuter leurs obligations découlant du présent
règlement;
f) de l’existence du droit d’accès aux données le concernant et du droit de demander
que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l’objet
d’un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris
des coordonnées des autorités visées à l’article 35 et des autorités nationales chargées de la
protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la
protection des données à caractère personnel.
2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue
que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend.
Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe
3. (…)
3. La Commission rédige, au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune ainsi
qu’une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les
informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend
également des informations relatives à l’application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en
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particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être
traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États
membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes
d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 44,
paragraphe 2, du présent règlement. ».
A cet égard, force est au tribunal de constater qu’il ressort des éléments du dossier
administratif que le jour même du dépôt de sa demande de protection internationale, en
l’occurrence le 22 février 2016, le demandeur s’est vu remettre une brochure d’informations
rédigée en langue arabe. Il a en effet signé le document par lequel il certifie avoir « reçu en
mains propres et a[voir] pris connaissance des documents suivants : (…) Brochure
d’informations pour demandeurs de protection internationale en langue arabe ».
Il ressort également du dossier administratif que Monsieur ... a été entendu lors d’un
entretien individuel en date du 10 mars 2016 afin de déterminer l’Etat responsable à sa
demande de protection internationale prévu à l’article 5 du règlement Dublin III.
Le tribunal en déduit que son argumentation selon laquelle les informations visées à
l’article 4 du règlement Dublin III ne lui auraient pas été fournies par les autorités
luxembourgeoises, respectivement qu’il n’aurait pas été entendu dans le cadre d’un entretien
individuel prévu par cet article, est à rejeter pour manquer en fait.
L’article 13, paragraphe 1 de la loi du 18 décembre 2015 prévoit qu’ « Avant que le
ministre ne prenne une décision sur la recevabilité d’une demande de protection
internationale, le demandeur est autorisé à exposer son point de vue concernant l’application
des motifs visés à l’article 28, paragraphe (2) à sa situation particulière. A cette fin, et sans
préjudice de l’entretien individuel prévu à l’article 5 du règlement UE n° 604/2013, un
entretien personnel sur la recevabilité de la demande est mené par un agent du ministre, sauf
l’exception prévue à l’article 32 dans le cas d’une demande ultérieure ».
Or, force est cependant au tribunal de constater que la décision attaquée est basée sur
l’article 28, paragraphe 1 de la loi du 18 décembre 2015, ne traitant pas des décisions
d’irrecevabilité mais des décisions de transfert vers un Etat membre considéré comme
responsable en vertu du règlement Dublin III, de sorte que les prescriptions de l’article 13 de
la loi du 18 décembre 2015, prescrivant un entretien individuel spécifique, en plus de
l’entretien individuel prévu par le règlement Dublin III, au cas où le ministre envisage de
prendre une décision d’irrecevabilité à l’encontre du demandeur de protection internationale,
ne sont pas applicables au cas d’espèce.
Il s’ensuit que le moyen basé sur l’absence d’information, respectivement le défaut
d’avoir tenu un entretien individuel prévu par l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015, est à
rejeter.
Au vu des développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le recours
en annulation est à rejeter.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
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au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président,
Olivier Poos, juge,
Michèle Stoffel, juge,
et lu à l’audience publique du 15 juin 2016 par le premier vice-président en présence
du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken
s. Carlo Schockweiler
Reproduction certifiée conforme à l’original
Luxembourg, le 15/06/2016
Le Greffier du Tribunal administratif
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