accéder au texte - Temple et Parvis

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« Il est plus facile de faire son Devoir que le connaître. »
Il y a bien longtemps, le Maître et l’Inspecteur me confièrent un Travail dont le libellé avait
de quoi surprendre. Voudrais-tu nous expliquer pourquoi, selon toi, « Il est plus facile de
faire son Devoir que le connaître. » ? C’est ainsi que je pris mon bâton de pèlerin russe 1
pour mener cette quête. Celle-ci s’articule en 7 rencontres, chacune avec un Lévite.
Au prix d’une forte transpiration car la pente est raide, je pars donc chez le 1° Lévite et lui
demande : Où se trouve cette formule ? Lors de la cérémonie d’Initiation à ce degré le
Franc Maçon vient de prêter son Serment. Juste après l’avoir créé, institué et reçu le
Président déclare au nouvel Initié : «Vous venez de contracter l’obligation de suivre
imperturbablement la route du Devoir, mais vous devez savoir qu’il est parfois plus facile
de faire son Devoir que le connaître. » Le Devoir est l’objet central du Serment ; cette
formule ressemble à un avertissement, à moins que ce ne soit un conseil.
Je reprends ensuite le chemin au cours duquel les mollets, les genoux et les cuisses
souffrent beaucoup. Arrivé chez le 2° Lévite, je lui déclare que la formule surprend, elle
interpelle. D’instinct, j’aurais dit l’inverse : il est plus facile de connaître son devoir
que le faire. J’en ai de nombreux exemples dans le monde profane comme dans la vie
maçonnique, des plus simples aux plus délicats. Je sais par exemple qu’il est normal d’être
attentionné avec ses proches, équitable et loyal avec ses collègues, courtois sur la route ou
dans la rue, attentif et agissant envers les personnes en difficulté. Il est facile d’identifier
ces devoirs d’homme, plus difficile de les honorer au quotidien. Restons un instant dans le
monde profane et regardons quelques situations d’exception. Marqué depuis ma jeunesse
par la 2° guerre mondiale, bien que ne l’ayant pas vécue, je me suis toujours demandé
comment certains ont pu avoir la force, la volonté, le courage d’affronter délibérément les
méthodes abominables des SS ou de la Gestapo. Comment le religieux franciscain polonais
Maximilien Kolbe, mort à Auschwitz le 14 août 1941 à 47 ans, a-t-il pu proposer aux nazis
de mourir à la place d'un père de famille dans ce camp de concentration ? A vrai dire, ces
exemples me sont venus presque immédiatement à l’esprit quand j’entendis la formule
pour la première fois. Autant d’exemples où il est plus difficile de faire son devoir que le
connaître. Pour revenir à l’Art Royal, est-il plus facile de savoir les choses suivantes ou de
les faire: être assidu aux Tenues, être fraternel avec les Frères, être à la disposition de
l’Atelier, être vigilant, humble ?
Je reprends ensuite le chemin au cours duquel mon cœur s’emballe un peu : la pente est
raide, l’altitude augmente, sans doute. Chez le 3° Lévite, nous changeons de registre: il est
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Allusion à un livre que j’affectionne beaucoup : « Les récits d’un pèlerin russe ». Les pérégrinations du héros ont pour but d’apprendre la « prière de Jésus».
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nécessaire de faire la différence entre les petits devoirs, en minuscules, et le grand
Devoir, en majuscule, si l’on veut y voir clair, comprendre pourquoi, peut-être, « Il est
plus facile de faire son Devoir que le connaître ».
Le Devoir dont il est question ici est très clairement défini lors de l’Initiation, très
clairement défini mais pas pour autant intelligible ou compréhensible facilement. En effet,
le Président indique que « Notre Devoir, c’est la quête de la Parole perdue». Ailleurs, il nous
est indiqué que « la Parole perdue est la connaissance du Devoir complet connu des
anciens Initiés ». Nous savons donc de quoi il s’agit, mais effectivement savoir n’est
pas nécessairement connaître. D’ailleurs, comme régulièrement, le fait de rapprocher
différentes formules visibles en toutes lettres dans nos rituels n’amène pas toujours de la
clarté. Ainsi dans le cas présent, en rapprochant « Notre Devoir, c’est la quête de la Parole
perdue » et « la Parole perdue est la connaissance du Devoir complet connu des anciens
Initiés », puis en substituant un seul mot, nous obtenons « Notre Devoir, c’est la quête de
la connaissance du Devoir complet connu des anciens Initiés » ; en d’autres termes, notre
Devoir, c’est de chercher à connaître le Devoir. Obscur, c’est le moins qu’on puisse dire…
Que ce soit en jouant un peu sur les mots ou que ce soit en restant très sérieux, il est
possible à ce stade d’entrevoir la difficulté de connaître son Devoir.
Difficulté d’autant plus importante que le Volume de la Loi Sacrée nous impose un défi
parmi d’autres. En effet, il y avait « un jardin en Eden, à l’orient 2 », où Adam et Eve
vivaient. « Il y avait l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du
bien et du mal3. » Adam et Eve mangèrent les fruits de ce dernier. « Alors leurs yeux
s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. ». Connaître : vaste programme, en vérité.
Je reprends ensuite le chemin au cours duquel les pieds et la tête se rappellent
douloureusement à mon bon souvenir : en bas, les ampoules apparaissent ; en haut, les
doutes m’assaillent. Etait-ce vraiment le bon chemin ?
Le 4° Lévite m’attend, le 3° ayant eu le temps de lui faire savoir ma perplexité, pour ne
pas dire un léger début de révolte, apparemment. Il me tient le discours suivant: garde
courage. Après tout, est-il nécessaire d’espérer pour entreprendre, ou de réussir pour
persévérer ?
C’est vrai, personne ne t’a fourni de réponse claire, définitive, pour cette question, mais les
indications ne manquent pas. Souviens-toi. « … le Devoir est la grande Loi de la Franc
Maçonnerie , inflexible comme la Fatalité, exigeant comme la Nécessité, impératif comme la
Destinée … ». Et que dire encore des sentences et maximes au cours des 4 voyages que tu
as accomplis. Celles-ci visent à t’éclairer et à te donner la direction à suivre, de l'apparent
désordre extérieur vers l'ordre intérieur. En fait, j'ai le sentiment que chacun des 4
voyages nous fournit des pistes pour mieux appréhender la Vérité et le Devoir. Très
schématiquement, ceux-ci abordent successivement notre autonomie de jugement (ou
capacité critique, conscience), la réceptivité aux autres, la loi universelle, et enfin la
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Les citations de ce paragraphe sont tirées de la Genèse (2, 7-9 ; 3, 1-7).
La connaissance du bien et du mal n’est-elle pas la conscience …
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Justice4. De même, nous avons de multiples indications sur ce que sont les petits
devoirs, lesquels nous préparent au grand Devoir.
Tu as eu aussi des encouragements, notamment : « … la route du Devoir mène sûrement
à la Vérité. » ou encore « Mes Frères, nous vous avons enlevé le bandeau qui obscurcissait
votre vue et nous vous mettons sur la route du Devoir qui conduit à la vraie Lumière. »
J’en déduis qui si le bandeau m’a été enlevé, je ne pars pas de zéro pour chercher à
connaître le Devoir.
Certes, il y a eu aussi des mises en garde, sans aucune ambiguïté ! As-tu remarqué par
exemple : « Malheur à ceux qui acceptent légèrement des devoirs et qui, ensuite, les
négligent. »
Je reprends ensuite le chemin au cours duquel mes souliers donnent quelques signes de
fatigue, meurtris par la rocaille.
Avec le 5° Lévite, je vais droit au but. Ce grand Devoir, il me semble qu’il est tout de
même tracé, montré, et cela dès notre candidature à l’entrée en Franc Maçonnerie
où nous prenons connaissance de la Déclaration de Principes. Celle-ci nous indique entre
autres qu’elle travaille sans relâche au bonheur de l’humanité. L’Apprenti n’est pas en
reste : « Fais aux autres tout le Bien qu’ils pourraient te faire à toi-même ». Et le
Compagnon alors ? « Le travail est la grande vocation de l’homme, il lui est enseigné
comme un devoir impératif …/… nous, les initiés, nous devons travailler …/… en artistes
pour qui seule l’œuvre compte et n’est pas nécessairement subordonnée à une
récompense. » Le Maître apprend quant à lui de la bouche même d’Hiram : « Plutôt la mort
que de violer le Secret qui m’a été confié » amenant le Vénérable à déclarer « Ainsi périt
l’homme juste, fidèle au Devoir jusqu’à la mort ! ». Quant au Franc Maçon prenant la suite
d’Hiram avec Adonhiram et 5 autres Lévites, son Devoir ne consiste-t-il pas à poursuivre la
construction du Temple ? Poursuivre la construction du Temple à la suite d’Hiram : ce
symbole est pour moi le plus marquant de ce degré pour méditer sur le Devoir.
J’ai l’intuition qu’effectivement le grand Devoir est tracé, mais il ne peut l’être que
d’une façon générale, collective, sans apporter de réponse individuelle à chacun des
Frères. Et cette réponse individuelle, en vérité, peut s’avérer difficile, très difficile à
connaître. Regarde-toi, bien en face, n’évite pas la réalité des choses, ne t’évite pas, ne
fuis pas, ouvre les yeux. Quel est ton Devoir ici ? Pourquoi es-tu là ? Bien loin des
situations dramatiques ou d’exception, quel est mon Devoir, celui qui correspond à ce que
je suis ?
Ne faut-il pas se connaître véritablement soi-même pour connaître son Devoir ?
Regarde dans le miroir, regarde ton ami, qui n’est peut-être pas très loin de ton ennemi.
Ton ami est là pour répondre à cette question, pour t’aider à connaître ce Devoir, celui qui
est le tien.
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Ailleurs, nous avons : « Les nobles pensées viennent du cœur et l’accomplissement du Devoir exige souvent un sacrifice. »
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Avec toutes ces questions, je reprends toujours et encore ce chemin au cours duquel le
froid me saisit. Normal, dans ces régions de haute montagne …
J’arrive donc chez le 6° et avant-dernier Lévite et lui demande : à supposer qu’il soit très
difficile de connaître son Devoir, pourquoi serait-il ensuite plus facile de le faire ? Le Lévite
me redonne force et vigueur. Peut-être le zèle que tu auras déployé pour connaître ce
Devoir te donnera-t-il la force que tu n’as pas encore ou que tu ne penses pas avoir pour
remplir ce même Devoir …
Si l’on admet que ce soit plus facile, j’ai alors tendance à penser qu’il y a là une sorte de
message d’espoir, d’encouragement, un peu comme « Connais-toi toi-même, et tu
connaîtras l’univers et les dieux ». Les messages d’espoir adressés au Maçon sont donc
nombreux.
Je repars de plus belle sur le chemin au cours duquel je pense arriver au terme de ce
voyage. Je ne sens plus mes pieds ni mon dos. Je me demande si ma tête est encore sur
mes épaules ou si elle n’est pas ailleurs… Le dernier Lévite se montre patient et
compréhensif. Il esquisse un léger sourire en écoutant.
En fait, le Devoir, en ce moment, en ce lieu, compte tenu des épreuves, fatigues,
méditations et expériences récentes, ce grand Devoir, je le sens comme un abandon
de moi-même. S’abandonner pour les proches, les Frères, les collègues de travail, n’en
sacrifier aucun au profit des autres, mais n’en sacrifier aucun au profit de mes lassitudes,
de mes craintes, de mes orgueils, de mes réflexes superficiels, de mes décisions
instinctives. Abandon qui peut-être une interprétation pour le terme « sacrifice », comme
dans la formule « l’idéal de la Franc Maçonnerie est l’accomplissement du Devoir porté
jusqu’au sacrifice ». Abandon au quotidien, et pas forcément sacrifice dans des situations
d’exception5.
Aujourd’hui lundi 14 mars, en attendant de douter de nouveau, il me semble que oui, il est
aussi difficile de connaître son Devoir que de se connaître soi-même, mais que la clef
pourrait être dans l’abandon.
Devoir. Sceau du Secret et connaître son Devoir. Se taire et agir, faire son Devoir. Une
dernière remarque en complément de cette réponse personnelle. Le Volume de la Loi
D’ailleurs, on retrouve cette notion dans la formule « Conformons-nous, en toute circonstance, au Bien, sans complaisance pour nos préjugés et nos
intérêts ».
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sacrée6
nous donne quelques pistes. Ainsi, Moïse disait au peuple d’Israël : « Les
commandements que je vous donne, mettez-les dans votre cœur, dans votre âme.
Attachez-les à votre poignet comme un signe, fixez-les comme une marque sur votre front.
Aujourd’hui, je vous donne le choix entre la bénédiction et la malédiction. …/… Veillez à
mettre en pratique les décrets et les commandements que je vous donne aujourd’hui. » Le
terme « Commandement » me fait penser à une forme de devoir ; le terme « dans votre
cœur » me fait penser à la formule « le Saint des Saints est en nous-mêmes »; le terme
« marque sur votre front » me fait penser à l’Equerre d’argent7; le terme « liberté de
choix » me fait penser à cette difficulté à connaître son Devoir; le terme « mettre en
pratique » me fait penser à « ne vous payez pas de mots »8.
Post-Scriptum : Certains Frères pourront se demander s’il fallait rencontrer 6 ou 7 Lévites
puisque le Maçon (en l’occurrence) est l’un d’eux ? Ce à quoi nous répondrons que le que le
Maître a peut-être parlé avec lui-même … au moins une fois …
J’ai dit.
Pascal :.
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Deutéronome 11, 18 à 32
Voir aussi à Jérusalem, ou dans le Sentier à Paris, les phylactères ou tefilines sur le front (4 petits rouleaux à l’intérieur, 2 avec des extraits de l’Exode, 2 avec
des extraits du Deutéronome) ; voir aussi « le peuple juif, notre frère aîné dans la Foi » comme entendu le 6 mars.
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Et encore: Paul a écrit quelques lettres aux Romains, que l’on trouve aussi dans le VLS (1° lettre aux Romains, 3, 21-28), dont cette phrase : « nous estimons
que l’homme devient juste par la foi, indépendamment des actes prescrits par la Loi de Moïse. » Justice, Foi, Devoir. 3 Idées proposées au MS. Et ne seraientelles pas agencées selon une logique similaire par Paul et le Rituel ? Et enfin: cette fois, c’est Mathieu que nous convoquons : « Tout homme qui écoute ce que
je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la
tempête a soufflé et s’est abattue sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc. » Connaître son Devoir, le faire, parler, se
taire. Les résonances sont intéressantes.
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