Didier MIGAUD - Gestion et Finances Publiques

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Didier MIGAUD - Gestion et Finances Publiques
articles d’ouverture
La germination
de la loi organique
relative aux lois de finances
Didier MIGAUD
La « germination » de la loi organique relative aux lois de
finances a été rendue possible grâce à une vraie « conjonction
astrale », selon le mot de Pierre Joxe.
Le fait qu’un certain nombre de responsables politiques occupent au même moment des fonctions clés et sachent se retrouver
dans un esprit républicain pour œuvrer ensemble dans un esprit
de consensus et de responsabilité a été essentiel.
Didier MIGAUD
Durant ce court laps de temps, il était possible de faire aboutir
une telle réforme, à condition de travailler rapidement : la réforme
a été faite, sur un plan législatif, en à peine un an entre le dépôt
de la proposition de loi et sa promulgation.
Député de l’Isère de la 4e circonscription
depuis 1988 (réélu en 2002)
Questeur à l’Assemblée nationale
[depuis le 26 juin 2002]
Président de Grenoble-Alpes-Métropole
(communauté de communes
de l’agglomération grenobloise)
depuis 1995 (réélu en 2001)
Maire de Seyssins (Isère - Commune de 6 850 habitants)
[depuis 1995 (réélu en 2001)]
Membre de la Commission des finances
de l’Assemblée nationale
Rapporteur général de la Commission des finances
de l’Assemblée nationale de 1997 à 2002
Cette réforme a pu compter sur la volonté de Laurent Fabius,
d’abord comme président de l’Assemblée nationale puis, ce qui a
été déterminant, comme ministre de l’Economie, des Finances et
de l’Industrie.
Cette réforme a également bénéficié du soutien constant de
Pierre Joxe, comme Premier président de la Cour des comptes,
puis comme membre du Conseil constitutionnel lorsque ce dernier a été appelé à se prononcer sur la constitutionnalité de ce
texte organique.
Que le rapporteur de ce texte devant le Conseil constitutionnel
fût Michel Ameller, qui a gravi tous les échelons de l’Assemblée
nationale et sait donc que l’on peut aussi faire confiance au législateur, a également incontestablement joué un rôle positif.
Dès 1998, convaincu que la réhabilitation de l’action publique
passe par une meilleure efficacité, M. Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée nationale, a pris l’initiative de constituer
autour de lui un groupe de travail sur l’efficacité de la dépense
publique et le contrôle parlementaire. Peu nombreux étaient ceux
qui auraient pris le pari que ces travaux pourraient déboucher sur
une révision de l’ordonnance nº 59-2 du 2 janvier 1959 portant
loi organique relative aux lois de finances, après 35 tentatives
infructueuses.
L’affaire de la « cagnotte » – terme impropre pour qualifier alors
l’existence, soulevée le 14 juillet 1999 par le président de la République, de plus-values de recettes fiscales liées à une croissance
plus forte dans un contexte de déficit des comptes publics,
l’absence de réponse immédiate de la part de Bercy à ce sujet et
le sentiment d’opacité ont également joué favorablement.
Ainsi Lionel Jospin a eu l’occasion à l’automne 1999 d’exprimer sur TF1, interrogé par M. Poivre d’Arvor en ouverture du
« 20 heures », son accord avec la proposition de loi que j’avais
déposée. Puis, plus tard, le président de la République, à l’occasion
d’une cérémonie de vœux au début de l’année 2000, s’est également exprimé publiquement en faveur de cette réforme. La
réforme se présentait bien.
Certes, le groupe de travail a pu établir un constat unanime,
affirmant la nécessité de « dépenser mieux » pour faire en sorte
que le citoyen contribuable « en ait pour son argent » tout en
étant moins prélevé. Mais, au-delà de cette affirmation de principe, il était nécessaire de définir des axes opérationnels.
Le premier axe consistait à placer l’évaluation et le contrôle au
cœur de l’activité budgétaire du Parlement.
Le fait encore qu’elle soit d’initiative parlementaire, une première dans l’histoire budgétaire de la France selon le professeur
Michel Bouvier, a sans doute fortement contribué à ce que la
réforme ne devienne pas l’otage de tactiques politiciennes, que
la cohabitation qui régnait, alors, pouvait parfois exacerber.
Le second axe visait à donner l’impulsion nécessaire à des transformations profondes dans le fonctionnement de l’Etat : l’autorisation parlementaire, mieux éclairée, mieux respectée et assortie
d’un contrôle plus efficace, devait ainsi offrir au gestionnaire une
plus grande souplesse lui permettant de rechercher l’allocation
optimale des ressources dont il dispose.
Enfin, au risque de paraître immodeste, le fait qu’Alain Lambert
et moi-même ayons l’un et l’autre accepté de travailler dans un
état d’esprit de consensus, d’ouverture d’esprit et d’abnégation,
sans fierté d’auteur ni volonté de tirer la couverture à soi, a permis
d’avancer et d’obtenir un très large consensus dans nos assemblées
respectives. Notre entente était un gage nécessaire de réussite,
pour porter une réforme guidée par l’intérêt général et neutraliser
les obstacles politiques qui pouvaient survenir. Ainsi, avant même
que le Conseil d’Etat ne considère que « la loi organique relative
aux lois de finances dans son ensemble doit être regardée comme
relative au Sénat » et donc suppose, en application de l’article 46
de la Constitution, une adoption dans les mêmes termes par les
deux assemblées, nous avions estimé que, politiquement, le
consensus entre les deux assemblées était indispensable.
A la suite de la publication du rapport du groupe de travail, au
printemps 1999, l’Assemblée nationale m’a confié une réflexion
sur la manière de décliner ces principes. Les conditions du succès
imposaient de se placer délibérément dans le cadre de la Constitution de 1958, mais devaient permettre de rompre avec le
dogme de l’intangibilité de notre « constitution financière », matérialisée par l’ordonnance de 1959 dont la plupart des experts
s’accordent à considérer qu’elle était allée au-delà de l’objectif de
rationalisation du travail parlementaire voulu par la Constitution.
De son côté, Alain Lambert se voyait confier par la Commission
des finances du Sénat une mission d’information en vue de travailler à la préparation d’une réforme de l’ordonnance nº 59-2 du
2 janvier 1959. Cette mission débouchait sur un rapport d’information déposé en octobre 2000, après que la décision ait été prise
de s’inscrire dans la démarche engagée à l’Assemblée nationale,
qui, on le sait, est prépondérante en matière de loi de finances.
Forts de cette entente, animés par une détermination obstinée
et une capacité à travailler ensemble, soutenus par un petit
groupe de collaborateurs tout entiers voués à ce projet, nous
voulions aboutir.
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La proposition de loi organique (nº 2540) relative aux lois de
finances, que j’ai eu l’honneur de déposer le 11 juillet 2000, se
fixait deux objectifs indissociables : l’amélioration de l’efficacité
de la dépense publique d’une part en introduisant la logique
d’objectifs et de résultats au cœur de l’action publique ainsi qu’en
responsabilisant le gestionnaire public, le renforcement des
prérogatives budgétaires du Parlement en matière de contrôle
budgétaire et d’évaluation d’autre part.
se justifie facilement. C’est en effet le Parlement qui, en fixant un
plafond du nombre d’emplois publics et un plafond de dépenses
de personnel, décide de la création des emplois publics. Il serait
donc contraire à nos principes démocratiques qu’un gestionnaire
puisse, de son propre chef, passer outre l’autorisation parlementaire. En revanche, si des marges de manœuvres apparaissent au
sein des dépenses de personnel, elles peuvent être recyclées en
dépenses de personnel, ce qui permet une véritable gestion des
ressources humaines. Elles peuvent également l’être en dépenses
de fonctionnement ou d’investissement, afin d’améliorer les
conditions de travail ou de service rendu. C’est ce que nous avons
appelé la « fongibilité asymétrique ».
La LOLF doit permettre d’améliorer
l’efficacité de l’action publique
e f f i c a c i t é
La LOLF peut aboutir à renforcer
la légitimité de l’action publique
L’introduction de la logique
d’objectifs et de résultats
dans la dépense budgétaire
A l’époque de l’affaire de la « cagnotte », le sentiment que
l’argent public est prélevé sans nécessité, dans des proportions
trop importantes et pour une utilité très faible a atteint un
sommet. L’équivalence était et demeure trop souvent faite, de
façon caricaturale et injuste, entre dépense publique et inefficacité, voire gabegie. Je suis de ceux qui pensent que le service
public peut aussi et doit rimer avec efficacité. Le secteur privé n’a
pas le monopole de l’efficacité.
Le principe de base de la nouvelle constitution financière est
simple : la nécessité de la dépense doit être examinée au premier
euro, au regard de politiques publiques auxquelles on assigne des
objectifs précis, définis dans un projet annuel de performance
et mesurés ex post à l’aide d’indicateurs dans des rapports
annuels de performance. C’est la fin des services votés – les crédits
reconduits d’un exercice à l’autre sans examen – représentant
jusqu’à 96 % du montant du budget général !
Si l’on croit à la légitimité de l’action publique, à la nécessité
de l’Etat et des politiques publiques qu’il met en œuvre, on se
doit d’être attaché à l’efficacité de la dépense publique. Seule
cette efficacité, qui ne se réduit pas à la simple rentabilité économique mais intègre également la notion d’utilité sociale, permet
d’asseoir durablement la légitimité de l’action publique, et donc
des impôts et prélèvements qui servent à la financer.
L’utilisation des moyens affectés à une politique publique doit
désormais être examinée à l’aune de leur efficacité, c’est-à-dire
de la capacité du gestionnaire à atteindre les objectifs fixés. Ce
faisant, le centre de gravité du débat parlementaire budgétaire
devrait logiquement se déplacer vers l’examen des lois de règlement, qui seront l’occasion d’examiner, avant l’examen du projet
de loi de finances de n + 1, les rapports annuels de performance
des ministères pour l’année n – 1. Dès cette année, l’examen du
projet de loi de règlement en juin se déroulera sur deux jours,
signe de la densification du contenu de ce projet de loi. Il faudra
bien sûr aller beaucoup plus loin en 2007.
A cette condition, le consentement à l’impôt, qui est l’un des
piliers de la démocratie et de la cohésion nationale, pourra être
renforcé.
La LOLF renforce
les prérogatives budgétaires
du Parlement
L’examen du projet de loi de règlement doit à terme devenir
le moment démocratique où chaque ministre viendra rendre
compte devant le Parlement des résultats de sa politique et où
les responsables de programme répondront de leur gestion.
prérogatives
De ce point de vue, il faut signaler que la loi organique relative
aux lois de finances, formellement entrée intégralement en
vigueur pour l’examen du projet de loi de finances pour 2006,
n’entrera totalement en vigueur qu’en 2007, lorsque nous examinerons, avant le projet de loi de finances pour 2008, la loi de
règlement pour 2006.
Le corollaire de l’autonomie du gestionnaire est sa responsabilisation accrue. Cela passe notamment par un renforcement des
prérogatives budgétaires du Parlement, avec une plus grande
transparence, une meilleure lisibilité de nos comptes et des politiques publiques faisant l’objet d’une évaluation et d’un contrôle
renforcé.
Une fois l’autorisation parlementaire de dépenser donnée au
gestionnaire qui s’est engagé sur des objectifs mesurables, celui-ci
doit disposer d’une grande autonomie de gestion, à la différence
des règles très contraignantes fixées par l’ordonnance organique
de 1959.
Le premier changement doit intervenir dès l’autorisation parlementaire, puisque celle-ci n’est désormais donnée qu’en
contrepartie d’un engagement précis du gestionnaire. Celui-ci ne
peut plus se contenter de solliciter une enveloppe de crédits. Il
doit justifier du bien-fondé de ses demandes par le biais de son
projet annuel de performances.
Le gestionnaire dispose en effet d’une enveloppe globale, non
compartimentée entre chapitres et articles, au sein de laquelle il
pourra exercer son pouvoir de gestionnaire pour affecter ses crédits à tel ou tel type de dépense. La marge de manœuvre du
gestionnaire au sein d’un programme est très importante, mais
limitée toutefois par le respect de la règle de la fongibilité asymétrique.
Ces engagements sont d’autant plus contraignants qu’ils doivent être analysés à l’aune des résultats passés, examinés préalablement au projet de loi de finances dans le cadre du projet de
loi de règlement.
Désormais, le gestionnaire des crédits peut mettre en œuvre
une véritable gestion des ressources humaines là où auparavant
le cloisonnement budgétaire était total. Il peut également recycler
des crédits non consommés (de fonctionnement ou de personnel) pour les affecter à d’autres dépenses. Ceci était formellement interdit sous l’empire de l’ordonnance organique de 1959,
ce qui conduisait le gestionnaire public à des comportements
aberrants en fin de gestion (comme des véhicules militaires tournant au ralenti dans les casernes pour consommer les stocks de
carburant et voir ainsi la dotation renouvelée l’année suivante).
Ensuite, c’est tout au long de l’exécution que les prérogatives
parlementaires de contrôle et de suivi de l’exécution sont renforcées ou créées. C’est le cas des dispositions relatives aux décisions
réglementaires ayant pour effet de rendre indisponibles des crédits. Enfin, les pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place sont
étendus.
Je suis toutefois conscient qu’au-delà des questions de
moyens, le contrôle est d’abord une question de volonté. Le
contrôle parlementaire, en dépit des pouvoirs dont il dispose,
n’est pas encore totalement entré dans les mentalités, tant au
niveau du contrôleur que du contrôlé ! La culture de l’évaluation
La seule limitation à cette autonomie de gestion – les dépenses
de personnel ne peuvent pas être majorées par le gestionnaire –
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et du contrôle nous a été trop longtemps étrangère, même s’il
faut reconnaître au Sénat une pratique plus dynamique en la
matière que celle de l’Assemblée nationale, probablement plus
contrainte par le fait majoritaire. Il est en tout cas nécessaire que
cette culture de contrôle s’impose davantage et devienne une
pratique régulière chez les parlementaires.
Cette avancée, dans laquelle certains ont vu « le véritable cœur
de la loi organique », s’inscrit néanmoins pleinement dans le cadre
de l’article 40 de notre Constitution, qui a voulu rationaliser le
régime parlementaire, même si elle offre indéniablement « une
faculté nouvelle » au législateur, selon les termes de la décision
du Conseil constitutionnel (décision du 25 juillet 2001).
S’il est exact qu’un simple regard sur les moyens de la Chambre
des Communes anglaise ou du Congrès américain suffit pour
constater que notre Parlement ne dispose pas de moyens à la
hauteur de la tâche qui lui est confiée, l’absence de moyens est
une excuse trop commode pour se dispenser de sa mission de
contrôle.
L’incidence de la LOLF
sur la comptabilité de l’Etat
i n c i d e n c e
L’action de contrôle au sein de l’Assemblée nationale a beaucoup progressé durant la dernière législature. La volonté de
contrôler s’y est exprimée fortement. Elle s’est traduite notamment par la création de la mission d’évaluation et de contrôle
(la MEC). Mais également par l’instauration d’un contrôle sur
pièces et sur place annuel portant sur l’exécution de la loi de
finances. En réalisant début 1999 un tel contrôle, je n’avais pas
pleinement conscience qu’il s’agissait du premier contrôle parlementaire de ce type mené par un rapporteur général sous la
Ve République ! Ces progrès ont été réalisés sans que des moyens
humains et financiers supplémentaires aient été mobilisés.
Alors que l’ordonnance organique de 1959 négligeait la dimension comptable, celle-ci est centrale dans la loi organique relative
aux lois de finances, au point qu’un chapitre entier du titre II de
la loi est consacré aux comptes de l’Etat.
La première innovation est l’introduction du principe de sincérité des comptes, auquel le Conseil constitutionnel doit donner
toute sa force dans sa jurisprudence.
La deuxième innovation majeure, qui jette les bases de la nouvelle organisation comptable de l’Etat, consiste en l’introduction
d’une logique double distinguant le budget de la comptabilité.
Pour l’enregistrement de l’exécution budgétaire, la logique de
« caisse », liée à l’annualité budgétaire, est maintenue. Mais une
logique en droits constatés est introduite pour la tenue de la
comptabilité générale.
Toutefois, le vote d’une loi, d’une réforme ne suffit pas à
changer les choses. Il faut donc veiller à son application et permettre aussi les changements de mentalité et de logique impliqués par cette réforme. Les parlementaires doivent notamment
refuser de céder à la logique de la soumission et de la démission,
qu’implique trop souvent le fait majoritaire et le parlementarisme
rationalisé. L’opposition doit pouvoir être associée dans cette responsabilité du contrôle et de l’évaluation.
L’introduction de cette nouvelle logique amène à renforcer le
contenu et à améliorer la qualité du document comptable fourni
par l’Etat, qui doit, autre innovation majeure, désormais faire
l’objet d’une certification par la Cour des comptes. Celle-ci se
montrera sûrement vigilante et exigeante sur la question de la
sincérité nécessaire des comptes.
La réforme de l’ordonnance organique relative aux lois de
finances s’est résolument inscrite dans le cadre constitutionnel
de la Ve République. Certains dont moi-même ont pu le regretter,
mais c’était la condition sine qua non du succès. Cela n’a pas
empêché de mener une vraie réforme qui doit pouvoir contribuer
à un meilleur équilibre entre l’exécutif et le législatif. Celui posé
par l’ordonnance organique allait au-delà de ce qu’avaient voulu
les constituants de 1958, au détriment du Parlement.
Ces innovations se traduisent par un système comptable à trois
composantes, précisées à l’article 27 de la LOLF.
La comptabilité générale, pivot du système, fonctionne sur le
principe des droits constatés. Elle permet d’apprécier la situation
patrimoniale de l’Etat. La comptabilité budgétaire, fidèle à une
logique de caisse, permet de retracer l’exécution de l’exercice
budgétaire annuel, étant entendu que la LOLF a limité la période
complémentaire.
Le nouveau texte organique contient donc des dispositions qui
sont de nature à rééquilibrer les pouvoirs et à renforcer les prérogatives budgétaires du Parlement, tant au niveau de l’autorisation parlementaire que du suivi de l’exécution et du contrôle des
résultats de la gestion.
L’autorisation parlementaire est en effet profondément
rénovée, tant par l’introduction de la logique d’objectifs et de
résultats qui légitime la dépense, que par l’application des nouvelles règles relatives à la recevabilité financière des amendements.
Enfin, la comptabilité de gestion, ou analytique, permet d’analyser les coûts des différentes actions inscrites au sein d’un programme.
En vertu de l’article 47 de la nouvelle constitution budgétaire,
le Parlement peut en effet, dans le cadre de l’examen des projets
de loi de finances, prendre l’initiative de proposer une augmentation de crédits au sein d’un programme, voire même la création
d’un programme.
Un bilan provisoire a permis
de dresser un premier constat
globalement positif
c o n s t a t
C’est-à-dire qu’il peut modifier la nomenclature budgétaire et
majorer des crédits sans que l’article 40 de la Constitution ne
puisse être opposé à cette initiative, dès lors qu’une réduction
des crédits, du même montant, est simultanément proposée.
Le Premier ministre a confié à Alain Lambert et moi-même une
mission parlementaire menée entre mars et septembre 2005 afin
d’accompagner la mise en œuvre de la loi organique relative aux
lois de finances dans la dernière ligne droite et de veiller également au maintien de l’esprit républicain et consensuel qui a prévalu depuis le début.
L’article 42 de l’ordonnance organique relative aux lois de
finances avait fait une interprétation très – trop – restrictive de
l’article 40 de la Constitution, en interdisant tout amendement
d’origine parlementaire ayant pour effet de majorer une charge
publique, l’emploi du singulier justifiant l’impossibilité de gager
une majoration de charge par une diminution à due concurrence.
Les constats que nous avons pu faire durant cette première
mission sont globalement positifs, ce qui n’allait pas toujours de
soi compte tenu de l’ampleur de la réforme.
Avec la nouvelle loi organique, un parlementaire peut désormais prendre l’initiative de majorer les crédits d’un programme,
à partir du moment où le plafond de dépense de la mission n’est
pas dépassé. C’est-à-dire que toute majoration d’un programme
doit être compensée par la diminution des crédits d’un autre
programme au sein de la même mission.
Le climat qui entoure la mise en œuvre de la LOLF est favorable,
malgré l’ampleur des changements et de la charge de travail qu’ils
induisent et malgré les difficultés du contexte budgétaire. Les
attentes sont fortes vis-à-vis d’une réforme perçue comme
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A l’inverse, une conséquence positive de la loi organique relative aux lois de finances pour l’efficacité de la dépense publique
est que la nouvelle contrainte pesant sur les frais de justice a incité
les gestionnaires à négocier à la baisse le tarif des écoutes téléphoniques, qui figurent parmi les principaux postes de dépense
des frais de justice.
moteur de la modernisation de l’action publique : la LOLF est
presque partout l’occasion de réfléchir à la nature des missions
exercées et à une meilleure organisation.
Les services déconcentrés et, en premier lieu les services expérimentateurs de la LOLF, sont entrés avec conviction dans la
logique de la LOLF, dans laquelle ils voient un moyen de redonner
du sens à l’action publique et d’acquérir plus d’autonomie de
gestion.
Il est donc essentiel que la dotation initiale soit calibrée avec
sincérité si l’on ne veut pas que le travail de conviction et d’explication inhérent à la modification imposée par la loi organique
relative aux lois de finances soit ruiné par l’insincérité budgétaire.
Les organisations syndicales ont également une approche globalement positive de la réforme, dont elles ne contestent pas les
finalités. Au-delà de la question des moyens budgétaires, leur
principal sujet d’inquiétude est la gestion des ressources
humaines (GRH) : elles craignent une mise en cause du statut
général de la Fonction publique, certaines allant jusqu’à accuser
la loi organique relative aux lois de finances d’être une « machine
à détruire des emplois ». Plusieurs organisations encouragent une
réforme de la GRH qui renforcerait l’approche « métiers ».
Du côté du Parlement, et en ce qui concerne l’Assemblée
nationale, de nombreux députés ont fait preuve d’une curiosité
renouvelée pour l’examen des crédits lors de la seconde partie.
Ceux qui se sont plongés dans les nouveaux bleus budgétaires
ont pu apprécier leur plus grande accessibilité, leur meilleure lisibilité. Ils ont également appris à se saisir des nouvelles possibilités
d’amendement et à analyser les indicateurs de performance associés à chaque action.
Les expérimentations locales ont été riches d’enseignements
et ont permis d’illustrer les bénéfices d’un rapprochement entre
les décisions d’allocation des moyens et les décisions opérationnelles : un dialogue de gestion plus nourri avec l’Administration
centrale, des évolutions de l’organisation et des méthodes de
travail, l’expérience d’une autonomie de gestion qui permet
d’optimiser la dépense et une prise de conscience accrue des
contraintes budgétaires.
Néanmoins, nombreux sont encore ceux qui ont été rebutés
par l’existence d’un grand nombre d’indicateurs abscons ou non
renseignés.
Certains ont également été désagréablement surpris de
découvrir que la possibilité d’amender les crédits – et surtout de
les majorer – était assortie de conditions relativement strictes qui
pouvaient les brider dans leurs initiatives, ou du moins les obligeaient à faire preuve de mesure et de responsabilité dans la
rédaction des amendements.
Néanmoins, la réforme des procédures budgétaires n’a pas
encore permis de sortir du « jeu de rôle » qui entretient la méfiance
entre les acteurs.
Le déroulement de la nouvelle procédure est apparu encore
très décevant : plusieurs ministères ont critiqué l’absence d’évolution réelle des méthodes de la Direction du Budget ; celle-ci a
relevé le caractère peu réaliste des demandes présentées par les
ministères et a constaté que leur agrégation aboutissait à un
dépassement très fort de la norme d’évolution des dépenses,
fixée en début d’année.
L’exercice de la responsabilité n’est facile pour personne...
Néanmoins, le nombre d’amendements de deuxième partie a
doublé en 2006 (723 déposés contre 321 en 2005). Le nombre
d’amendements déposés par le PS, principal groupe d’opposition,
a lui quadruplé !
Au Sénat, on constate une augmentation équivalente. De plus,
50 % des 88 amendements relatifs aux crédits ont été adoptés.
Notre mission a relevé que, au-delà des facteurs conjoncturels
expliquant que la nouvelle procédure n’ait pas répondu à toutes
les attentes, des facteurs plus structurels sont en cause : la norme
de dépense, fixée globalement pour le budget de l’Etat, a été
déclinée avec une précision insuffisante ; les décisions budgétaires
gouvernementales, particulièrement en matière de régulation
budgétaire, ont été adoptées dans le cadre d’une collégialité
encore limitée ; des incompréhensions ont été constatées sur la
prise en compte de la performance pour la détermination du
niveau des crédits ; « l’opération vérité » jugée parfois nécessaire
en matière de budgétisation n’a pas eu lieu.
Pour conclure, je tiens à souligner qu’une réforme de cette
ampleur demande du temps pour rentrer pleinement dans les
mentalités et que la loi organique relative aux lois de finances est
un outil neutre, qui doit le rester.
Trop de ministres, trop de gestionnaires ont en effet tenté de
justifier l’évolution négative de leurs crédits par l’entrée en
vigueur de la LOLF.
En soi, la loi organique relative aux lois de finances est un outil
pour une plus grande lisibilité de l’action publique et une meilleure
efficacité de la dépense. Elle n’a donc aucun impact a priori sur
son niveau ou sur le périmètre de l’Etat.
Au niveau des ministères, et particulièrement au niveau déconcentré, il ne faut pas se cacher que la mise en œuvre de la loi
organique relative aux lois de finances est parfois plus que troublée par un contexte budgétaire préoccupant.
S’il est essentiel que l’ensemble de l’exécutif s’approprie cette
réforme, celle-ci ne doit pas devenir un outil de communication
politique destiné à justifier des choix budgétaires qui relèvent de
décisions politiques.
Dans un contexte de pénurie de crédits, la confiance entre
Bercy et les ministères d’une part et entre le niveau concentré et
le niveau déconcentré d’un ministère d’autre part peut avoir du
mal à s’instaurer. Le mouvement de délégation globale des crédits
est trop souvent, semble-t-il, entravé par la crainte des gestionnaires de devoir subir une nouvelle régulation.
La loi organique relative aux lois de finances n’est donc pas un
vecteur de réduction de la dépense publique, pas plus d’ailleurs
que d’augmentation de la dépense publique. Mais cet outil doit
servir à redonner à la décision politique toute sa lisibilité et sa
légitimité. L’esprit de responsabilité et la souplesse qu’elle instaure
doivent également se retrouver dans l’application de la loi organique sur le terrain. Le risque d’une application bureaucratique
existe. Il convient à ce sujet d’être vigilant et que l’esprit de la
réforme soit respecté.
Cette situation est aggravée par les atteintes à la sincérité
contenues dans la loi de finances initiale, qui prennent souvent la
forme d’une sous-évaluation manifeste des crédits, dénoncée
avec force et constance par la Cour des comptes.
Ceci est particulièrement vrai pour les « frais de justice », dont
le nouveau traitement budgétaire en « mode LOLF » impose qu’ils
soient déterminés de façon précise et limitative alors qu’ils
n’étaient qu’évalués en loi de finances auparavant. Or, en 2004, la
sous-évaluation dépassait 70 millions d’euros, soit 21 % de la dotation initiale ! Cette nouvelle contrainte rend insupportable toute
sous-évaluation, mais ne doit pas pour autant jeter le discrédit sur
la loi organique relative aux lois de finances, qui ne fait en l’occurrence que révéler une insincérité budgétaire qui n’est plus de
mise.
S’agissant de la Fonction publique et des inquiétudes qui peuvent exister sur le statut des fonctionnaires, il est important de
souligner que la LOLF n’exige aucune modification du statut de la
Fonction publique. Au contraire, ce statut est parfaitement compatible avec la loi organique relative aux lois de finances. Il offre
même des possibilités d’amélioration de la gestion des ressources
humaines et des progrès dans le dialogue social que des expérimentations ont permis de faire émerger.
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86e année - nº 7 - juillet 2006
articles d’ouverture
Eléments chronologiques
sur la loi organique relative aux lois de finances
. Octobre 1998 : l’Assemblée nationale, à l’initiative de son président, M. Laurent Fabius, constitue un groupe de travail sur « l’efficacité de
la dépense publique et le contrôle parlementaire ».
. Janvier 1999 : remise par Didier Migaud, rapporteur général de la Commission des finances, du rapport sur « l’efficacité de la dépense
publique et le contrôle parlementaire » intitulé « Contrôler réellement pour dépenser mieux et prélever moins », qui propose une série
de mesures nécessitant, le plus souvent, une modification de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959.
. 11 juillet 2000 : dépôt par Didier Migaud de la proposition de loi organique (nº 2540) relative aux lois de finances.
. Octobre 2000 : publication au Sénat du rapport d’information d’Alain Lambert, proposant des orientations pour la révision de l’ordonnance
organique du 2 janvier 1959.
. Octobre 2000 : mise en place à l’Assemblée nationale de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi organique,
présidée par Raymond Forni, président de l’Assemblée nationale et dont Didier Migaud est le rapporteur.
. Décembre 2000 : avis favorable du Conseil d’Etat, saisi par le Gouvernement sur les conditions d’une modification de l’ordonnance
organique du 2 janvier 1959.
. 6 février 2001 : interview commune d’Alain Lambert et Didier Migaud dans Les Echos, titrée : « Malheur à qui ferait échouer la réforme
du Budget ».
. 7 et 8 février 2001 : examen et adoption de la LOLF en première lecture à l’Assemblée nationale.
. 7, 12 et 13 juin 2001 : examen et adoption de la LOLF en première lecture au Sénat.
. 21 juin 2001 : examen et adoption en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
. 28 juin 2001 : adoption définitive au Sénat de la loi organique relative aux lois de finances, sous le regard de Didier Migaud dans les
tribunes de l’hémicycle, suivie d’un cocktail réunissant les « premiers amis » de la LOLF.
. 25 juillet 2001 : décision du Conseil constitutionnel validant la quasi-totalité des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances
du 1er août 2001. Décision précédée d’une démarche inédite des deux rapporteurs du texte, Alain Lambert et Didier Migaud, qui sont
allés, en juillet 2001, présenter le texte adopté au rapporteur devant le Conseil constitutionnel.
. 10 octobre 2001 : séminaire interministériel sur la loi organique et entrée en vigueur, dans le PLF pour 2002, des 19 articles de la loi
organique applicables au 1er janvier 2002 (essentiellement les dispositions relatives aux annulations de crédits, au principe de sincérité, à
l’affectation à des tiers de recettes de l’Etat et celles du titre V, relatives à l’information et au contrôle sur les finances publiques).
. Novembre 2001 : publication du numéro spécial (nº 76) de la Revue française de finances publiques sur la loi organique relative aux lois
de finances.
. Janvier 2002 : 1re réunion du comité de pilotage interministériel de mise en œuvre de la loi organique.
. Octobre 2002 : installation du Comité interministériel d’audit des programmes (CIAP).
. Janvier 2003 : note d’étape sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances et création de la MILO (mission d’information
sur la mise en place de la loi organique) à l’Assemblée nationale, comprenant MM. Bouvard, Brard, de Courson et Migaud.
. Mise en place de la Direction de la Réforme budgétaire au sein du Minéfi.
. Mars 2003 : communication en Conseil des ministres sur le chantier de la réforme budgétaire puis, en mai, premier rapport au Parlement
sur la préparation de la mise en œuvre de la LOLF.
. Juin 2003 : nouveau débat d’orientation budgétaire (RESF, grandes orientations de la politique économique et budgétaire au regard des
engagements européens de la France).
. Poursuite des expérimentations engagées et lancement de nouvelles : globalisation (Travail, Equipement, Economie, Finances), création
d’un département comptable ministériel (Intérieur).
. Juillet 2003 : premier rapport de la MILO.
. Octobre 2003 : présentation, dans le PLF pour 2004, d’au moins une expérimentation dans chacun des ministères.
. Décembre 2003 : adoption des nouvelles normes comptables.
. Janvier 2004 : suppression des taxes parafiscales.
. Janvier 2004 : présentation de la maquette de la future architecture du budget de l’Etat par Alain Lambert.
. Avril 2004 : première Université de printemps des finances publiques organisée par le GERFIP, sur le thème de la réforme des finances publiques.
. Mai 2004 : rapport de la MILO sur le projet de nouvelle nomenclature budgétaire.
. Septembre 2004 : présentation indicative des crédits budgétaires selon les nouveaux principes, avec le PLF pour 2005 et présentation des
avant-projets annuels de performances.
. Octobre 2004 - juillet 2005 : première modification de la LOLF pour introduire des mesures relatives notamment à l’affectation des surplus
éventuels de recettes, à la communication des éventuelles mesures de régulation, au traitement budgétaire des PPP et aux pouvoirs de
contrôle sur pièces et sur place de membres de l’opposition.
. Janvier 2005 : communication du président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur les rapports spéciaux et l’application
de la LOLF.
. Mars 2005 : rapport de la MILO sur les stratégies de performance, les objectifs et les indicateurs.
. Nomination par le Premier ministre d’Alain Lambert et Didier Migaud comme parlementaires en mission sur la mise en œuvre de la LOLF.
. Premier semestre 2005 : information des commissions des finances sur la nomenclature des programmes au moment de la préparation
du PLF pour 2006.
. Printemps 2005 : présentation, lors du DOB, de la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performance associés à chacun
de ces programmes, envisagés pour le projet de loi de finances de l’année suivante.
. Septembre 2005 : remise du rapport d’Alain Lambert et Didier Migaud, parlementaires en mission sur la mise en œuvre de la LOLF.
. 1er janvier 2006 : entrée en vigueur de la première loi de finances faisant application de l’ensemble de la loi organique.
. 12 avril 2006 : seconde mission parlementaire confiée par le Premier ministre à Alain Lambert et Didier Migaud.
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86e année - nº 7 - juillet 2006

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