madame de pompadour claveciniste - Philidor

Transcription

madame de pompadour claveciniste - Philidor
CYCLE MADAME DE POMPADOUR
Muse et musicienne
MADAME DE POMPADOUR CLAVECINISTE
Samedi 16 novembre 2002
Galerie basse du château de Versailles
une coréalisation Centre de Musique Baroque de Versailles/
Établissement public du musée et du domaine national de Versailles
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PROGRAMME
PIÈCES DE CLAVECIN
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
(1683-1764)
La Dauphine
La Poule
L’Enharmonique
L’Egyptienne
Les Sauvages
BERNARD DE BURY
(1720-1785)
Les Amusements
Sarabande la *** ou les Sentimens
Menuets 1 et 2 (Zéphire & Flore)
La Pithonisse
PANCRACE ROYER
(1705-1755)
Allemande
La Sensible
La Marche des Scythes
par
BLANDINE RANNOU
clavecin français Émile Jobin (1983)
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MADAME DE POMPADOUR
MUSE ET MUSICIENNE
Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour (1721-1764) est issue d’une famille de
financiers ; elle bénéficia de l’éducation la plus raffinée et garda toute sa vie un goût prononcé pour
les arts. Elle dessinait et, avec Cochin, faisait de la gravure ; elle jouait du clavecin, elle récitait avec
art ; mais elle était surtout une très bonne cantatrice dont la voix juste, pure et fraîche, fut appréciée
de ses contemporains. Elle fut l’élève de Pierre de Jélyotte, l’un des plus grands chanteurs français
du XVIIIe siècle.
Madame de Pompadour protégea de très nombreux artistes et hommes de lettres de son époque,
tels Rameau, Mondonville, Voltaire ou Diderot. Tous lui rendirent un hommage mérité :
Mondonville lui dédia son opéra-ballet Le Carnaval du Parnasse ; de même, en 1755, le chanteur JeanAntoine Bérard lui offrit son ouvrage L’Art du Chant, aujourd’hui encore la référence du “ goût ”
français de l’époque, sans lequel on ne peut donner aux rôles tendres, qu’aimait la marquise interpréter, tout leur charme et toute leur émotion. Malgré des louanges parfois convenues, la dédicace
de l’ouvrage permet de discerner la réalité du talent de la marquise :
“ A Madame de Pompadour
Madame,
Le premier ouvrage qui ait été fait sur l’Art du Chant, vous appartient à tant de titres,
que je crains bien de n’avoir aucun mérite à vous l’offrir : la protection déclarée que vous
accordez à tous les Arts, suffiroit pour engager tous ceux qui s’y appliquent, à vous consacrer le
fruit de leurs travaux ; mais vous avez un droit plus légitime encore sur l’ouvrage que j’ai l’honneur de vous présenter : il a pour but principal de perfectionner le Chant François ; à qui pourrois-je mieux adresser ces réflexions qu’à vous, Madame, qui excellez dans ce Genre ; permettezmoi de déclarer ici que j’ai eu le bonheur de vous entendre, mon éloge ne peut rien ajouter à votre
gloire ; mais le Public adoptera avec confiance mes idées, sur les grâces du Chant, lorsqu’il saura
que je les ai formées sur leur plus parfait modèle. ”
Pour distraire Louis XV, Madame de Pompadour décida de monter elle-même des spectacles,
entourée de ses proches, et créa à cet effet au château de Versailles le Théâtre des PetitsAppartements en 1747. Elle en assura la direction artistique et financière, rédigeant les statuts avec
le roi qui s’en amusa beaucoup. Les soirées musicales et théâtrales – il y en eût plus d’une cinquantaine – furent très appréciées des rares privilégiés admis à y assister. On commença par jouer
sur une petite scène en bois construite à l’intérieur de la galerie de Mignard, au premier étage, en
haut du Grand Escalier du Roi. Mais l’espace extrêmement réduit (seuls quatorze spectateurs
avaient pu assister à l’ouverture le 17 janvier 1747) imposa des travaux d’aménagement et, finalement, le théâtre déménagea en novembre 1748 dans l’Escalier des Ambassadeurs. La nouvelle salle,
particulièrement luxueuse (elle avait coûté 750 000 livres), fut conçue pour être montée et démontée rapidement “ sans gâter ni le marbre, ni les peintures de cet escalier ” (Luynes).
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Les musiciens qui ont participé à la cinquantaine d’ouvrages programmés par la Marquise de
Pompadour dans son Théâtre des Appartements faisaient se côtoyer des interprètes amateurs issus
de la cour (comme le marquis de Sourches, le prince de Dombes, le comte de Dampierre, le duc
d’Orléans, le duc d’Anjou, le duc de Nivernois, le vicomte de Rohan…) et les meilleurs instrumentistes de l’époque : au violon, Mondonville et Guillemain, à la flûte, Blavet, au violoncelle, Pierre de
Jélyotte, au clavecin son cousin Joseph-Hyacinthe Ferrand (élève de François Couperin), à la direction des chœurs, le surintendant de la Musique du Roi, Bernard de Bury, et à la direction de
l’orchestre, François Rebel, surintendant de la Musique de la chambre de Louis XV et directeur de
l’Académie Royale de Musique.
Trois saisons eurent lieu dans cette salle jusqu’en avril 1750, date à laquelle la troupe quitta définitivement Versailles pour s’installer à Bellevue, dans la résidence particulière de Madame de
Pompadour. Entre 1745 et 1753, la marquise fut commanditaire d’un très grand nombre d’ouvrages,
parmi lesquels Le Temple de la Gloire et Les Surprises de l’Amour de Rameau, Titon et l’Aurore et Erigone
de Mondonville, Almasis de Royer, Les Fêtes de Thétis de Colin de Blamont et Bury. Mme de
Pompadour a même commandé à Jean-Jacques Rousseau Le Devin du village, qui a été créé devant
la Cour à Fontainebleau en octobre 1752. A la demande de Louis XV, elle a repris cette œuvre,
quelques mois après, à son Théâtre des Appartements, interprétant elle-même, en travesti, le rôle
de Colin.
VINCENT BERTHIER DE LIONCOURT
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MADAME DE POMPADOUR CLAVECINISTE
Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, adorait le théâtre et la musique qu’elle pratiquait l’un
et l’autre ; elle possédait d’indéniables talents de comédienne, mais aussi de chanteuse et de
claveciniste. Cette passion la conduisit à créer, avec certains de ses proches, le Théâtre et la troupe dits
des Petits-Appartements. Ils y donnaient, pour le divertissement de Louis XV, des représentations
théâtrales et musicales. Ce concert, illustre les dons de claveciniste de la Marquise, avec des œuvres
de Jean-Philippe Rameau, Bernard de Bury et Pancrace Royer, trois éminents clavecinistes dont
certaines œuvres lyriques furent d’ailleurs représentées à Versailles sur la scène du Théâtre des
Petits-Appartements.
Jean-Philippe Rameau a publié trois livres de pièces de clavecin (1706, 1724 et 1728), auxquels il
convient d’ajouter cinq pièces pour clavecin seul extraites des Pièces de clavecin en concert (1741) et
une pièce isolée, La Dauphine, composée en 1747 à l’occasion du mariage du Dauphin et de MarieJosèphe de Saxe. À l’exception de cette dernière œuvre, les pièces interprétées dans ce programme
sont toutes extraites du troisième livre, les Nouvelles suites, et illustrent différents aspects de son
écriture pour le clavier. La Poule est une pièce descriptive construite sur un bref motif de cinq
croches répétées suivies d’une terminaison imitant le caquetage de la poule. Rameau a d’ailleurs
pris soin d’indiquer sous le motif : « co co co co co co co dai » ! Ce motif est inlassablement repris tout au
long de la pièce jusqu’à devenir, au milieu de la composition, une succession
d’accords martelés à la main gauche. Les Sauvages est une pièce composée lors de la venue à Paris
d’un groupe d’Indiens des Amériques que l’on montrait à la foire et qui eurent un grand succès. Le
compositeur réutilisa ce rondeau dans Les Indes galantes pour construire une section entière
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comportant des développements instrumentaux, vocaux et choraux. Avec L’Enharmonique, c’est
Rameau le grand musicien et novateur qui apparaît. Le compositeur consacre une bonne partie des
Remarques par lesquelles s’ouvrent les Nouvelles suites pour justifier ces fameuses enharmonies.
Voici ce qu’il écrit alors :
« L’effet qu’on éprouve dans la douziéme mesure de la reprise de l’Enharmonique ne sera peut-être
pas d’abord du goût de tout le monde ; on s’y accoutume cependant pour peu qu’on s’y prete, et l’on
en sent même toute la beauté, quand on a surmonté la premiere repugnance que le défaut d’habitude
peut occasionner en ce cas. L’harmonie qui cause cet effet n’est point jettée au hazard ; elle est
fondée en raison, et autorisée par la nature même : c’est pour les Connoisseurs ce qu’il y a de plus
piquant ; mais il faut que l’execution y seconde l’intention de l’Auteur, en attendrissant le Toucher,
et en suspendant de plus en plus les Coulez à mesure qu’on approche du trait saisissant, où l’on doit
s’arrêter un moment. »
Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette pièce n’est pas un manifeste en faveur de la modulation
enharmonique, c’est avant tout une page musicale, certes savante, mais aussi – et surtout – incroyablement
mélancolique et expressive.
Bernard de Bury publia son Premier livre de pièces de clavecin qu’il dédie à son maître, François Colin
de Blamont, en 1737. Les Amusemens sont constitués de deux rondeaux, l’un en majeur et l’autre en
mineur, que le compositeur s’est amusé à écrire quasiment intégralement en contretemps. Avec La
Pithonisse, c’est le compositeur lyrique qui transparaît ; cette pièce peint ce terrible personnage.
Pour cela, Bury fait appel à deux motifs contrastés, l’un exposé dès les premières mesures, constitué
d’accords arpégés d’où part une gamme ascendante qui se suspend sur la sensible, l’autre constitué
d’un jeu entre les deux mains qui font entendre alternativement de simples croches, dans la partie
médiane de la tessiture de l’instrument.
Le premier (et seul) livre de pièces de clavecin que publia Joseph-Nicolas-Pancrace Royer en 1746
est dédié à Mesdames de France, filles de Louis XV et de Marie Leczynska, ce qui n’est guère
surprenant puisque le compositeur était maître de musique des Enfants de France. Parmi les trois
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pièces interprétées aujourd’hui, deux sont des transcriptions pour clavier de pages instrumentales
extraites d’ouvrages lyriques de Royer. L’Allemande est adaptée de la Marche pour le sacrifice du
Pouvoir de l’Amour (1743) tandis que La marche des Scythes est une transcription de L’Air pour les Turcs
extrait de Zaïde (1739). Ces transcriptions ne sont pas de simples réductions de pièces instrumentales
au clavecin ; elles s’accompagnent au contraire d’un travail de recomposition partielle pour les
adapter au langage spécifique de l’instrument. Ceci est particulièrement vrai pour cette Marche des
Scythes dans laquelle le rondeau initial est parfaitement reconnaissable, bien que les structures
mélodique et harmonique en soient légèrement modifiées. En revanche, les couplets, tous
incroyablement plus brillants les uns que les autres, diffèrent totalement de ceux de l’opéra.
NATHALIE BERTON
Ingénieur de recherche
Centre de Musique Baroque de Versailles