Différences interindividuelles dans le bien-être au travail
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Différences interindividuelles dans le bien-être au travail
Actes des XX èmes Journées Internationales de Psychologie Différentielle – Université Rennes 2 - Juin 2012 Différences interindividuelles dans le bien-être au travail : déterminants personnels, contextuels et transactionnels ROUXEL Géraldine Université Rennes 2, CRPCC (EA 1285) Contact : [email protected] MOTS CLES : Bien-être au travail - Stress - Modélisation structurale - Emotions au travail –Instabilité émotionnelle Contexte théorique - L’amélioration de la santé psychologique au travail est devenue ces dernières années un objectif prioritaire des pouvoirs publics. Ainsi, la Commission Européenne du 11 mars 2002 relative à la stratégie communautaire de santé et de sécurité au travail annonce-t-elle que « La politique communautaire de santé et de sécurité au travail doit veiller à promouvoir un véritable « bien-être au travail » qui soit autant physique que moral ou social et qui ne se mesure pas seulement par une absence d'accidents ou de maladies professionnelles. ». En France, le récent rapport commandité par le Premier Ministre intitulé « Bien-être et efficacité au travail » (Lachmann, Larose et Penicaud, février 2010) témoigne également de cet intérêt manifeste pour cette question. L’étude du bien-être au travail intègre le plus souvent la prise en compte du stress en milieu professionnel. C’est également le cas de notre recherche qui s’inscrit plus précisément dans l’approche transactionnelle du stress de Lazarus et Folkman (1984). Dans ce modèle, aucun événement physique ou psychologique n’est considéré a priori comme un stresseur. Un événement ne sera perçu comme tel par l’individu que si ce dernier l’évalue comme menaçant et mettant en danger son bien-être. Rascle (2001) propose dans ce cadre un modèle transactionnel du stress professionnel. Selon elle, les effets des caractéristiques de l’environnement de travail (charge de travail, degré d’autonomie,…) et des caractéristiques personnelles (affectivité négative,…) des salariés sur divers critères d’ajustement - physiologique et somatique (hypertension,…), psychologique (burn-out, bienêtre au travail,…) et comportemental (performance professionnelle) - sont médiatisés notamment par les perceptions de stress, de contrôle et de soutien des individus. C’est sur ce modèle que nous nous appuierons essentiellement dans cette étude. 1 Actes des XX èmes Journées Internationales de Psychologie Différentielle – Université Rennes 2 - Juin 2012 Antécédents Médiateurs Environnementaux Stresseurs professionnels: -Tâche -Rôle -Carrière -Interfaces -Climat social -Charge de travail -Degré d’autonomie Critères Non-ajustement physiologique et somatique -cortisol -hypertension -cardiopathie Stress perçu Stratégies de coping Contrôle perçu (efficacité perçue) -Centrée sur le problème -Centrée sur l’émotion Soutien social perçu Non-ajustement émotionnel et comportemental Dispositionnels -dépression -anxiété -burn-out -insatisfaction au travail -faible performance professionnelle -Lieu de contrôle -Endurance -Type A -Affectivité négative Un modèle transactionnel du stress professionnel (Rascle, 2001) Problématique - Pourquoi certains salariés, pourtant a priori confrontés à un même environnement professionnel, ressentiront-ils des niveaux plus élevés que d’autres de bien-être au travail ? Par quels mécanismes psychologiques certaines caractéristiques du poste de travail comme les niveaux de latitude décisionnelle et d’exigences mentales influencent-elles le bien-être au travail ? Méthode - Participants - 173 personnels administratifs (45 hommes et 128 femmes) exerçant au sein d’une Université, âgés en moyenne de 40,74 ans (ET= 9,79 ans) participent à l’étude. Mesures – L’instabilité émotionnelle a été mesurée à l’aide de 12 items empruntés à l’Alter Ego (Caprara, Barbaranelli et Borgogni, 1993). Les variables « exigences mentales » (9 items), « latitude décisionnelle » (9 items) et « soutien perçu au travail » (5 items) ont été mesurées grâce au « Job Content Questionnaire » de Karasek et al. (1998). Le stress perçu a été évalué à l’aide de 5 items extraits du « Perceived Stress Scale » de Cohen et al. (1983). Les 20 items du « Job-related Affective Well-being Scale » de Van Katwyk et al. (2000) ont été utilisés pour mesurer les émotions positives et négatives ressenties au travail (bien-être émotionnel). Enfin, nous avons évalué le bien-être organisationnel grâce aux 8 items de la sous-échelle « le travail et son organisation » du questionnaire orienté bien-être de Robert et Grosjean (2006). Procédure – Le questionnaire a été distribué initialement à 457 personnels de l’Université qui disposaient de quelques jours pour le compléter, volontairement et anonymement. Seuls 173 questionnaires ont été retournés (taux de retour : 37,9%). Hypothèses - Deux modèles emboîtés également plausibles sont mis en compétition. Le modèle A qui, conformément au modèle de Rascle (2001), n’autorise que des effets indirects, via les variables « stress perçu » et « soutien perçu », des variables contextuelles (« exigences mentales » et « latitude 2 Actes des XX èmes Journées Internationales de Psychologie Différentielle – Université Rennes 2 - Juin 2012 décisionnelle ») et personnelle (« instabilité émotionnelle ») sur les variables critères (« émotions positives », « émotions négatives » et « bien-être organisationnel »). Le modèle B qui permet en plus que les variables contextuelles et personnelle exercent un effet direct sur les 3 variables critères. Résultats - Les deux modèles structuraux (n’incluant que des variables observées) correspondant aux modèles A et B ont été testés grâce au logiciel Lisrel 8. Le modèle A présente un mauvais ajustement aux données, même après élimination des parcours non significatifs [χ²=58,52 ; ddl=11 ; χ²/ddl=5,32 ; p<.001 ; RMSEA=.16 ; NFI=0,88 ; GFI= 0,92 ; N=173] ; contrairement au modèle B dont l’ajustement s’avère tout à fait satisfaisant [χ²=10,38 ; ddl=6 ; χ²/ddl=1,73 ; p=.11 ; RMSEA=.0,06 ; GFI=0,98 ; NFI=0,98 ; N=173]. Instabilité émotionnelle -.17 -.23 Exigences mentales du poste -.49 .39 -.22 R²=.46 Emotions positives au travail .17 .46 R²=.33 Stress perçu au travail R²=.52 .13 .56 Bien-être organisationnel .28 -.15 (t=-1,6) -.12 (t=-1,7) -.56 .20 Soutien perçu au travail R²=.05 .60 .16 -.10 Latitude décisionnelle dans l’emploi -.16 Emotions négatives au travail R²=.56 Modèle B: χ²=10,38; ddl=6; χ²/ddl= 1,73; p=.11; RMSEA= 0,06; GFI= 0,98; NFI= 0,98; n=173 Effet Direct Indirect Total 0 .28 (t=5,16) 0 0 .13 (t=2,45) -.16 (t=-4,27) .20 (t=4,23) -.27 (t=-5,87) -.34 (t=-7,21) .06 (t=1,93) -.16 (t=-4,27) .48 (t=6,97) -.27 (t=-5,87) -.34 (t=-7,21) .19 (t=3,13) -.23 (t=-3,14) .17 (t=2,44) -.17 (t=-2,61) -.19 (t=-4,15) .11 (t=2,67) -.23 (t=-5,08) -.42 (t=-5,42) .28 (t=3,57) -.40 (t=-6,11) Sur « Emotions négatives au travail » : .25 (t=4,74) de « Exigences mentales » 0 de « Latitude décisionnelle » -.16 (t=-3,04) -.15 (t=-3,06) .29 (t=6,09) de « Instabilité émotionnelle » .16 (t=2,82) Tableau des effets indirects – Modèle B .25 (t=4,74) -.31 (t=-4,36) .45 (t=7,04) Sur « Bien-être au travail » : de « Exigences mentales » de « Latitude décisionnelle » de « Instabilité émotionnelle » de« Stress perçu au travail » de « Soutien perçu au travail » Sur « Emotions positives au travail » : de « Exigences mentales » de « Latitude décisionnelle » de « Instabilité émotionnelle » 3 Actes des XX èmes Journées Internationales de Psychologie Différentielle – Université Rennes 2 - Juin 2012 L’analyse de ce modèle montre que bien que corrélées positivement, les variables « exigences mentales » et « latitude décisionnelle », tandis que le niveau d’instabilité émotionnelle des participants est contrôlé, influencent de façon opposée les variables médiatrices et critères du modèle. Plus précisément : 1/ plus le niveau d’exigences mentales dans le poste est élevé et plus le niveau de stress perçu est élevé et moins les niveaux de soutien perçu et d’émotions positives au travail sont élevés (effets direct et indirect). On observe également un effet indirect négatif de cette variable contextuelle sur le niveau de bien-être organisationnel, ainsi qu’un effet indirect positif sur les émotions négatives au travail. 2/ Au contraire, plus le niveau de latitude décisionnelle est important dans l’emploi et moins les niveaux de stress perçu et d’émotions négatives (effets direct et indirect) sont élevés et plus les niveaux de soutien perçu, d’émotions positives (effets direct et indirect) et de bien-être organisationnel sont élevés (effets direct et indirect). Discussion-Conclusion - Les différences interindividuelles dans les niveaux de bien-être émotionnel et organisationnel s’expliqueraient donc à la fois par des effets directs et indirects (médiatisés essentiellement par le niveau de stress perçu et dans une moindre mesure par le soutien perçu au travail) des variables explicatives contextuelles, personnelle et transactionnelles introduites dans l’étude. Bien que le niveau d’instabilité émotionnelle des participants soit contrôlé, le niveau de stress perçu demeure un facteur clé et central dans l’explication des différences dans les niveaux de bien-être émotionnel et organisationnel. En soulignant cependant le rôle clairement protecteur d’un niveau élevé de latitude décisionnelle dans ce processus, cette étude, qui demanderait à être répliquée sur un effectif plus important, pointe une piste possible à suivre dans une perspective d’amélioration du bien-être au travail. Références – Lazarus, R.S., & Folkman, S. (1984). Stress, appraisal, and coping. New York : Springer. Rascle, N. (2001). Facteurs psychosociaux du stress professionnel et de l’épuisement professionnel. In Bruchon-Schweitzer, M. et Quintard, B. (Eds), Personnalité et maladies (pp. 221-238). Paris : Dunod. NB : Merci à Emilie Galloudec pour le recueil des données de cette étude 4