FORCE, PUISSANCE OU VITESSE

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FORCE, PUISSANCE OU VITESSE
Marcel NADEAU, Laboratoire de motricité humaine, Département de Kinanthropie,
FEPS, Université de Sherbrooke (Quebec), Canada, J1K 2R1.
FORCE, PUISSANCE OU VITESSE
On peut dire d'un athlète qu'il est fort, qu'il est puissant ou qu'il est vite. Alors qu'il est
relativement aisé de distinguer un exercice de force d'un exercice de vitesse, il est
beaucoup plus difficile d'identifier un exercice de puissance. En fait, il est courant
d'utiliser de façon interchangeable les adjectifs " fort " et " puissant " et pourtant ces
mots sont différents, mécaniquement parlant.
Qu'il soit question de force, de puissance ou de vitesse, ce sont les muscles du
squelette qui en sont responsables. Le facteur déterminant est la résistance au
mouvement : elle peut être externe ou interne. Elle est externe quand il s'agit de
déplacer une charge quelconque, faible ou imposante ; elle est interne quand il s'agit
de déplacer sa propre masse corporelle (Léger, 1982) chargée ou non.
Le but du présent article est de clarifier la situation au sujet des types d'exercices
réalisés sur des appareils de musculation. Pour faciliter la compréhension, il y a lieu de
rappeler quelques éléments de mécanique.
ELEMENTS DE MECANIOUE :
. Force
Dans un contexte d'entraînement, un exercice de force est un mouvement qui permet
au groupe musculaire de produire beaucoup de tension. En mécanique, le terme " force
" prend une autre signification qu'il est nécessaire de rappeler car on le trouve dans la
définition du terme " travail ". La deuxième loi du mouvement de Newton (Hay, 1980)
stipule que l'accélération d'un corps est proportionnelle à le force qu'il subit.
F= ma
(1)
Ainsi un corps dont la vitesse varie est soumis à l'action d'une force. Il est cependant
bien entendu qu'un corps peut faire l'objet de l'action de plusieurs forces orientées
différemment. Les forces peuvent même être égales mais opposées, comme c'est
souvent le cas au cours d'un exercice de souque à la corde qui ne présente aucun
déplacement des équipiers. Notons que, même s'il n'y a pas de déplacement, cela
n'annule pas pour autant l'énergie dépensée par les muscles du squelette. L'unité de
force est le newton.
. Vitesse
C'est le terme le plus facile à définir car il fait partie de notre quotidien. Il correspond à
la quantité de déplacement par unité de temps. Tout corps en mouvement possède
donc sa propre vitesse qui lui a été donnée par une force initiale. Ainsi la force et la
vitesse sont intimement reliées. L'unité de base de la vitesse est le mètre par seconde.
. Puissance
Classiquement, la puissance est le produit de la force par la vitesse. Ce concept est
cependant difficile à saisir car d'une part, la vitesse d'un corps dépend de la force
initiale et d'autre part, un corps dont la vitesse est constante ne produit aucune
puissance, ou en d'autres mots, ne libère pas d'énergie car il n'y a aucune variation de
vitesse.
C'est pourquoi il est plus simple d'envisager le concept de puissance comme le taux de
variation d'énergie contenue dans un corps. On pourrait poser la question suivante
pour évaluer la puissance produite : à quel rythme un corps libère-t-il ou acquiert-il son
énergie ? Quand un corps atteint une certaine vitesse, il dispose d'une certaine
quantité d'énergie cinétique (Ek) donnée par la formule suivante :
Ek = 1/2mv²
(2)
C'est le taux de variation d'énergie cinétique qui constitue la production de puissance.
Un corps peut également acquérir ou libérer de l'énergie non seulement à cause de sa
vitesse, mais aussi à cause de sa position par rapport à la surface de la terre. C'est
l'énergie potentielle (EP) dont la quantité est donnée par la formule suivante :
Ep = mgh
(3)
où m est la masse du corps, g : l'accélération due à la gravité et h : la hauteur
d'élévation du corps. C'est également le taux de variation d'énergie potentielle qui
constitue la production de puissance.
Notons que le produit m x g est l'équivalent du produit m x a, sauf que l'accélération est
imposée par la force due à la gravité soit 9,81 m/s². C'est grâce à cette formule qu'on
fait la distinction entre la masse (en kg) et le poids (en N). Un individu dont la masse
est de 100 kg, a un poids de 981 N et une énergie potentielle de 981 J s'il s'élève à une
hauteur de 1 m. Comme on vient de l'indiquer, l'unité de base est le joule (J) en ce
qui concerne l'énergie, mais c'est le watt (W), pour la puissance. Une production de
1 000 W, soit 1 kW consiste en la libération de 1 000 J d'énergie, ou 1 kJ, en une
seconde.
Quand on combine l'énergie due à la position et l'énergie due à la vitesse, on mesure la
quantité globale d'énergie (Ek + Ep).
.Energie et travail
L'énergie se définit comme la capacité d'accomplir un travail (W), c'est-à-dire d'exercer
une force sur une certaine distance :
W=Fxd
(4)
Si on applique une force de 100 N sur une distance de 10 m, on réalise un travail de
1000 N.m, soit 1 000 J ou 1 kJ. Comme l'énergie sert au travail, il est normal qu'on
retrouve les mêmes unités de quantification.
Ainsi, quand nous ingurgitons des aliments, nous nous approprions leur énergie sous
forme chimique. Nous disposons donc par la suite d'une capacité de travail. Plusieurs
ont réalisé qu'un coureur dépourvu de glycogène musculaire a peine à maintenir son
régime d'endurance.
Comme on l'a dit plus haut, on peut maintenant accomplir un travail (W) i.e. donner de
l'énergie cinétique et/ou de l'énergie potentielle à un corps.
W = Ek + Ep
(5)
Le taux de variation de toute cette énergie constitue la production de puissance (P).
P = W/t = (Ek + Ep)/t
(6)
. Puissance anaérobie et puissance aérobie
La plupart des lecteurs sont probablement familiers avec ces notions mais pour éviter
toute ambiguité, il y aurait lieu de les replacer dans le cadre des éléments de
mécanique présentés plus haut.
Tant pour l'une que pour l'autre, il est question d'une quantité de travail accompli.
L'énergie peut soit venir du métabolisme anaérobie (phosphagénolyse, glycolyse
anaérobie), soit du métabolisme aérobie (glycolyse et lipolyse aérobies). Ainsi pour un
test de puissance anaérobie, on choisira des épreuves dont la durée est inférieure à 1
minute (sprint sur le plat, pédalage de 5 secondes sur ergocycle, saut vertical isolé ou
répété ; voir Nadeau, 1985a). Pour un test de puissance aérobie, on choisira une
épreuve dont la durée est supérieure à 5 minutes (e.g. épreuve de course sur piste de
Léger-Boucher, 1980). Ces épreuves sollicitent pratiquement l'organisme au complet.
Une épreuve de force, comme le lever de charge, peut également constituer un test de
puissance anaérobie car la charge levée augmente son niveau d'énergie potentielle
grâce à l'action de certains muscles qui hydrolisent l'A.T.P. (une réserve anaérobie
d'énergie) aux fins de la contraction.
EXERCICES DE FORCE, DE PUISSANCE ET DE VITESSE
. Mécanique musculaire Empiriquement, tout le monde sait qu'une lourde charge se
lève lentement et une charge légère, rapidement. Ce phénomène a fait l'objet de
nombreux travaux scientifiques depuis les premières expériences de A. V. Hill en 1938.
Comme l'illustre la figure 1-A, la force produite est inversement proportionnelle à la
vitesse de raccourcissement des fibres musculaires : c'est la classique courbe forcevitesse, obtenue ici au moyen d'un dynamomètre isokinétique.
Figure 1
Les propriétés mécaniques des muscles extenseurs du genou gauche évaluées par
dynamométrie isokinétique.
En haut : la courbe force- vitesse ; à vitesse nulle, la force est isométrique (277 Nm) ; la
relation est inverse et linéaire pour les vitesses sises entre 1 et 5 rad/s.
En bas : la courbe puissance-vitesse calculée d'après les coordonnées de la courbe
force-vitesse. (Extrait de Nadeau, 1985a).
Maintenant, si on multiplie entre elles les coordonnées de chacun des points de la
courbe
force-vitesse, on obtient la courbe puissance-vitesse (figure 1-B). Ainsi, quand la
vitesse est nulle, la force est maximale (figure 1-A) mais la puissance mécanique est
nulle (figure 1-B) car il n'y a aucun déplacement segmentaire. Au fur et à mesure que la
vitesse s'accroît, la force diminue (figure 1-A) mais la puissance mécanique augmente
(figure 1-B). Un exercice de force n'est donc pas un exercice de puissance. A une
vitesse angulaire de 5,2 rad/s, vitesse limite du dynamomètre actuel, la puissance
mécanique atteint un sommet ; à cette vitesse, la force équivaut environ à 30 % du
maximum obtenu au cours d'une contraction isométrique. Si on pouvait accroître la
vitesse de mobilisation segmentaire sur le dynamomètre, on observerait, comme le fait
Thorstensson (1976), qu'à une vitesse de 12 rad/s, la force produite serait minimale. Un
exercice de vitesse est donc loin d'être un exercice de force. A vitesse maximale, on
observerait également que la puissance mécanique produite est minimale. Komi (1979),
au moyen d'une plate-forme dynamométrique, illustre bien cet aspect de la courbe dont
nous retrouvons la forme parabolique à la figure 2. Un exercice de vitesse n'est pas un
exercice de puissance.
Figure 2
La relation puissance-vitesse sur ergocycle. Produit des coordonnées respectives de la
courbe force-vitesse, la puissance mécanique est maximale à une résistance
équivalente à 10 % du poids corporel. MC signifie masse corporelle. (Extrait de Nadeau
et coll., 1985b).
C'est à une vitesse intermédiaire (optimale) qu'on produit une puissance mécanique
maximale (figure 2). Sur cette dernière illustration, les courbes paraboliques ont été
tracées d'après les valeurs de force et de vitesse mesurées sur un ergocycle dont
l'ajustement de la résistance se faisait entre 1 et 13 kg (entre 10 et 130 N). Comme on
le voit à la figure 2, pour les deux groupes de sujets, des étudiants et des étudiantes en
éducation physique, la puissance mécanique produite est maximale quand l'ajustement
de la résistance est intermédiaire (optimale), ni trop élevée, ni trop faible : 5 kg (- 50 N)
pour les filles, 7 kg (- 70 N) pour les gars, soit environ 10 % de leur masse corporelle. A
plus forte résistance sur l'ergocycle, les sujets arrivent à peine à mouvoir les pédales et
par conséquent le travail et la puissance sont réduits à leur minimum. Contre une très
faible résistance (- 30 N), les sujets n'arrivent pas à générer de la force sur les pédales
à cause de la vitesse de celles-ci et, comme l'indique la figure 2, la puissance
mécanique chute. Ainsi sur chacune des courbes et particulièrement celle des gars, on
peut identifier trois segments : un segment ascendant (entre 0 et 1 rev/s) quand
l'ajustement de la résistance est supérieur à 5 kg pour les filles, et 7 kg pour les gars ;
un plateau (entre 1 et 2 rev/s) quand l'ajustement de la résistance est voisin de 5 kg
pour les filles et 7 kg pour les gars ; un segment descendant (entre 2 et 3 rev/s) quand
l'ajustement de la résistance est supérieur à 5 kg pour les filles et 7 kg pour les gars. Il
est donc possible d'illustrer au moyen d'un ergocycle des zones qui correspondent
distinctement à des exercices de force, à des exercices de puissance et à des
exercices de vitesse.
. Exercices possibles sur un appareil de musculation
En 1983, Labrecque et coll. ont démontré expérimentalement l'existence d'une relation
inverse entre la charge levée et la vitesse de déplacement de la charge sur un appareil
Nautilus conçu pour la musculation des extenseurs du genou (figure 3). Suite à cette
observation, Nadeau (1985a) calcula le taux de variation de la quantité d'énergie
potentielle des charges levées et montra que la courbe puissance-vitesse avait
sensiblement la même allure que la parabole classique (figure 4). Egalement, on a pu
délimiter trois segments sur cette courbe : un segment ascendant quand les charges
étaient supérieures à 20 kg (exercices de force), un plateau quand les charges étaient
voisines de 10 kg (exercices de puissance) et un segment descendant pour les charges
plus légères (exercices de vitesse). Ainsi, il est possible d'effectuer des exercices de
force, des exercices de puissance et des exercices de vitesse sur appareil de
musculation. La distinction entre ces diverses modalités d'exercice est importante car
c'est au moyen de ce genre d'appareil que les athlètes et les sportifs s'entraînent et
conformément au principe de spécificité, l'importance de l'amélioration dépend de la
méthode d'entraînement et plus particulièrement de la vitesse d'exécution des exercices
sur ces appareils.
En effet, des études japonaises (Kanehisa & Miyashita, 1983 ; Kaneko et coll., 1983)
ont démontré que l'amélioration de la force musculaire était spécifique à la vitesse de
mobilisation segmentaire. Ainsi, Kanehisa & Miyashita (1983) ont démontré qu'un
entraînement quotidien de huit semaines au moyen d'exercices de force sur un
dynamomètre isokinétique résultait en un gain de puissance inférieure à 10 % alors que
le groupe entraîné par des exercices de puissance montra une amélioration de 22 %.
Même si des exercices de force (nécessairement réalisés à basse vitesse) peuvent
contribuer à l'augmentation de la puissance produite, ce sont les exercices réalisés à
une vitesse intermédiaire optimale (exercices de puissance) qui contribuent le plus à
l'amélioration de la production de puissance mécanique.
Figure 3
La courbe force-vitesse obtenue au moyen d'un appareil Nautilus. L'ordonnée indique
le poids (en N) des charges levées par unité de masse corporelle (MC) et l'abscisse, la
vitesse moyenne de déplacement vertical des charges levées. (Extrait de Labrecque et
coll. 1983).
Figure 4
La courbe puissance-vitesse obtenue en calculant le taux de variation d'énergie
potentielle des charges levées. MC signifie masse corporelle. (Extrait de Nadeau,
1985a).
. Implications
Quand un individu s'entraîne, c'est habituellement pour améliorer son rendement et/ou
sa performance. Or le temps est très précieux et il y a donc lieu d'ajuster le programme
d'entraînement aux besoins spécifiques de chacun. Dû au fait que l'ampleur de
l'amélioration soit une fonction de la vitesse de mobilisation segmentaire, il apparaît
donc judicieux d'examiner de près les objectifs d'entraînement afin de bien appliquer les
principes de surcharge, de spécificité et d'individualité. Malgré ces bonnes intentions,
les appareils de musculation ne sont pas tous conçus de façon à satisfaire l'application
de ces principes fondamentaux. Comme on le verra dans un autre article (Nadeau,
1989), les appareils de musculation ne permettent généralement que des exercices de
force et de ce fait, ne facilitent pas l'exécution des exercices de puissance et des
exercices de vitesse. Ces dernières modalités d'exercice ne concernent principalement
que les contractions miométriques ; pourtant les muscles du squelette sont également
capables de contractions isométriques et de contractions pliométriques. Les appareils
de musculation ne permettent généralement pas la réalisation de contractions
isométriques maximales et de contractions pliométriques maximales.
REFERENCES
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