COMMENTAIRE DE TEXTE : AU PLAFOND D`ÉRIC CHEVILLARD

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COMMENTAIRE DE TEXTE : AU PLAFOND D`ÉRIC CHEVILLARD
COMMENTAIRE DE TEXTE :
AU PLAFOND D’ÉRIC CHEVILLARD (1997)
Extrait : « la scène de rencontre du narrateur et de Méline »,
INTRODUCTION :
Éric Chevillard dessine un univers romanesque constellé de doux dingues et de
contestataires en tout genre. «Puisque le monde ne répond pas à nos besoins les plus
élémentaires et contrarie nos rêves les plus légitimes, révisons-le», suggérait l'auteur par la
voix de « Furne », dans Le Caoutchouc Décidément (1991). Au Plafond opère cette révision
sur le mode du renversement des valeurs.
Dans l’extrait, le narrateur rencontre une jeune femme, prénommée « Méline ». Alors que
les autres se moquent de lui, car il porte une chaise renversée sur la tête, cette dernière ne
semble pas surprise par ce « phénomène », mais plutôt intriguée.
Le texte va donc permettre de se demander dans quelle mesure cette première rencontre
exprime une nouvelle vision du monde, à travers ce renouvellement de scène de première
rencontre.
De ce fait, dans une première partie, nous verrons les éléments soulignant une anti
rencontre amoureuse. Dans une deuxième partie, la vision de cette « chaise renversée »
permettra de mettre en évidence un « monde à l’envers ».
DÉVELOPPEMENT : plan détaillé :
Première partie : une anti-rencontre amoureuse :
1/ un point de vue du narrateur interne :
Ainsi, le texte est écrit à la première personne du singulier (« je », « me », « moi »), selon
un point de vue interne, celui du narrateur-personnage ; le lecteur ne connaît que ce qu’il
ressent et perçoit ; par exemple « je devais avoir l’air fatigué », « elle a semblé surprise », et
doit accepter son point de vue, « voilà ce qu’elle a répondu », insistant ainsi sur le discours
rapporté indirectement, mais non précisé ;
2/ un couple homme/femme :
De plus, les personnages sont peu caractérisés. Le narrateur ne révèle pas son identité, et son
physique reste inconnu. On apprend néanmoins le prénom de la jeune femme « Méline »,
connoté d’une certaine douceur par sa proximité avec « miel » (presque son anagramme). Le
narrateur insiste aussi sur une particularité de son sourire qui ne l’enlaidit pas. Il la
compare à la grâce des écuyères de cirque : « les plus gracieuses ». La mention de la « chaise
retournée sur la tête » provoque un effet de surprise et donne une dimension absurde et
comique à l’évocation du personnage, de par ce décalage, mis en valeur par le moment de la
rencontre, « le soir », d’où déjà une certaine imprécision volontaire ;
3/ l’énumération des noms féminins :
Par ailleurs, le narrateur emploie le procédé de l’accumulation afin de présenter des artistes
de cirque féminines possédant des connotations étrangères, noms en relation avec l’étangeté
de la situation, « Angélique Chiarini, Virignie Kenebel, Ellen Kremzov, Zora Truzzi, Lyli
Strepetov, Mary Wirth, ou Ella Bradna », et se référant à différents pays, aussi bien slaves
qu’anglo-saxons. Cette comparaison valorise la jeune femme qui se singularise des autres.
On peut aussi constater que ces différents noms valorisent non seulement la rencontre mais
surtout la femme par rapport à la « chaise », le vivant et l’inerte, bien que ces deux noms
soient tous les deux de genre féminins ;
Donc, cette rencontre entre le narrateur et la jeune femme remet en cause le « topos » de la
scène de première rencontre, puisque l’insistance est portée sur les circonstances plus que sur
les sentiments suscités. De ce fait, l’élément de la « chaise renversée » va dans le sens du
renversement de cette situation bien particulière et singulière.
Deuxième partie : un monde à « l’envers » :
1/ la symbolique de la chaise en relation avec un discours de fragment amoureux bien
surprenant et étrange:
Dans cet extrait, le narrateur fait une déclaration surprenante, car au lieu d’être d’amour,
il développe une réponse dominée par le vocabulaire abstrait de la logique : « organisation »,
« axes », « tournants », et de la causalité, « les motifs et les fins », « causes », « origine ».
L’histoire
se voit dans son déroulement, avec « le sens du progrès », la « logique
implacable ». Ce discours aboutit alors à une conclusion pour le moins peu convaincante,
voire absurde : « il eût été surprenant », «ce qui devait arriver arriva », « inutile de dire
qu’un ». Il s’apparente plus à une discours argumentatif en vue de convaincre les futurs
« historiens » comprendront l’ « énigme » de cette chaise renversée, symbole de la
contradiction et de la révolte passive ;
En répétant le mot « chaise », « une chaise retournée sur la tête » incite à voir le côté
absurde du texte. De même, la reprise de « je lui ai répondu » et la répétition de « voilà »
apportent un effet comique, comme si le personnage ne vivait que dans un autre monde,
sans doute le sien, construit et élaboré par lui-même ;
2/ le discours rapporté :
Par ailleurs, le narrateur emploie le discours direct pour répondre. Bien qu’il ne soit pas
souligné par les guillemets, omission voulue afin de concrétiser le vague de cette rencontre, il
reste quand même apparent à cause de ses commentaires l’encadrant : « je lui ai répondu »,
« voilà ce que je lui ai répondu ». La réponse inclut elle-même le discours direct rapporté des
historiens à venir, à peine signalé par un tiret, puis par une sorte d’incise, « voilà ce qu’ils
diront ». Le narrateur veut inclure cette rencontre dans le temps, et la rendre unique ;
De plus, les marques de modalisation traduisent la certitude du narrateur sur l’origine de
sa situation. L’emploi du futur implique la réalisation des faits. La généralisation, « tout »,
exclut toute autre hypothèse et s’accompagne d’une longue énumération-accumulation des
étapes. Des adjectifs, « implacables », « résolue », ou des adverbes, « au hasard »,
accentuent l’assurance du discours. Le narrateur n’envisage donc qu’un seul sens à
l’histoire, celui de son apparition comme l’indique aussi la répétition de la même idée à la
fin de sa réponse : « point un homme portant une chaise retournée sur la tête » ;
3/ un langage entre courant (oral) et soutenu (écrit) :
Enfin, les niveaux de langue s’apparentent plus à l’oral qu’à l’écrit, puisque le narrateur
utilise le temps du passé composé, « elle a semblé surprise », « elle m’a demandé pourquoi »,
« je lui ai répondu », en lieu et place du passé simple, ce qui incite à comprendre que la
rencontre relatée s’est produite et est finie. Le vocabulaire appartient au niveau de langue
courant, comme « habitais », « demandais », « écoutait », « souriait », « ne se moquait
pas », ce qui souligne bien que le narrateur attache de l’importance à la rencontre. En
même temps, ce denier se sert d’un vocabulaire plus soutenu ou spécialisé pour rapporter les
paroles des historiens, « la logique des conflits, le sens du progrès », conforté par l’emploi du
temps du futur : « se pencheront », « apparaîtra », « en dégageront », « diront », valeur
d’anticipation, puisque cette chaise renversée ne sera plus un signe de différence, mais
d’habitude ;
De ce fait, la « chaise » s’apparent bien au « monde renversé », monde où tout peut et doit
être remis en question, comme une rencontre amoureuse basée sur la surprise, l’étonnement,
et le hasard.
CONCLUSION :
Par conséquent, le texte de Chevillard montre une rencontre amoureuse, mais
volontairement non-convenue et inhabituelle, permettant de transformer le «topos » de cette
scène. Le narrateur ayant un « chaise renversée sur la tête » symbolise bien cet aspect,
comme dans le texte de Duras, où la rencontre, bien que fortuite, due au hasard, s’effectue
hors des conventions sociales, hors du cadre normé amenant le « coup de foudre ».
Cette attitude inversée semble contredire une situation plus conventionnelle, et
explicitement décrite, comme dans la rencontre amoureuse de Des Grieux et Manon,
provenant du roman de l’Abbé Prévost, Manon Lescaut.