Éducateurs de la PJJ, les « passeurs » de la réinsertion

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Éducateurs de la PJJ, les « passeurs » de la réinsertion
Métier
Éducateurs de la PJJ,
les « passeurs » de la réinsertion
Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse prennent en charge
les jeunes sur décision judiciaire. Exerçant sur tout le territoire, ils mènent un combat
passionné pour que les adolescents délinquants ou en danger puissent parvenir sains
et saufs dans la société des adultes.
délinquant, victime
’ enfant
ou « graine de voyou »? Pen-
L
L’enfance en danger
L’enfant victime réapparaît chez les
théoriciens à la toute fin du XIXe
siècle, et l’on vote les premières
grandes lois relatives à la protection
judiciaire de l’enfance (2). Mais les
« bagnes » ont encore de beaux
jours devant eux. Au lendemain de
la guerre de 1914, de vigoureuses
campagnes de presse dénoncent ces
« pourrissoirs ». L’évolution sera
lente : les colonies pénitentiaires
deviennent des Maisons d’éducation
surveillée en 1927. Un décret-loi du
8 avril 1935 dépénalise le vagabondage qui relève de l’enfance en
danger. L’ordonnance du 2 février
1945 sur l’enfance délinquante crée
la direction de l’Education sur-
Paul Baldesare/Editing
dant des siècles, son statut et
son traitement ont oscillé entre ces
deux pôles. Au XVIIIe siècle, on enferme les enfants vagabonds ou délinquants avec les indigents et les
fous, dans les hospices généraux,
comme Bicêtre. Certains, comme
Manon Lescaut (1), sont mêmes déportés dans les colonies américaines.
Les premières « maisons d’éducation
spéciales » voient le jour sous la
Monarchie de Juillet, alors qu’apparaît aussi, avec le courant de la philanthropie sociale, les premières tentatives d’éducation « corrective ».
Le régime de la « maison d’éducation correctionnelle » ouverte à Paris
en 1836, tout comme celui des « colonies agricoles » qui se répandront
dans toute l’Europe, n’en reste pas
moins fort rude, et la fin du II Empire voit s’accentuer le retour de balancier vers le pénitentiaire. Les théories de Cesare Lombroso stigmatisent
le « ciminel-né », fut-il un enfant;
c’est la grande époque des maisons
de correction, surnommées « bagnes
d’enfants » par le grand public.
veillée. Des délégués permanents,
signe de professionnalisation de la
fonction de moniteur-éducateur
jusque-là largement confiée à des bénévoles, apparaissent. Tout l’enjeu
sera de se désengager du pénitentiaire en élaborant des méthodes pédagogiques. L’ordonnance du 23 décembre 1958 conforte l’évolution en
conférant aux juges d’enfants une
nouvelle compétence, et en instituant l’assistance éducative. Actuellement, si des quartiers de mineurs subsistent dans certaines
prisons, en faisant office de centres
d’observation, ils coexistent avec
une large politique d’éducation en
« milieu ouvert ».
« Il y a toujours un choix possible, si
ténu soit-il ». Christine Einaudi
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s’emploie à insuffler sa foi aux adolescents dont elle a la charge. Éducatrice de la Protection juridique de
la jeunesse (PJJ) au Centre d’action
éducative et d’insertion de Pierrefitte,
en Seine Saint-Denis, elle accompagne les jeunes en difficulté sur décision de justice. « Notre responsabilité d’éducateurs est, dans le cadre
de la loi et des décisions judiciaires qui
ont été prises, de les amener à devenir maîtres de leur vie, à opérer de vrais
choix ». À la charnière de l’éducatif
et du judiciaire, l’éducateur de la PJJ
a pour mission de soutenir, de guider les jeunes délinquants ou en
danger pour les aider à se réinsérer.
Un accompagnement qui peut aller
d’une semaine à plusieurs mois,
voire plusieurs années.
Les maisons de correction n’ont pas
survécu à la Libération. Aujourd’hui,
le juge pour enfants répugne à placer en détention les jeunes qui se retrouvent devant lui. Ils sont dirigés
vers des institutions diversifiées, adaptées autant que faire se peut à chaque
cas, qui font passer l’éducation, la prévention, avant la répression: foyers
d’action éducative, centres éducatifs
renforcés, centres de placement immédiat, services de milieu ouvert,
centres de jour. La cheville ouvrière
de tous ces organismes est l’éducateur
de la Protection juridique de la jeunesse, la PJJ, une direction du ministère de la Justice dont ils dépendent. Présents sur tout le territoire
français, y compris outre-mer, les
éducateurs PJJ se répartissent dans
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juge, la première personne que rencontre un jeune qui vient de se
faire interpeller: c’est le rôle des permanences du SEAT, le Service éducatif auprès du tribunal. Des parents, des adolescents en situation
de détresse peuvent spontanément
venir les voir. La majorité arrive toutefois menottes aux mains. L’éducateur de la PJJ va autant que possible les mettre en confiance, se
renseigner sur leurs antécédents,
leur famille, leur situation scolaire.
Bien entendu, il fait part de ces éléments au juge.
Dès le lendemain, un autre éduca-
teur PJJ va prendre sa suite. L’inertie, souvent reprochée à la justice
face à la délinquance juvénile n’est
pas fondée. Dès qu’un délit est
commis, un éducateur de la PJJ
entre en contact avec le délinquant
et sa famille. Ces interventions représentent 80 % du travail d’un
éducateur de la PJJ. Parallèlement
à son action éducative auprès du
jeune, il se livre alors à une véritable
enquête de détective avec des enseignants, des psychologues, des
assistantes sociales, et surtout avec
l’intéressé lui-même. Les renseignements qu’il obtient et son action
Ministère de la Justice
meilleure insertion du jeune dans
son milieu. Le rôle de l’éducateur
PJJ consiste à lui fixer des objectifs,
à le rescolariser, à l’aider à trouver
un métier, également à reconstituer
l’autorité parentale. Avec sa famille,
ses enseignants, ses employeurs, il
aura pour tâche de reconstituer ses
liens sociaux et de lui donner
confiance en les adultes, en la société, en lui-même.
Les éducateurs PJJ du secteur insertion poursuivent quant à eux un
but plus précis: vaincre l’exclusion
dont sont victimes les jeunes au
comportement difficile. Quand c’est
possible, on les place dans des structures « de droit commun », c’est-àdire des établissements scolaires ou
des entreprises normales. Sinon ils
sont dirigés vers un atelier d’insertion, où ils se découvrent pour la première fois une utilité sociale à travers l’imprimerie, la menuiserie, la
coiffure, etc.
Le premier interlocuteur
après l’interpellation
À travers ces trois secteurs, l’éducateur PJJ accompagne de bout en
bout les adolescents confrontés à la
justice ou en danger. Il est, avant le
Ministère de la Justice
Métier
trois secteurs: l’hébergement, le milieu ouvert et l’insertion.
Le secteur hébergement accueille
ceux qu’il faut couper de leur environnement. Ils sont dirigés vers des
foyers d’action éducative, des centres
de placement immédiat ou des
centres d’éducation renforcée, petites
structures de 5 à 20 pensionnaires
où le taux d’encadrement est fort.
Les centres d’éducation renforcée, en
particulier, offrent des « lieux de vie »
dont le principe est d’« embarquer »,
parfois au sens propre du terme,
pour une durée limitée et sur un lieu
déterminé, un petit groupe de jeunes
et d’éducateurs soudés par un projet: action humanitaire, escalade, traversée en voilier… Le but étant de
provoquer une coupure dans le processus de désocialisation par une
relation forte avec des adultes. Dans
les trois cas, les éducateurs PJJ sont
omniprésents. Des jeunes en
moindre danger peuvent être placés
dans des familles d’accueil ou dans
des foyers de jeunes travailleurs,
tout en bénéficiant d’une action
éducative rapprochée.
Le « milieu ouvert », au contraire
du secteur hébergement, ne joue pas
sur la rupture, mais sur une
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Un second jugement
en cas d’échec
Le magistrat tranche : il place le
jeune en milieu ouvert ou en hébergement. Mais tout n’est pas dit.
Si les éducateurs constatent que la
décision a débouché sur un échec,
un second jugement peut intervenir. Juges et éducateurs agissent
ainsi en parfaite harmonie et ces derniers apprécient leur appartenance
au ministère de la Justice. « Il nous
donne un cadre juridique précieux »,
indique Véronique Blanchard, éducatrice dans le secteur insertion à
Villemomble.
Bien sûr, le risque d’échec est toujours présent. Un jeune que l’on
croyait sorti d’affaire peut, du jour
au lendemain, ne plus donner signe
de vie ou revenir entre deux policiers, retomber dans sa « galère ».
Mais les sujets de satisfaction dominent. « Quand un patron vient
nous dire qu’un jeune a fait du bon
boulot, alors que celui-ci n’avait jamais entendu dire que du mal de lui,
sa vie peut s’en trouver bouleversée »,
déclare Véronique Blanchard.
« Quand un adolescent parvient à se
réconcilier avec l’école et à construire
un vrai projet professionnel, quand,
en milieu ouvert, le soutien à une
maman étrangère lui permet de scolariser ses enfants de manière satisfaisante, la responsabilise, l’intègre, ce
sont de vraies satisfactions », renchérit Christine Einaudi.
Outre sa dimension humaine, l’intérêt du métier réside également
dans l’extrême diversité des méthodes éducatives. Elles diffèrent
complètement en foyer, en milieu
ouvert, en insertion. Avec un point
commun, explique Sabine Maraval:
« Remettre de l’adulte, physiquement, dans les différents temps de la
vie de ces adolescents. Ils sont dominés par un sentiment d’insécurité et
n’aspirent qu’à une chose, apprendre
à devenir adultes, pour qu’on leur
rendre leur liberté d’enfant en devenir. Plus on leur donne du cadre, plus
ils en demandent, car le cadre, en
nommant les frontières de l’interdit
et de l’autorisé, offre un espace de liberté individuelle. Ils n’ont pas tort
d’être exigeants. » ■
Devenir éducateur de la PJJ
■ Recrutement
Les éducateurs de la Protection juridique de la jeunesse sont un corps de fonctionnaires de l’État
catégorie dite « B + », recrutés par concours accessible aux titulaires d’un diplôme d’un niveau
bac + 2 et âgés de 45 ans au plus au 1er janvier de l’année du concours.
Le ministère de la Justice a décidé de recruter plus de 1 000 éducateurs PJJ entre 1999 et 2002.
Il a ouvert un concours exceptionnel à côté du concours normal. Chacun des deux concours
externes offre entre 150 et 200 places par an.
Pour se présenter au concours exceptionnel, il faut justifier de trois années au moins de pratique
professionnelle salariée et à temps plein dans une activité sociale, éducative ou sportive.
L’épreuve d’admissibilité est une étude de dossier, celle d’admission une conversation avec le
jury et « une table ronde », suivie d’un entretien individuel. Inspirée de la « table carrée » des
concours de l’administration pénitentiaire, mais moins sélective, c’est une mise en situation
professionnelle collective.
■ Formation
Les éducateurs stagiaires reçus au concours normal effectuent une formation de deux ans au
Centre national de formation et d’études de Vaucresson. Cette formation alterne les cours et les
stages. Au terme de ces deux années, les stagiaires rendent un mémoire et obtiennent une
maîtrise de sciences et techniques. Cette maîtrise leur permet par la suite de devenir chef de
service éducatif, c’est-à-dire cadre A, soit par voie externe, soit au choix.
■ Carrière
Le corps comprend deux grades : éducateur de 2e classe, qui comporte un échelon de stage et 10
échelons, éducateur de 1re classe, qui comporte 7 échelons. Les candidats admis sont nommés
éducateurs stagiaires pour une durée d’un an et classés au grade d’éducateur de 2e classe.
■ Traitement
Le traitement brut mensuel d’un éducateur de 2e classe au 1er échelon est actuellement de 8 536 F. Au
10e échelon, il perçoit 13 969 F. Un éducateur de 1re classe 1er échelon perçoit un traitement brut de
10 467 F, au 7e échelon de 14 917 F. À ces rémunérations s’ajoutent pour tous les éducateurs PJJ des
indemnités mensuelles forfaitaires pour travaux supplémentaires (IFTS) de 846,75 F et une indemnité
mensuelle de risques et de sujétions de 830,83 F.
■ Spécificités
Les éducateurs bénéficient de 53 jours de congés ouvrés par an. Ces congés s’expliquent par les
sujétions particulières inhérentes à la profession. Il faut assurer la permanence du service public
et la plupart des jeunes sont pris en charge 24 heures sur 24. Les dimanches, les jours fériés et
les nuits où l’éducateur est de service ne donnent lui pas droit à des congés supplémentaires.
1. Héroïne du roman éponyme de l’Abbé Prévost.
2. Loi de 1889 sur la déchéance de la puissance parternelle ; loi de 18989
sur les coups et blessures à enfants ; loi du 22 juillet 1912 instituant
le tribunal pour enfants.
Ministère de la Justice
éducative permettront au juge de
prendre une décision en toute
connaissance de cause.
A.Z. et C.F.B
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