creole et traduction - Ibis Rouge Editions
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creole et traduction - Ibis Rouge Editions
5 Préface CREOLE ET TRADUCTION Traduire les œuvres classiques de la littérature universelle est tout à la fois une nécessité pour le développement des langues et, dans bien des cas, un défi pour les traducteurs. une nécessité, car toutes les grandes langues de culture se sont étoffées en partie par le recours à la stratégie de la traduction. Traduire est, on le sait, la mise en contact non pas seulement de deux langues, mais encore de deux cultures, de deux visions du monde. un défi, parce que les univers confrontés sont parfois très dissemblables et souvent liés à des références et des référents sans aucune commune mesure. Mais ce défi est rendu encore plus drastique quand il s’agit de traduire un texte issu d’une tradition littéraire bien établie, dans une langue pas même encore née aux prémices de la littérarité. Les contraintes de la «navigation translinguistique» sont alors telles que le traducteur créolisant, sur quelque rive d’où il parte, doit, en technicien avisé -à moins qu’il ne soit amateur naïf- rechercher les bonnes routes pouvant lui garantir une traversée gratifiante et l’arrivée à bon port. Si, sur la carte qui recense les particularités de cette «océanologie littéraire» sont mentionnés, fut-ce sous forme codée, tous les isthmes et détroits, offerts entre les cayes, à la sagacité du 6 traducteur, nul doute que les Fables de La Fontaine et l’Antigone de Sophocle ne constituent deux de ces passes dont l’inventaire resterait d’ailleurs à faire pour le plus grand bénéfice des créolophiles. Pour les Fables de La Fontaine : Marbot, Baudot, Sylvain de la Caraïbe, Baissac et rodolphine Young dans l’Océan indien ; pour Antigone : Moriseau-Leroy, et maintenant, Mauvois. il y a là, assurément autre chose que du suivisme et de l’engouement facile. Faut-il conjecturer l’attrait pour la facture apparemment élémentaire de la fable, dans un cas, et la tragique simplicité de la langue, dans l’autre cas ? Peutêtre. Mais bien d’autres œuvres répondant à ces caractéristiques respectives n’ont pas connu ce succès de traduction en langue créole, si ce n’est la Bible, dont le caractère religieux étant précisément de nature à transcender toutes les motivations, n’est pas fait pour nous sortir d’embarras. Quelle que soit, cependant, l’explication qui doive prévaloir en la matière, il reste que le parcours de Georges Mauvois, traducteur vers le créole, est tout à fait exemplaire et l’aventure à laquelle il associe présentement le lecteur particulièrement excitante. Maître incontesté du théâtre social créole, dans sa dimension satirique depuis le fameux Agénor Cacoul des années 60, Mauvois, sans déroger en rien de sa pratique d’écrivain, a décidé d’initier un véritable programme de traduction en s’attaquant au Dom Juan de Molière dont la langue, malgré la variété de ses registres imputables à l’inspiration comique, n’en est pas moins d’une complexité achevée. il n’est pas indifférent que Mauvois se soit mesuré aux difficultés d’un texte comique avant d’aborder celles de la tragédie dont le génie est moins conforme aux traditions créoles, d’origine rurale encore proche, peu portées, de ce fait, à l’analyse et l’expression des subtilités de l’âme humaine. 7 On admet volontiers que la langue créole soit rétive à fournir à tout moment au traducteur la tonalité lexicale appropriée à l’évocation de sentiments à l’éventail riche et varié. il n’est pas sûr, en effet, que tel mot créole («chapé», par exemple) mis dans la bouche de Créon pour traduire le signifié «s’en aller» soit absolument dans le ton et en adéquation avec la tension tragique à laquelle nous a habitués ce grand thème de la mythologie grecque. Le signifié «déguerpir» est en l’occurrence celui qui est induit et vient alors corrompre, chez le lecteur, l’ambiance tragique, encore que le style de Créon soit plus celui d’un soudard que celui d’un prince raffiné. On se réjouit néanmoins de constater que la traduction de Mauvois est plus souvent que rarement une traduction inspirée. Cet état de grâce est probablement dû à la nécessité de faire alterner, comme le poète tragique grec, des rythmes différents selon qu’il s’agit des personnages courants ou de ceux qui relèvent du chœur, naturellement et fonctionnellement plus dédiés au lyrisme. La traduction en vers créoles plus ou moins rimés mais de facture particulièrement nombreuse répond d’ailleurs à cette préoccupation. enfin, pour notre ravissement, Mauvois associe à la livraison d’Antigòn, celle de Arivé d’Pari, nouveau titre de la pièce satirique écrite, il y a déjà quelques années sous la dénomination de Lisiyis sòti Pari et restée quasiment dans les tiroirs de l’auteur. Georges Mauvois prouve ainsi qu’il a bien compris que la traduction d’œuvres du répertoire universel et création originale sont véritablement les deux mamelles d’une littérature créole à venir et dont le champ virtuel ne peut que se rétrécir à la mesure des actions de tous les écrivains créolisants dont il est assurément l’un des plus féconds. Jean BerNaBe