Le généraliste face aux adolescents

Transcription

Le généraliste face aux adolescents
LE FORUM DES MEDECINS GENERALISTES - Numéro 20 - Décembre 2007
Le généraliste face aux adolescents
La prévention des risques, un enjeu essentiel
Les adolescents consultent volontiers et en premier lieu le médecin
généraliste. Si La plupart d’entre eux vont bien, 30 à 40%, se plaignent
de désagréments et 15% vont mal de façon durable et répétée. Le
généraliste peut ici jouer le rôle de médiateur.
’adolescence est caractérisée actuellement par l’alnabis, autres drogues, médicaments psychotropes),
longement de sa durée : de 11-12 ans à plus de 20
les tentatives de suicides et la dépression, les comans. Elle est devenue un statut, un état relativement
portements violents.
durable même si c’est un état toujours instable !
LE MÉDECIN TRAITANT ET L’ADOLESCENT
Contrairement à ce qui se dit souvent, les adolescents
À sa place, modeste mais importante, le médecin traiconsultent volontiers et en premier lieu le médecin généraliste,
tant peut aider l’adolescent à passer le ou les caps dif2,3 fois par an en moyenne. Nous voyons, en moyenne, un adoficiles, à condition de profiter d’une consultation motivée
lescent par jour. Ce sont le plus souvent les parents qui prenpar un problème ponctuel pour en
nent l’initiative de la consultation et ils
élargir le contenu et établir une
accompagnent leurs enfants, même à
Et
il
n’est
pas
question
vraie relation thérapeutique dans la durée.
18 ans, encore dans la moitié des cas.
Le motif de consultation est essentiel- de faire de l’adolescence Comment créer une relation de confiance ?
Il nous faudra définir un cadre de soins galement somatique (75%), souvent adune maladie
rantissant la confidentialité à laquelle
ministratif et préventif (certificat
l’adolescent a droit, en reconnaissant la
d’aptitude au sport, vaccination.. à
place des parents qui restent des soutiens indispensables. C’est
19%), rarement psychologique (6%).
une tâche complexe qui nécessite du temps, l’adolescent n’acSpontanément, le jeune exprime rarement d’autres motifs de
cordant parfois sa confiance qu’après un temps d’approche et
consultation que celui mis en avant par ses parents ou par luid’apprivoisement. Plusieurs consultations pourront alors être némême. Le médecin n’élargit le contenu de la consultation que
cessaires pour permettre l’évaluation de la situation, l’élaboramoins d’une fois sur deux quand le motif est administratif, une
tion de la demande et la négociation sur les solutions possibles.
fois sur trois quand il est somatique. Il identifie donc mal les
conduites à risque et il a tendance à attendre un état dépresUN RÉFÉRENTIEL D’ATTITUDES
sif pour évoquer un risque suicidaire, alors que 50% des suiToute consultation d’adolescent peut être élargie de façon
cides mortels ont lieu en dehors de tout état dépressif
simple :
caractérisé.
Le groupe ADOC, après avoir participé à l’enquête « LYCOLL »
L
LE SUICIDE, 2ÈME CAUSE DE MORTALITÉ
Rappelons-nous que le suicide est la deuxième cause de mortalité des jeunes de 15 à 24 ans (1000 morts par an). Les tentatives sont beaucoup plus nombreuses : 9% des adolescents
entre 14 et 19 ans. Alors que le suicide est un motif extrêmement rare de consultation, les suicidants consultent le médecin généraliste plus souvent que les non suicidants. 87% des
adolescents ayant fait un ou des actes suicidaires et non pris
en charge à ce titre ont consulté un généraliste pour d’autres
motifs dans les mois précédents.
La plupart des adolescents vont bien et il n’est pas question de
faire de l’adolescence une maladie. Mais 30 à 40% se plaignent de désagréments : mal-être, fatigue, douleurs somatiques diverses, désintérêt et fléchissement scolaire, etc. Ces
troubles sont souvent transitoires mais les prendre en compte
aidera l’adolescent à résoudre ces difficultés plus rapidement
et permettra l’établissement d’une relation de confiance.
15% des adolescents vont mal de façon durable et répétée, en
cumulant souvent difficultés psychologiques (mal-être, dépression, tentative de suicide), comportementales (consommation de produits, violence, délinquance), familiales et
sociales (conflit familial, exclusion ou marginalisation sociale),
environnementales (chômage des parents, séparation, décès
de proches), etc. Cumul, durée et répétition caractérisent ces
adolescents en grande souffrance.
Soulignons encore que quatre des grands problèmes de santé
publique prennent racine à l’adolescence : les accidents en
tout genre, les consommations de produits (tabac, alcool, can-
ATTITUDES À AVOIR QUAND UN MAL-ÊTRE A
ÉTÉ DÉPISTÉ
C’est le cas environ une fois par semaine pour un médecin généraliste à clientèle moyenne. L’objectif va être d’aider l’adolescent à passer le cap de turbulences.
• Donner son point de vue et recueillir le sien : mettre des mots
sur les difficultés de l’adolescent, cela l’aidera à exprimer son
malaise intérieur.
• Prendre le temps, dans la durée, sur 3 ou 4 consultations, pour
favoriser son expression, établir une relation de soins confortable, améliorer sa représentation de son corps et son estime de soi,
susciter une diversité de solutions à la mesure de ses capacités.
• Pour cela, fixer avec lui un nouveau rendez-vous, et pas seulement le proposer. L’expérience montre que cette attitude qui nous
est peu habituelle est quasiment toujours acceptée sans problème.
• S’appuyer sur des outils relationnels pratiques : explorer les
champs ouverts par le TSTS, parler de la famille, des territoires
réservés (« dans ta chambre, es-tu chez toi ou chez tes parents ? »), aider l’adolescent à évaluer ses ressources personnelles et environnementales en lui proposant de faire un
génogramme, d’écrire sa biographie, etc. Ce temps passé avec lui
pourra le préparer à rencontrer un psychologue ou un psychiatre,
selon la gravité de la situation.
• Joindre éventuellement le dispositif spécialisé, en cas de risque
suicidaire notamment, mais aussi quand rien ne bouge. Une difficulté importante : l’insuffisance de structures et de professionnels disponibles.
…11…
auprès d’élèves de 3e et 2e de Charente-Maritime, a mis au
point un test de dépistage du risque suicidaire, simple à utiliser en médecine générale, validé et recommandé par la
HAS : le test TSTS-CAFARD.
Il a aussi élaboré un référentiel d’attitudes permettant d’élargir le contenu des consultations aux champs psychologique
et social avec tout adolescent consultant.
Voici ces propositions :
• Après l’exposé du motif de la consultation, en respectant un
court temps de silence, poser la simple question : « À part
ça ? » « oui mais encore ? » permet de tripler les consultations abordant le mal-être.
• Pour intégrer le tiers accompagnant, se demander et demander :« Qui souffre ? » puis « Qui demande quoi ? Pour
qui ? » et enfin : « Que dire à qui et pourquoi ? »
• Commenter l’examen clinique : l’adolescent est soucieux
de sa normalité et est très attentif aux remarques du médecin touchant son corps. L’examen est aussi l’occasion d’aborder les divers champs de vie (consommation de produits,
alimentation, sexualité, etc.)
• Dépister un éventuel mal-être par le test TSTS, complété
en cas de réponse positive par la recherche des clés de gravité CAFARD et ainsi aborder les divers champs de vie de
l’adolescent, à explorer lors de consultations ultérieures.
Avec un adolescent, le médecin traitant, dans son rôle de médiateur (« med »= remettre de l’ordre) peut devenir temporairement le garant d’un certain souci de soi, le représentant
d’une nécessité de prendre soin de soi. Un des enjeux essentiels de notre métier ! ■
NOËLLE RAILLARD
Bibliographie
1.) HAS, Propositions portant sur le dépistage individuel chez l’enfant de
7 à 18 ans, destinées aux médecins généralistes, pédiatres et médecins
scolaires, septembre 2005
2.) Binder P. Comment aborder l’adolescent en médecine générale ? Rev
Prat 2005 ; 55 :1073-1077
3.) Binder P. Dépister les conduites suicidaires des adolescents : conception d’un test, validation de son usage. Rev Prat 2007;11:1187-99
4.) Choquet M., Ledoux S.Attentes et comportements des adolescents,
Paris : INSERM 1998
5.) Marcelli D. Suivi psychologique de l’adolescent. Comment repérer et
aider ceux qui vont mal ? Rev Prat 2005 ; 55 :1061-10634
6.) Alvin P, Marcelli D. Médecine de l’Adolescent. Paris: Masson, 2004