Clos Lucé - WordPress.com

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 Clos Lucé, Amboise. A Madonne Marianna et Sieur Nicolas De la part de Léonard de Vinci, voisin et témoin non invité de leur splendido mariage. Comme vous le savez sans doute (ou vous vous en doutez si vous ne le savez pas avec certezza), depuis que j’ai eu le privilège de mourir au château du Clos Lucé, j’aime interrompre de temps à autre mon repos éternel pour revenir dans cette meravigliosa demeure où j’ai passé mes dernières années. Je m’y rends toujours discretamente et sans jamais me faire voir, en général pendant la nuit, mais parfois aussi pendant le jour, pour jouir d’un petit sonnellino sur l’herbe dans ce parco affascinante. J’aime observer les visiteurs (je crois comprendre qu’on les appelle « touristes » de vos jours), regarder leurs espressioni quand ils voient mes inventions, et rigoler en silence de leurs commentaires qui très souvent démontrent à quel point ils sont ignari en mécanique, ingegneria, anatomia, architettura et autres scienze que je domine mais que je ne nomme pas par modestia. Oh ! j’aurais dû m’excuser dès le début de cette missive : infatti, je domine beaucoup de connaissances mais mon français n’est pas parfait, je suis désolé. Mon séjour à Amboise n’a pas été suffisamment long, malgré mon génie, et malgré la « méthode à 6000 » qui m’a été raccomandata par ma servante (je lui ai bien donné 6000 deniers, qu’elle a accepté avec un immense sorriso, mais mon français n’a pas progressé pour autant … je crois qu’elle se référait à autre chose comme méthode d’assimilation des langues mais elle a disparu avec l’argent avant de m’expliquer). Mes conversations avec mon ami François n’ont pas été utiles non plus : après le deuxième verre de vin il commençait à me parler en italien (enfin… il faisait de son mieux, le vin n’aidant qu’un peu). Il aimait bien que je l’appelle Francesco. Ou même « Cecco », le diminutivo toscano. Mais il m’a regardé di traverso le jour où je l’ai très affettuosamente appelé « Cecchetto », comme mon giovane amatissimo disciple-­‐assistant-­‐ami-­‐
confident Melzi, qui lui aussi s’appelait Francesco. Je crois que le roi de France partageait mes goûts artistiques mais probablement pas mes goûts dans d’autres domaines. Il y a quelques jours, mes visites au Clos Lucé ont été perturbate par une agitazione soudaine des personnes qui y habitent : toute sorte de fornitori andavano e venivano avec des vivres, des bouteilles, des tables, des assiettes. Ne pouvant plus me reposer tranquillement, j’ai observé, écouté, et enfin capito : c’étaient les préparatifs d’un mariage ! J’en ai eu la conferma quand je suis arrivé à l’église… avec molte difficoltà. Je vous explique pourquoi : la mariée (com’era bella, forse piu’ bella della mia Mona Lisa !), accompagnée d’un élégant sieur qui était probablement son père, est montée sur une étrange machine à quatre roues, ayant quelques ressemblances avec certaines de mes inventions mécaniques. Ma curiosità scientifique est irresistibile, et je suis donc monté sur la partie arrière de la machine, qui soudain a bondi en avant et s’est mise à avancer !!!! je me suis accroché fortissimo pour ne pas tomber. Heureusement que je suis invisible et que ma voix non è audibile per voi : personne n’a pu voir ni entendre un vieillard in preda al panico, faticosamente aggrappato à cette machine movente, glissant à droite è à gauche à chaque virage, la barbe au vent, hurlant de peur… Che spavento ! Je me suis senti mieux à l’intérieur de l’église : le curé, très simpatico, a mis tout le monde à l’aise, et la musique (celestiale !) a commencé. De mon temps, l’orgue était encore rare dans les églises, et produisait des sons à vous casser les oreilles à cause des tuyaux mal fabriqués : je suis content de voir que cet instrument a évolué et s’est perfezionato au cours des siècles. D’ailleurs je vous avoue un segreto : mon invention de la mitrailleuse a été inspirée par les tuyaux des orgues et par mon envie de tuer ceux qui massacrano la musica. J’étais tellement irritato par ces sons insopportabili que j’ai inventé un autre usage des tuyaux. Je suis très attristé de voir que de vos jours, mon invention est utilisée d’une façon abominevole dans des guerres bien plus crudeli et meurtrières que celles de mon temps. La cérémonie religiosa a élevé nos âmes vers le Très Haut. Mais pendant le rinfresco dans le parc du Clos Lucé, j’ai été meravigliato par la vision d’une autre élévation : soudain, dans le ciel bleu, j’ai vu d’enormi palloni colorati volant dolcemente …et sans ailes !!! j’ai observé attentivement et j’ai vite compris que l’air chaud les soulevait. Voilà une magnifica invenzione que j’aurais pu inventer ! pourquoi je n’y ai pas pensé ? j’aurais pu appeler ces ballons avec un nom original, par exemple des « montsoufflières », puisqu’ils peuvent survoler des montagnes avec du souffle chaud. En tout cas, je crois que voler avec ces ballons est bien plus sûr que voler avec mon invention : je dois encore terminer de payer les frais médicaux des jeunes « volontaires » qui ont essayé mes ailes et qui ont fait des vols vers le sol plus que vers le ciel. Mais c’est pendant le dîner que j’ai eu le plus de sorprese. Voici ce que j’ai compris (excusez-­‐moi si mon intelligenza n’a pas été suffisante pour tout saisir) : vous vous rencontrés dans une famosa bibliothèque parisienne que j’aurais eu du plaisir à fréquenter (non pas pour y rencontrer des jeunes filles, mais pour assouvir ma soif de culture : « fatti non foste per viver come bruti ma per aver sapere et canoscenza», disait dans son Enfer mon compatriote le divin Dante Alighieri). Vous, Madonna Marianna, vous avez des origines aussi variées que compliquées (en tout cas pour moi : dans les discours du dîner j’ai entendu parler des terres nordiques mais aussi d’un lontano paese qui est peut-­‐être « la piccola Venezia » dont parlaient ceux qui revenaient des misteriose Indes découvertes à l’Ouest). Vous, Nicolas, vous aimez les bâteaux de guerre et les arts marziali : rien que cet aspect de votre personnalité fait de vous mon disciple, car une personne qui aime ces choses comme moi est forcément quelqu’un de bon. J’ai aussi appris que vos mamans respectives sont des artistes passionnées de musique et de peinture : j’ai beaucoup apprezzato i loro contributi artistiques, qui démontrent qu’elles sont des gentili dame très cultivées de la Renaissance…pardon, de votre époque. Malgré leurs talents en peinture, les deux mamans n’ont pas pu rivaliser avec une autre meraviglia du dîner : une sorte de grande toile sur le mur au fond de la salle, qui s’illuminava pour montrer des portraits aussi instantanés que parfaits des mariés ou d’autres personnes ou choses ou animaux, et ces portraits si muovevano, ballavano, correvano al ritmo della musica… Prodigioso ! quel est ce peintre, ou cet inventeur génial de votre époque ? je voudrais le connaître (je crois que je vais mourir une deuxième fois, mais d’invidia !!). J’étais tellement ébloui e sbigottito par cette toile surprenante que j’ai repris du vin (celui dont la bouteille portait vos noms) molte, molte volte, pour essayer de mieux comprendre. Mais plus je buvais, plus la toile si offuscava devant mes yeux fatigués, très fatigués… Je me suis probablement addormentato malgré le bruit des danses, et je me suis réveillé le lendemain matin, assez tard, quand tous les invités erano partiti. Et i giovani e beaux mariés aussi… Il ne me reste qu’à vous féliciter de tout il mio cuore, dama Marianna et sieur Nicolas, en vous rappelant qu’avec votre amour vous portez en vous une énergie indomptable. Comme le disait si bien, à nouveau, mon compatriote le divin Dante à la dernière phrase de sa Commedia : « l’amor che muove il sole e l’altre stelle. » Leonardo da Vinci 

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