Le Gone du Chaâba Christophe Ruggia

Transcription

Le Gone du Chaâba Christophe Ruggia
Septembre
2006
Christophe Ruggia
La conquête d’une nouvelle identite
Fiche d’analyse de film
Bouzid NEGNOUG
Mohamed FELLAG
Nabil GHALEM
Anima MADJOUBI
Galamelah LAGGRA
Lounes TAIZAIRT
Kenza BOUANIKA
François MOREL
Le Gone du Chaâba
France
• 1998• Couleurs • 1h36
Scénario
Photographie
Decor
Son
Montage
Musique
Christophe RUGGIA, d’après le roman d’Azouz BEGAG
Dominique CHAPUIS
Richard CAHOURS DE VIRGILE
Jean-Pierre DURET
Nicole DEDIEU
Dafi BOUTELLA
146
Histoire
L’histoire
1965, Omar a neuf ans. Il est né en France
et vit avec les siens dans le chaâba, un bidonville
de la banlieue parisienne où sont rassemblées
plusieurs familles venues d’Algérie, d’ElOuricia.
Sans eau courante, ni électricité, le chaâba
n’offre aucun confort à ses habitants. Aller aux
toilettes, en pleine nuit, au fond de la cour,
si on n’allume pas sa lampe de poche, c’est
risquer de se prendre un saut d’urine sur la tête
comme cela arrive un soir à Omar qui rentre
tout piteux. Malgré des conditions d’hygiène
déplorables, Saïd a installé une boucherie, ce
qui inquiète son frère Bouzid, le père d’Omar,
qui craint les répercussions sur le chaâba si les
autorités françaises venaient à le découvrir.
Dans cet inconfort, il arrive aussi que la
lessive se termine par un crêpage de chignon
entre les femmes qui, lassent de trop attendre,
finissent par s’énerver.
Heureusement, de cet univers étroit, Omar
parvient à s’échapper grâce à son amour pour
les livres qui le font rêver et à son amitié avec
son cousin Hacène, le fils de Saïd.
Pour Hacène, la vie n’est déjà pas facile.
Comme la plupart des enfants du chaâba, il est
en situation d’échec à l’école et maltraité à la
maison. A l’inverse de Bouzid qui est fier des
bons résultats scolaires d’Omar et l’encourage,
Saïd ne cesse de reprocher à Hacène ses
mauvaises notes. Mais il ne le soutient pas, trop
pressé de le voir travailler pour rapporter de
l’argent comme le font déjà certains enfants.
Bouzid a beau se mettre en colère contre
Saïd, rien n’y fait. Au chaâba, peu ont compris
l’importance que leurs enfants apprennent bien
à l’école pour égaler les petits français. A l’école,
une mère vient même solliciter Omar pour qu’il
accepte de laisser son fils Nasser copier sur lui
en classe. Mais Omar refuse de tricher, ce qui lui
vaut un coup de poing de la part de Nasser et le
rejet de ses autres copains.
Progressivement, la mise à l’écart d’Omar
s’accroît surtout lorsque son maître le donne
en exemple, prouvant ainsi à Selim que ses
mauvaises notes n’ont rien à voir avec le racisme.
Tous se retournent contre Omar sur la cour de
récréation lui reprochant de ne plus être avec les
arabes mais avec les français. Cette accusation
touche beaucoup Omar, qui désemparé, confie
à son frère aîné, Farid, qu’il ne veut plus être un
bon élève.
Farid le réconforte en lui rappelant combien
Bouzid est fier de ses bons résultats et la chance
qu’il a de pouvoir être tant aimé de leur père. Pour
Farid, cette place lui sera à jamais inaccessible,
d’une part parce qu’il est moins doué, mais
surtout parce qu’étant né à El-Ouricia, son
esprit est sans cesse accaparé par le souvenir
de la lumière et du sable chaud de son village,
si différent de la boue du chaâba. Apaisé, Omar
ne se laisse pas faire lorsque Nasser l’agresse de
nouveau pour lui voler l’image de Charlemagne
que le maître lui a donnée pour le féliciter. Son
amitié avec Hacène se distend peu à peu ce qui
ne l’empêche pas d’être profondément triste
lorsqu’il voit son copain battu par son père.
Puis un jour, l’instituteur décide de donner
une leçon d’hygiène en classe. Il demande aux
élèves d’ôter chacun leurs chaussettes sans se
rendre compte du profond malaise qui envahit
Hacène. Omar tente de lui faire comprendre
combien son idée est mauvaise. En effet, se
sentant pris au piège, Hacène plante violemment
la pointe de sa plume dans la main du maître et
s’enfuit. Omar s’échappe à son tour pour aller
rejoindre son ami dans leur cabane où Hacène
s’apprête à faire une tentative de pendaison. Le
rire les rassemble à nouveau lorsque la branche
s’effondre et qu’Hacène s’aplatit brutalement
sur le sol.
De retour au chaâba, les enfants sont
interpellés par la police venue enquêter sur
l’existence d’une boucherie. Naïvement, Omar
les conduit jusqu’à l’étal de son oncle Saïd. Le
scandale qui s’ensuit sonne le glas du chaâba,
confirmant les craintes de Bouzid. Le temps
est venu de la séparation. A tour de rôle les
familles quittent le chaâba. Omar et les siens se
retrouvent dans un immense barre d’hlm.
istes de Réflexion
Pistes de réflexion
Directement adapté du livre d’Azouz
Begag, Le gone du chaâba témoigne de la vie des
algériens à leur arrivée en France au début des
années soixante. Nonobstant la misère dans
laquelle ils vivent, le film rend surtout compte
de l’important décalage entre les deux cultures
donnant lieu à des incompréhensions et pour
certains à une incapacité à s’intégrer. En même
temps, nous suivons le parcours tout à fait
singulier d’un enfant de neuf ans, Omar, dont
l’intelligence et la sensibilité lui permettent
d’embrasser la diversité des points de vue.
D’emblée, la première scène à l’école met
en évidence l’écart existant entre la culture
française et algérienne. Alors que l’instituteur
tente d’inculquer les règles de politesse
élémentaires en France « dire bonne nuit à ses
parents et les embrasser
avant de se coucher », cette
leçon semble anachronique
à Selim qui dit en riant
à son copain « Si je fais
ça, mon père appelle la
police ». Nous comprenons
immédiatement le fossé
que les enfants doivent
franchir pour pouvoir
s’adapter à l’école. Cette
première scène fait écho
à la dernière où l’instituteur ayant décidé de
donner une leçon hygiène ne tient pas compte
de l’environnement des élèves et déclenche
un fort sentiment d’humiliation chez Hacène,
insupportable.
Seul Omar parviendra à faire le pont entre
les deux cultures. De fait, il est capable de saisir
les logiques de chacun, ainsi que les limites et
les incompréhensions qu’elles génèrent. Celle
de l’instituteur qui manque de finesse, celle
de ses petits copains qui se sentent victimes
de racisme, celle de la mère de Nasser qui
ne comprend pas l’inutilité de tricher, ou la
proposition incongrue de Bouzid qui veut inviter
son maître à dîner. Omar se tient au milieu de
tous. Parfois écartelé, il apprend à faire face
à l’incompréhension et au rejet dont il est
victime et surtout à accepter la complexité de
son identité. Les histoires humaines sont telles
que l’identité est souvent le fruit de cultures ou
de traditions très diverses créant parfois chez
une personne un sentiment de division qui peut
être ressenti comme une menace pour son
unité. Mais face à ce déchirement, le propre
de l’homme est de réussir à transcender les
antagonismes, à unifier ce qui semblait de
prime abord inconciliables. Ainsi, Omar réussitil à trouver une position que Farid synthétise
très justement : « Tu es un arabe-français ».
Arabe par ses origines, Français par la langue
et la culture qu’il intègre parfaitement. Certes,
son amour des livres et des mots participent à la
réussite de cette démarche et nous rappellent
qu’habiter une terre passe aussi par le fait
d’habiter une langue.
Mais comment vivre quand tout son être
est ailleurs ? C’est aussi la question posée par le
film qui nous montre des profils très différents.
Certes, il y a Bouzid, le père d’Omar qui est
animé d’une forte volonté d’intégration. Il a
compris la nécessité de respecter les règles
de la société française et surtout l’importance
pour les enfants d’acquérir un niveau de culture
au moins égal à celui des
petits français. Lors de la fête
de la circoncision, il offre un
livre à Omar. Ce geste révèle
à la fois la délicatesse d’un
père à l’écoute des goûts de
son fils et en même temps,
témoigne de son désir de
rapprochement des deux
cultures. A l’inverse, bien
que désireux de s’adapter,
Saïd prend plus difficilement
la mesure des changements de comportement
à effectuer. Il n’a pas saisi la gravité de son
entêtement à vouloir ouvrir une boucherie au
chaâba. De même qu’il n’a pas compris l’intérêt
pour ses fils Hacène et Rabah d’apprendre
correctement la langue française. Enfin avec
Bouchaoui, Farid et bien d’autres encore, se
dessine un troisième profil. Celui de ceux et
celles qui vivent dans la nostalgie de leur village,
incapable de s’enraciner sur cette nouvelle
terre.
Quoiqu’il en soit, pour tous, le chaâba
est une sorte de sas entre les deux cultures.
Un lieu protecteur qui en tenant les familles
en marge de la société, leur permet de vivre
en sécurité, en n’étant pas en prise directe
avec un pays aux coutumes étrangères et de
conserver une atmosphère de village, où se
perpétuent la solidarité et la tradition. Les
autres lieux de vie que nous donne à voir le
réalisateur sont d’ailleurs peu nombreux :
l’école, la campagne avec quelques immeubles
au loin, la décharge, le chantier où travaille
Bouzid. Mais en même temps, avec son
grillage tout autour, le chaâba, suggère aussi
l’idée d’une prison qu’il ne sera pas facile de
quitter pour s’adapter ailleurs.
La dernière image du film montrant Omar
à la fenêtre d’une immense barre d’hlm, nous
dit l’anonymat cruel dans lequel les familles se
retrouvent plongées, leur marginalisation avec
l’isolement en plus. L’image est poignante.
Mais au même moment, les paroles d’Omar
en voix off, nous font comprendre qu’il est
maintenant armé pour affronter la perte d’un
environnement protecteur. C’est en effet un
cheminement initiatique que nous a donné
à voir le réalisateur, avec ses épreuves et ses
rites (notamment celui de la circoncision), qui
Nous contacter
conduisent Omar à passer de l’enfance à l’état
adulte. Au point départ, il y a une histoire : celle
du prisonnier qui, pour échapper à la peur,
fermait les yeux afin de voir d’autres mondes.
Omar apprend à faire de même. Sa grande
force résidera dans sa capacité à pouvoir rêver,
à imaginer, à se ressourcer à l’intérieur de luimême et à entrevoir des horizons plus vastes.
Omar conquiert sa liberté intérieure. Elle lui
permettra tout d’abord d’affronter le rejet de
ses copains de classe, de Selim, Nasser, mais
aussi de vivre l’éloignement d’Hacène qui
l’affecte beaucoup. En témoigne cette scène
où, après avoir été battu par son père, Hacène
refuse la sollicitude d’Omar et part à la pêche
avec les autres garçons. Blessé, Omar rentre
dans sa chambre et s’appuie un instant contre
le mur, abasourdi, la respiration haletante. Peu
après, il se plonge dans la lecture de son livre
« vingt mille lieux sous la mer » dont il ressortira
apaisé. Omar fait l’expérience de la solitude. Au
cœur de cette solitude, il affirmera son choix et
fera la promesse d’être le meilleur. Désormais,
rien ne pourra arrêter son rêve. Sa liberté est
totale.
« Le monde appartient à ceux qui n’ont rien »
dit Maurice Carême dans une poésie qu’Omar
récite à Zora. Omar portera ce message
d’espoir affirmant que tout est possible pourvu
que chacun ait confiance en lui-même. Mais
en même temps, le réalisateur nous laisse
entrevoir combien les trajectoires des autres
enfants du chaâba, Rabah, Farid et Hacène,
sont déjà biaisées.
C’est aussi une très belle histoire d’amitié
que nous conte Christophe Ruggia, vécue
de façon très sensible. Il est remarquable de
voir combien Omar souffre de voir Hacène
malheureux et de se sentir impuissant à pouvoir
le réconforter. Combien il se montre capable
de comprendre et d’accepter que son ami n’ait
pas le goût des livres, comme lui, et de trouver
un autre terrain d’entente.
Remarquable aussi la fidélité d’Omar qui,
malgré l’éloignement de son ami, reste très
proche de lui et très attentif à ce qui lui arrive,
comme en témoigne la leçon d’hygiène. Enfin,
le cadeau qu’offre Omar à Hacène à son départ
est très émouvant. Il lui donne ce qui compte le
plus pour lui : le dictionnaire qu’il avait eu tant
de joie à trouver dans la décharge, montrant à
quel point il est attaché à son ami. Un très beau
signe d’amitié qui vient éclairer le quotidien déjà
si sombre d’Hacène.
Christine FILLETTE
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