Les barra g es tro p i ca u x ,

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Les barra g es tro p i ca u x ,
Les barra g es tro p i caux,
émetteurs de gaz à effet de se r re
Les études effectuées sur le barrage Petit Saut, en Guyane française,
servent d’exemple pour surveiller les émissions de méthane des barrages tropicaux.
Gwenaël Abril et Frédéric Guérin
n milieu tropical, l’hydroélectricité n’est pas une
énergie neutre vis-à-vis de l’effet de serre. Lorsque
l’on construit un barrage sous les tropiques, on
ennoie généralement de grandes superficies forestières.
Les matières organiques végétales et présentes dans les
sols sont alors décomposées au fond des retenues de barrage par des microbes, ce qui conduit à une forte production de méthane (CH4), un gaz à effet de serre plus de
20 fois plus puissant que le gaz carbonique (CO2). Ce
méthane s’échappe ensuite vers l’atmosphère et contri bue
au réchauffement climatique. Ainsi, pour faire les choix
énergétiques du futur dans les régions tropicales, il est
nécessaire d’évaluer l’impact des retenues de barrages en
termes d’émissions de méthane.
Or trop peu de données sont disponibles aujourd’hui pour
quantifier cette source de méthane à l’échelle globale, d’autant qu’il subsiste une incertitude sur les superficies ennoyées.
Les quelques estimations réalisées jusqu’ici évaluent les émissions de méthane par les barrages tropicaux au même
ordre de grandeur que les émissions par les rizières mondiales
ou par la déforestation.Elles justifient par conséquent un effo rt
de recherches consacrées à ce problème.
1. LES ARBRES MORTS, MAIS ENCORE DEBOUT, de la zone ennoyée du
site de Petit Saut, en Guyane française (la photographie est un
peu floue, car prise d’une pirogue en mouvement). Seules
quelques épiphytes survivent sur les troncs. La décomposition
de la matière végétale forestière dans l’eau émet du méthane,
puissant gaz à effet de serre.
Les voies du méthane
Pa rmi les grands barrages tropicaux, celui de Petit Saut, en
Guyane française, est de loin le mieux documenté, grâce aux
études menées dès sa mise en eau en 1994, sous l’impul-
2. LES QUATRE VOIES DE TRANSFERT DU MÉTHANE vers l’atmosphère :
l’ébullition, la diffusion dans le réservoir, le dégazage, et la diffusion dans la rivière en aval.
sion d’EDF et du CNRS, études qui se poursuivent aujourd’hui.
Sur ce site, nous avons analysé, quantifié, puis modélisé le
cycle biogéochimique du méthane dans le réservoir. Nous
avons démontré que ce gaz s’échappe du réservoir vers
l’atmosphère par quatre voies distinctes (voir la figure 2).
La première est l’ébu l l i t i o n . Des bulles de méthane se
forment dans les régions peu profondes de la retenu e, où
la pression hydrostatique ne permet pas de maintenir en
phase dissoute le méthane produit dans les sols ennoyés.
Contenant environ 80 pour cent de méthane, les bulles quittent le sédiment et traversent rapidement la colonne
d’eau pour rejoindre l’atmosphère, sans subir l’influence
des processus biogéochimiques à l’œuvre dans l’eau. Cette
voie représente une quantité de gaz import a n t e, surtout
pendant les premières années après la mise en eau, lorsque
le stock de matière organique biodégra d a ble est maximal.
La deuxième voie est la diffusion du méthane, à partir
du fond vers la surface du réservoir. À Petit Saut, seulement 10 pour cent du méthane accède ainsi à la surface.
Le reste, soit près de 90 pour cent, est oxydé au passage
de l’oxycline, zone de séparation entre l’eau contenant de
l’oxygène dissous (aérobie) et l’eau n’en contenant pas
(anaérobie). En effet, la stratification thermique de la retenue
favo rise le développement à l’oxycline d’une importante population de bactéries méthanotrophes, c’est-à-dire de bactéries qui exploitent le méthane comme seule source de carbone.
La troisième voie d’émission de méthane est le dégazage. Des eaux de fond très riches en méthane transitent
dans les turbines, où elles sont brassées, ce qui permet aux
gaz de s’échapper. En outre, à Petit Saut, un seuil aérateur
a été installé pour oxygéner les eaux de la rivière Sinnamary
à l’aval, ce qui favo rise davantage le dégazage.
La dernière voie est la diffusion vers la surface de la rivière
en aval. Le méthane résiduel continue de diffuser vers l’atmosphère sur plusieurs dizaines de kilomètres, avant d’atteindre la très faible concentration des rivières naturelles. La
majorité du flux de méthane emprunte cette voie, à l’aval du
barrage. C o n nue depuis près de 10 ans à Petit Saut, l’importance de l’aval du barrage a été récemment confirmée sur
des sites brésiliens, comme le réservoir de Balbina (État
d’Amazonas), qui couvre une superficie six fois supéri e u r e
à celle de Petit Saut. Auparavant, les scientifiques n’avaient
réalisé des mesures sur ce site qu’au niveau du réservoir.
Un suivi mensuel, effectué depuis près de 13 ans à Petit
JANVIER-MARS / ©POUR LA SCIENCE
Saut, a mis en évidence une décroissance des émissions
de méthane au cours du temps. C’est une conséquence de
la disparition progressive de la matière organique ennoyée
la plus biodégradable.Dix ans après la mise en eau, on estime
qu’environ 20 pour cent de la matière organique forestière
(sols et végétaux) a été transférée à l’atmosphère, dont 3 pour
cent sous la fo rme de méthane et 17 pour cent sous la
forme de gaz carbonique. Cependant, le matériel forestier
inondé se décompose encore aujourd’hui, bien que plus lentement qu’au cours des premières années, et continue d’émettre
du méthane en grande quantité.
Petit Saut, site pilote
Ces connaissances fondamentales acquises sur le site de
Petit Saut ont permis de développer et de valider un
modèle biogéochimique qui reproduit l’ensemble des
processus de production et de consommation du méthane
dans le réservoir tropical.
Alertées par les publications scientifiques de plus en plus
nombreuses sur ces probl è m e s, des instances intern a t i on a l e s, telles que la banque mondiale (qui subve n t i o n n e
des constructions de barrages), l’UNESCO et l’Association
Internationale d’Hydroélectricité ont décidé d’encoura g e r
la recherche sur ce sujet.Des scientifiques et des industri e l s
de nombreuses nationalités se sont réunis lors de deux
colloques, l’un à Pa ris en décembre 2006, l’autre à Foz de
Iguazu au Brésil en octobre 2007, pour recenser l’ensemble des connaissances scientifiques et des lacunes
sur le sujet. Ils ont décidé de poursuivre à l’échelle intern ationale l’effort de modélisation des émissions de gaz à effet
de serre commencé à Petit Saut, en l’étendant à d’autres
barrages tropicaux et sub-tropicaux. Leur objectif est d’élaborer un outil d’aide à la décision pour les futurs choix
énergétiques dans ces régions.
Gwenaël AB R I L, chercheur au CNRS, travaille au Laboratoire
EPOC de l’Université Bordeaux 1 ([email protected]).
Frédéric GUÉRIN, chercheur post-doctorant au Max-PlanckInstitut für terrestrische Mikrobiologie, à Marburg, en Allemagne.
Jim GILES, Methane quashes green credentials of hydropower, in
N a t u r e, vol. 444, n° 524, 30 nov. 2006.
http://www.epoc.u-bordeaux.fr/indiv/Abril/index.html
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