Le prix des médicaments innovants menace-t-il l`accès aux

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Le prix des médicaments innovants menace-t-il l`accès aux
LE PRIX DES MEDICAMENTS INNOVANTS MENACE-T-IL
L’ACCES AUX SOINS ?
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Assemblée interassociative
20 juin 2016
1
SOMMAIRE
Pages
Une assemblée interassociative sur le prix des médicaments
innovants
3
Le prix des médicaments innovants : comment lever la menace
sur l’accès aux soins ? Les propositions du CISS
3
L’impératif de situer le débat au cœur de la campagne
présidentielle
4
Le rôle du CISS en tant que défenseur des droits des usagers
5
L’évolution des dépenses de médicament
7
L’état du droit relatif à la fixation du prix des médicaments
8
La propriété intellectuelle dans le domaine du médicament
11
L’exemple du traitement contre l’hépatite C
13
L’action associative pour l’accès de tous aux médicaments
innovants
16
2
Une assemblée interassociative
sur le prix des médicaments innovants
Entouré des plus grands spécialistes institutionnels et universitaires du domaine, et fort de
ses valeurs démocratiques, le CISS organise, le 20 juin 2016, une assemblée interassociative
et participative sur le thème du prix des médicaments innovants pour l’aborder sous l’angle
de l’accès aux soins.
Les associations membres du CISS jugent en effet nécessaire de se mobiliser (et de le faire
savoir) sur ce thème qui met en face à face les prix des nouveaux médicaments contre le
cancer notamment, et l’impératif de maîtrise des dépenses d’Assurance maladie.
C’est ainsi que Agnès Buzyn, Présidente de la HAS, Jean-Patrick SALES, Vice-président du CEPS,
Philippe Lamoureux, Directeur du LEEM, Valérie Paris, Economiste à l’OCDE, et Pierre-Yves
Geoffard, Directeur de la Paris School of Economics, seront présents pour permettre
aux participants de mieux comprendre les enjeux et mécanismes d’établissement des prix des
médicaments innovants.
L’après-midi sera particulièrement innovante puisque les participants auront à s’exprimer par
un vote en direct sur une série de questions relatives à ces enjeux de fixation des prix du
médicament.
Ils s’exprimeront par vote électronique accessible par leur téléphone portable, de façon à ce
qu’en fin d’après-midi, vers 16 h 30, l’ensemble des résultats du vote puisse être porté à la
connaissance de la presse.
Le prix des médicaments innovants :
comment lever la menace sur l’accès aux soins ?
Les propositions du CISS
Deux types d’actions doivent être conduits

Mettre en place, en toute transparence, un nouveau mécanisme de fixation des prix
des médicaments innovants, non plus basé sur leur seule « valeur thérapeutique et
médico-économique », mais incluant également le critère de coût (recherche,
développement, production, commercialisation, suivi en vie réelle…) aujourd’hui non
pris en compte. Il n’est en effet pas acceptable que les laboratoires obtiennent des prix
et des marges exorbitants pour leurs molécules innovantes, et ce sans rapport avec les
coûts réels qu’ils supportent. L’industrie du médicament a progressivement privilégié
3
une approche hautement spéculative de la santé. La dérive des prix se fait aux dépens
des malades, de la santé publique et de l’efficience des systèmes de santé. La santé
des personnes est en jeu, et l’Assurance maladie n’a pas vocation à générer des rentes
financières élevées au profit des firmes pharmaceutiques.

Améliorer la pertinence des soins, et en particulier de la prescription médicamenteuse,
pour libérer des financements nécessaires au développement et à l’accès à
l’innovation thérapeutique. Les marges sont réelles et les leviers nombreux pour agir,
notamment, sur la sur-médicalisation, les prescriptions systématiques des molécules
les plus récentes et les plus onéreuses, les soins redondants à l’hôpital comme en ville,
les soins inappropriés. Et ce d’autant plus que ces mésusages, excès et non pertinences
peuvent avoir des conséquences graves sur la santé et coûteuses pour la collectivité.
Activons-nous ! En faisant pleinement confiance au dialogue entre les professionnels
et les patients pour privilégier les meilleures stratégies de soins et la codécision.
L’impératif de situer le débat au cœur
de la campagne présidentielle
L’accès aux médicaments innovants n’est pas un thème sectoriel et encore moins le combat
d’une fraction de la société civile engagée dans des associations militantes. Il concerne
l’ensemble de la population, et doit susciter des engagements forts, au plus haut niveau de
l’Etat tant les implications économiques et sociales sont importantes.
Les grands équilibres de nos comptes sociaux et de notre pacte républicain sont en péril
aujourd’hui, et impose de nouveaux modèles pour le soutien à l’innovation et l’accès
démocratique aux soins.
Le CISS se mobilise pour inciter les candidats à se positionner clairement sur ces enjeux qui
ne doivent pas seulement être considérés au regard de leurs conséquences sur l’attractivité
économique et financière de notre pays. Le marché du médicament recèle une bonne dose
d’éthique à ne pas négliger si l’on tient encore à ce que le produit de la recherche profite à
tous, sans compromettre pour autant la courbe des dépenses remboursées par l’Assurance
maladie.
4
Le rôle du CISS en tant que défenseur des droits des usagers
Le CISS rassemble à ce jour
44 associations de patients, de
personnes en situation de handicap,
de consommateurs, de familles et de
personnes âgées. Toutes se sentent
concernées par l’augmentation du prix
des médicaments innovants et
expriment la plus grande inquiétude
par rapport aux risques que de tels
tarifs font peser sur l’accès aux soins.
Les associations membres du CISS
rassemblent des milliers de personnes
dont la survie dépend de leurs
médicaments. Leur objectif n’est donc
pas de jeter l’opprobre sur l’industrie
du médicament, mais plutôt de
comprendre les ressorts, opaques, de
l’envolée des prix qui semble ne plus
connaître de limites.
Ces préoccupations sont d’autant plus fortes que de nombreux signaux négatifs nous viennent
d’outre-Atlantique. Le marché du médicament aux Etats-Unis est à l'image du système de
santé américain : cher et inégalitaire. La dépense pharmaceutique moyenne par habitant y est
la plus élevée du monde : 985 dollars (722 euros) par an, contre 615 dollars en France, selon
les dernières données disponibles (2011) de l'Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE). Les prix de détail des médicaments y sont supérieurs
de près d'un tiers à ceux de la moyenne des pays développés.
L’augmentation des prix des médicaments aux Etats-Unis est largement assumée par des
patrons de laboratoires provocants et ivres de leurs droits.
5
L’ex-dirigeant du laboratoire Turing Pharmaceuticals, Martin Shkreli, s’est fait connaître
en août 2015 en faisant bondir le prix de médicaments contre la toxoplasmose et le paludisme
de 5 400 % sans aucun scrupule. Un scandale qui survient alors que les dépenses de
médicaments sur ordonnance ont augmenté de plus de 12 % en 2014 aux Etats-Unis, la plus
forte hausse jamais enregistrée depuis plus de dix ans. Les parlementaires attendaient des
explications sur les pratiques de Turing dans le cadre d’une audition devant la Chambre des
représentants, mais celles-ci ne sont jamais venues.
Le patron de Valeant, un autre laboratoire, est également dans le collimateur des
parlementaires américains sur ce sujet de la hausse abusive du prix des médicaments. Après
avoir acheté les brevets de deux médicaments, le Nitropress® (traitement contre
l’hypertension et les attaques cardiaques) et l’Isuprel® (traitement contre l’arythmie
cardiaque), le groupe avait augmenté leur prix un an plus tard de, respectivement, 200 % et
500 %, provoquant de vives protestations des hôpitaux.
Ce thème de la hausse abusive du prix des médicaments est devenu un thème de campagne
pour Hillary Clinton. Il y a quelques semaines, la candidate à l’investiture démocrate pour
l’élection présidentielle a promis qu’en cas de victoire elle obligerait l’industrie
pharmaceutique à modifier ses pratiques.
C’est dans ce contexte que le CISS tire la sonnette d’alarme. Pour que le business du
médicament n’atteigne pas les fondements de notre système de santé, garant de l’accès à
tous aux traitements adaptés. Les grands équilibres sont aujourd’hui menacés et c’est en
réaction à ces attaques que les associations s’unissent pour rappeler que les médicaments ne
sont pas des valeurs spéculatives, que la santé des personnes est en jeu, et que l’Assurance
maladie ne doit pas être traitée comme l’actif financier des firmes pharmaceutiques.
6
L’évolution des dépenses de médicament
Une dynamique des dépenses soutenue par le médicament en 2014…
Quatre des cinq composantes de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM)
progressent moins vite en 2014 qu’en 2013 : les soins hospitaliers, les soins de ville, les
dépenses d’autres biens médicaux et celles de transports.
En revanche, après deux années historiques de recul en 2012 et 2013, les dépenses de
médicaments en valeur repartent à la hausse en 2014.
Cette rupture est due à l’introduction des traitements innovants contre le virus de l’hépatite
C, qui accroissent de plus de 80 % le montant de la rétrocession hospitalière1.
Taux d’évolution des principales composantes de la CSBM (en %)
A l’image des années précédentes, ce sont les soins hospitaliers qui ont le plus contribué à la
croissance en valeur de la CSBM en 2014 (+1,0 point), compte tenu de leur poids important
dans la consommation. Viennent ensuite les soins de ville (+0,7 point).
En 2014, la contribution des médicaments est positive (+0,5 point), à un niveau qu’elle n’avait
pas atteint depuis de nombreuses années en comparaison des autres dépenses de soins et de
bien médicaux et alors qu’elle avait même été négative les deux années antérieures (2013 et
2012).
1
Certains établissements de santé disposant d’une pharmacie à usage intérieur (PUI) peuvent être autorisés, par
les Agences régionales de santé (ARS), à dispenser des médicaments aux patients non hospitalisés (patients
ambulatoires). On dit que ces médicaments sont « rétrocédés » par les PUI à ces patients.
7
… en particulier sous l’effet de l’arrivée sur le marché des médicaments coûteux contre
l’hépatite C
Selon le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) rendu public le 7
juin dernier2, les dépenses remboursées de médicaments ont progressé de 1,2% en 2015
(2,2% en 2014), portées par les nouveaux médicaments innovants contre l’hépatite C (dont
Solvadi®, Daklinza® et Olysio® inscrits au remboursement au deuxième trimestre 2014, puis
Harvoni® disponible fin 2014), même après application des mécanismes de régulation
spécifique.
Cette augmentation des dépenses remboursées de médicaments est portée par les nouveaux
traitements innovants, relativement peu nombreux : la dépense est ainsi fortement
concentrée sur peu de molécules, chacune représentant donc un coût très élevé pour
l’assurance maladie.
« Les dépenses relatives à la rétrocession hospitalière progressent de 14,3% en 2015 après
40,5% en 2014 et contribuent pour 15% à la croissance totale des prestations de soins de
ville. Les autres produits rétrocédés connaissent également une croissance forte de 7,7%
après 8,1% en 2014 », souligne la commission.
L’état du droit relatif à la fixation
du prix des médicaments
Prix libres /Prix administrés
En France, les prix des médicaments sont pour la plupart administrés, même si des prix libres
existent pour certaines spécialités.
Les spécialités non remboursables ont un prix et des marges de distribution totalement
libres. Il s’agit soit de médicaments pour lesquels le fabricant n’a pas demandé de
remboursement par l’assurance maladie (cas le plus fréquent), soit des médicaments qui n’ont
pas obtenu l’inscription sur la liste des produits remboursables en ville ou à l’hôpital.
Il s’agit des 3 types de médicaments :
- produits hors liste, que l’on peut acquérir sans ordonnance (OTC – Over the counter) ;
- produits sur liste, donc à prescription obligatoire, mais non remboursés ;
- versions OTC de produits sur liste et remboursables.
A l’inverse, les médicaments remboursables par l’Assurance maladie relèvent tous d’un prix
administré.
2
Les comptes de la sécurité sociale : Résultats 2015 et prévisions 2016 (juin 2016).
8
Les modes d’administration du prix des médicaments
- Les médicaments ambulatoires (délivrés en ville) remboursés ont un prix administré
résultant d’une négociation entre le laboratoire et le CEPS (Comité économique des Produits
de Santé).
Depuis 2003, le prix des spécialités innovantes bénéficie d’une certaine semi-liberté3
puisqu’il est proposé par le laboratoire puis approuvé par le CEPS. L’objectif est de favoriser
l’innovation.
- Les prix des médicaments hospitaliers (délivrés en établissements de santé) n’étaient
absolument pas régulés jusqu’en 2003 et résultaient de la négociation entre les laboratoires
et les hôpitaux. La mise en place de la tarification à l’activité dans les hôpitaux a fixé des règles
encadrant les pratiques de négociation des prix des médicaments rétrocédés et onéreux.
Pour les médicaments dont les prix sont les plus élevés, leur prescription et délivrance sont le
plus souvent restreintes, à l’hôpital, dans le cadre d’une inscription sur la « liste en sus4 ».
Le Comité économique des Produits de Santé
Le Comité économique des Produits de Santé (CEPS) est l’organisme réunissant des
représentants de différents ministères (Economie et Finances, Sécurité sociale, Industrie et
Santé), ainsi que des représentants de l’assurance maladie, obligatoire et complémentaire.
Le CEPS est chargé de la fixation des prix du médicament après avis de la Commission de
transparence (CT) et, pour les médicaments les plus coûteux, après avis de la Commission
d’Evaluation économique de Santé publique (CEESP) de la Haute Autorité de Santé (HAS).
Il contribue à l'élaboration de la politique du médicament, met en œuvre les orientations qu’il
reçoit des ministres compétents, en particulier il applique ces orientations à la fixation des
prix, au suivi des dépenses et à la régulation financière du marché des médicaments.
Pour mener cette action le comité peut conclure avec les entreprises ou groupes d’entreprises
des conventions portant sur le prix des médicaments et son évolution, sur les remises, sur les
engagements des entreprises concernant le bon usage des médicaments et les volumes de
vente, sur les modalités de participation des entreprises à la mise en œuvre des orientations
ministérielles.
3
Dans la procédure dite de dépôt de prix, l’entreprise s’engage à ce que le prix déposé soit « cohérent » avec les
prix acceptés dans les pays suivants : Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni. Elle s’engage aussi, au cas où
les ventes dépasseraient les prévisions fournies pour les quatre premières années de commercialisation, à
compenser financièrement par des remises conventionnelles les surcoûts pour l’Assurance maladie.
4
Alors qu’en principe les hôpitaux reçoivent de la Sécurité sociale pour chaque séjour d’un patient un paiement
forfaitaire global avec lequel ils doivent payer les médicaments comme leurs autres charges, ils reçoivent en plus
du forfait versé par la Sécurité sociale l’intégralité du coût des médicaments lorsqu’ils sont considérés comme
innovants et coûteux. Le dispositif de la « liste en sus » a été établi dans le but de favoriser l’accès aux traitements
innovants et coûteux.
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Les règles de fixation du prix des médicaments remboursables
L'article L.162-16-4 du code de la Sécurité sociale détermine les règles de la fixation du prix
des médicaments remboursables par la Sécurité sociale.
Quatre critères principaux sont ainsi retenus pour fixer le prix des médicaments, dans le
cadre de négociations conduites entre les laboratoires pharmaceutiques et le CEPS :
- d’abord son niveau d’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR)5, et le cas échéant
de son évaluation médico-économique,
- et ensuite :
o le prix des médicaments à même visée thérapeutique déjà disponibles sur le
marché,
o le volume des ventes prévues ou constatées,
o les conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament.
Les coûts effectivement supportés par les industriels ne sont pas retenus pour fixer le prix
des médicaments.
Les prix officiels sont fixés par convention entre chaque laboratoire pharmaceutique et le
CEPS. Ils correspondent à des « prix faciaux » qui ne tiennent pas compte des accords de rabais
confidentiels éventuellement consentis par les industriels.
Dans le cas où la négociation n’aboutirait pas, le CEPS peut fixer le prix de façon unilatérale
mais ce mécanisme est peu utilisé.
Depuis le 21 décembre 1988, la Directive européenne 89/105/CEE, dite de transparence, a
imposé aux pays européens un cadre réglementaire pour la fixation des prix. Ces dispositions
concernent essentiellement les régulateurs, d’une part tenus d’afficher les critères utilisés
pour la détermination du prix des médicaments (en France, seuls les critères indiqués plus
haut peuvent donc être retenus), d’autre part de respecter les délais de réponse et de justifier
leur décision en matière de régulation des prix. Les industriels, détenteurs des autorisations
de mise sur le marché, doivent de leur côté fournir des éléments à la décision du régulateur.
11 janvier 2016 : signature d'un nouvel accord-cadre pluriannuel entre le CEPS et les
industries du médicament
Cet accord, qui s’inscrit dans la continuité des précédents, définit les modalités de négociation
avec chaque entreprise des prix des médicaments remboursables par l'Assurance maladie. Il
constitue l'un des outils essentiels de la politique du médicament menée par les pouvoirs
publics et montre la priorité donnée aux relations conventionnelles avec les industriels (cf. cidessous, partie « Les limites aux droits conférés par le brevet »).
Cet accord fixe les conditions de négociation et les engagements publics de niveaux de prix en
fonction des ASMR attribués par la Commission de transparence de la HAS.
5
L’ASMR est évaluée par la Haute Autorité de Santé.
10
Pour ce qui concerne les médicaments innovants (ASMR 1 à 3), l’accord garantit que le prix
fixé en France ne peut pas être inférieur au prix le plus bas des quatre marchés européens
de référence (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne).
Toutefois, le CEPS n’est pas tenu par cette clause si la CEESP a émis des réserves majeures
sur la méthodologie des études médico-économiques réalisées par l’industriel.
L’accord prévoit de renforcer les instances de concertation entre le CEPS et les entreprises
du médicament.
Les engagements réciproques portent sur :
- la place de l'analyse médico-économique afin de mieux déterminer le juste prix des
médicaments, en particulier des plus innovants ;
- la prise en charge des médicaments dans le respect de leurs indications ;
- l'arrivée des nouveaux médicaments et des biosimilaires en créant des dispositifs rapides
d'accès au marché ;
- la prise en compte des investissements en recherche et développement ou en production
des entreprises en Europe, dans la politique de fixation des prix.
Ce nouvel accord-cadre est placé sous le signe de la « préférence conventionnelle » : dans la
mesure du possible, le gouvernement s'engage à consulter ses partenaires industriels quand
un médicament très coûteux pour les finances publiques arrive sur le marché, afin de trouver
une solution négociée plutôt que de voter une loi. Désormais, un « comité de pilotage de la
politique conventionnelle » (CPPC) devra réunir les acteurs de l'industrie et du gouvernement
afin d'échanger des données et surtout des prévisions sur les nouveaux anticancéreux, antiAlzheimer, antidiabétiques qui pourraient changer la donne budgétaire.
La propriété intellectuelle
dans le domaine du médicament
L’innovation brevetée
Le brevet confère à son titulaire une exclusivité commerciale temporaire en contrepartie de
la publication de l’innovation. Le brevet peut être obtenu pour tout type d’invention. Mais
l’innovation ne sera effectivement brevetée que si elle est véritablement nouvelle, si elle
implique une activité inventive et si elle est susceptible d’application industrielle.
Le brevet est publié : cette obligation est capitale. Le brevet rend publique une innovation
dont les données pourraient rester confidentielles et secrètes.
Il s’agit d’une protection spécifique attachée au dossier qui est déposé auprès de l’autorité de
santé pour l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché. L’objectif est de préserver
des renseignements qui ont occasionné des frais de recherche, notamment pour une nouvelle
indication thérapeutique. Cette protection a vocation à inciter les entreprises à investir dans
la recherche et à développer des indications innovantes.
11
Le brevet a une durée limitée à 20 ans à compter du jour de dépôt de la demande.
Une nouvelle molécule, dont le brevet vient d’être déposé, fera encore l’objet de recherches,
de mises au point et d’essais pendant une dizaine d’années avant que les autorités sanitaires
n’autorisent sa mise à disposition pour les malades. Le médicament ne serait donc en réalité
protégé par le brevet qu’une dizaine d’années. Afin de compenser la durée
exceptionnellement longue de sa recherche, le médicament peut bénéficier d’un « certificat
complémentaire de protection » (CCP) qui prolonge la durée du brevet, au maximum pour 5
ans complémentaires.
En pratique, le médicament est en moyenne protégé commercialement pendant environ
une quinzaine d’années (durée de validité du brevet au moment de la mise sur le marché
prolongée du CCP). Lorsque les droits de propriété intellectuelle ont expiré, on dit que
l’invention « tombe dans le domaine public ». Dans ce cas, le médicament original peut être
légalement copié, on parle alors de médicaments génériques qui permettent de faire baisser
le prix des molécules.
Les limites aux droits conférés par le brevet
Il est tout à fait possible et légal, pour un pays en situation d’urgence sanitaire, de délivrer
une « licence obligatoire » pour fabriquer un médicament sous brevet sans l’autorisation de
son titulaire.
Les mécanismes ont été prévus dès 1994 par l’accord international sur les ADPIC (Aspects des
Droits de la Propriété Intellectuelle touchant au commerce) qui précise l'étendue et les
conditions d'application des droits liés aux brevets mais prévoit également diverses
dérogations à l'application de ces droits. Il permet notamment aux pays justifiant d’une
urgence sanitaire de fabriquer sur leur territoire, sous « licence obligatoire » des médicaments
sous brevet, sans l’autorisation du titulaire de ce brevet. L’accord signé le 30 août 2003 a
apporté une réponse complémentaire aux pays faisant face à une urgence sanitaire, mais sans
capacité de production locale. Ils peuvent désormais faire appel à des pays tiers pour fabriquer
les produits dont ils ont besoin sous licence obligatoire. Ils disposent ainsi d’un nouveau circuit
d’approvisionnement légal.
Le CEPS peut également fixer le prix de manière unilatérale.
Ces décisions unilatérales sont rares. Les ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale
et de l’économie peuvent alors s’opposer, dans un délai de quinze jours, au prix
unilatéralement fixé et arrêter à leur tour le prix qu’ils estiment approprié.
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L’exemple du traitement contre
l’hépatite C
Qu’est-ce- que l’hépatite C ?
L’hépatite C est une maladie du foie causée par un virus. Le virus de l’hépatite C peut
entraîner à la fois une infection hépatique aiguë et une infection chronique, dont la gravité
est variable, pouvant aller d’une forme bénigne qui dure quelques semaines à une maladie
grave qui s’installe à vie. Le virus va alors détruire le foie progressivement. Ses cellules vont
réagir en fabriquant une sorte de cicatrice, c'est le stade de la fibrose (mesurée du stade F0
au stade F4 qui correspond à la cirrhose). Cette dégradation du foie va provoquer une
altération de toutes les fonctions hépatiques, or le foie est un organe vital.
L’infection du foie due au VHC évolue dans 80 % des cas vers la chronicité et une dégradation
du fonctionnement hépatique, aboutissant dans près de 20 % des cas à une cirrhose.
L’hépatite C est aussi une cause majeure de cancer du foie. L’hépatite C peut générer des
manifestations extra-hépatiques, indépendamment de l’état d’avancée de la fibrose
(asthénie invalidante, vascularites, troubles neurocognitifs, problèmes de peau, grave
sécheresse de la bouche et des yeux).
Le virus de l’hépatite C est un virus transmis par le sang. Les principaux modes d’infection
résultent de pratiques d’injection à risque, d’une mauvaise stérilisation du matériel médical
dans certains établissements de soins, et de l’absence de dépistage du sang et des produits
sanguins lors de transfusions (avant 1992).
À l’échelle mondiale, 130 à 150 millions d’individus sont porteurs chroniques de l’hépatite C.
En France, l’hépatite C toucherait 230 000 personnes.
Jusqu’à récemment, le traitement était basé sur l’association entre l’interféron et à la
ribavirine, qui nécessitait des injections hebdomadaires pendant 48 semaines, guérissait
environ la moitié des patients, mais provoquait de lourdes et fréquentes réactions indésirables
pouvant parfois engager le pronostic vital. Depuis peu, de nouveaux médicaments antiviraux
ont été mis au point.
Ces nouveaux principes actifs, appelés agents antiviraux directs (DAA), sont bien plus efficaces
et mieux tolérés que les traitements plus anciens. Un traitement avec ces médicaments
permet l’élimination du virus chez la plupart des personnes infectées par le VHC en 12
semaines. Bien que le coût de production de ces agents antiviraux soit faible, les prix initiaux
fixés par les fabricants sont très élevés et rendront l’accès à ces médicaments difficile, y
compris dans les pays à revenu élevé.
13
L’histoire du sofosbuvir (Sovaldi® de Gilead)
L’histoire du sofosbuvir a commencé le 21 novembre 2011, lorsque Gilead Sciences a fait
l’acquisition de Pharmasset, une société de biotechnologie détentrice de trois candidats
médicaments au stade des essais cliniques pour le traitement de l’hépatite C.
Le coût d’acquisition de Pharmasset a été évalué à 11 milliards de dollars (9,7 milliards
d’euros), bien au-dessus de la valeur estimée de cette société, pour écarter les concurrents.
Malgré tout, avec le recul, l’investissement s’est révélé plus que juteux du fait des prix exigés
et obtenus par Gilead. Le 3 février, Gilead Sciences a annoncé des ventes de sofosbuvir d’un
montant de 10,3 milliards de dollars pour la seule année 2014. Sans compter celles d’un autre
de ses médicaments, Harvoni, combinant en un seul comprimé le sofosbuvir et une autre
molécule inhibant le VHC, qui a rapporté 2,1 milliards de dollars depuis son autorisation en
octobre 2014.
En France, le CEPS a négocié le prix du médicament Sovaldi® (sofosbuvir) à 13 667€ HT par
boîte de 28 comprimés, soit 41 000 euros pour un traitement de 12 semaines. Le « premier »
prix facial d’une combinaison de traitement amenant à la suppression virologique est ainsi
fixé à 46 000 euros (combinaison Harvoni®, sofosbuvir + ledipasvir). D’autres traitements
innovants contre le VHC ont également été récemment commercialisés par d’autres
laboratoires, mais cette concurrence n’a, pour l’instant, pas eu pour effet de faire baisser les
prix. En fonction des profils des malades, le prix facial d’une cure est ainsi facturé entre
46 000 euros et 132 000 euros (le traitement pouvant être prolongé jusqu’à 24 semaines
pour certaines personnes en échec thérapeutique).
Les tentatives de régulation des dépenses
La Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale (LFSS) a prévu
des contributions aux dépenses relatives aux médicaments traitant l’hépatite C à la charge
des entreprises concernées.
Cette mesure met en place un mécanisme de financement spécifique à la charge des
entreprises exploitant une spécialité pharmaceutique dans le domaine de l’hépatite C.
L’objectif de ce dispositif est de faire contribuer les entreprises concernées dès lors qu’un
certain niveau de chiffre d’affaires, réalisé au titre des spécialités pharmaceutiques relatives
au traitement de l’hépatite C, est dépassé. Ce mécanisme a été présenté comme un moyen
d’assurer un niveau maximal de dépense pour l’Assurance maladie sans limiter l’accès aux
traitements des personnes malades, mais en faisant porter la responsabilité de la fourniture
du traitement aux laboratoires qui le fabriquent au-delà d’un certain niveau de dépenses.
Cette contribution est codifiée aux articles L. 138-19-1 et suivants du Code de la sécurité
sociale (CSS) et s’apparente au mécanisme de clause de sauvegarde déjà existant. En effet, ce
mécanisme avait été créé en 1999 pour prémunir l'Assurance maladie contre une
augmentation trop importante ou trop rapide des dépenses de médicament par rapport à la
tendance anticipée. A posteriori des dépenses de médicaments, des contributions doivent être
14
versées par les laboratoires pharmaceutiques lorsque le taux d'évolution du chiffre d'affaires
hors taxe dépasse un taux, appelé taux K, fixé chaque année par la LFSS.
Pour l'hépatite C, il a été ajouté le déclenchement de ce mécanisme au-delà d'un plafond de
chiffre d'affaires annuel pour les médicaments concernés. Sans le citer, c'est bien du Sovaldi®
dont il est question.
Au-delà de ce montant, les laboratoires concernés doivent reverser une contribution
progressive, calculée en fonction du chiffre d'affaires réalisé. Le but : éviter que l'ensemble du
secteur ne verse des contributions au titre d'un dépassement provoqué par les médicaments
de l'hépatite C.
Concrètement, en 2014 ce mécanisme de régulation devait se déclencher si le chiffre d'affaires
alloué au traitement de l'hépatite C était supérieur à 450 millions, et à 700 millions d'euros en
2015. En 2014, selon le gouvernement, les traitements de l'hépatite C auraient ainsi
finalement coûté 650 millions d'euros à la sécurité sociale après intervention de ce
mécanisme. Pour 2015 ?
Sélection des malades susceptibles d’accéder au traitement
Compte tenu des prix exorbitants demandés par les laboratoires, les prescriptions ont été
« réservées » aux personnes à un stade « avancé » de la maladie (F2 « sévères », F3, F4). Le
rationnement de l’accès aux nouveaux traitements a aussi été organisé en conditionnant les
prescriptions à l’avis de « réunions de concertation pluridisciplinaire » (RCP), organisées
principalement dans des centres experts dont le nombre est limité.
Ce rationnement est en contradiction avec le droit constitutionnel d’accès aux soins
(bénéfice individuel d’accès au traitement) et s’oppose à toute approche de santé publique
(traiter pour limiter les transmissions).
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L’action associative pour l’accès de tous
aux médicaments innovants
Dans le domaine de l’hépatite C
En septembre 2014, plusieurs associations, dont SOS Hépatites, Médecins du Monde
(MdM), Aides et le CISS, se sont élevées contre le prix jugé « exorbitant » du sofosbuvir. Elles
ont demandé – sans effet – au ministère français de la santé de prendre une licence d’office
sur le médicament afin d’autoriser des fabricants de génériques à le produire à coût très
réduit.
Gilead, de son côté, a justifié ce montant élevé :
- d'une part du fait des coûts de développement (notamment les essais cliniques qu’il a
financés),
- et d’autre part en raison des nombreuses complications médicales évitées (cirrhoses,
cancers du foie, etc.) pour les malades et pour le système de santé qui n’aura ainsi pas
à prendre en charge les soins correspondants.
En 2015, MDM a contesté le bien-fondé du brevet détenu par Gilead sur le sofosbuvir (la
procédure est en cours). L’association s’appuie sur deux arguments : le « manque d’activité
inventive » et le fait que « l’objet du brevet s’étende au-delà du contenu de la demande telle
qu’elle a été déposée initialement ».
Sur le premier point, MDM fait valoir que l’ajout du groupement chimique rendant active la
molécule découlait de l’état de la technique. Cette découverte est en effet issue des travaux
menés par l’équipe du Pr Chris McGuigan, à l’université publique britannique de Cardiff, et
publiés en 2007. Sur le second motif d’opposition, MDM souligne que la demande de brevet
a été déposée avant que le sofosbuvir soit identifié. A l’époque, insiste MDM, le sofosbuvir
« n’était qu’une molécule parmi les milliers d’autres potentiellement actives sur lesquelles
Pharmasset revendique la priorité ».
L’arrêté du 10 juin 2016
Le 25 mai, journée nationale de lutte contre les hépatites virales, la ministre de la Santé a
annoncé des mesures fortes en faveur de la lutte contre l’hépatite C. Concernant les
indications de traitement, la ministre de la Santé a annoncé des mesures pour adapter le cadre
réglementaire actuel :
Consécutivement, un arrêté a été publié le 10 juin 20166, fixant les nouvelles conditions
d’accès aux nouveaux traitements contre l’hépatite C :
- Les traitements sont proposés à toutes les personnes aux stades de fibroses F2, F3 et F4.
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Arrêté du 10 juin 2016 relatif aux conditions de prise en charge de spécialités pharmaceutiques disposant d'une
autorisation de mise sur le marché inscrites sur la liste visée à l'article L. 5126-4 du code de la santé publique.
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- Les traitements sont proposés aux personnes présentant des manifestations extrahépatiques dues à l’hépatite C.
- Les traitements sont proposés quel que soit le stade de fibrose à toutes les personnes
présentant des risques d’évolution rapide de la maladie.
- Les traitements sont proposés quel que soit le stade de fibrose à toutes les personnes
présentant des risques de transmission (femmes en désir de grossesse, usager de drogue
notamment).
Les personnes transplantées ou en attente de greffe ont également accès au traitement.
Par ailleurs, en septembre 2016, un nouvel arrêté devrait consacrer l’accès universel aux
traitements. Le Ministère de la Santé a annoncé avoir saisi la HAS sur cette question.
Ce texte porte sur l’élargissement des indications dont les associations se félicitent au titre
de l’accès aux soins. En revanche, à ce stade, aucune décision ne prévoit encore de mesures
fortes sur la renégociation du prix au regard de l’augmentation conséquente des volumes.
Dans le domaine du cancer
La Ligue contre le cancer dénonce l’explosion des prix des médicaments innovants en
cancérologie, notamment au travers d’une pétition en ligne.
En décembre 2015, la Ligue contre le cancer réclamait déjà plus de transparence quant au prix
des médicaments innovants contre le cancer et tentait de faire réagir les pouvoir publics.
Après l'appel des 100 cancérologues contre le coût des traitements excessifs contre le cancer,
publié dans Le Figaro en mars dernier, la Ligue a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme
via une pétition sur le site change.org.
Elle demande une baisse de prix des médicaments contre le cancer. Son objectif étant de
rassembler des signatures pour sensibiliser les pouvoirs publics afin qu'ils résistent aux
pressions des laboratoires pharmaceutiques.
Certains médicaments contre le cancer, très innovants, représentent un progrès considérable
et précieux pour les patients : des chances supplémentaires de guérison et la possibilité
d'augmenter leur durée de vie. Mais le problème, c'est que le prix à payer peut atteindre des
sommes irréalistes. Par exemple, le nouveau médicament contre le cancer de la peau
(Keytruda®) est très prometteur et donne d'excellents résultats en étude clinique pour soigner
les mélanomes à un stade avancé, mais coûte plus de 100 000 euros par an et par patient.
Plus généralement, en matière d’immunothérapie, il existe plusieurs molécules (antiPD1) à un
stade de développement avancé pour des thérapies très spécifiques et qui s’annoncent d’ores
et déjà très coûteuses, ceci d’autant plus qu’il est probable que leurs indications s’étendent
largement à d’autres cancers compte tenu des résultats en vie réelle.
Menaces sur l'équité d'accès aux traitements innovants. Le risque, c'est de voir s'installer une
médecine injuste entre ceux qui auront les moyens de se soigner et les autres.
Pourquoi les prix sont-ils aussi élevés ? Qu'il s'agisse de médicaments contre le cancer ou
d'autres médicaments innovants, l'industrie pharmaceutique détermine ses prix en fonction
des capacités économiques du marché, relève en outre La ligue contre le Cancer.
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