Les multinationales lancent une opération de charme

Transcription

Les multinationales lancent une opération de charme
UN LAUSANNOIS CHEZ IKEA
CYBATHLON
Nicolas Cortolezzis
Compétition
pour hommesmachines PAGE 41
Depuis seize ans, le designer conçoit
des objets pour le géant suédois PAGE 35
D’Arc. Studio Associates Architects
6 AVRIL 2014
31
MARCHÉ DU TRAVAIL
La clé de l’emploi
Il aide les cadres et universitaires
à décrypter les annonces
PAGE 39
«
Je suis contente de ne pas
avoir à penser chaque jour à ce qui
se serait passé si la Grèce n’était
plus dans l’euro»
ANGELA MERKEL
Chancelière allemande
Matin Dimanche 06.04.2014
A l’heure où les départs frappent l’arc lémanique
LE
COMMENTAIRE
Les multinationales lancent
une opération de charme
FRANÇOIS
PILET
Chef de la rubrique
économie
Onze mille vierges
effarouchées
IMAGE Mardi prochain,
81 multinationales lémaniques
unies vont annoncer l’ouverture
de leurs portes au public,
histoire de prouver leur fidélité.
Cette semaine, pourtant,
Weatherford, une de plus, a
préféré Dublin à Genève.
Elisabeth Eckert
[email protected]
Dialogue avec la population
Mais la directrice générale de Procter &
Gamble a bien compris que toutes les
études possibles ne suffiront pas à convaincre le Genevois et le Vaudois
lambda de l’intérêt d’avoir sur leur sol
des Caterpillar, Hewlett-Packard, Japan Tobacco, DuPont ou autres Medtronic. Dès lors et «dans un élan
d’ouverture visant à renforcer le dialogue avec la population, les 81 multinationales membres du GEM, représentant 30 000 emplois directs, se sont
unies pour mener une action commune
en mai prochain.»
Suspens. Selon nos informations,
cette action commune consistera en
une semaine portes ouvertes. Chaque
jour, des entreprises internationales
accueilleront le public et y organiseront des conférences et des tables
ouvertes. On y parlera innovation
technologique, engagement local,
Contrôle qualité
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Elles ne cessent de dispenser le chaud
et le froid. «On vous aime, vraiment,
pour votre lac, vos montagnes, vos diplômés et votre qualité de vie». Et
pourtant, les multinationales parlent
constamment d’un départ immédiat si
rien ne va plus…
Frédérique Reeb-Landry est une
combattante infatigable. Depuis des
années, la directrice générale du siège
européen de Procter & Gamble s’est investie dans toutes les organisations
économiques du bout du lac, pour créer
des passerelles entre le monde politique local, l’économie endogène et ces
OVNI venus d’ailleurs.
Mardi prochain, elle enfilera un nouveau costume: celui de présidente du
Groupementdesentreprisesmultinationales (GEM) qu’elle a créé en 2012. Elle
organise à Genève la première conférencedepressedecetteorganisation.«A
cette occasion, le GEM et ses partenaires
évoqueront les retombées économiques
et sociales générées par la présence des
multinationales sur la région et leur contributionàlaprospéritéetaudynamisme
de l’arc lémanique», déclare-t-elle.
Lorsqu’il découvrit les îlots inhospitaliers qui deviendraient les îles Vierges
britanniques, Christophe Colomb
aurait eu une pensée pour la très pieuse
sainte Ursule, l’héroïne de la légende
des onze mille vierges.
Cette inspiration religieuse s’est rapidement dissoute dans la moiteur des
Caraïbes. L’archipel devint d’abord un
repaire de pirates, puis de marchands
d’esclaves, avant de se transformer,
dès les années 1980, en havre virtuel
pour les boucaniers de l’évasion fiscale
et les filous de la finance sillonnant les
océans de l’économie globalisée.
En 2013, les îles Vierges britanniques, territoire d’outre-mer sous la
souveraineté du Royaume-Uni, ont attiré 92 milliards de dollars d’investissements étrangers. Ce chiffre place
l’archipel de 30 000 âmes juste derrière les Etats-Unis, la Russie et la
«
Le siège européen de Procter & Gamble à Genève s’investit pour mieux faire connaître les multinationales
au grand public.
Keystone/Martial Trezzini
«
Nous
visons à
renforcer le
dialogue avec
la population»
FRÉDÉRIQUE
REEB-LANDRY
Présidente du GEM
sous-traitance avec les PME lémaniques. Et fiscalité. Les initiateurs espèrent surtout qu’ils rencontreront le
même succès qu’aux portes ouvertes
du CERN, les 28 et 29 septembre derniers, qui avaient réuni près de
100 000 personnes.
Car l’heure est grave. En termes
d’image, les multinationales étrangères n’ont plus vraiment la cote. Comme
l’explique Aloïs Bischofberger, ancien
chef économiste du Credit Suisse et
membre du think tank Avenir Suisse,
«la Suisse a certes profité de la mondialisation en améliorant les niveaux de
revenus et des places de travail, il
s’avère toujours difficile de chiffrer
cette contribution économique, si ce
n’est de façon empirique.»
Une alerte: Weatherford
Cette semaine encore, une étude de la
Fondation pour Genève a démontré
que les employés internationaux
n’étaient pas à l’origine de l’assèchement du marché du logement dans la
Cité de Calvin. Mais rien n’y fait: la
brouille semble déclarée entre les multinationales et la population, et les reproches fusent de part et d’autre.
Cette semaine, le groupe de services
pétroliers américain Weatherford a
annoncé le transfert de son siège social
de Genève vers l’Irlande, mettant la
faute sur «de récentes modifications
dans la législation suisse». En clair:
l’initiative Minder, approuvée par le
peuple il y a un an, poserait «des obstacles à la marche des affaires de l’entreprise sur le long terme».
Même Nestlé se sent mal à l’aise.
Dans une interview publiée samedi par
le quotidien «Le Temps», le président
Peter Brabeck a estimé que les votations récentes avaient «compliqué
quelque peu» la situation. «Toutes les
décisions prises ces derniers mois ont
d’ailleurs engendré de l’incertitude
pour l’ensemble de la place économique suisse», a-t-il affirmé.
«La mondialisation pousse les sociétés à reconsidérer le choix de leurs
emplacements», prévient Aloïs Bischofberger. Or, estime l’économiste,
une fois qu’une vague de départs est
déclenchée, «il est difficile de l’arrêter». Et, conclut-il, la Suisse doit enfin
décider si elle veut accueillir des entreprises de rang mondial. Hélas et «au
regard de certaines décisions politiques prises récemment, on peut en
douter.» Les multinationales prendront donc l’initiative, dès ce mardi,
pour tenter de rallumer la flamme. x
Les loueurs de
sociétés parasol de
Road Town ont reçu
une grosse noix de
coco sur la tête»
Chine. Trou noir statistique. En réalité,
cet argent a simplement été rendu anonyme par les quelque 500 000 compagnies boîtes aux lettres, facturées un
petit millier de dollars par an chacune.
L’an dernier, les loueurs de sociétés
parasol de Road Town ont reçu une
grosse noix de coco sur la tête. Un
groupe international de journalistes
d’investigation, l’ICIJ, a publié les noms
des détenteurs de milliers de leurs sociétés écrans. La nouvelle a fait le tour
du monde, et déclenché la panique chez
les clients et fournisseurs d’anonymat.
Les autorités locales ont réagi. Le
Parlement vient d’approuver une loi
qui punit de vingt ans de prison et d’un
million de dollars d’amende toute divulgation d’information sur les détenteurs de sociétés offshore. Ce texte doit
encore être avalisé par un gouverneur,
nommé par la Grande-Bretagne.
Comme le note l’hebdomadaire britannique The Economist, il sera intéressant de connaître l’opinion de Sa Majesté sur cette question de transparence.
En attendant, les amateurs d’anonymat
pourront se rassurer un peu en se disant
qu’il existe au moins encore un pays qui
punit par la prison les violeurs de secret
fiscaux: la Suisse. x

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