Le sang a-t-il un prix - Espace Ethique Poitou

Transcription

Le sang a-t-il un prix - Espace Ethique Poitou
Le sang a-t-il un prix ?
juillet 2016
Pr Roger GIL
Directeur de l’Espace de Réflexion Ethique Poitou-Charentes
Le sang est-il un médicament ou un tissu humain de substitution ? La différence n’est pas
neutre ni sur le plan légal, ni sur le plan éthique. En tant que tissu humain il peut ou non être
rémunéré : chaque pays est libre de distinguer un tissu humain d’un organe et déclarer que
le premier peut être considéré comme un bien patrimonial et non l’organe. La France a
toujours tenu à la gratuité du don des composants du corps, cellules, tissus, organes qu’elle
assimile au corps. Le don du sang est donc gratuit en France, ce que la justice européenne ne
peut contester alors qu’en Allemagne, en Autriche, et parmi d’autres pays, aux Etats-Unis, en
Chine, le don de sang est rémunéré, de l’ordre d’une cinquantaine d’euros. L’OMS estimait
en juillet 2016 que dans 72 pays, plus de 50% de l’approvisionnement en sang dépendent
encore de dons de compensation pour un membre de la famille et de dons rémunérés1. Mais
qu’en est-il des produits dérivés du sang, obtenu par des procédés biotechnologiques ? Les
immunoglobulines humaines polyvalentes, support de l’immunité2 ont été considérées
comme des médicaments dont la matière première est le sang. La France a maintenu la
gratuité du don mais a perdu voici longtemps l’exclusivité de la distribution 3 livrée à la
concurrence de laboratoires étrangers qui extraient les immunoglobulines de sang
rémunéré. Le 31 janvier 2015, une nouvelle étape était franchie : le laboratoire suisse
Octapharma obtenait de la justice européenne le statut de médicament pour l’Octaplas qui
est du plasma sanguin4 appelé SD car traité par un solvant-détergent : le plasma perdait
alors son statut de produit sanguin périssable, devenait un médicament, ce qui faisait
perdre à l’EFS son monopole en matière de production de plasma industriel thérapeutique.
Cette décision de l’Europe inquiéta: l’EFS soumis à la concurrence ne serait-il pas contraint à
envisager des licenciements de nombre de ses salariés? Fallait-il envisager de rémunérer en
France les donneurs de sang pour soulager les coûts de production ? Car paradoxalement la
gratuité du sang à un coût : elle nécessite des campagnes de communication, l’organisation
de collectes, certaines au plus près des citoyens, bref une infrastructure inutile au sang
rémunéré qui attire plus facilement les candidats. Et la différence de coût est importante : le
plasma français est deux fois plus cher que le plasma provenant de sang rémunéré. Le
marché mondial des produits dérivés du sang étant estimé une douzaine de milliards
d'euros5, on comprend les appétits financiers qu’il suscite.
Un an et demi plus tard, la France n’a pas renoncé à son modèle de gratuité du don du sang.
Car la rémunération du don du sang si elle permet de disposer de stocks plus importants
n’est pas sans risques, ce que ne manque pas de souligner l’OMS : les candidats peuvent
1
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs279/fr/
Prescrites dans les déficits immunitaires et les maladies auto-immunes
3
Le législateur a confié au LFB l’exclusivité du fractionnement du plasma issu du don bénévole, collecté sur le
territoire national par l’EFS.
4
Le sang contient 45% de cellules (globules rouges, globules blanc, plaquettes) et 55% de plasma/
5
https://www.senat.fr/questions/base/2015/qSEQ150215016.html
2
omettre de signaler des antécédents médicaux qui contre-indiqueraient les prélèvements
qui offrent ainsi une sécurité sanitaire moindre. L’OMS recommande un dépistage
systématique des infections dans tous les dons de sang : VIH, hépatites B et C, syphilis. Le
dépistage des infections dans les approvisionnements devrait être effectué conformément
aux exigences du système de qualité. Or 16 pays ne sont pas en mesure de rechercher dans
tous les dons de sang une ou plusieurs de ces infections. L’idéal reste donc pour l’OMS le
maintien ou la mise en place de systèmes nationaux de transfusion sanguine fondés sur les
donneurs de sang volontaires non rémunérés et à œuvrer à la réalisation de l’objectif
d’autosuffisance6.
Ainsi le don de sang gratuit permet une sécurité maximale des donneurs et des receveurs,
promeut la solidarité, refuse l’instrumentalisation de personnes venant quêter des revenus
et qui sont conduites même à mettre en danger leur propre santé en tentant de multiplier
les prélèvements et la santé des autres. Sur ce sujet le France montre que le respect de la
personne humaine peut ne pas être contradictoire avec la bienfaisance. Pour vertueux qu’il
soit, ce comportement pourra-t-il résister à la puissance attractive des marchés et des
profits ?
6
http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs279/fr/
©Roger GIL, Le sang a-t-il un prix ?, www.espace-ethique-poitoucharentes.org