La santé des Roms en France
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La santé des Roms en France
Vous allez consulter un mémoire réalisé par un étudiant dans le cadre de sa scolarité à Sciences Po Grenoble. L’établissement ne pourra être tenu pour responsable des propos contenus dans ce travail. Afin de respecter la législation sur le droit d’auteur, ce mémoire est diffusé sur Internet en version protégée sans les annexes. La version intégrale est uniquement disponible en intranet. SCIENCES PO GRENOBLE 1030 avenue Centrale – 38040 GRENOBLE http://www.sciencespo-grenoble.fr MÉMOIRE La Santé des Roms en France : entre besoins humanitaires et responsabilité des institutions Alice BOUVIER D’YVOIRE Grenoble 2011 Travail soumis pour l’obtention du Master Spécialisé « Organisation Internationale, OIG, ONG » Institut d’Études Politiques de Grenoble – B.P 48 – 38040 Grenoble cedex 9 MÉMOIRE La Santé des Roms en France : entre besoins humanitaires et responsabilité des institutions Alice BOUVIER D’YVOIRE Grenoble 2011 Travail soumis pour l’obtention du Master Spécialisé « Organisation Internationale, OIG, ONG » Institut d’Études Politiques de Grenoble – B.P 48 – 38040 Grenoble cedex 9 Ce travail a été effectué durant un stage au Comité d’Aide Médicale sous la direction du tuteur professionnel, Solène EDOUARD, directrice générale, et de Pierre MICHETTI, directeur de mémoire, Professeur associé à l’IEPG. The analysis has been undertaken during an internship at the Comité d’Aide Médicale, under the direction of the internship supervisor: Solène EDOUARD, General Manager, and Pierre MICHETTI, thesis supervisor, IEPG. Cette analyse ne représente que l’opinion personnelle de son auteur et ne peut en aucun cas être attribuée au Comité d’Aide Médicale. The analysis expresses the personnel opinion of its author and cannot be attributed to the organisation Comité d’Aide Médicale where the internship took place. 2 3 REMERCIEMENTS… … A toute l’équipe du Comité d’Aide Médicale pour m’avoir fait confiance pendant ce stage et permis de participer à l’ensemble des projets menés. Un clin d’œil particulier à l’équipe France qui conduit un travail formidable auprès des Roms, qui m’a permis de découvrir ce peuple et m’a donné l’envie de réaliser ce mémoire. … A Pierre Micheletti pour m’avoir encadré dans ce mémoire, mais aussi toute l’équipe de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble pour la formation offerte pendant ces cinq années d’études. … A Edouard Rey. … A mes correcteurs pour leur patience et leur attention. 4 RESUME Ce mémoire étudie les réponses apportées aux besoins humanitaires en matière de santé qu’ont les Roms migrants d’origine roumaine et bulgare, vivant en France dans des conditions de vie très précaires. Le niveau de vie des Roms et leur état de santé sont largement en dessous des moyennes françaises. Une réponse urgente est nécessaire et doit s’attaquer à tous les déterminants de la santé (partie I). Les premiers acteurs ayant une responsabilité d’intervenir sont des acteurs étatiques, du niveau local au niveau européen. Or, leur positionnement est ambigu, et malgré les possibilités d’agir, la plupart des acteurs se désengagent de – voire contribuent à – la dynamique d’exclusion des Roms (partie II). Face à une situation qui perdure, les acteurs de l’aide humanitaire et sociale s’engagent pour favoriser l’accès aux soins. Nous étudierons cet engagement et ses limites face aux institutions (partie III). ABSTRACT This research paper studies the migrant Roma population living in France in precarious living conditions and originating from Romania and Bulgaria and how their humanitarian needs in the health area are handled. The Roma’s standards of living and their overall health are largely below French standards. An emergency response is necessary and needs to deal with all health factors (I). The first actors with a responsibility to react are state actors, from the local level to the European level. Yet, their positioning is ambiguous and despite the possibilities to react, most actors are disengaging or even contributing to the exclusion of Roma people dynamic (II). Facing a long lasting situation, humanitarian and social help actors are committed to favor their access to care. We will study this commitment and its limits regarding the institutional context (III). 5 TABLE DES MATIERES Table des illustrations : ............................................................................................................... 8 Introduction : ............................................................................................................................ 11 I. Une situation dramatique appelant des interventions d’urgence .................................... 17 A. Etat des lieux de la santé des Roms en France .......................................................... 18 1. Principales pathologies et vulnérabilités................................................................... 18 2. Exclusion du système de santé de droit commun ..................................................... 21 B. Facteurs d’explication................................................................................................ 26 1. Un cadre juridique français et européen discriminant.............................................. 27 2. Conditions et mode de vie des Roms : pour une approche intégrée des problèmes des Roms …………………………………………………………………………………………………………………………………30 3. II. Les préjugés raciaux comme facteur aggravant les inégalites .................................. 34 Cacophonie des réponses institutionnelles : soutiens ou adversaires de l’intégration des Roms ? ……………….................................................................................................................................. 37 A. Des actions en faveur de la santé publique............................................................... 38 1. Les rôle des structures de santé régionales et locales .............................................. 38 2. Des politiques volontaristes d’amélioration de l’accueil des Roms .......................... 40 3. le financement des programmes associatifs pour la santé des Roms ...................... 42 B. Des blocages persistants à l’encontre des Roms....................................................... 43 1. Un accueil différencié dans les structures de santé .................................................. 43 2. Des politiques nationales discriminantes .................................................................. 44 3. L’impact des expulsions sur la santé ......................................................................... 45 C. Un cadre européen en faveur de l’intégration des Roms non contraignant ............ 48 1. L’Union européenne promotrice de bonnes pratiques ............................................. 49 2. L’orientation politique de l’Union européenne : stratégie européenne d’intégration des Roms et financements ............................................................................................................ 51 III. A. L’aide humanitaire et sociale face aux paradoxes des institutions ............................... 55 Le travail des associations et ONG en réponse aux limites des institutions ............. 56 6 1. Des dispositifs axés sur la santé ................................................................................ 56 2. Tentatives d’approche intégrée de la question Roms, l’exemple des villages d’insertion …….. ............................................................................................................................. 60 B. Les limites du travail humanitaire et social ............................................................... 63 1. La dépendance du travail associatif à la volonté de l’Etat ........................................ 63 2. L’aide humanitaire favorise-t-elle le désengagement de l’Etat ?.............................. 65 Conclusion ................................................................................................................................ 69 Bibliographie ............................................................................................................................ 71 Annexes .................................................................................................................................... 74 Annexe 1 : Présentation du stage : structure et contenu .................................................... 74 Annexe 2 : Du choix des mots, de Michèle Mézard, avec la participation d’Olivier Legros et Martin Olivera. .................................................................................................................................. 77 Annexe 3 : Lettre envoyée à l'Agence Régionale de Santé .................................................. 80 Annexe 4 : Lettre du maire d’Ivry-sur-Seine au Préfet du Val-de-Marne............................. 81 7 TABLE DES ILLUSTRATIONS : Figure 1: Pays avec la plus haute proportion de Roms dans la population totale (% de la pop) (Conseil de l’Europe, division Roms et voyageurs, Juillet 2008) ......................................................................... 12 Figure 2 : Estimation de la population Rom en Europe (Conseil de l’Europe, Division Roms et voyageurs, Juillet 2008) ......................................................................................................................... 13 Figure 3: Justificatifs exigés dans le cas des roms migrants en France en fonction de leur situatn administrative (source : Romeurope 2010) .......................................................................................... 24 Figure 4: Bidonville en seine Saint denis, Steven Wassenaar ............................................................... 31 Figure 5: Village d'insertion à Aubervilliers (source : iledefrance.fr) .................................................... 61 8 LISTE DES ABREVIATIONS AME APRF ARH ARS CAF CAM CASO CCAS CIAS CMU CPAM DDASS DRASS ERRC FEDER FNASAT- Gens du voyage FSE GISTI GRSP IAP IVG LDH MDM MRS OFII OMS ONG OQTF PCF PMI PNUD UE UMP URCAM Aide Médicale d’Etat Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière Agences Régionales de l’Hospitalisation Agence Régionale de Santé Caisse d’Allocation Familiale Comité d’Aide Médicale Centre d’Accueil de Soin et d’Orientation Centre Communal d’Action Sociale Centre Intercommunaux d’Action Sociale Couverture Maladie Universelle Caisse Primaire d’Assurance Maladie Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales European Roma Rights Centre Fonds Européen de Développement Economique Régional Fédération Nationale des Associations Solidaires avec les Tsiganes et Gens du voyage Fonds Social Européen Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés Groupement Régionaux de Santé Publique Instrument d’Aide de Préadhésion Interruption Volontaire de Grossesse Ligue des Droits de l’Homme Médecins Du Monde Missions Régionales de Santé Office français de l’Immigration et de l’Intégration Organisation Mondiale de la Santé Organisation Non-Gouvernementale Obligation de Quitter le Territoire Français Parti Communiste Français Protection Maternelle et Infantile Programme des Nations Unies pour le Développement Union Européenne Union pour un Mouvement Populaire Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie 9 On reconnaît le niveau de démocratie d’un peuple à la façon dont il traite les Roms. Vaclav Havel 10 INTRODUCTION : Le 19 mai 2011, à Pantin en Seine Saint-Denis, un bidonville habité par des populations Roms1 et ciblé par une campagne de vaccination prévue de longue date est expulsé. Cette expulsion a été menée par la Préfecture avec l’aide des forces de police. Ce jour-là devait également avoir lieu le suivi par du personnel médical de deux personnes atteintes de tuberculose. L’intervention sanitaire devait être menée conjointement par les principales Organisations Non-Gouvernementales (ONG) médicales travaillant auprès des populations Roms d’Ile-de-France : Médecins du Monde (MDM) et le Comité d’Aide Médicale2 (CAM), avec les soutiens du Conseil Général et des Services Santé de la ville. Les conséquences d’un tel évènement sont d’abord des risques pour la santé publique : le risque d’épidémie de rougeole et de tuberculose est grandement accru. Il est de fait difficile de retrouver les personnes ciblées par ces campagnes et qui risquent de contaminer des lieux de vie qui ne l’étaient pas. La seconde conséquence visible de cet évènement est la mise en avant des contradictions entre les différents niveaux institutionnels, le manque de coordination entre les projets et l’absence de ligne politique claire face aux enjeux de santé publique liés à la population Rom. Ce mémoire a pour objet de mettre en lumière ces contradictions, en prenant comme exemple celui des Roms migrants en France, vivant dans des conditions de vie déplorables, souvent aux portes des grandes villes. Qui sont les Roms ? Les Roms seraient arrivés pour la première fois en Europe, en provenance du nord de l'Inde, au IXe siècle. Leur présence est attestée dans la plupart des pays européens depuis le XIVe siècle. Environ 70 % des Roms d'Europe vivent en Europe Centrale et Orientale, où ils représentent entre 5 et 10 % de la population. Il existe également des minorités importantes de Roms en Europe de 1 Le terme de « Rom » a été adopté par l'Union Romani Internationale lors du premier Congrès international des Roms (Londres, 1971) qui a revendiqué le droit légitime de ce peuple à être reconnu en tant que tel. Il officialisa la dénomination « Roms ». L’orthographe « Rrom » ne sera pas utilisée dans ce mémoire en raison des connotations politiques qui y sont associées. Pour plus d’informations à ce sujet, consulter l’annexe 2. 2 Le Comité d’Aide Médicale est l’ONG dans laquelle s’est déroulé mon stage : pour plus d’informations à ce sujet, consulter les annexes. 11 l'Ouest, en particulier en Espagne (entre 600 000 et 800 000 personnes), ainsi qu'en France et au Royaume-Uni (jusqu’à 300 000 Roms et Gens du voyage3 dans chacun de ces pays). FIGURE 1 : PAYS AVEC LA PLUS HAUTE PROPORTION DE ROMS DANS LA POPULATION TOTALE (% DE LA POP) (CONSEIL DE L’EUROPE, DIVISION ROMS ET VOYAGEURS, JUILLET 2008) La majorité des Roms d'Europe Centrale et Orientale sont aujourd'hui sédentaires. Le processus de sédentarisation a commencé au XIXe siècle et s'est accéléré à l'ère communiste en raison d'une politique officielle qui allait en ce sens. En Europe de l'Ouest, beaucoup de Roms (plus communément appelés gitans ou manouches), mais toujours une minorité, ont conservé un style de vie nomade ou semi-nomade, mais tendent aussi à se sédentariser. Sous les régimes communistes, les Roms bénéficiaient d’emplois, même s’ils étaient parmi les moins prisés : ramassage des ordures, nettoyage des villes, manutention pénible, emplois dans les coopératives agricoles et les usines. Les enfants allaient plus à l’école qu’aujourd’hui. La chute de ces régimes et le passage à une économie de marché ont provoqué pour beaucoup d’entre eux la perte de ces emplois, une dégradation des 3 En France, les minorités ethniques ne sont pas reconnues et il n’y a donc pas de statistiques officielles sur les Roms. Il existe cependant une catégorie administrative appelée « gens du voyage », rassemblant les groupes ayant un mode de vie itinérant. Cette appellation regroupe une population majoritairement d’origine française et au mode de vie nomade, auxquels ne s’identifient pas les Roms dont nous allons traiter ici. 12 conditions de vie et, pour les plus jeunes, l’absence de perspective d’avenir. Elle a aussi réactivé à l’est les rancœurs et la discrimination envers cette minorité, qui, en Roumanie par exemple, a été maintenue en esclavage jusqu’au XIXe siècle. Certains Roms ont alors choisi d’émigrer vers les pays d’Europe de l’Ouest, où ils continuent néanmoins à être victimes d'une marginalisation extrême et de violations de leurs droits humains. Dans ce mémoire, nous adopterons une définition stricte du terme « Rom », désignant uniquement les Roms d’Europe de l’Est qui migrent depuis les années 90 vers l’Europe de l’Ouest, et notamment en France. Ce sont principalement des Roms d’origines roumaine et bulgare. Les Roms français – les plus nombreux en France – sont exclus de ce travail de recherche, parce qu’ils n’ont pas le même statut et ne rencontrent donc pas les mêmes difficultés que les Roms migrants européens. D’après les estimations faites par les ONG, il y aurait en France environs 15 000 Roms migrants d’Europe de l’Est. Cette estimation est stable depuis de nombreuses années, malgré les expulsions en augmentation depuis 2002 d’une part, et l’adhésion des pays d’Europe de l’Est à l’Union européenne en 2007 d’autre part, alors même que de nombreuses personnes craignaient l’arrivée massive d’immigrés en provenance de Roumanie et de Bulgarie. Cette population est faible non seulement en volume, mais aussi en part de la population Rom dans la population globale en France. Ceci est en effet à mettre en perspective avec les données européennes, sachant qu’il y aurait en Europe entre 10 et 12 millions de Roms, habitant principalement en Europe de l’Est (probablement 90 % venant de Roumanie, mais aussi Bulgarie, Macédoine, République Tchèque). FIGURE 2 : ESTIMATION DE LA POPULATION ROM EN EUROPE (CONSEIL DE L’EUROPE, DIVISION ROMS ET VOYAGEURS, JUILLET 2008) 13 Dans un rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) publié en 2006, les Roms sont décrits comme le groupe le plus touché par la pauvreté en Europe. Ils sont victimes de discriminations dans les domaines de l’éducation, de l’accès à l’emploi, de la sécurité physique (ils sont victimes de violences), de l’accès au logement et de la santé4. Toujours selon le PNUD, le « sous-développement » des Roms en Europe de l’Est est comparable à celui des habitants de certains pays africains. Plus d’un Rom d’Europe de l’Est sur deux affirme souffrir de la faim. Seul un tiers a terminé l’école primaire et 1 % a suivi un enseignement supérieur. Partout en Europe les Roms souffrent par ailleurs de fortes discriminations raciales et de xénophobie, y compris dans les pays où ils sont établis de très longue date comme en Europe de l’Est. Ce contexte défavorable incite les Roms à quitter leur pays d’origine pour tenter de s’établir dans des pays plus riches, où plus d’opportunités s’offrent à eux. La chute du régime communiste ainsi que l’élargissement de l’Union européenne5 facilitent la circulation de ces personnes sur le continent, sans pour autant éradiquer toutes les barrières à leur inclusion sociale. En quête d’une vie meilleure en France, les Roms font face à un accueil déplorable et sont contraints de se débrouiller pour survivre au mieux : ils s’installent sur des terrains désaffectés aux lisières des villes, subissent l’hostilité du voisinage et ne bénéficient pas de protection sociale. Le mauvais état de santé global des Roms reflète non seulement les conditions de vie dans leurs pays d’origine, mais aussi leur situation en France. En effet, leur niveau d’accès aux soins et leurs conditions de vie ne permettent pas une véritable amélioration de leur état de santé. Si leur arrivée en France peut être, entre autres, motivée par l’existence d’un meilleur système de protection sociale, lorsque les Roms sont en grande situation de précarité, prendre soin d’euxmêmes n’est pas leur priorité. Dans l’urgence, d’autres domaines prennent le pas : le logement, la nourriture, le travail, tous nécessaires à leur subsistance immédiate. Pour rappel, la santé, telle que définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »6. Nous adopterons donc ici une définition large de la santé, englobant ses différents aspects. 4 PNUD, At Risk: Roma and the Displaced in Southeast Europe, Bratislava, 2006. er La Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’Union européenne le 1 janvier 2007. 6 Préambule de 1946 de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé 5 14 Problématique : Nous choisissons ici d’étudier la question des inégalités de santé entre Roms et non-Roms pour montrer les incohérences et les insuffisances des institutions rendant nécessaires les interventions de type humanitaire par les associations, et ce, dans le domaine de la santé. L’aide humanitaire est une forme de solidarité destinée aux populations pauvres, sinistrées ou confrontées à une guerre. Elle cherche à répondre à des besoins divers (santé, faim, reconstruction, etc.). L’aide humanitaire peut prendre soit la forme d’une « aide d’urgence », soit la forme d’une « aide au développement ». Le choix de traiter ce sujet découle aussi du mandat de l’ONG dans laquelle s’est déroulé mon stage. La discrimination envers les Roms est cependant bien plus large et est visible dans des domaines aussi variés que l’emploi, l’éducation ou le logement. Ces aspects étant intrinsèquement liés, nous ferons occasionnellement des détours pour aborder ces questions et voir comment ils peuvent influencer la santé. Les personnes morales et physiques qui se rencontrent sur la problématique des Roms sont de nature multiple : les migrants eux-mêmes, la société civile et les institutions. (1) Les quelques 15 000 Roms migrants, présents en France depuis plus ou moins longtemps, mais qui constituent une myriade de groupes sans représentant7 (leader politique ou porte-parole) et donc bien souvent silencieux. (2) Les représentants de la société civile, c’est-à-dire des associations, des ONG (dont le Comité d’Aide Médicale, Médecins du Monde8, le Collectif Romeurope, le Secours Catholique, etc.), des comités de soutiens et la Fondation Abbé Pierre. Ils jouent d’une part un rôle opérationnel d’accompagnement des Roms vers le système de droit commun, et d’autre part, un rôle de plaidoyer auprès des institutions pour rendre visible le problème Rom. Enfin, (3) dans le groupe des institutions on rencontre les différents niveaux, du municipal à l’européen en passant par les départements, les régions et l’Etat français. Ces acteurs sont tout à la fois les bailleurs des associations et les financeurs des infrastructures publiques d’une part mais ils sont également les décideurs politiques : ceux qui décident de l’orientation générale des projets, qu’ils soient inclusifs ou exclusifs. Les intérêts des différentes institutions ne sont pas les mêmes selon leur niveau. 7 A l’exception peut-être de la FNASAT-Gens du voyage (Fédération Nationale des Associations Solidaires avec les Tsiganes et les Gens du Voyage), crée en 2004, qui tend à se structurer et à devenir la voix des Roms auprès des institutions. 8 Notre étude se fonde en priorité sur ces deux associations (CAM et MDM), en raison de la disponibilité des sources d’informations et la pertinence reconnue de leur action en matière de santé des Roms. 15 - Au niveau européen, il s’agit de coordonner entre les différents pays membres de l’Union la gestion d’une minorité qui n’a pas de patrie et qui n’est la bienvenue nulle part. - Au niveau national, la question Rom pose la question de l’immigration, légale ou illégale, et est souvent associée à la question de la sécurité, mais aussi à celle de l’emploi. L’orientation générale des politiques en France est décidée à ce niveau. - Les plus petits échelons institutionnels sont confrontés à la complexité des relations de voisinage mais aussi à la responsabilité de mettre en œuvre les politiques sociales. La santé des Roms en France est si préoccupante qu’elle est l’enjeu de programmes d’organisations humanitaires à vocation internationale intervenant en France. Dès lors, nous souhaitons poser les questions suivantes dans ce mémoire : en quoi le positionnement des différents acteurs de la santé des Roms favorise-t-il ou entrave-t-il une amélioration des conditions sanitaires des Roms ? En quoi la coexistence de mesures sociales avec des mesures visant à réduire la population Rom en France et à l’exclure du système est-elle cohérente ? Quelle est la place des activités non-gouvernementales dans ce contexte politique et social ? Dans un premier temps, nous reviendrons sur la situation humanitaire et sociale des Roms en France. Nous chercherons à comprendre les facteurs déterminant leur état de santé et ce afin de comprendre en quoi un mode d’intervention de type urgentiste est justifié pour les acteurs de l’humanitaire. Dans la deuxième partie seront mises en exergue les contradictions des institutions locales, nationales et européennes en ce qu’elles oscillent entre soutiens et tentatives d’intégration, d’une part, et marginalisation, d’autre part, en entravant un certain nombre de projets inclusifs. En dernier lieu, nous essaierons de comprendre quelle est la place de l’aide humanitaire dans ce contexte institutionnel et les limites de leur intervention. 16 I. UNE SITUATION DRAMATIQUE APPELANT DES INTERVENTIONS D’URGENCE L’état de santé d’une population donnée est affecté par de nombreux facteurs autres que biologiques et purement liés à l’individu. Ces influences sont appelées « déterminants de la santé ». Au sens large, les « déterminants sociaux de la santé sont les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent, ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie, ces circonstances étant déterminées par plusieurs forces: l’économie, les politiques sociales et la politique » (Organisation mondiale de la santé, 2011). On distingue six principaux déterminants de la santé (Tissot & Delomez, 2008) : 1. Les déterminants sanitaires : ils concernent à la fois ce qui se rapporte au système de santé luimême, l'organisation du système de soins, l'état de ses connaissances médicales, les possibilités d'application (personnel et équipements), l'accès aux soins et ce qui concerne l'individu luimême, en termes de facteurs biologiques, tels que les facteurs génétiques, physiologiques, physiques et psychiques. 2. Les déterminants politiques : il s'agit de la planification économique et sociale, de la législation sanitaire, des aides internationales par exemple. 3. Les déterminants socio-économiques : ils concernent l'habitat, l'urbanisation et l'aménagement rural, les modes de vie, la situation de l'emploi, les modes de consommation, les loisirs etc. 4. Les déterminants psycho-culturels : au nombre desquels on peut citer la scolarisation, la mentalité des populations devant les problèmes sanitaires, les coutumes, croyances et traditions en matière de santé. 5. Les déterminants démographiques : dont la répartition des populations par âge, la politique gouvernementale de planification familiale, la concentration urbaine et la dissémination rurale, les migrations etc. 6. Les déterminants environnementaux : la qualité de l’eau, de l’air, le mode de fabrication des bâtiments, etc. Chez les populations Roms migrantes en France, plusieurs de ces déterminants sont dégradés et ont un impact négatif sur la santé de cette population. Nous allons ici essayer d’évaluer cet état de santé en le mettant en perspective non seulement avec les déterminants de la santé mais aussi avec 17 les inégalités observées au niveau national. Nous soutenons que cet écart entre l’état de santé de la population moyenne en France et celle de cette population migrante justifie une aide de type humanitaire en faveur des Roms, dans le sens où il est urgent d’intervenir et de façon massive et que le simple recours aux soins de droit commun n’est pas suffisant dans un premier temps. A. ETAT DES LIEUX DE LA SANTE DES ROMS EN FRANCE Pour comprendre à quel point il est prioritaire de se soucier aux niveaux politique, administratif et associatif de l’état de santé des Roms migrants en France, il est nécessaire de commencer par dresser un état des lieux de la santé de cette population. 1. PRINCIPALES PATHOLOGIES ET VULNERABILITES Les informations disponibles sur l’état de santé des Roms en France ont été collectées grâce au travail des associations œuvrant directement auprès d’eux, sur les différents lieux de vie ou lors des différentes interventions menées (cliniques mobiles, accompagnement en milieu hospitalier etc.). Les interventions sur le terrain révèlent également que peu de Roms détiennent un carnet de santé à jours (moins de 40% selon une enquête de Médecins du Monde), ce qui entrave le suivi vaccinal des populations. Si elles sont à prendre avec précaution, leur relative stabilité et les recoupages possibles avec diverses sources (statistiques dans les pays d’origine notamment) permettent de considérer ces données fiables. Ces données sanitaires montrent une espérance de vie évaluée entre 50 et 60 ans9. Les enfants sont particulièrement vulnérables, avec un taux de mortalité infantile cinq fois supérieur à la moyenne nationale et une mortalité néonatale huit fois supérieure. Les taux de couverture vaccinale sont très faibles, avec par exemple une couverture des enfants inférieure à 20% et une couverture globale de l’ordre de 8 à 12%. Le risque épidémique est très important chez les Roms qui sont, plus souvent que les autres, atteints de tuberculose, coqueluche, grippe, parasitoses intestinales, rougeole etc. Lors d'une enquête réalisée en Seine-Saint-Denis, les intervenants de Médecins du monde ont constaté auprès de 281 Roms que 90 % des Roms du département – 71 % pour les moins 9 A titre de comparaison, l’espérance de vie de Sans Domiciles Fixes en France est estimée entre 44 ans pour les femmes et 56 ans pour les hommes par Médecins du Monde. 18 de 2 ans – étaient vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la polio, alors que le DTP est obligatoire en France et que 99 % où population est vaccinée. Pourtant, le travail des métaux, fréquent dans de nombreuses communautés Roms augmente les risques d’exposition au tétanos, ce qui témoigne d’un important déterminant environnemental. La campagne de vaccination contre la grippe A en 2009 montre bien l’éloignement de cette population des circuits de vaccination puisque les Roms auraient dû faire partie des publics prioritaires mais leur prise en charge a été très hétérogène. Toujours selon Médecins du Monde, 42 % des Roms seulement étaient vaccinés contre la tuberculose, vaccin fortement recommandé pour les migrants et les précaires. De fait, l’incidence de la tuberculose est évaluée à 250 cas pour 100 000 individus quand elle est de 9 cas pour 100 000 au niveau national. A titre de comparaison au niveau international, l’Organisation mondiale pour la santé estime que le taux d’incidence par habitant s’élève en Afrique subsaharienne à près de 350 cas pour 100 000 habitants (140/100 000 au niveau mondial). Le risque pour les Roms migrants en France d’être touché par la tuberculose est donc très proche du risque rencontré dans des pays en voie de développement où les conditions sanitaires sont déplorables et la couverture vaccinale est faible. La tuberculose est une maladie contagieuse. Comme un rhume banal, elle se propage par voie aérienne. Seules les personnes dont les poumons sont atteints peuvent transmettre l’infection. Lorsqu’elles toussent, éternuent, parlent ou crachent, elles projettent dans l’air les germes de la maladie, appelés bacilles tuberculeux. Il suffit d’en inhaler quelques-uns pour être infecté. En l’absence de traitement, une personne atteinte de tuberculose évolutive peut infecter en moyenne dix à quinze autres personnes en l’espace d’une année. Cependant, les sujets infectés ne font pas nécessairement une tuberculose. 5 à 10% des sujets infectés (non infectés par le VIH) développent la maladie ou deviennent contagieux au cours de leur existence. Pour rappel, l’objectif du millénaire pour le développement n°6 vise à « combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies », y compris la tuberculose. La prévalence de cette maladie chez les Roms est non seulement un enjeu important de santé au sein de cette population, mais aussi en termes de santé publique au niveau national, en ceci que les risques de contagion sont très importants. Les maladies infectieuses sont fréquentes et il s’agit dans « 35% des cas d’infections des voies respiratoires, dans 25% des cas d’infections gastro-intestinales et dans 14% des cas d’affections cutanées ». (Collectif Romeurope, 2010). Les problèmes cardio-vasculaires sont très fréquents et sont la première cause de décès en Roumanie, avant les cancers. Les problèmes respiratoires, eux, s’expliquent par les conditions de vie des patients. Les conditions de logement insalubre et leur mode de vie les exposent à des intoxications, généralement liées à des facteurs environnementaux. Il s’agit en premier lieu du saturnisme, une 19 intoxication liée au plomb présent dans des peintures ou de la ferraille et qui touche particulièrement les enfants et les femmes enceintes. Cette maladie sans symptôme est difficile à détecter et a des répercussions en particulier sur le développement de l’enfant. Il semblerait que la proportion d’enfants ayant une plombémie élevée parmi ceux ayant bénéficié d’un dépistage soit en baisse depuis 1995, mais le risque demeure important du fait des professions à risque des parents. « Vivre proche d’environnements dangereux pour la santé tels que usines polluantes, déchèteries, usines de recyclages, et autoroutes empiète sur la santé » (European Roma Rights Centre, 2005). Les accidents domestiques sont par ailleurs fréquents : brûlures, intoxications au monoxyde de carbone liées au chauffage, chutes et blessures diverses. Par manque de recours aux premiers soins, et au vu de l’insalubrité, les plaies ont tendance à s’infecter. Les problèmes dentaires sont fréquents et, faute de traitement, tendent à se chroniciser. Il est courant de rencontrer des enfants et adultes à qui il manque une ou plusieurs dents ou dont les gencives sont noirâtres et douloureuses. Les problèmes psychologiques sont particulièrement difficiles à mesurer. Cependant, les Roms subissent discrimination et racisme dans leurs pays d’origine où il est fréquent qu’ils subissent des violences et des pressions diverses. La fuite de leur pays d’origine constitue un traumatisme, ainsi que l’éloignement de leurs familles. En France, la peur des expulsions et des contrôles de police engendre un stress important. La santé des femmes est particulièrement préoccupante : selon des rapports de Médecins du Monde sur les femmes Roms (Médecins du Monde, 2008), l’âge moyen de la première grossesse est de 17 ans. Seules 10% des femmes utilisent un moyen de contraception alors que 95 % des Françaises âgées de 18 à 45 ans utilisent une méthode contraceptive10. De fait, le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) semble prendre le pas sur tous les modes de contraception. Cette méthode est fréquente et son emploi commence à un très jeune âge : « 43,3% des femmes avaient déjà avorté à seulement 22 ans d’âge moyen. Le nombre moyen d’IVG par femme est de 1,3 et passe à 3,3 pour celles ayant déjà subi au moins une IVG ». L’ensemble des contraintes pesant sur la santé des femmes conduit à ce que « les femmes ont eu en moyenne 4 grossesses dont seule la moitié a abouti à une naissance d’un enfant vivant (risques liés aux grossesses précoces, faibles suivis de grossesses, fausses couches et IVG) » (Médecins du Monde, 2008). Par ailleurs, le suivi de grossesse n’est pas assuré puisque seulement 8 % des femmes rencontrées par les associations en bénéficient. L’absence de suivi après les IVG a des conséquences 10 Etude Cocon, menée en 2000 par l’Inserm et l’Institut National d’Etudes Démographiques. 20 graves sur la santé, puisque cela peut favoriser des fausses couches à répétition, la stérilité, des infections ou encore des hémorragies. Aux inégalités liées à l’origine, s’ajoutent donc des inégalités liées au genre. Les inégalités en matière de santé s’expriment entre les sexes, les catégories sociales et les territoires (incluant lieux de vie et origine). L’écart systématique entre les indicateurs de santé moyen de la population française et de la population Roms n’est pas admissible. Il est estimé, par exemple, que les Roms ont une espérance de vie inférieure de dix ans à celle de l’ensemble de la population (Commission européenne, 2009). Pire, la proximité de ces indicateurs avec les valeurs observées dans les pays en voie de développement est tout à fait préoccupante. La réduction des inégalités constitue dès lors un principe d’action et une priorité. Ainsi, les problèmes de santé majeurs rapportés par les associations sont : (1) dans le cadre de la santé materno-infantile, les grossesses précoces, non suivies, l’absence de planning familial et l’absence de suivi médical des jeunes enfants ; (2) la forte incidence de la tuberculose ; (3) des pathologies liées aux conditions de vie telles que le saturnisme, les accidents domestiques, les maladies infectieuses, respiratoires, psychologiques ; (4) des problèmes liés aux habitudes de vie (dentaires, maladies métaboliques). Cependant, il n’y a pas que la santé des Roms stricto sensu qui est moins bonne que celle des non-Roms : pour avoir une véritable vision d’ensemble de l’état des lieux de la santé des Roms, il faut voir dans quelle mesure ils ont accès aux prestations sociales et aux soins. 2. EXCLUSION DU SYSTEME DE SANTE DE DROIT COMMUN Un système de santé, selon l’OMS, « inclut toutes les activités, personnes et actions dont le but essentiel est de promouvoir, restaurer ou entretenir la santé ». Il « suppose l’existence de cadres stratégiques, de règlementations, un encadrement efficace, et une attention particulière à la conception des systèmes et à la transparence » (Organisation mondiale de la santé, 2011). Nous soutenons ici que les Roms n’ont pas accès aux mêmes avantages du système de santé français que les autres. Non seulement les Roms sont plus souvent en mauvais état de santé que les non Roms mais ils n’ont pas accès au même niveau de protection sociale, voire pas accès aux soins. La protection sociale désigne tous les mécanismes de prévoyance collective, permettant aux individus de faire face aux conséquences financières des "risques sociaux". Il s’agit de situations susceptibles 21 de compromettre la sécurité économique de l’individu ou de sa famille, en provoquant une baisse de ses ressources ou une hausse de ses dépenses (vieillesse, maladie, invalidité, chômage, maternité, charges de famille, etc.). Dans ce mémoire, nous nous focaliserons sur le dispositif de prestation sociale relatif à la santé. Au sein des prestations sociales, on distingue trois logiques : une logique d’assurance (réservée à ceux qui cotisent), une logique d’assistance (qui permet une solidarité avec les plus pauvres) et une logique universelle, ouverte à tous. Etre malade coûte cher ; c’est pour cette raison que la France a instauré un système de solidarité qui permet la mise en commun des ressources afin de soutenir les malades. Cependant, l’appartenance à ce système n’est pas automatique et les migrants en général et les Roms en particulier en sont généralement exclus. En effet, l’ensemble des conditions à remplir et des démarches à effectuer pour bénéficier d’une forme de protection sociale ou d’une autre constitue un obstacle majeur à l’accès aux soins. En France coexistent donc un « système de droit commun » pour les citoyens français qui travaillent et plusieurs autres systèmes à destination de publics particuliers. Les diverses prestations sociales existant en France sont délivrées par les Caisses d’Allocations Familiales (CAF). Avec l’affiliation au régime général d’assurance maladie, via la Couverture Maladie Universelle (CMU), elles sont soumises à la condition que les personnes soient en séjour régulier11. En 2007, au moment de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne, certaines Caisses Primaires d’Assurance Maladies ont donné la CMU à ces ressortissants, comme elles le faisaient pour tous membres plus anciens de l’Union Européenne. Mais les mesures transitoires (cf. infra) appliquées aux nouveaux pays entrants ont fini par poser « une inaccessibilité de principe à la CMU de base et à la CMU complémentaire pour les Européens inactifs dépourvus de ressources suffisantes et/ou de couverture maladie » (Collectif Romeurope, 2010). Or, la majeure partie des Roms en France sont des européens inactifs sans titre de séjours. Ils ne peuvent donc pas bénéficier de la CMU. Dès lors, la plupart des Roms sont orientés vers l’Aide Médicale de l’Etat (AME). L’AME vise à permettre l’accès aux soins des personnes étrangères résidant en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois, mais qui sont en situation irrégulière (absence de titre de séjour ou de récépissé de demande). La demande d’Aide Médicale est instruite par les caisses d’assurance 11 La CMU de base permet l’accès à l’Assurance Maladie pour toute personne de nationalité française ou étrangère, résidant en France depuis plus de trois mois de manière stable et régulière, avec ou sans domicile fixe et qui n’est pas déjà couverte par un régime de Sécurité sociale. 22 maladie du régime général. L’Aide Médicale est accordée pour un an sous les mêmes conditions de ressources que la CMU complémentaire. En principe, les soins de maladie et de maternité sont pris en charge à 100 % pour les bénéficiaires de l’AME, de même que le forfait hospitalier. Depuis mars 2011, le droit aux prestations de l'AME est conditionné par le paiement d'un droit annuel de 30€ par bénéficiaire majeur. Plus de 200 000 personnes ont eu accès à l’AME en 2010. Pour bénéficier de l’AME, il faut pouvoir justifier d’une présence minimale de trois mois en France (sauf pour les mineurs) ce qui crée un délai dans la possibilité de se faire soigner et rend nécessaires pour les migrants en provenance de Roumanie et de Bulgarie de se mettre en position d’illégalité pour pouvoir en bénéficier (European Roma Rights Centre, 2005). Les personnes qui ont droit à l'Aide Médicale de l'Etat et se trouvent sans domicile fixe, doivent, pour bénéficier de cette aide, élire domicile soit auprès d'un organisme agréé à cet effet par le représentant de l'Etat dans le département soit auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale. Ceci implique donc pour les Roms de suivre une procédure de domiciliation préalablement à la demande de couverture par l’AME. La prise en charge des soins urgents (c’est-à-dire mettant en jeu le pronostic vital) par l’Etat est possible, y compris quand le patient n’est pas bénéficiaire de l’AME, dans le cadre du fonds pour les soins urgents et vitaux dont disposent les hôpitaux. Cependant, certains hôpitaux semblent sousutiliser ce fonds et envoient, malgré tout, les factures aux patients. Le tableau ci-dessous (Figure 3) récapitule les principaux justificatifs administratifs généralement exigés dans le cadre d’une procédure d’affiliation à la protection sociale (CMU, AME, prestations familiales, minima sociaux et aide juridictionnelle). On y voit bien la lourdeur administrative pour accéder à l’AME dans le cas le plus fréquent. Il faut fournir: 1) une adresse ou une domiciliation. Les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale ou les organismes agréés par la préfecture du département sont en charge des domiciliations. La domiciliation doit être motivée par un lien réel avec la commune et son absence peut constituer un motif de refus de la part de l’organisme agrée (Servicepublic.fr, 2008). 2) une preuve de 3 mois de présence sur le territoire français, ce qui dans le contexte de la crainte d’une expulsion ou d’un éloignement du territoire est problématique. 3) la preuve de l’absence de couverture maladie dans le pays d’origine, sachant qu’il est toujours plus difficile de prouver ce qu’on n’a pas que ce qu’on a. 23 4) un justificatif de ressources inférieures à un certain plafond. Les Roms vivant principalement de travail au noir ou de mendicité, les ressources ne sont pas élevées. FIGURE 3: JUSTIFICATIFS EXIGES DANS LE CAS DES ROMS MIGRANTS EN FRANCE EN FONCTION DE LEUR SITUATN ADMINISTRATIVE (SOURCE : ROMEUROPE 2010) Selon Médecins du Monde, 90% de la population Rom n’exerce pas son droit à l’AME. Cela crée, pour cette population qui n’a déjà pas les moyens de payer une consultation et les éventuels médicaments prescrits, un frein économique à l’accès aux soins. 24 Les difficultés d’accès à l’AME s’expliquent de plusieurs manières : - La méconnaissance de leurs droits par les populations elles-mêmes. - Le manque d’orientation et d’accompagnement dans les démarches. - Les préoccupations quotidiennes des familles précaires qui n’ont pas pour priorité d’effectuer des démarches administratives. Les démarches sont souvent effectuées au moment où il devient urgent de se soigner alors même que la procédure dure entre trois et six mois. - L’incapacité des familles à anticiper les différentes échéances (preuve de présence, rendezvous, etc.) - Le rapide abandon des démarches en cas de difficultés administratives. La France fait partie des pays de l’Union européenne « où l’écart est le plus grand entre le nombre de personnes sans papiers qui ont théoriquement droit à une couverture maladie (88%), la part d’entre elles qui est informée d’avoir des droits (76,7%), la part d’entre elles qui a effectivement pu entreprendre ces démarches (54,7%), la part d’entre elles qui a une prise en charge de leurs soins de santé ( 24%) et enfin la part d’entre elles pour lesquels la prise en charge des soins est effective » (Collectif Romeurope, 2010) 25 B. FACTEURS D’EXPLICATION Cette situation désastreuse pour la santé des Roms s’explique par un faisceau complexe de problèmes rencontrés quotidiennement par ces groupes. Dans cette partie, nous allons tenter d’en expliquer les principaux aspects, sachant que certains ont déjà été évoqués précédemment. Ces différents facteurs peuvent être : - Fonctionnels: c’est-à-dire lié au fonctionnement des structures où il n’y a pas suffisamment de traducteurs, où les droits des migrants sont méconnus, etc. - Géographiques : l’éloignement des structures de soins par rapport aux lieux de vie des Roms pose problème puisqu’au coût de la consultation s’ajoute le coût du transport, parce qu’elle renforce la méconnaissance du système de santé, parce que certains praticiens peuvent refuser de se rendre directement sur les lieux de vie insalubres et éloignés, etc. - Culturels : par exemple, dans la culture roms une femme de plus de 17 ans pas encore mariée ou toujours sans enfant sera vite considérée comme trop vieille et ne trouvera pas de mari, ce qui est très mal vu (ceci explique d’ailleurs la déscolarisation précoce des jeunes filles). - Financiers : les Roms migrants, souvent en situation irrégulière n’ont pas accès à l’emploi salarié et ont souvent recours au travail informel, à la mendicité, voire dans certains cas rares, au vol ou au trafic. Les recours à l’automédication ou les avances de paiement de prestations ne sont donc pas permis par leur budget. - Psycho-sociaux: liés au stress, à la peur, aux traumatismes liés à leurs conditions de vie, mais aussi à des maladies psychiatriques ou des dépressions. - Administratifs et légaux : ceci recouvre ici principalement les mesures transitoires qui s’appliquent aux nouveaux pays ressortissants de l’Union européenne dont sont originaires la majorité des Roms. - Politiques : les enjeux politiques tels que les réélections et les divergences entre les partis politiques influent le type de politiques qui peuvent être mises en œuvre par les institutions (inclusives ou exclusives). Nous considérons que ces différents facteurs se retrouvent à trois niveaux. Le niveau structurel, constitué du cadre juridique français et européen dans lequel s’inscrit le projet migratoire des Roms. Le niveau individuel qui prend en compte l’environnement direct des Roms en France et 26 enfin, un niveau plus diffus, relevant de la subjectivité et de la perception des Roms par les non-Roms et qui influe leur insertion dans la société. 1. UN CADRE JURIDIQUE FRANÇAIS ET EUROPEEN DISCRIMINANT Le niveau structurel est constitué du cadre juridique français et européen dans lequel évoluent les Roms en France. Il permet d’expliquer au niveau macro les difficultés rencontrées par les Roms dans l’accès aux soins en France. Il s’agit ici de facteurs administratifs et légaux, d’aspects financiers et d’aspects politiques. On parle de discrimination raciale « lorsque des personnes ou des groupes sont traités différemment en raison de leur origine ethnique, sans aucune justification objective ». La discrimination peut être directe ou indirecte. Elle est directe quand une loi ou une politique prévoit clairement qu'un groupe particulier doit être traité différemment. Elle est dite indirecte, lorsque des lois ou pratiques apparemment neutres ont pour effet de défavoriser un groupe spécifique. Ces deux formes de discrimination sont interdites par le droit international relatif aux droits humains (Amnesty International, 2010). Le cadre juridique français et européen dans lequel s’inscrit le projet migratoire des Roms est jugé discriminant par les associations militantes des droits de l’Homme travaillant sur la question Rom. Il s’agit notamment du collectif Romeurope12 et des associations membres, ainsi que des associations non membres telles que Amnesty International et qui dénoncent régulièrement les atteintes faites aux Roms. L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne prévue par le traité d’adhésion de Luxembourg du 25 avril 2005 est devenue effective au 1er janvier 2007. Leurs ressortissants ont donc les mêmes droits que les autres communautaires, dont la liberté de circulation, qui constitue une des libertés fondamentales des citoyens de l’Union européenne, mentionnée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (article 45). Les autres Etats membres ont cependant été autorisés par le traité d’adhésion, durant une période transitoire, à imposer aux ressortissants roumains et bulgares des limitations dans l’accès au marché du travail. 12 Le Collectif Romeurope a été créé en 2000 et » a pour objectif principal de favoriser le respect des droits fondamentaux pour les Roms migrants en France et leur inscription dans le droit commun. Pour cela, il vise à lutter contre toutes les formes de discriminations et le racisme spécifique dont ces personnes sont victimes dans un contexte de migration ». Il réunit plus de 35 associations et collectifs, dont le Comité d’Aide Médicale. 27 Hormis cette restriction, en tant que citoyens européens, ils ont le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l’Union. Il s’agit donc ici d’une discrimination directe. Selon le droit européen, pour venir en France, ces ressortissants n’ont donc besoin que d’une pièce d’identité et aucun tampon n’est apposé à la frontière. Ils bénéficient des avantages de l’espace Schengen, aucune limite de temps de séjour n’étant imposée. Cependant, ces directives européennes ne sont pas correctement ou complètement transposées dans le droit français. Plus encore, une semaine avant d’accueillir les deux nouveaux pays entrants, une circulaire du ministère de l’Intérieur est venue préciser les modalités d’admission au séjour et d’éloignement des ressortissants roumains et bulgares à partir du 1e janvier 200713. En 2004, le gouvernement n’avait pas jugé opportun d’en faire autant au moment de l’entrée dans l’Europe de dix nouveaux États. Il s’agit donc clairement en décembre 2006 d’anticiper l’arrivée de ressortissants de ces deux pays et de prévoir les moyens légaux de pouvoir les renvoyer chez eux. Ce texte différencie les situations en fonction de l’ancienneté du séjour, alors même que la date d’entrée ne peut plus être que déclarative puisqu’aucun tampon ne peut être apposé à la frontière. La première situation concerne les séjours d’une durée inférieure à trois mois, et pose des limites aux droits au séjour dans le cas où les personnes enfreindraient les lois sur le travail, « seraient une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » ou seraient une menace pour l’ordre public. Dans le deuxième cas, d’un séjour supérieur à trois mois, le droit au séjour est subordonné à la condition de disposer d’un emploi (salarié ou non salarié), d’être étudiant ou de disposer d’une assurance maladie et de ressources suffisantes. Ce droit au séjour supérieur à trois mois est largement entravé par les limitations à l’accès à l’emploi concernant les travailleurs étrangers. En effet, pour ces personnes il est nécessaire à la fois d’obtenir une autorisation de travail et que leurs employeurs payent une taxe à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII)14. Les traités d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne ont autorisé les Etats membres à limiter temporairement l’accès à leur marché du travail pour les ressortissants de ces deux nouveaux Etats membres, durant une période transitoire. Les dispositions transitoires devront cesser de 13 Circulaire NOR/INT/D/06/00115/C du 22 décembre 2006 relative aux modalités d’admission au séjour et d’éloignement des ressortissants roumains et bulgares à partir du 1er janvier 2007. 14 Cette taxe est fixée entre 70 et 300 € pour une embauche en contrat de moins de 1 an et à 60% du salaire mensuel brut à temps plein pour une embauche en contrat de moins de 1 an, soit au minimum 806 € pour une embauche au SMIC. 28 s’appliquer pour tous les pays, au plus tard le 31 décembre 2013. Ceci constitue un frein à l’emploi et une nouvelle atteinte aux droits. D’après Romeurope, « sur les 25 pays membres de l’Union européenne avant 2007, 15 pays ont aujourd’hui ouvert totalement leur marché du travail et 10 Etats, dont la France, appliquent encore des restrictions à l’égard des travailleurs venant de Bulgarie et de Roumanie » (Collectif Romeurope, 2010)15. Au-delà d’un séjour de trois mois en France, les Roms doivent donc, pour assurer la légalité de leur séjour dans le pays, avoir une autorisation de travail et un contrat de travail condition à une taxe payée par l’employeur. Le titre de séjour n’étant plus obligatoire pour les citoyens de l’espace Schengen, il devient plus difficile à obtenir pour ceux qui en font la demande auprès des préfectures et cherchent ainsi à s’assurer la stabilité. Par ailleurs, ces ressortissants n’ont plus la possibilité de demander l’asile dans un pays membre de l’Union européenne (Pour plus d’informations à ce sujet, consulter (Collectif Romeurope, 2010) La complexification du droit au séjour favorise l’usage des APRF (Arrêtés Préfectoraux de Reconduite à la Frontière) et des OQTF (Obligations de Quitter le Territoire Français) sous prétexte d’infraction au droit. Ces dispositifs engendrent beaucoup d’instabilité dans la vie des Roms puisqu’ils permettent à l’Etat de les expulser. L’intéressé a quarante-huit heures dans le cas d’un APRF et un mois dans le cas d’une OQTF pour déposer un recours ou quitter le territoire, ce qu’il peut faire en franchissant n’importe quelle frontière puis revenir en toute légalité. Mais, s’il n’a pas fait l’une de ces démarches, il peut, après un mois, être arrêté, placé en centre de rétention et renvoyé immédiatement. Si le dispositif sur les modalités d’accès aux séjours mis en place en 2007 s’adresse aussi bien aux Roumains qu’aux Bulgares dans leur ensemble, les associations témoignent que l’immense majorité des mesures d’éloignement effectuées dans ce cadre ont lieu à l’encontre de Roms originaires de ces pays, et c’est dans cette pratique de la loi que ces mesures sont particulièrement discriminantes. Par ailleurs, les associations soulignent que les mesures d’éloignement sont distribuées de façon collective, sans respect de la procédure contradictoire16 et sont généralement soumises à une volonté d’évacuation d’un lieu de vie. Enfin, l’usage du dispositif du « retour 15 Ces pays sont la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas et le Royaume-Uni 16 La procédure contradictoire est l’un des piliers de la justice française et garantit aux parties qu’elles ne seront pas jugées si elles n’ont pas été entendues ou appelées : elle leurs garantit aussi le droit de prendre connaissance des arguments selon lesquelles elles sont jugées. 29 humanitaire » est dénoncé par les associations comme un moyen détourné de forcer les populations à quitter le territoire français17. Bien entendu la fermeture de l’accès à l’emploi pour les Roms ainsi que les entraves à la circulation constituent des obstacles pour l’insertion socio-économique des Roms : dans son rapport de novembre 2008, la Commission européenne avait souligné que « l’absence de conditions favorables, dont notamment l’ouverture du marché du travail, permettant aux travailleurs mobiles de s’intégrer dans la société du pays hôte conduit à des difficultés d’ordre social et à la perte des atouts économiques que procure la mobilité ». En effet, quel employeur est prêt à payer une taxe pour embaucher un travailleur Rom ? Rester plus de trois mois en France signifie donc adopter un comportement illégal alors même qu’il faut justifier d’une présence supérieure à trois mois pour bénéficier de l’AME. Pour bénéficier de la CMU, il faut même pouvoir justifier d’un emploi et d’un justificatif de droit au séjour. L’interprétation par la France des libertés laissées par l’Union européenne dans la transposition du droit européen et la mise en place des mesures transitoires ont des conséquences catastrophiques pour les Roumains et les Bulgares, dès lors considérés comme des citoyens européens de seconde zone dans une Europe économique qui leur refuse l’accès à l’emploi et la libre circulation. Ceci participe grandement aux entraves à l’amélioration des conditions de vie des Roms en Europe et plus particulièrement en France. 2. CONDITIONS ET MODE DE VIE DES ROMS : POUR UNE APPROCHE INTEGREE DES PROBLEMES DES R OMS Le niveau individuel, restreint au groupe des Roms, permet de comprendre les blocages internes au mode de vie et aux conditions de vie des Roms permettant d’expliquer les obstacles à l’accès aux soins par les Roms. Nous reprenons ici la distinction couramment utilisée en sociologie entre « mode de vie » et « conditions de vie » : la première expression inclut les éléments appartenant à la culture et aux valeurs des Roms influençant leur manière de vivre, d’être et de penser, comment ils veulent vivre, leurs relations sociales. La seconde traduit les situations dans 17 L’aide au retour humanitaire, versée au moment du départ par les autorités aux immigrés en situation illégale qui décident « volontairement » de rentrer chez eux, s’élève à 300 € par adulte et à 100€ par enfant. Les frais de voyage sont également pris en charge. En 2009, 12 323 personnes en ont bénéficié dont 10 177 Roumains et 863 Bulgares. A partir de septembre, les bénéficiaires devront toutefois laisser leurs empreintes digitales dans un fichier baptisé Oscar, 30 lesquelles ils vivent, généralement de manière subie. Cela fait référence au niveau de vie, c’est-à-dire à la quantité et à la qualité des biens et services auxquels ils ont accès. A ce niveau nous pouvons en grande partie explorer les facteurs culturels, psychosociaux et géophysiques déterminant la santé des Roms. FIGURE 4: BIDONVILLE EN SEINE SAINT DENIS, STEVEN WASSENAAR Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent sur les Roms, le type d’habitat dans lequel vivent les Roms migrants en France ne fait pas partie de leur mode de vie mais est bien une manifestation de leurs conditions de vie dégradées, de la crise du logement et de l’exclusion de ce groupe de l’accès à un logement décent. En effet, sans possibilité d’accès à l’emploi légal en France, il n’est pas possible de louer ou acheter un appartement, ni de bénéficier des différentes aides au logement. Les habitations des Roms, de fait, sont généralement situées dans trois types d’habitats : - Vieilles caravanes réchappées de la casse, impossible à déplacer et installées sur des terrains illégaux, appartenant aux pouvoirs publics ou à des particuliers - Habitations bricolées avec des matériaux de récupération (Figure 4) telles que planches, tôles, cartons - Plus rarement, bâtiments squattés (immeubles d’habitations mais aussi entrepôts, usines désaffectées, etc.) Les deux premiers types d’habitats peuvent être rencontrés aux mêmes endroits. Les bidonvilles ainsi formés peuvent, selon la taille du groupe présent, héberger entre une dizaine et 31 quelques centaines de personnes. Ces types de logements sont considérés par la loi Molle18 comme de « l’habitat indigne», expression incluant : «les locaux ou installations utilisés aux fins d'habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l'état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ». L’insalubrité régnant sur les lieux de vie rom ne fait également pas partie du mode de vie des Roms mais de leurs conditions de vie. Ainsi, les Roms s’installent sur des terrains illégaux où l’accès à l’eau et à l’électricité n’est pas assuré. De même le ramassage des déchets par les services communaux ou intercommunaux n’a pas lieu. Certaines communes finissent par raccorder le terrain aux réseaux de distribution d’électricité et d’eau potable, par installer des sanitaires ou par organiser la collecte des déchets (en positionnant une benne par exemple), mais cela dépend des mairies et cela implique toujours un laps de temps important après le moment de l’installation du campement. Par ailleurs, les expulsions et les déplacements de population réduisent à néant tous les progrès effectués en la matière. La position géographique de ces lieux de vie, éloignés des centres-villes, des hôpitaux et autres structures de santé ou de sécurité sociale renforce les inégalités subies par ce groupe en matière d’accès aux soins. De même, si les Roms ne se lavent pas régulièrement et attrapent des maladies liées au manque d’hygiène, c’est lié à leurs conditions de vie déplorables. En revanche, la présence de ferraille sur les terrains fait bien partie, elle, du mode de vie des Roms. En effet, l’histoire des Roms montre que parmi les métiers exercés traditionnellement par les Roms on trouve la ferronnerie et aujourd’hui encore, le commerce de la ferraille fait partie de la culture de certains groupes de Roms descendant de ces groupes. Les facteurs aggravant ou favorisant les maladies infectieuses sont notamment les variations climatiques, le manque d’hygiène, l’amoncellement d’ordures et la proximité fréquente avec des déchets polluants et nocifs : autant de facteurs environnementaux caractérisant les conditions de vie des Roms dans les bidonvilles. (Collectif Romeurope, 2010). Les cas de saturnisme chez les Roms sont liés à la combinaison de ces modes de vie et conditions de vie : le plomb à l’origine de l’intoxication se trouve aussi bien dans les peintures des planches utilisées pour la construction que dans les batteries de voitures utilisées dans le commerce de la ferraille. 18 Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et de lutte contre l’exclusion (MOLLE) facilitant la lutte contre l’habitat indigne et concourant à la protection des occupants (art.84) 32 De nombreux enfants Roms ne vont pas ou peu à l’école. Ceci est fortement lié à leurs conditions de vie : éloignement géographique des écoles, risque des expulsions qui crée la peur d’être séparé de son groupe si l’expulsion à lieu pendant les heures de classe etc. Cependant, des aspects culturels expliquent aussi en partie ce phénomène, notamment pour la scolarité des filles. En effet, celles-ci se marient et ont des enfants très jeunes, interrompant leur scolarité. Par ailleurs, la barrière de la langue pose problème à l’école, engendrant des retards dans l’apprentissage et encourageant l’abandon des cours. Les enfants n’allant pas régulièrement à l’école ne bénéficient donc pas de la santé scolaire. La santé scolaire est un dispositif rendant présent dans les établissements scolaires des médecins, infirmiers et assistants sociaux qui interviennent par des actions de prévention et d’éducation à la santé. Leur rôle est notamment d’assurer des visites médicales (bilan de santé, dépistage de troubles spécifiques du langage), des examens médicaux, le contrôle des vaccinations, la surveillance sanitaire et la prévention et l’éducation à la santé, le contrôle médical par rapport aux activités physiques (Service-public.fr, 2008). Par ailleurs, les enfants Roms déscolarisés n’ont pas accès à des cours tels que la biologie où la reproduction est expliquée. Le faible niveau des connaissances en matière de santé de la femme (contraception, etc.) peut aussi être expliqué par l’argument culturel selon lequel le contrôle des naissances et la contraception étaient interdits en Roumanie pendant l’ensemble de l’ère communiste (Collectif Romeurope, 2010). Les conditions de vie des Roms jouent également un rôle important dans le fait que la majeure partie de la population n’est pas vaccinée. Selon Médecins du Monde dans leur enquête sur la couverture vaccinale des populations Roms rencontrées par les équipes de MDM, les principales raisons de non vaccination sont : (1) un manque de sensibilisation aux enjeux médicaux : 20 % des personnes interrogées n’ont pas été informées de la nécessité de se faire vacciner ou d’effectuer des rappels. (2) un manque d’informations sur le dispositif : 42 % des Roms rencontrés déclarent ne pas savoir où se faire vacciner. (3) des expulsions répétées qui entrainent l'interruption des campagnes de vaccination, des difficultés pour réaliser les rappels nécessaires et donc l’impossibilité d’obtenir un calendrier vaccinal complet (Médecins du Monde, 2011). Si l’on prend l’exemple de l’incidence de la tuberculose chez les Roms, qui est dramatiquement élevée, on se rend compte que de nombreux cas pourraient être évités juste en améliorant les conditions de vie des Roms. En effet, les facteurs de risque liés à la tuberculose sont : le fait d’être né à l’étranger, le fait d’être arrivé récemment, le fait de vivre en collectivité, le fait d’être sans domicile fixe, le fait de venir d’un pays à forte endémie (la Roumanie fait partie des pays européens les plus affectés) (Collectif Romeurope, 2010). 33 On voit donc bien qu’au niveau individuel, ce sont plus les conditions de vie que le mode de vie des Roms qui jouent un rôle prépondérant dans leur état de santé. Il est donc urgent d’améliorer les conditions de vie des Roms pour leur permettre de réduire l’impact de leur environnement sur leur état de santé. Cela passe par une amélioration de la qualité des lieux de vie et leur stabilisation, par l’éducation des enfants ainsi que par des actions de prévention et d’éducation à la santé pour tous. 3. LES PREJUGES RACIAUX COMME FACTEUR AGGRAVANT LES INEGALITES Ce dernier niveau d’explication est plus difficile à définir et à délimiter parce qu’il dépend d’éléments peu perceptibles car diffus dans la société française. Ces éléments incluent des aspects tels que les perceptions, les préjugés et les représentations de l’autre. Ils dépendent du regard que les non-Roms portent sur les Roms. Ce niveau de compréhension permet d’aborder des aspects fonctionnels, culturels et psychosociaux des déterminants de la santé. Les stéréotypes courants contre les Roms sont tenaces dans la société française. Roms et Gens du voyage (incluant les gitans et les manouches) sont souvent assimilés dans l’esprit des Français, comme de certains hommes politiques – comme en témoigne le discours de Grenoble (cf. infra). Ils sont perçus comme vivant dans un cadre similaire et comme ayant les mêmes coutumes. Les Roms sont communément caractérisés de sales, de voleurs, de voleurs de poules, de mendiants, de trafiquants d’enfants, de mafieux. Certains mots sont employés pour les désigner de manière péjorative, et ce, de manière courante (« Romanichel »). Au moment de l’ouverture de l’Union européenne à la Roumanie et à la Bulgarie, la peur d’une invasion de Roms qui viendraient voler l’emploi des Français a également ressurgi. Cette xénophobie réapparait à chaque ouverture des frontières mais a été particulièrement virulente au moment des deux élargissements de l’Union européenne vers l’est et explique en grande partie l’existence des mesures transitoires. Les statistiques au niveau européen montrent qu’en 2006, 77% des européens pensaient qu’être Rom était un désavantage dans la société et qu’en 2008, qu’environ un quart des Européens se sentirait mal à l’aise d’avoir un voisin Rom et que cette crainte était plus importante envers les Roms qu’envers les personnes de n’importe quelle autre origine (Eurobaromètre, 2008). De fait, il est fréquent que des collectifs de résidents se forment à proximité des campements de Roms, dénonçant l’insalubrité des campements. Dans ces communications destinées à aux autorités locales, certaines font preuve de tolérance et exigent une amélioration des conditions de vie des Roms, tandis que d’autres demandent l’éloignement pur et simple des Roms (cf. annexe 3). 34 A ces préjugés s’ajoute la méconnaissance des Roms, de leur mode de vie et des conditions dans lesquelles ils vivent. Elle renforce les préjugés et les situations de rejets. Dès lors qu’on n’a pas accès à l’eau il apparait impossible de se laver quotidiennement. Il est courant à l’inverse d’avoir un sentiment de rejet face à quelqu’un qui sent mauvais. Ce n’est pas le simple rejet face au manque d’hygiène que nous déplorons ici, mais bien le rejet lié à la croyance que les Roms sont sales à cause de leur culture qui ne préconiserait pas qu’ils se lavent – alors que ce n’est absolument pas le cas et qu’ils se lavent quand la possibilité s’offre à eux. Ceci a un impact direct sur la prise en charge des Roms dans le système de santé. Par exemple, ma médiatrice sanitaire et ethnologue du CAM explique que les médecins ne comprennent pas pourquoi les Roms arrivent en groupes de plusieurs personnes lors des consultations, alors même qu’il s’agit d’un phénomène culturel (les familles viennent pour se soutenir, pour en profiter pour accéder aux soins, pour s’entraider dans la traduction ou la lecture de certains documents etc.). Le personnel médical peut se trouver excédé et perdre patience. La qualité de la consultation s’en voit dégradée. Autre exemple très important dans la qualité de l’accès aux soins : le personnel médical n’a souvent pas conscience que suivre un traitement médical continu ou un calendrier de consultation complexe dans un contexte de grande précarité est un challenge quasi insurmontable. Cela pose problème dans le traitement des patients s’ils ne sont pas accompagnés correctement. Ainsi, il est nécessaire d’instaurer plus de dialogue interculturel entre les Roms et les nonRoms afin de favoriser leur intégration dans la société et réduire les conséquences des différences culturelles et de l’impact de leur image négative aux yeux des non-Roms et plus particulièrement des personnels médicaux. Nous constatons donc des besoins réels en matière de santé chez les Roms migrants. Leur niveau de vie est bien plus bas que la moyenne française, ils sont plus affectés que les autres par des problèmes de santé. Les déterminants de leur santé sont multiples, mais nous avons vu que le cadre juridique français et européen les place dans une situation marginale par rapport aux autres citoyens de l’Union européenne, que leurs conditions de vie en France sont propices à la détérioration de leur santé et que, victimes de nombreux préjugés raciaux, les Roms sont d’autant plus stigmatisés. Une prise en charge adaptée, urgente et gratuite est nécessaire afin d’améliorer leur santé, mais aussi d’améliorer leur niveau de vie. Deux types de réponses sont envisageables : en priorité, les institutions publiques sont responsables de la protection des individus. En cas de défaillances de celles-ci, la société civile peut avoir à prendre le relais. Nous verrons dans la prochaine partie que les 35 institutions apportent des réponses ambiguës à la prise en charge des Roms et qu’elles ne sont pas suffisantes. 36 II. CACOPHONIE DES REPONSES INSTITUTIONNELLES : SOUTIENS OU ADVERSAIRES DE L’INTEGRATION DES ROMS ? Premières responsables du bien-être des populations vivant sur leurs territoires, les institutions françaises prennent-elles suffisamment la mesure de l’urgence que représente la situation des Roms en France ? Les compétences existent, mais il semblerait que les moyens mis en œuvre restent trop limités. A tous les échelons des institutions, du local au niveau européen, les politiques se contredisent entre-elles : parfois protectionnistes, parfois indifférentes, et bien trop souvent discriminantes, le va-et-vient entre prise en charge et abandon, voire stigmatisation des Roms, est incessant et semble dépendre plus de volontés politiques que d’un véritable système administratif. Or, comme le rappelle l’European Roma Rights Centre (ERRC), « Effective health care policies on Roma would involve revision of laws and policies which are shown to have a disparate effect on Roma in the field of social services as well as specific targeted action to ensure equal access to such services. Furthermore, health policies are contingent on the effectiveness of policies aimed at reducing levels of exclusion of Roma from mainstream and quality education, reducing insecurity and exclusion from unemployment and improving housing standards” (European Roma Rights Centre, 2006)19. Il faut donc une véritable volonté politique pour mener des politiques publiques de santé favorables aux Roms. Rappelons que le but de l’Administration est de répondre aux besoins d’intérêt général de la population, tels qu’ils sont définis à un moment donné par l’opinion publique et le pouvoir politique (Comité d'Aide Médicale, 2011). Or, l’opinion publique, comme nous l’avons vu plus haut, n’est pas toujours favorable à la présence des Roms, ce qui influe négativement l’orientation générale du pouvoir politique. Dans les deux premières parties nous parlerons de l’ambivalence des actions menées en France : au niveau local comme au niveau national, des actions en faveur et contre les Roms sont menées de front, anéantissant, semble-t-il, les efforts des uns et des autres. En dernier lieu, nous aborderons le cadre général proposé par l’Union européenne, chemin pavé de bonnes intentions mais à caractère non contraignant et dont la politique nationale semble retenir uniquement la possibilité d’instaurer des mesures transitoires. 19 « Des politiques de santé efficaces pour les Roms supposent la révision des lois et des politiques qui ont un effet différencié visible sur les Roms dans le domaine des services sociaux ainsi que des actions ciblées spécifiques qui assureront un accès égal à ces services. De plus, les politiques de santé sont contingentes de l’efficacité des politiques à réduire le niveau d’exclusion des Roms par rapport à la moyenne, à l’éducation de qualité, à réduire l’insécurité et l’exclusion de l’emploi et à améliorer la qualité du logement ». 37 A. DES ACTIONS EN FAVEUR DE LA SANTE PUBLIQUE Aux niveaux national et local, les actions positives en faveur de la santé des Roms répondent en grande partie de l’existence même d’un service publique de santé, mais également des activités volontaires des collectivités pour améliorer les conditions d’accueil des Roms ainsi que pour financer des programmes en leur faveur via des associations. 1. LES ROLE DES STRUCTURES DE SANTE REGIONALES ET LOCALES L’organisation décentralisée20 du système de santé français confère aux échelons régionaux et départementaux des compétences et des responsabilités en matière de santé publique. La situation sanitaire des Roms étant particulièrement urgente, elle est de fait inclue dans un certain nombre de politiques publiques de santé destinées aux plus marginaux de la société. Les principaux acteurs institutionnels de la santé au niveau régional et local intervenant sur la question des Roms sont : les Agences Régionales de Santé (ARS) et les Protection Maternelles et Infantiles (PMI) Les compétences régionales en matière sociale concernaient originellement le handicap. Face à l’augmentation des inégalités sociales, notamment au niveau du territoire, les régions ont, sur une base volontaire, accru leurs domaines d’interventions à de nouveaux publics, notamment aux plus exclus, dont font partie les Roms. Selon le site internet du Conseil Régional d’Ile-de-France, « Le lien étroit entre inégalités sociales et de santé a amené la collectivité à se préoccuper également du secteur sanitaire ». Les priorités régionales en matière de développement social et de santé s’organisent autour de quatre axes (Conseil régional d'Ile-de-France, 2008) : - La prévention des comportements à risques, - La lutte contre les exclusions, - L’hébergement, - L’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap. 20 La décentralisation est le transfert de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales, qui bénéficient d’une certaine autonomie de décision et de maitrise de leur budget. 38 On le voit bien, les trois premiers axes concernent directement les Roms, qui sont donc des bénéficiaires éligibles aux programmes soutenus. Ce rapport précise aussi que la sélection des programmes mis en œuvre grâce aux régions doit répondre à trois critères : « environnementaux », « territoriaux » et « d’insertion ». Ces deux derniers critères correspondent bien avec la problématique des Roms puisque leur errance et leur sédentarisation sur des terrains illégaux de différentes communes, mais souvent circoncises à un territoire limité réclame une vision des politiques et programmes d’inclusion à l’échelle de territoires. Les Agences Régionales de Santé (ARS) sont les organismes opérationnels de cette politique régionale en matière de santé. Créées en avril 2010 pour réunir les différents organismes territoriaux de santé en vue de simplifier le fonctionnement du système français, elles visent à « renforcer l’ancrage territorial des politiques de santé », à « améliorer la répartition territoriale de l’offre de soins » et à « lutter contre les inégalités de santé ». Ce sont des établissements publics administratifs de l'État français chargés de la mise en œuvre de la politique de santé dans la région. Elles sont financées par une subvention de l'État, des contributions de l'assurance maladie et de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, ainsi que, éventuellement, des ressources propres et des versements volontaires de collectivités locales ou d'établissements publics (Agence Régionale de la Santé, 2010). Les ARS sont notamment les points focaux dans le cas des trente maladies à déclaration obligatoire. Parmi ces maladies on trouve la rougeole, la tuberculose, le saturnisme et le tétanos : autant de pathologies fréquentes chez les Roms. Ce sont donc les ARS, via leur département Veille et Sécurité Sanitaire qui ont pour responsabilité de programmer les campagnes de vaccinations de dépistage et de traitement de ces maladies, y compris dans les bidonvilles et les squats, et ce, malgré l’illégalité de leur situation. Cependant, avec la décentralisation, ce sont les départements qui bénéficient le plus de transferts de compétences en matière d’action sociale. Ils ont la charge de l’ensemble des prestations d’aide sociale, à l’exception de quelques-unes restant à la charge de l’État et précisément énumérées par la loi (ex : certaines aides en matière de logement, hébergement et réinsertion). « Le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale " et il coordonne les actions menées sur son territoire. Dans le domaine sanitaire, les départements sont notamment responsables de la protection sanitaire de la famille et de l’enfance. Depuis 2004, ils peuvent exercer des activités en matière de vaccination, de lutte contre la tuberculose, la lèpre, le sida et les infections sexuellement transmissibles (comme le font les ARS). 39 Les PMI (Protection Maternelle et Infantile) sont les organes opérationnels des départements, chargés « d’assurer la protection sanitaire de la famille et de l’enfant », en proposant notamment des « consultations et des actions de prévention médico-sociale en faveur des femmes enceintes et des enfants de moins de 6 ans. » (Service-Public.fr, 2011). Les femmes et les enfants Roms étant ceux avec le plus de problèmes de santé, la possibilité pour les Roms de bénéficier de l’action des PMI est essentielle. Enfin, le rôle des communes en matière d’action sociale relative aux Roms migrants dépend non seulement de la possibilité pour elles aussi de mener des campagnes de vaccination et de prévention, y compris pour la tuberculose mais également dans leur rôle dans les demandes d’aides sociales. En effet, comme expliqué plus haut, elles sont compétentes en matière d’attribution des aides sociales et des domiciliations via les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS) et les Centres Intercommunaux d’Action Sociale (CIAS) (Vie-publique.fr, 2009). Ces centres sont des établissements publics communaux intervenant principalement dans les domaines de l’aide sociale légale, de l’aide sociale facultative (déterminée par les élus locaux) et de l’animation sociale. On le voit, les collectivités territoriales, en tant qu’administrations, ont un grand rôle à jouer en matière de protection de la santé. Cependant une part non négligeable de ce rôle tel qu’il peut être mis en œuvre en faveur des Roms n’est pas obligatoire et relève des prérogatives facultatives et dépendent des élus locaux. 2. DES POLITIQUES VOLONTARISTES D ’AMELIORATION DE L ’ACCUEIL DES ROMS Dans certains territoires on peut constater qu’il y a des politiques volontaires visant à améliorer l’accueil des Roms, qui restent cependant cantonnées aux domaines dans lesquels ces collectivités sont compétentes. Les communes sont compétentes en matière d’aménagement et d’entretien de la voirie communale. A ce titre, les petits aménagements nécessaires en termes de salubrité des lieux de vie des Roms dépendent de leur volonté. En effet, ceci inclut l’assainissement et la collecte des déchets. Elles peuvent donc mettre en place des toilettes publiques à proximité des terrains habités par les Roms, effectuer le raccordement à l’eau et à l’électricité de ces lieux, positionner des bennes à ordures et assurer leur ramassage régulier. Toutes ces mesures permettent de travailler sur les déterminants environnementaux de la santé des Roms. Si elles étaient prises de manière systématiques dans les lieux de vie des Roms, cela permettrait une amélioration notable de leur santé - sans pour autant suffire à rattraper les moyennes nationales. 40 Il est important de noter ici que les Roms migrants ne faisant pas partie des Gens du voyage, de par leur situation illégale, ils ne peuvent bénéficier de l’accès aux aires d’accueil des Gens du voyage prévues par la loi Besson du 5 juillet 2000. Ces aires d’accueil, aménagées pour permettre l’installation temporaire de voyageurs se déplaçant notamment en caravane sont sous la gestion administrative des communes et intercommunalités. Elles ne sont pas en assez grand nombre sur le territoire français : il n’y a de toute façon pas assez de volonté politique pour mettre à disposition partout des terrains. Ce manque de volontarisme dans l’accueil des personnes en situation légale est forcément encore plus marqué dans le cas des personnes en situation illégale (Rigaux, 2010). L’installation des Roms sur des terrains illégaux n’est donc pas un choix, mais bien le résultat d’une contrainte, liée à l’inaccessibilité pour eux à des emplacements réglementés. L’existence d’infrastructures sanitaires sur les terrains illégaux est donc bien une exception qui dépend de la volonté politique des mairies et dont l’installation est généralement réalisée après d’importantes négociations auprès de la Ville. Elle est déterminée par l’orientation politique et sociale de la ville et de son élu. Les maires jouent également un rôle d’interpellation des plus hautes sphères de l’Etat. En effet, leurs prérogatives ne sont pas assez larges pour répondre efficacement aux problèmes des Roms et les mairies n’ont souvent pas les moyens financiers nécessaires pour mener des politiques sociales. Certains maires ressentent une frustration face au dénuement des Roms s’installant sur le territoire de leur commune et l’expriment par exemple par des communiqués. A titre d’exemple, le maire PCF d’Ivry-sur-Seine (94) a mis à disposition, après un incendie ayant frappé un terrain occupé par les Roms, le gymnase de sa ville en attendant des solutions d’hébergement plus pérennes. Il a interpelé le préfet de sa région à ce sujet le 8 février 2011, rappelant que l’action d’urgence pour ces populations sinistrées « ne peut relever de la seule responsabilité des élus locaux » (Gosnat, 2011) (cf. Annexe 4). Illustrant cet engagement des maires, la tenue le 22 septembre prochain du sommet des Maires sur les Roms à Strasbourg. Cependant, cet engagement auprès des Roms est affaire de sensibilité politique : ce sont essentiellement des maires communistes qui élèvent la voix lors d’expulsions ou autres évènements affectant la vie des Roms. A droite de l’échiquier politique, les maires s’engagent parfois même contre les Roms, soutenant une population riveraine excédée par la présence de Roms sur leur territoire. Par exemple, le Maire UMP de La Madeleine (dans le Nord) a fait traduire deux arrêtés (uniquement) en roumain et en bulgare, l’un sur la mendicité, l’autre sur la fouille des poubelles. Ces deux arrêtés sont applicables depuis le 1e août 2011 et visent directement les 60 Roms vivant dans un sous-bois en bordure de la ville (Fikri, 2011). 41 Des politiques volontaires sont donc possibles mais demeurent l’exception et la plupart des maires perçoivent comme une nuisance l’arrivée de Roms sur leurs communes ou bien adoptent une posture d’indifférence. 3. LE FINANCEMENT DES PROGRAMMES ASSOCIATIFS POUR LA SANTE DES ROMS Les Conseils régionaux, les Conseils généraux et les mairies, acteurs locaux de la santé publique sont non seulement des institutions vers qui se tourner pour accéder au système de soin mais aussi des bailleurs pour les ONG médicales intervenant en faveur des populations Roms. En effet, au Comité d’Aide Médicale comme à Médecins du Monde, les principaux financements pour les missions en France proviennent de ces organismes. Les institutions peuvent financer les associations et ONG soit à travers un système de subventions, soit par des appels à projets. Les subventions sont attribuées à des associations porteuses de projet, c’est-à-dire qui définissent elles-mêmes les besoins en matière d’action sociale. Par contre, dans le cadre des appels à projets, ce sont les bailleurs eux-mêmes qui identifient les besoins en matière d’action sociale. Dès lors, la collectivité définit un cadre général d’objectifs à atteindre et les associations proposent des solutions. Les associations concernées deviennent dès lors des sortes de prestataires de service pour les collectivités concernées, qui n’ont plus à s’en occuper directement. Les collectivités utilisent de plus en plus fréquemment la procédure d’appel à projets, ce qui leur permet de mener indirectement des actions en faveur de publics spécifiques tels que les Roms. Ainsi, en France existe bel et bien la possibilité pour les pouvoirs publics d’assurer des actions de santé publique, y compris en direction des Roms. La question est maintenant de savoir dans quelle mesure ces opportunités sont saisies et si elles répondent à une politique générale de la France où bien simplement à un volontarisme ponctuel. En effet, la situation des Roms en ellemême, en tant qu’illégale, ne favorise-t-elle pas l’indifférence des politiques publiques, ou pire, l’exclusion et la discrimination ? 42 B. DES BLOCAGES PERSISTANTS A L’ENCONTRE DES ROMS Malgré un cadre de droit commun supposé être inclusif et juste qui permet aux pouvoirs publics de répondre aux besoins urgents des Roms, comme des autres publics, il n’en demeure pas moins que de nombreux obstacles demeurent en France et empêchent de mettre fin à cette situation urgente. Nous retrouvons ces obstacles à tous les niveaux de la société française : du local (au sein même des structures de soins) au national, où le discours de l’Etat contre l’immigration et pour la sécurité est généralement dénoncé comme contraire aux principes humanitaires et sociaux. 1. UN ACCUEIL DIFFERENCIE DANS LES STRUCTURES DE SANTE En principe, « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible »21. Cependant, d’après les témoignages de la médiatrice sanitaire et de la coordinatrice de la mission France du Comité d’Aide Médicale, il est courant que les Roms rencontrent des difficultés lorsqu’ils se rendent en consultation médicale. Stigmatisés, il leur arrive d’être reçus avec dédain. Ce comportement est lié en grande partie aux faits que leur prise en charge se fait dans l’urgence et perturbe le fonctionnement du service, et que le personnel médical n’est pas à l’abri des préjugés contre les Roms. L’impossibilité du dialogue interculturel renforce ce comportement de rejet puisqu’il renforce les a priori des soignants sur les Roms. Il est important de souligner que cette réalité ne peut évidemment en aucun cas être généralisée à l’ensemble des structures de soins accueillant des Roms. Le non-suivi des rendez-vous médicaux (absence aux rendez-vous), le recours aux services des Urgences pour des problèmes ne le nécessitant pas, le fait de ne pas posséder d’assurance maladie sont des facteurs « désorganisateurs » pour le système de soin tel qu’il est conçu en France. En effet, la prévention et le suivi médical sont des facteurs importants pour la définition de la santé. Une utilisation biaisée du système désorganise l’ensemble du système et ne 21 Code de la Santé publique, Article L1110-1, Créé par Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 - art. 3 JORF 5 mars 2002 43 permet donc pas aux personnels de santé de travailler comme ils le souhaitent. Par ailleurs, certains médecins méconnaissent ou redoutent la prise en charge des patients bénéficiant de l’AME ou ne bénéficiant pas de couverture sociale : ils ne sont pas suffisamment formés à la gestion de ces cas. Le facteur « désorganisateur » ajouté à une conception différente de la santé conduit le personnel de soin à construire des représentations assez négatives des Roms et de l’importance qu’ils donnent à leur santé. Les relations avec le personnel médical sont perturbées. Un mauvais accueil, un temps d’attente plus long que les autres, ou un refus de prise en charge sont alors des facteurs freinant la pleine jouissance de leurs droits en matière de santé (Tissot & Delomez, 2008). Les Roms ne sont donc souvent pas accueillis de la même manière que d’autres patients dans le système de soin, ce qui renforce leur éloignement et contribue à favoriser des résistances à l’encontre de l’usage du système de soins. 2. DES POLITIQUES NATIONALES DISCRIMINANTES Selon le droit international public, les Etats sont les garants de la neutralité de la loi et des autorités publiques, qui ne doivent pas être discriminatoires. Ils doivent également empêcher les agents non gouvernementaux de pratiquer une discrimination envers certaines personnes et certains groupes. En outre, il appartient aux Etats de promouvoir activement l’égalité de traitement, en s'employant à agir sur les conséquences de la discrimination de longue date des groupes vulnérables, comme les Roms (Amnesty International, 2010). Le fondement d’une politique de santé est, selon le rapport 2009 du Haut Conseil de la Santé Publique, « d’améliorer l’état de la population dans son ensemble et de chacun en particulier, quelle que soit son origine et son appartenance sociale ». Cet objectif est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 : la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et au vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, les repos et les loisirs… ». Malgré ce cadre juridique très clair, le vendredi 30 juillet 2010, le président Nicolas Sarkozy prononce à Grenoble un discours22 sur la sécurité dans un contexte de flambée de violence dans cette ville. Dans ce discours officiel, le président fait mention des Roms à quatre reprises, en tant qu’exemple des migrants en situation irrégulière s’implantant dans des campements « sauvages » en France. Malgré la phrase « Il ne s’agit pas de stigmatiser les Roms, en aucun cas », ce discours 22 Ce discours est consultable sur le site internet de l’Elysée : http://www.elysee.fr/president/lesactualites/discours/2010/prise-de-fonction-du-nouveau-prefet.9399.html 44 désigne clairement les Roms comme responsables de l’insécurité dans le pays. Le 5 août, une circulaire sur l’évacuation des campements illicites est publiée. L’expulsion des campements de Roms est désignée prioritaire. Pendant l’été 2010, le rythme des expulsions des Roms est fortement accéléré. Ceci provoque un tôlé général parmi les associations, la classe politique ainsi que l’Union européenne. La circulaire est immédiatement décriée comme étant illégale et le 13 septembre est publiée une circulaire annulant la désignation des Roms, mais il faut attendre jusqu’au jeudi 7 avril 2011 pour que le Conseil d’Etat annule véritablement celle du 5 août. Le bilan fait par les associations un an après montre que le nombre d’expulsions n’a augmenté que ponctuellement. En février 2011, Brice Hortefeux affirmait que 70 % des 741 terrains illicites – pas forcément occupés par des Roms recensés au 30 juillet 2010 avaient été évacués, dont 118 sur les 190 d'Ile-de-France. Leur nombre global n’a pas pour autant diminué: si un camp disparaît à un endroit, un autre apparaît immédiatement un peu plus loin. Selon le Ministère de l’Intérieur, 9 300 Roumains et Bulgares ont été expulsés de France en 2009, 9 529 en 2010 et 4 714 au premier trimestre 2011. Seule l’errance des Roms augmente, et au-delà, les contrôles d’identité, les persécutions et les violences policières associées. En effet, même si la désignation a été jugée illégale, les boucs émissaires ont été désignés officiellement une fois et l’information a été entendue par ceux qui doivent atteindre des quotas d’expulsions et de reconduites à la frontière23. Le gouvernement est également responsable de l’adoption et de la prolongation jusqu’à fin 2013 des mesures transitoires sur la circulation des ressortissants roumains et bulgares, et ce, malgré les recommandations de l’Union européenne et des associations. Ces discours et politiques discriminants pointent du doigt les Roms et en font des coupables idéaux. Ils entretiennent un climat délétère tout en contredisant les efforts et les objectifs du service public. En réaction, les Roms ont peur et ne font pas confiance aux entités émanant de l’Etat : la peur des institutions et des expulsions entrave la normalisation de leur situation sur le territoire français. 3. L’IMPACT DES EXPULSIONS SUR LA SANTE D’après Laurent El Ghozi, président de la FNASAT, 29 500 personnes ont été expulsées en 2008 dont 8 470 étaient des Roumains et parmi eux 95% des Roms. On estime que deux tiers des 23 En 2011, l’objectif fixé par monsieur Guéant, ministre de l’Intérieur, est de 30 000 reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière 45 Roms présents en France sont expulsés chaque année (Médecins du Monde, 2010). Comme le dénoncent les associations, les expulsions des Roms ont un impact dramatique sur leur santé. En quittant précipitamment un lieu, délogés par les autorités, les Roms perdent toutes les installations qu’ils se sont construites ou que les mairies leurs ont éventuellement concédé : leur toit, (aussi insalubre qu’il soit, il leur confère un abri de fortune) ; leur système de chauffage s’ils en ont un (bois ou gaz, souvent laissé à l’abandon à leur départ) ; leurs installations sanitaires (accès à l’eau, toilettes) qui ont pu être installées par la mairie ou des associations ; leur éventuel accès à l’électricité etc. Chassés, ils trouveront bien vite un autre terrain laissé à l’abandon sur lequel ils pourront s’installer mais sur lequel ils devront tout recréer. Les conditions d’hygiène seront encore plus insalubres, le froid plus vif encore. Par ailleurs, la perspective d’une expulsion, l’attente associée puis sa réalisation génèrent du stress : peur de perdre ses biens, peur d’être séparé de ses proches, peur des violences policières, angoisses liées à la précarité. La répétition des expulsions (certains groupes ont été expulsés des dizaines de fois) favorise le cumul des angoisses. Or, la santé des Roms en est directement affectée puisque leur bien-être psychique ne peut être assuré. Certains Roms en effet somatisent, ce qui peut engendrer jusqu’à des ulcères, hypertension et infarctus (European Roma Rights Centre, 2005). Le Comité d’Aide Médicale témoigne que dans la précipitation d’une expulsion, des personnes sous traitement sont susceptibles d’oublier leurs médicaments ou leur ordonnance dans leur ancien logement. Elles peuvent aussi simplement oublier une prise ou deux, le temps de se réinstaller. Ceci engendre des retards dans les traitements, des oublis, des rechutes, des risques de résistances au traitement. Les expulsions sont sources d’instabilité et entravent donc le suivi des patients : ceux-ci manquent des rendez-vous, s’éloignent des centres de santé où ils sont connus et pris habituellement en charge. Il est impossible d’avoir un médecin de référence quand on risque à tout moment de devoir partir. Les consultations de suivi prénatal et postnatal, par exemple, sont grandement perturbées par les expulsions. Il est également difficile de mettre en œuvre des programmes d’éducation à la santé et de prévention sur plusieurs séances lorsque les bénéficiaires risquent à tout moment d’être contraints de partir. Suite à une expulsion, un véritable travail de détective commence pour les associations qui doivent téléphoner à diverses personnes pour retrouver le groupe avec qui elles travaillaient, se rendre sur d’autres terrains pour demander à des Roms s’ils connaissent les nouveaux lieux de vie de ceux qui viennent d’être expulsés. Or, cela se fait dans un contexte où la méfiance est grande envers les non-Roms dans leur ensemble : les associations sont assimilées aux autorités, et par manque de confiance, les Roms communiquent 46 moins avec elles. En effet, les Roms peuvent avoir peur que les associations dénoncent aux autorités le lieu de leur nouvelle implantation. Suite à l’expulsion en mai 2011 d’un terrain à Bobigny où intervient le Comité d’Aide Médicale, il a fallu près d’une semaine à la médiatrice sanitaire pour localiser le nouvel emplacement des familles et pour reprendre ses activités. Cette notion de confiance renvoie à la problématique, que nous étudierons plus bas, de l’indépendance des associations par rapport à l’Etat. Les expulsions sont particulièrement préoccupantes sur les terrains où des maladies infectieuses ont été détectées : l’errance des Roms augmente le risque de propagation des maladies, réduit les possibilités de dépistage et surtout entrave le suivi des soins. Or, comme le rappelle Claude Evin, ancien ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale et actuel directeur général de l’ARS d’Ile-de-France, la lutte contre ces maladies est prioritaire « tant dans l’intérêt des bénéficiaires directs que pour limiter le développement de l’épidémie au bénéfice de toute la population » (Evin, 2011). Il s’agit bien d’un enjeu de santé publique, où l’ensemble de la société est concerné. Les expulsions ont donc un impact majeur sur la santé qui ne doit pas être considéré de manière restrictive comme n’atteignant que les Roms puisqu’elles génèrent des risques pour tous, y compris les non-Roms. Nous avons donc bien vu, qu’au niveau national et local, il y a de nombreux blocages à l’amélioration de la santé des Roms qui mettent grandement à mal les tentatives de politiques publiques de santé. 47 C. UN CADRE EUROPEEN EN FAVEUR DE L’INTEGRATION DES ROMS NON CONTRAIGNANT L’engagement profond de l’Union européenne en faveur des Roms est récent puisque c’est seulement en décembre 2007 que le Conseil européen a, pour la première fois, reconnu que les Roms devaient faire face à une situation très particulière dans l’Union européenne. Le premier Sommet européen sur les Roms a été organisé l’année suivante et a permis de faire un bilan de la situation des Roms en Europe. Il est important de noter que les évaluations au niveau européen posent problème en termes de définitions et de constructions des données quantitatives, puisque les Etats membres n’ont pas tous les mêmes législations et pratiques en la matière, et la définition même du mot « Rom » fait débat au niveau européen. La France faisant par ailleurs partie des pays où il y a très peu de Roms, le focus n’est généralement pas fait sur ce pays. La décennie pour l’inclusion des Roms (2005 – 2015) n’est pas une initiative de l’Union européenne mais seulement de 12 pays européens ayant une part significative de Roms dans leur population. La France ne participe pas à cette démarche, malgré la mise à l’agenda de la question Rom et France24. Les objectifs prioritaires sont : l’éducation, l’emploi, la santé et le logement ; et les gouvernements impliqués sont encouragés à prendre en compte les questions de pauvreté, de discrimination et de genre. Malgré la reconnaissance tardive de la situation humanitaire de la plus large minorité européenne, il est cependant possible de reconnaitre que l’organisation est plus proactive en matière de politiques de lutte contre les discriminations des Roms que la majeure partie des pays membres. L’Union européenne joue non seulement un rôle d’orientation politique mais encourage aussi les bonnes pratiques grâce à la diffusion de divers outils. Cependant, on peut reprocher aux politiques européennes en matière sociale de toujours reposer sur une démarche volontaire des Etats membres qui ne sont pas contraints de suivre les orientations européennes. 24 Les pays participant sont : l’Albanie, la Bosnie Herzégovine, la Bulgarie, Croatie, la République Tchèque, la Hongrie, la Macédoine, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie et l’Espagne. 48 1. L’UNION EUROPEENNE PROMOTRICE DE BONNES PRATIQUES L’Union européenne a présenté en avril 2009 « dix principes de base communs pour l’inclusion des Roms » en Europe lors de la première plate-forme européenne pour l’inclusion des Roms. Ces principes ont été annexés aux conclusions du Conseil des Ministres des Affaires Sociales le 8 juin 2009 tout en invitant les Etats membres de l’Union européenne à en tenir compte en matière de décisions politiques et à diffuser ces principes auprès des professionnels qui gèrent des projets relatifs aux Roms. Ces dix principes sont (Commission européenne, 2009) : 1. Des politiques constructives, pragmatiques et non-discriminantes : reposant sur les valeurs fondamentales (droits de l’Homme, dignité, non-discrimination) de l’Union européenne, les politiques d’intégration des Roms doivent reposer sur une analyse de la situation sur le terrain et doivent promouvoir le développement économique et social des Roms. 2. Une focalisation explicite mais pas exclusive : ce principe rappelle que les Roms ne sont pas les seules populations à vivre dans des conditions socio-économiques déplorables et que si les Roms doivent être directement visés par les politiques d’inclusion, elles ne doivent pas exclure d’autres groupes « vulnérables », « en marge du marché du travail », ou « vivant dans des milieux défavorisés ». Par ailleurs, le ciblage non-exclusif permet aussi de faire progresser l’acceptation locale des projets de santé : il permet d’éviter les sentiments d’injustice favorisant la xénophobie que pourraient ressentir les populations proches des lieux de vie Roms et vivant dans des conditions similaires (Commission européenne, 2010). 3. Une approche interculturelle : doit permettre une meilleure communication et des politiques réussies. En France, la barrière de la langue est notamment un obstacle important à l’accès aux soins : les traducteurs sont peu nombreux et les personnels des structures de santé n’ont pas forcément le réflexe d’y faire appel, ce qui crée des incompréhensions. Ainsi, l’expérience dont peut témoigner le CAM selon laquelle une femme ayant consulté pour un suivi de grossesse et demandant une échographie serait rentrée chez elle avec un document lui donnant rendez-vous pour une IVG est un exemple fragrant du besoin d’adopter une approche interculturelle. Heureusement, cette jeune femme a montré ce papier à une infirmière et à une interprète du CAM en visite sur le terrain la veille de la procédure et le drame a pu être évité. Les différences culturelles ou la mauvaise compréhension des conditions de vie des Roms s’ajoutent à cette barrière de la langue : un médecin 49 ne peut pas comprendre intuitivement que prendre un traitement régulier (y compris contraceptif) est difficile voire impossible sur un terrain Roms soumis aux expulsions. 4. Un objectif final de pleine inclusion dans la société ordinaire: Amener les Roms à s’insérer dans le droit commun oblige les politiques et programmes à se projeter sur le long terme. Cela contredit en grande partie l’approche électoraliste souvent adoptée par les politiciens qui se placent à l’échelle d’un mandat. Ceci questionne également directement l’approche urgentiste des ONG sur le terrain qui ne doivent pas se limiter à assurer les premiers soins, ce qui risque de n’être qu’un pansement sur une jambe de bois si le contexte institutionnel et administratif reste défavorable à l’inclusion des Roms dans les circuits administratifs et juridiques normaux. 5. Une prise en compte du genre : ce principe est particulièrement pertinent au regard de l’état de santé de la population rom précaire en France puisque, comme nous l’avons mis en avant plus haut, les inégalités homme/femme s’ajoutent aux discriminations liées à l’origine. Les femmes roms sont en moins bon état de santé que leurs homologues masculins et sont particulièrement vulnérables, notamment en matière gynécologique et obstétrique mais aussi face aux violences conjugales, au trafic et à l’exploitation. 6. Un transfert des politiques fondées sur les faits : il s’agit de favoriser la capitalisation des expériences et de mettre en avant les bonnes pratiques. 7. L'utilisation des instruments communautaires : Trois types d’instruments sont mis à disposition aux Etats membres par l’Union européenne pour favoriser la mise en pratique de ces principes : des instruments législatifs, financiers et de coordination. Les instruments législatifs sont par exemple : la décision cadre sur le racisme et la xénophobie, ou la directive sur l’égalité raciale ; les instruments financiers sont par exemple le Fonds Social Européen, le Fonds Européen de Développement Régional. La Méthode Ouverte de Coordination (Commission européenne, 2011) quant à elle permet d’encourager un processus volontaire de coopération fondée sur l’acceptation d’objectifs et d’indicateurs communs dans des domaines où le droit communautaire n’est pas contraignant, comme ici. 8. L'implication des autorités régionales et locales : selon le principe de subsidiarité, l’Union européenne promeut ici la collaboration avec les autorités locales. Les responsabilités sont partagées en matière d’élaboration, de développement et de mise en œuvre et d’évaluation des politiques d’inclusion entre les échelons locaux et nationaux. 50 9. L'implication de la société civile et 10. La participation active des Roms : ces deux points soulignent l’existence et l’importance des acteurs non institutionnels tels que les ONG, les partenaires sociaux, les associations, les universitaires ou chercheurs mais aussi les communautés Roms elles-mêmes. On le voit, ces principes reposent sur le droit communautaire et les principes et valeurs du droit public international tels que formulés dans des textes juridiques de référence tels que la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE. L’Union européenne formule également des conseils pour réussir à mettre en pratique ces principes au niveau national. Il s’agit cependant ici uniquement de recommandations et non pas d’obligations. En effet, le fonctionnement de l’Union européenne repose notamment sur le « principe de subsidiarité », selon lequel, en matière de décision publique, c’est la plus petite entité capable de résoudre le problème qui est responsable. L’Union européenne peut donc ici formuler une politique générale mais laisse une grande marge de manœuvre aux structures nationales et locales pour son implémentation. Ces "déclarations donnent un cadre général aux institutions européennes, aux pays membres et candidats afin d'orienter leurs politiques en la matière. Mais elles ne sont pas contraignantes sur le plan légal", précise Waltraud Heller, porte-parole de l'Agence des Droits Fondamentaux de l'Union européenne. "En revanche, si un Etat-membre utilise des Fonds structurels pour mettre en place une politique qui va à l'encontre de ces principes, n'importe qui peut alerter la Commission européenne et cela ne sera pas sans conséquence. Le poids politique de ces principes n'est donc pas négligeable" (Simon, 2010). 2. L’ORIENTATION POLITIQUE DE L’UNION EUROPEENNE : STRATEGIE EUROPEENNE D ’INTEGRATION DES ROMS ET FINANCEMENTS La stratégie européenne d’intégration des Roms a été élaborée entre avril 2010 et mars 2011. Au printemps 2010 ont en effet été publiés deux documents pionniers en Union européenne sur l’intégration des Roms25. Ils fixent les grandes lignes visant à rendre plus efficaces les politiques d’intégration des Roms et font le bilan des progrès réalisés depuis 2008. Pourtant, c’est la crise de l’été 2010 engendrée par la discours de Grenoble et les différentes circulaires illégales sur les 25 Il s’agit de la Communication stratégique sur « l’intégration sociale et économique des Roms en Europe » et du Rapport sur « les progrès réalisés en matière d’intégration des Roms (2008-2010) ». 51 expulsions visant les Roms qui ont mis la question de l’intégration des Roms réellement sur le devant de l’agenda politique européen. En septembre 2010, la Commission européenne a créé une Task Force afin d’évaluer l’utilisation des fonds européens pour des actions en direction des Roms. La Task Force a publié en décembre 2010 un rapport dans lequel elle met en évidence la mauvaise et une sous-utilisation des fonds structurels et en identifie les raisons. La mise en œuvre au niveau national est problématique à cause du manque de savoir-faire et de capacité administrative pour absorber les Fonds. Il existe également des problèmes lorsqu’il faut une contribution nationale, c’est-à-dire un cofinancement26. Le Parlement européen a adopté le 9 mars 2011 une résolution sur la stratégie européenne pour l’intégration des Roms. Le 19 mai, cette stratégie a été adoptée par le Conseil de l’Union européenne. Cette résolution se prononce pour la mise en place d’une stratégie européenne afin de promouvoir l’intégration sociale, culturelle et économique des Roms : Le Conseil invite les Etats membres à « améliorer la situation sociale et économique des Roms en intégrant cette problématique dans toutes les politiques de l'éducation, de l'emploi, du logement et des soins de santé, compte tenu, le cas échéant, des principes fondamentaux communs en matière d'intégration des Roms, ainsi qu'en leur assurant l'égalité d'accès à des services de qualité, et à appliquer une approche intégrée à ces politiques et à utiliser au mieux les fonds et ressources disponibles » (Conseil de l'Union européenne, 2011). Plus concrètement, l’Europe encourage à présenter une feuille de route destinée à fixer des normes minimales obligatoires au niveau européen d’ici 2020, dans les domaines prioritaires de l’enseignement, de l’emploi, du logement et des soins de santé. En matière de santé, l’objectif est de réduire l’écart entre la santé des Roms et des non-Roms en Europe. Concernant les fonds européens, la résolution fait un certain nombre de propositions afin qu’une plus grande partie soit dirigée sur des actions à destination des Roms. Il est à noter que le rôle des autorités locales et régionales est également largement évoqué dans ce rapport. Le financement de l’inclusion des Roms ne fait pas réellement l’objet d’un traitement à part et est intégré dans toutes les politiques d’intégrations de l’Union européenne. Les fonds disponibles au niveau européen et qui peuvent être sollicités par les Etats pour, entres autres, des programmes en faveur des Roms sont principalement le Fonds Social Européen (FSE), le Fonds Européen de 26 Commission européenne, Roma Integration: First Findings of Roma Task Force and Report on Social Inclusion, décembre 2010 52 Développement Régional (FEDER) et le programme PROGRESS27. On trouve aussi : Le Programme pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, le Programme Jeunesse en Action, le Programme Culture (2007-2013), le Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural, l'Instrument d’Aide de Pré-adhésion (IAP) et le Programme d’action communautaire dans le domaine de la santé publique (2008-2013). Chaque Etat membre devra présenter fin 2011 sa stratégie nationale d’intégration des Roms dans laquelle il fixera ses propres objectifs ainsi que les moyens envisagés pour les atteindre. Les stratégies devront reposer sur les principes fondamentaux communs en matière d’intégration des Roms et s’inscrire dans le cadre plus général de la stratégie Europe 2020. Ainsi, l’Union européenne promeut l’intégration des Roms. La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), par exemple, se réjouit de ce nouveau cadre, mais pourtant « elle le juge insuffisant pour mettre fin aux discriminations faites aux populations Roms » (Ligue des Droits de l'Homme, 2011). Il y a une certaine ambivalence entre les mesures affichées et le dispositif et les concessions mises en place au moment de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007. En effet les mesures transitoires se révèlent être en totale contradiction avec une dynamique d’insertion puisqu’elles excluent de fait les nouveaux ressortissants du marché du travail et de la protection sociale. Rappelons à nouveau que les mesures transitoires ont été autorisées par l’Union européenne mais qu’elles n’ont rien de contraignant. Du reste, seulement 10 pays sur 25 en ont actuellement en place. Il s’agit donc bien d’un choix national et non pas européen. Par ailleurs, l’Union européenne n’autorise pas ces mesures au-delà de décembre 2013. Il y a donc bien une réelle cacophonie des réponses institutionnelles à la crise humanitaire subie par les Roms. Les réponses publiques semblent tiraillées entre inclusion des Roms dans le droit commun et difficultés de reconnaissance de la spécificité de leur situation. Les quelques politiques volontaristes semblent anéanties par l’inertie des politiques publiques, la persistance des préjugés, les discours sécuritaires à la recherche du bouc émissaire idéal et l’ampleur du retard accumulé en matière d’égalité sociale de santé. Face à la persistance du phénomène d’exclusion des Roms, des 27 Le programme PROGRESS est un instrument financier de l’UE qui appuie l’élaboration et la coordination des politiques de l’Union dans les domaines de l’inclusion et la protection sociale, l’emploi, les conditions de travail, la lutte contre les discriminations et l’égalité des sexes. 53 réponses en urgence se mettent en place, en dehors des services publics fournis par l’Etat. Ces réponses sont menées par les associations et ONG, désignées comme étant humanitaires ou sociales. Les réponses apportées ont ceci de perturbant qu’elles traduisent parfois des logiques d’urgence auxquelles nous ne sommes pas habitués dans un pays développé et industrialisé comme la France et qui sont généralement employées dans des pays en voie de développement. 54 III. L’AIDE HUMANITAIRE ET SOCIALE FACE AUX PARADOXES DES INSTITUTIONS Face à l’abandon des Roms par les pouvoirs publics, les ONG se sont senties investies par la nécessité de réagir et de ne pas laisser les populations à l’abandon. Cet élan répond grandement aux « principes humanitaires » tels qu’adoptés par de nombreux acteurs de la solidarité internationale dans la mouvance du CICR. Ces principes sont, selon la terminologie de l’Unicef28: - L’impératif humanitaire, - La neutralité, - L’impartialité, - Faire le moins de tort possible, - La responsabilité, - La participation des populations, - Le respect de la culture et des coutumes. Les trois premiers sont considérés comme des principes « fondamentaux » de l’action humanitaire. Selon ces principes, les ONG ne peuvent donc pas rester indifférentes (impératif humanitaire) face à l’urgence sanitaire des Roms. Elles doivent intervenir, y compris dans un pays comme la France dont elles sont originaires, ce qui pose des problèmes d’indépendance (impartialité). La question de la neutralité est ici moins prégnante du fait qu’il ne s’agit pas d’une intervention pendant un conflit, mais doit toujours être prise en considération. Suite à des entretiens avec les salariés du Comité d’Aide Médicale, nous avons pu également constater qu’au-delà du respect de ces principes, les travailleurs humanitaires expriment une volonté d’intervenir dans leur propre pays. Ceci leur permet de justifier leur intervention dans d’autres pays en montrant qu’elles sont aussi capables de juger et d’intervenir dans leur pays d’origine et donc témoigner de leur indépendance par rapport aux Etats. Cela leur permet d’afficher une certaine cohérence de leur action. Le sentiment d’ingérence généré par leurs activités dans d’autres pays en est réduit d’autant. A titre individuel, les travailleurs au siège des ONG y voient une concrétisation immédiate et perceptible de leur travail, ce qui est source de satisfaction et de motivation pour le groupe. 28 A ce sujet, consulter les sites de l’Unicef, d’OCHA et du CICR. 55 Dans le domaine humanitaire, deux approches sont généralement distinguées : une approche urgentiste et une approche de développement. L’approche urgentiste intervient de manière générale au cœur d’une crise aigüe rencontrée par une population (guerre, catastrophe naturelle, famine, etc.), tandis que le développement est une approche considérée sur le plus long terme, destinée à des populations vivant dans un contexte relativement stable, mais de grande précarité. Le cas des Roms en France tombe a priori sous le coup du développement. Pourtant, immédiatement après les expulsions, les familles à nouveau en errance sont en situation d’urgence et des modèles d’intervention adaptés sont nécessaires. Ainsi en 2009, Médecins du Monde a installé un camp de déplacés pour accueillir 500 personnes suite à l’incendie d’un terrain à Bobigny. Ce type de mesures, exceptionnelles dans un pays comme la France, témoigne de l’importance de l’intervention humanitaire et de l’urgence de trouver une solution durable. Nous essaierons ici de comprendre les spécificités de l’action humanitaire et sociale des ONG auprès des Roms et d’en montrer les limites, en tant qu’elle butte contre la déresponsabilisation de l’Etat et de ses institutions. A. LE TRAVAIL DES ASSOCIATIONS ET DES ONG EN REPONSE AUX LIMITES DES INSTITUTIONS Le travail des ONG visant à améliorer la santé des Roms repose sur deux méthodes principales : une méthode axée sur la santé à proprement parler et qui repose sur une logique humanitaire ; et une méthode plus globale et inclusive, fondée sur une logique de développement et prenant en compte l’ensemble des besoins des Roms. 1. DES DISPOSITIFS AXES SUR LA SANTE Les deux principaux acteurs humanitaires en faveur de la santé des Roms en France sont le Comité d’Aide Médicale et Médecins du Monde (en termes de nombres de bénéficiaires et de montant des projets). Le premier travaille uniquement en Ile-de-France depuis 2004, au bénéfice de 3000 personnes en 2010 et sur 29 terrains d’intervention en moyenne29. MDM travaille non 29 Ce chiffre est soumis aux aléas des expulsions. 56 seulement en banlieue parisienne mais aussi à Marseille, Lyon, Bordeaux, Grenoble, Montpellier, Nantes, Nancy, Strasbourg et Toulouse également au bénéfice de 3000 Roms. Les activités de Médecins du Monde comprennent : la veille sanitaire (soins de santé primaires, orientations, campagnes de vaccination), les négociations en vue d’améliorer l’hygiène sur les terrains, l’accompagnement périnatal (santé materno-infantile) et du plaidoyer (témoignage et mobilisation des comités de soutiens) (Médecins du Monde, 2011). Les activités du Comité d’Aide Médicale sont quant à elles plus concentrées sur la médiation sanitaire et les orientations ainsi que sur l’accompagnement des femmes enceintes. En 2010, 24 accompagnements de femmes enceintes et de personnes atteintes de tuberculose ont été effectués. 500 entretiens individuels ont été conduits. Les objectifs de la médiation sanitaire sont : (1) faciliter l’accès à la couverture maladie afin que les Roms puissent bénéficier du régime commun et (2) améliorer les relations entre le personnel hospitalier et les patients Roms (Comité d'Aide Médicale, 2011). Le Comité d’Aide Médicale a également assuré entre 2007 et 2010, la coordination inter-associative des organisations de SeineSaint-Denis travaillant auprès des populations Roms. Deux logiques d’interventions peuvent être distinguées : une logique « mobile », et une logique « de lieux fixes » (Corty, 2010). La logique mobile : La première logique, mobile, consiste à aller à la rencontre des populations bénéficiaires, directement sur leurs lieux de vie et à les accompagner de manière individualisée dans l’ensemble de leurs démarches et de leurs parcours de santé. Cette démarche prend la forme de campagnes de vaccination sur les terrains et d’accompagnement de type « médiation sanitaire ». La médiation sanitaire est une « action menée par un tiers impliqué dans une relation triangulaire, en dehors de toute relation de pouvoir. L'action de ce tiers peut porter aussi bien dans le champ de la gestion des conflits que dans celui de la communication ou encore celui de la sécurité» (Bonafé-Schmitt, 2004). Il s’agit de créer un dialogue entre les Roms, les associations et les institutions ou les structures de santé. Concrètement, les médiateurs sanitaires facilitent les démarches, par exemple en aidant à constituer des dossiers pour l’affiliation à l’AME : réunir les documents nécessaires, s’assurer du bon respect des délais entre les différentes étapes, dialoguer avec le personnel des caisses d’assurance maladie et surtout faire connaître aux Roms leurs droits sont des tâches importantes de leur travail. Plus les médiateurs sanitaires sont proches du système de santé et s’y intègrent, plus leur travail pourra être une réussite (European Roma Rights Centre, 2006): ils doivent faire un véritable pont pour rapprocher les deux parties. La veille sanitaire et les orientations effectuées par le personnel 57 des ONG (médecins, infirmiers, médiateurs sanitaires, travailleurs sociaux) doivent permettre de prévenir les épidémies et tout autre problème de santé individuel afin de mettre en place une réponse appropriée. En cas d’épidémie (tuberculose, rougeole), il s’agit de travailler en relation avec les régions (ARS), les départements (PMI), et les communes (CCAS et CIAS) afin d’organiser des campagnes de vaccination et de faire en sorte que les malades bénéficient d’un traitement et d’un suivi adéquats. Un autre type de réponse appropriée est « l’orientation ». Il s’agit de référer les patients vers les structures de santé (service des urgences, obstétrique, etc.), en fonction du problème de santé identifié, et ce, afin d’éviter d’éventuelles erreurs d’aiguillage. Pour répondre aux besoins de mobilité, Médecins du Monde utilise des « bus mobiles », sur le modèle des cliniques mobiles employées dans les régions reculées des pays en crise ou en voie de développement. Pour répondre aux besoins en matière de traduction – de nombreux Roms ne parlent pas suffisamment français – les deux ONG renforcent leurs équipes avec des interprètes parlant roumain ou romani. Cela permet d’instaurer un dialogue de qualité, mais aussi de surmonter de nombreuses différences culturelles que les traducteurs sont capables de déchiffrer. Cette approche individualisée est très pertinente au regard de la spécificité de la situation des Roms. Elle permet un véritable accompagnement des individus dans leurs parcours de santé, intégrant prévention, éducation, accès au droit et normalisation de la situation et accès aux soins. Elle permet en grande partie de surmonter les obstacles liés à la peur qu’ont les Roms de se rendre loin de leur campement. Cependant, cette démarche est très demandeuse en temps, en énergie et en personnel. Elle est également fortement soumise aux aléas des expulsions qui anéantissent la confiance lentement établie et dispersent les bénéficiaires, qu’il est alors nécessaire de retrouver. La Logique fixe : La seconde logique de travail en faveur de la santé des Roms est une logique fixe. Elle est principalement employée par Médecins du Monde, qui a une action sociale en France suffisamment développée pour justifier de tels moyens. Elle se traduit par l’existence, parfois depuis plus de vingt ans de « centres d’accueil de soins et d’orientation » (CASO). Il y en a actuellement 21 en France, accueillant près de 26 000 patients et réalisant 35 000 consultations médicales par an. L’objectif de ces CASO est d’offrir un espace à toute personne en difficulté d’accès aux soins (ils ne sont pas destinés uniquement aux Roms) afin de prodiguer des soins de santé primaires et de favoriser le retour au droit commun via des orientations. Sans rendez-vous et sans contraintes particulières, ces lieux permettent un accueil souple des patients, prenant en compte les déterminants environnementaux et culturels d’accès aux soins. Les patients peuvent y rencontrer une équipe 58 pluridisciplinaire. Cette méthode favorise un premier rapprochement entre les Roms et le reste de la population, même si seules des personnes en situation précaire se rendent dans les CASO. L’inconvénient majeur de cette approche est le manque d’information des potentiels bénéficiaires Roms. En effet, pour qu’ils se rendent dans des CASO il est nécessaire qu’un travailleur dans la démarche mobile soit déjà venu à eux et leur ait expliqué l’existence et le fonctionnement des CASO, voire qu’il les y ait emmenés. Il est important en effet de montrer le chemin, d’expliquer en détail le fonctionnement et ce qui est disponible au CASO et de s’assurer que le message de gratuité est bien compris. Le transport est un second obstacle majeur, car, comme nous l’avons vu plus haut, le coût d’un ticket de bus est souvent une somme qui parait insurmontable à un Rom. De plus il arrive qu’à proximité des terrains Roms soit il n’y a pas de transports en commun soit les arrêts ne sont pas desservis30. Les ONG médicales parviennent à avoir certains succès dans le domaine de la santé des Roms, sans pour autant surmonter les innombrables difficultés rencontrées par cette population en la matière. Elles ne travaillent malheureusement pas sur l’ensemble des déterminants de la santé des Roms. D’autres associations et ONG ont, elles aussi, une approche sectorielle des problèmes : certaines travaillent sur les droits des Roms (GISTI, la Cimade, FNASAT), d’autres sur le logement (Fondation Abbé Pierre), d’autres ont une approche plus sociale, voire généraliste (Secours Catholique). Cependant, le manque de coordination entre les différentes actions se traduit en définitive par un manque d’intégration des approches : rares sont les actions globales, cherchant à combattre les différents obstacles de concert pour améliorer leur efficacité. Entre 2007 et 2010, en Seine Saint-Denis, a pourtant été mise en place, une dynamique de « coordination inter-associative » entre les différentes associations travaillant dans le département. Quinze associations, travaillant sur des sujets divers, étaient réunies tous les mois afin d’améliorer le dialogue inter-associatif. Malheureusement, ce projet n’a pas duré, faute de financements et de réel investissement des différents membres (Comité d'Aide Médicale, 2011). 30 Cette information est issue de témoignages rapportés dans le rapport annuel 2008 de Médecins du Monde 59 2. TENTATIVES D’APPROCHE INTEGREE DE LA QUESTION ROMS, L’EXEMPLE DES VILLAGES D ’INSERTION Pour les associations comme pour les collectivités, le sentiment dominant selon lequel avoir une approche par domaines de la question Rom ne pouvait pas conduire à des solutions durables a encouragé l’émergence au milieu des années 2000 du concept de « villages d’insertion ». L’idée est de fournir à une population donnée et limitée en nombre tous les outils qui semblent être des préalables nécessaires à leur intégration : logement, éducation, accès à l’emploi, accès aux soins etc. En effet, comme le rappelle ERRC, les médecins peuvent traiter les Roms individuellement, « but if the external factors that negatively impact their health situation (i.e inadequate housing) are not improved, the health situation of the persons will likely not change significantly 31». Le dispositif du village d’insertion a été expérimenté pour la première fois à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) en 2006 dans le cadre du plan d’ « éradication des bidonvilles : relogement des personnes » lancé par le Conseil régional d’Ile-de-France. La ville recensait à l’époque cinq bidonvilles comprenant entre 500 et 600 personnes (Comité d'Aide Médicale, 2011). Le dispositif village d’insertion a depuis été employé à plusieurs reprises, notamment en Ile-de-France. Ces dispositifs, mis en œuvre par des associations suite à la demande des collectivités territoriales répondent aux besoins des politiques de la ville en matière de lutte contre les bidonvilles. Ils recouvrent un processus en trois phases : dans un premier temps, une mission d’enquête sociale est confiée à une association qui sélectionne un certain nombre de familles. Celles-ci pourront bénéficier du dispositif sur un camp en voie d’expulsion. Une fois le camp évacué, les familles choisies sont temporairement logées dans des caravanes (généralement mises à disposition par la Fondation Abbé Pierre), avant d’être prises en charge dans le village d’insertion. Lors de cette dernière étape, elles sont hébergées dans le village et bénéficient d’un suivi social. Les « villages » sont censés être un habitat provisoire dans l’attente d’insertion dans le parc locatif traditionnel. Pendant leur séjour ici, les Roms bénéficient de plusieurs avantages censés les aider : un logement stable et la certitude de ne pas être expulsé, la suspension des mesures transitoires d’accès à l’emploi, un accompagnement social. En éloignant les Roms de l’environnement insalubre qui caractérisait leurs lieux de vie, c’est offrir une opportunité énorme pour l’amélioration de leur santé. C’est aussi les rapprocher du système de santé, de l’école et de l’éducation à la santé (Legros, 2010). La collaboration entre pouvoirs publics et 31 (European Roma Rights Centre, 2006) « mais si les facteurs externes qui impactent leur situation sanitaire (c’est-à-dire le logement insalubre) n’est pas amélioré, la situation sanitaire des personnes risque de ne pas changer de manière significative. » 60 associations est importante ici, car sans elle, il n’y aurait pas de dispositif. L’engagement des collectivités est à la fois politique (facilitation des démarches administratives pour les bénéficiaires, mise à disposition de terrain, etc.) et financière (la région Ile-de-France a par exemple, dépensé 1,3 millions d’euros entre 2005 et 2010 dans ces dispositifs). A titre d’illustration : « le village d’insertion d’Aubervilliers est implanté sur un terrain de 3.500 m², aménagé de 24 bâtiments modulaires de 30 m² chacun, permettant d’héberger 80 personnes, ainsi que d’un local à usage polyvalent de 100 m² et de locaux pour buanderie et ordures ménagères. La subvention régionale s’élève à 500.000 € pour un montant total de 960.000 euros. » (Conseil régional d'Ile-de-France, 2008). FIGURE 5: VILLAGE D'INSERTION A AUBERVILLIERS (SOURCE : ILEDEFRANCE.FR) Il s’agit donc d’une approche globale visant à sortir les Roms des bidonvilles et à favoriser leur insertion dans la société dite normale. Cependant, les critiques à l’égard de ces dispositifs sont nombreuses et ont très rapidement émergé. Ils ne répondent pas, en effet, aux besoins réels des Roms en ce sens qu’ils ne prennent pas en compte leur organisation sociale. Le principe même de sélectionner certains Roms sur les camps et d’encourager les autres à quitter le territoire grâce au dispositif de retour humanitaire, va à l’encontre de leur mode de fonctionnement en communauté et divise des familles (des frères et sœurs qui ne sont pas tous admis à rester par exemple). L’accès aux villages est strictement surveillé et il faut une autorisation spéciale pour rendre visite. Dans certains (comme à Bagnolet), seuls les célibataires ont le droit de participer au dispositif par exemple. Le comportement admis dans ces 61 villages est calqué sur le modèle des résidences sociales et les espaces communs sont régis selon des règles ne correspondant pas aux habitudes des Roms. Selon Olivier Legros, les « villages d’insertion » sont plus des « instruments de pouvoir » permettant le contrôle social et territorial que de véritables dispositifs d’inclusion. Par ailleurs, les villages d’insertion ne sont pas mieux acceptés par les riverains que les bidonvilles. Les protestations sont nombreuses. Enfin, selon Olivier Legros, « la levée des obstacles administratifs liée à l’irrégularité du séjour et aux mesures transitoires est compliquée du fait des résistances des agents et des responsables des services des étrangers, peu favorables au traitement de faveur dont bénéficient les résidents des « villages » par rapport à d’autres étrangers en situation irrégulière ». On peut d’ailleurs se demander si ce type de discrimination « positive » est légale en France (Legros, 2010). Il semble encore trop tôt pour évaluer avec précision l’impact réel de ces dispositifs sur leurs bénéficiaires, mais les critiques émergentes, malgré le fait que de plus en plus d’institutions envisagent de faire appel à ces dispositifs, montrent qu’il ne s’agit en aucun cas d’une solution idéale. L’approche intégrée, si elle n’est pas étendue à l’ensemble des Roms en situation précaire, risque de ne pas avoir un impact significatif et durable. On est donc face à une situation de blocage : les approches par secteur semblent relativement efficaces au niveau individuel, permettant une amélioration ponctuelle de la santé des individus par exemple, mais elles demandent une dépense en énergie et en temps trop importante et sont beaucoup trop soumises aux aléas de la précarité des Roms. Les nouvelles tentatives d’approches intégrées font déjà l’objet de critiques et semblent satisfaire à des besoins politiques et non véritablement sociaux. Cette situation interroge sur les limites du travail humanitaire et social auprès des Roms. 62 B. LES LIMITES DU TRAVAIL HUMANITAIRE ET SOCIAL Dans cette partie, nous allons étudier les limites du travail humanitaire. Il ne s’agit pas ici d’évaluer l’efficacité des programmes humanitaires et sociaux ni de mesurer à quel point elles permettent une amélioration effective du niveau de vie et de l’état de santé des Roms. Malgré l’intérêt de ce questionnement, nous n’avons pas ici les moyens de réaliser cette étude et ce n’est pas l’objet de ce mémoire. Nous explorerons les limites du travail humanitaire et social dans ses interactions avec les institutions et le pouvoir. Nous verrons dans un premier temps que le travail associatif en faveur des Roms dépend de la volonté de l’Etat et qu’il ne peut être mis en œuvre en dehors du cadre offert par la loi. Enfin nous nous demanderons si en fin de compte l’aide humanitaire en France n’aurait pas une conséquence contre-productive, encourageant le désengagement de l’Etat. 1. LA DEPENDANCE DU TRAVAIL ASSOCIATIF A LA VOLONTE DE L’ETAT Nous l’avons vu plus haut, au niveau national, le contexte politique n’est pas favorable à des mesures sociales en faveur de l’inclusion des Roms. L’ambiance générale est plutôt à l’expulsion et à l’éloignement du territoire : les Roms sont considérés comme une menace pour la population nationale. Il y a une véritable volonté politique de les exclure du système, et ce, malgré l’existence de garde-fous qui rendent possible, au niveau régional et local des mesures sociales en faveur de cette population précaire. Or le travail des ONG dépend en grande partie de la liberté de mouvement que leur laisse l’Etat. La dépendance des ONG est de plusieurs ordres : économique, législative, politique, institutionnelle et, enfin, de l’ordre de l’efficacité. La dépendance économique est liée aux financements concédés par l’Etat. Même si certaines ONG sont capables de récolter des fonds auprès de donateurs privés (particuliers, entreprises, fondations), la plupart reçoivent des subventions de l’Etat qui permettent de financer leur action. Ainsi au Comité d’Aide Médicale, plus de 97 % des fonds (France et international combinés) sont le fruit de subventions publiques. L’ONG est donc complètement dépendante du bon vouloir économique de ses partenaires publics (région, département et villes essentiellement dans le cas des missions en France). La baisse des subventions publiques pour la mission France du CAM entre 2009 et 2010 a été de 55 % : cela a énormément perturbé le fonctionnement de la mission, qui a dû être entièrement restructurée. Cela a fortement ébranlé le fonctionnement de l’ONG, au détriment des 63 bénéficiaires qui ont été moins couverts. Médecins du Monde, qui a une capacité bien plus forte que la plupart des ONG à attirer des dons privés, dépend à moins de 50 % des subventions publiques pour ses missions en France (Médecins du Monde, 2011). Même ainsi, l’ONG ne peut se passer de l’aide publique et doit solliciter l’aide financière de l’Etat. Par ailleurs, le système de demandes de subventions demande de rendre des comptes sur les projets financés aux bailleurs (rapports intermédiaires et finaux) et ne permet pas une grande liberté d’action. La dépendance économique à l’engagement de l’Etat se traduit aussi dans l’utilisation du Fonds Social Européen et du FEDER. En effet, comme souligné dans le cadre d’intégration des Roms de la Commission européenne, ces fonds, qui peuvent être utilisés en faveur des Roms, sont largement sous-exploités, par manque de volonté puisque c’est aux Etats membres de les solliciter (Conseil de l'Union européenne, 2011). Les villages d’insertion sont, par exemple, entièrement financés par les collectivités territoriales, qui mettent également à disposition les terrains où ils sont construits. Sans elles, ces projets seraient inconcevables. Le deuxième type de dépendance est d’ordre législatif. Le travail des ONG doit se dérouler dans les limites de la légalité. Elles doivent se conformer aux règles et procédures édictées par la loi. En ce sens, elles sont tenues de respecter les procédures liées par exemple à l’accès à l’AME, y compris d’attendre le délai de trois mois de présence attestée sur le territoire français avant de pouvoir déposer le dossier à la CPAM, et ce, au détriment de la santé des Roms. Les villages d’insertion montrent bien que les institutions peuvent alléger le dispositif législatif relatif aux Roms, puisqu’elles le font de manière ponctuelle et sélective pour certains Roms jugés désirables. Or, les ONG ont intérêt à favoriser ces fenêtres d’opportunité législative pour les Roms. La dépendance politique est la dépendance relative à l’orientation définie à chaque niveau politique. Un gouvernement ou une municipalité n’adoptera pas la même approche des populations précaires, immigrées et en situation illégale en fonction de sa place sur l’échiquier politique et de son électorat. La dépendance institutionnelle relève du fonctionnement des institutions de l’Etat. En effet, la création des Agences Régionales de la Santé a permis le regroupement de diverses structures. Dorénavant, les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales (DRASS et DDASS), les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), les groupements régionaux de santé publique (GRSP), les Unions régionales des caisses d’assurance maladie (URCAM), les missions régionales de santé (MRS) et le volet hospitalier de l’assurance maladie sont réunis en une seule structure. La transition a eu lieu en 2009/2010 et a eu un impact important sur le travail des ONG : changement d’interlocuteurs, rupture et baisse des financements, nouvelles procédures et nouvelles 64 priorités. Les interlocuteurs départementaux ont été abandonnés au profit d’une régionalisation de l’organisation. Les contrats de subventions n’ont pas été renouvelés dans les mêmes conditions, engendrant généralement des baisses importantes des financements (comme au Comité d’Aide Médicale qui a failli fermer sa mission en France lors de ce remaniement par manque de visibilité financière). Enfin, les ONG ont besoin d’avoir de bonnes relations avec l’Etat tout simplement pour pouvoir faire un travail efficace et, en ce sens, elles sont dépendantes en matière d’efficacité. L’Etat et ses institutions peuvent aussi bien entraver que faciliter le travail des ONG. Faciliter en simplifiant les dispositifs d’accès à l’AME par exemple, ou encore en mettant fin aux mesures transitoires d’accès à l’emploi qui empêchent toute possibilité d’insertion dans le système de droit commun. Les possibilités d’entraver le travail des ONG sont elles aussi nombreuses ; nous l’avons déjà dit plus haut, les expulsions à répétition réduisent à néant les efforts faits pour améliorer la santé des Roms, sans parler des reconduites à la frontières, qui renvoient tout simplement les Roms dans leurs pays d’origine sans se soucier de combattre les causes de leurs migrations, ce qui entraine un retour presque certain en France. 2. L’AIDE HUMANITAIRE FAVORISE-T-ELLE LE DESENGAGEMENT DE L’ETAT ? Selon les principes humanitaires, les ONG doivent faire « le moins de tort possible », d’où l’importance de se demander si leur action favorise, ou non, le désengagement de l’Etat. L’Etat français est souvent critiqué pour son désengagement croissant du domaine de l’aide sociale et humanitaire. Selon ces critiques, investirait moins en faveur de la protection des plus démunis et prendrait même des mesures renforçant les inégalités. Son intervention est « parfois hésitante » (Comité d'Aide Médicale, 2011). A ce titre, l’actualité de l’été a été marquée par la démission de Xavier Emmanuelli de la présidence du SAMU Social. Ancien Secrétaire d’Etat à l’Action Humanitaire d’Urgence sous Jacques Chirac (1995 – 1997), il reproche au gouvernement de ne « pas comprendre ce qu’est l’urgence sociale » : le budget du SAMU est passé de 110 millions en 2010 à 90 millions en 2011. Cette baisse ne permet pas de faire face aux besoins (Serafini, 2011). Dans cette dernière partie, nous nous demanderons si l’aide humanitaire favorise le désengagement de l’Etat. En effet, pourquoi s’engager dans des mesures couteuses, dont les retombées politiques sont nulles ou contre-productives, alors que la mobilisation citoyenne existe, fait souvent preuve d’efficacité et ne contraint pas financièrement ? Pourquoi s’engager financièrement au côté d’associations 65 travaillant avec des publics précaires qui ont mauvaise presse dans l’opinion publique et qui sont en situation illégale, alors que celles-ci peuvent tenter de mobiliser des fonds propres ? Nous comprenons ici la notion de désengagement de l’Etat comme l’abandon progressif de la prise en charge de secteurs considérés comme coûteux (l’éducation, la santé) ou qui ne sont pas porteurs politiquement (l’inclusion des Roms). Ceci pose le problème du « vide institutionnel » et la question de savoir jusqu’à quel point ce vide peut être comblé par les ONG, associations et autres initiatives populaires. Si l’on considère l’une des principales critiques faites à l’aide humanitaire par rapport au désengagement des Etats, on peut se demander si la situation se présente en France. En effet, l’un des objectifs des acteurs de l’aide humanitaire doit être de toujours encourager les Etats et les gouvernements à jouer leur rôle et à endosser leurs responsabilités d’assister et de protéger les populations affectées par une crise ou des problèmes sociaux. D’après la résolution de l’ONU 46/182 de 1991, les Etats concernés par une crise humanitaire ont un rôle premier en matière de coordination, de mise en œuvre, d’organisation de l’assistance humanitaire sur leur territoire, et ce, dans les limites de leurs capacités au moment de la crise. Ce sont les Etats eux-mêmes qui doivent appeler à l’aide. L’Etat français est tout à fait capable de porter assistance aux 15 000 Roms vivant dans des bidonvilles et de les raccorder, au minimum, aux infrastructures sanitaires tout en leur proposant une aide médicale. Les ONG et autres structures non-gouvernementales jouant un rôle dans l’aide humanitaire, y compris au niveau international, ne se reposent pas suffisamment sur les Etats dont le rôle est pourtant central. « La neutralité et l’indépendance sont pris pour des raccourcis pour se désengager des structures de l’Etat » (Harvey, 2009). Est-ce le cas en France ? Il est difficile de répondre à cette question sachant que les ONG travaillent en partenariat avec l’Etat pour ramener les Roms dans un système de droit commun et pour renforcer les capacités de l’Etat à accueillir et protéger les Roms. Cependant, la baisse de l‘investissement des pouvoirs publics et la stigmatisation des Roms au niveau des plus hautes sphères de l’Etat questionne cet engagement partenarial. Le consentement de l’Etat est nécessaire à la mise en œuvre d’une aide humanitaire pertinente et efficace par les acteurs non gouvernementaux qui ne peuvent pas, et ne doivent pas, travailler de manière déconnectée de l’Etat de leur pays d’intervention. Y a –t-il des associations suite au désengagement de l’Etat ? Ou bien l’Etat se désengage-t-il en pensant que les associations existantes sont capables de prendre le relais ? Nous opterons plutôt pour la première proposition. En effet, la baisse des crédits de subventions met tant en danger les ONG que certaines ne peuvent plus travailler correctement. Ainsi la procédure de dépôt de bilan en 66 cours au Comité d’Aide Médicale s’explique en partie par la perte du soutien de l’Etat français (tant en France que pour les missions internationales)32. Pourtant, nous pouvons estimer que la capacité des ONG à mettre à l’agenda la question Rom freine le désengagement total de l’Etat. Porte-paroles des Roms, elles jouent un rôle de gardefou et d’interpellation des pouvoirs publics qui est loin d’être négligeable. Par exemple, la réaction rapide des ONG suite au discours de Grenoble a permis de mettre fin à la vague d’expulsions massives de l’été 2010 (sans pour autant réussir à démontrer au gouvernement leur absurdité). Les actions de plaidoyer des ONG visent à influencer les politiques publiques dans leurs orientations et leurs pratiques. Il s’agit bien de s’attaquer à l’une des origines du problème et de tenter de le résoudre. Les outils du plaidoyer sont principalement de deux types : (1) le registre du lobbying, avec des rendez-vous en tête-à-tête, du networking et autres réunions visant à convaincre les pouvoirs publics et (2) de l’ordre de la mobilisation et de la communication, en passant par le public pour faire passer des messages (presse, exposition, etc.) (Action Contre la Faim, 2010). La notoriété de Médecins du Monde, par exemple, a été mise en avant à plusieurs reprises dans la défense des Roms, notamment au moment de l’expulsion du terrain de Pantin, la veille de la campagne de vaccination contre la rougeole. Dans ce contexte, Médecins du Monde a publié des tribunes dans des grands journaux nationaux et s’est fortement engagé dans une action de plaidoyer pour assurer une meilleure coordination des actions et éviter que ce genre de bavure ne se reproduise. Autour du premier anniversaire du discours de Grenoble, les associations se sont mobilisées pour dénoncer l’immobilisme des pouvoirs publics face à la situation dramatique que continuent à vivre les Roms et pour s’opposer aux discours de type sécuritaire tels que prononcés à Grenoble. Nous ne pensons donc pas qu’il y ait un lien de cause à effet direct entre l’action humanitaire en France et le désengagement de l’Etat. L’enchevêtrement des relations est complexe et dépend en grande partie de l’interlocuteur politique en face. Certains cherchent plus ou moins activement à se désengager. Nous constatons que seules les municipalités proches du Parti Communiste semblent se mobiliser activement en faveur des Roms. De fait, la plupart des villages d’insertion sont localisés dans des communes communistes – ou éventuellement socialistes. A Saint-Denis, le maire PCF a annoncé en juin le relogement de 200 Roms. Cependant la question de l’influence des ONG sur le désengagement est intéressante et elle doit être discutée par les concepteurs de projets humanitaires et sociaux en faveur des Roms, sous peine de quoi les ONG risquent de négliger la 32 Pour plus d’informations sur les raisons de cette procédure, consulter l’annexe 1. 67 collaboration avec l’Etat (parce qu’elle est trop complexe, peu stable, etc.). Dès lors, le travail des ONG risque de favoriser la déresponsabilisation de l’Etat. 68 CONCLUSION Les Roms migrants, en France, vivant dans des bidonvilles et n’ayant pas accès à l’emploi ou aux prestations sociales, ont une espérance de vie inférieure d’au moins dix ans à celle des Français. En mauvaise santé et n’ayant pas les moyens de se soigner, leur situation s’explique par des déterminants socio-économiques, politiques, environnementaux, sanitaires, psychoculturels et démographiques. De par leur statut d’immigrés en situation illégale, ils sont exclus du système de santé de droit commun : ils n’ont pas accès à la CMU et les conditions pour bénéficier de l’AME sont complexes. Rares sont ceux qui parviennent d’eux-mêmes à surmonter les difficultés administratives. Pourtant, en 2000, l’OMS publiait un rapport mondial sur la santé dans lequel la France était première dans le classement des meilleurs systèmes de santé au monde. Depuis, on considère que la France fait toujours partie des 10 premiers pays, mais sa note a chuté. Pourtant, les quelques 15 000 Roms migrants d’origines roumaine et bulgare n’y ont pas leur place et ne bénéficient que très rarement des avantages que peut fournir le système de santé. L’état de santé des Roms et leur exclusion du système de santé s’expliquent en grande partie par le cadre juridique français et européen qui impose aux Roumains et aux Bulgares des mesures transitoires. Celles-ci leur interdisent, de fait, l’accès à l’emploi et au séjour de plus de trois mois sur le territoire français, alors même qu’ils sont citoyens européens depuis 2007. Les conditions de vie des Roms, dans leurs pays d’origine, mais également en France, sont souvent déplorables, ne fournissant pas un environnement propice à leur santé. S’ajoutent à cela des préjugés persistants contre les Roms, considérés par beaucoup comme des personnes sales et délinquantes. En réponse à cet état de fait, les institutions ne s’investissent que très partiellement en faveur de l’intégration des Roms. Pourtant, le service public et la santé font parties des responsabilités de l’Etat. Aux niveaux régional, départemental et local certains organismes ont les compétences pour prendre des mesures en cas de problèmes sanitaires graves ou pour accompagner les Roms dans leurs parcours de santé. Certains dirigeants politiques mettent en œuvre des politiques en faveur des Roms et encouragent leurs collectivités à financer des programmes associatifs qui doivent pallier les insuffisances de l’État. Cependant, toutes ces mesures sont largement inefficaces et ce n’est pas au niveau local, mais bien au niveau national, que les orientations politiques sont décidées et que les véritables entraves à l’intégration des Roms perdurent. Le gouvernement a pointé du doigt l’année dernière les boucs-émissaires de la République, qui doivent être exclus, éloignés, bannis. Cette orientation dictée, 69 en plus d’ordonner leur éloignement, renforce les préjugés et la méconnaissance des Roms. Leurs bidonvilles sont fréquemment expulsés et les rares améliorations de leur milieu de vie sont détruites. Ces expulsions ont un impact dramatique sur la santé des Roms en influant négativement le déterminant environnemental de la santé, mais également sur les possibilités de travailler avec eux pour améliorer leur santé. L’orientation donnée au niveau européen est en contradiction avec ces politiques nationales, et des conseils sont donnés aux Etats membres de l’UE pour favoriser l’inclusion des Roms et, à terme, améliorer leurs conditions de santé. Des principes d’action sont donnés, des mécanismes de financement sont disponibles et les pays sont encouragés, mais jamais contraints, à mettre en place des mesures pour les Roms. La persistance de la situation des Roms et l’inaction de l’Etat, voire la violence de l’Etat à l’égard des Roms, ont encouragé les ONG à se saisir de la question de la santé des Roms. Une véritable action humanitaire se déploie en France, mêlant actions de développement pour réduire les inégalités et mesures d’urgence, généralement au lendemain des expulsions. On peut distinguer des programmes menés par les ONG, d’une part, qui ne s’attaquent qu’à la question de la santé et de l’insertion des Roms dans le système de santé et, d’autre part, les programmes qui adoptent une approche plus inclusive et travaillent sur plusieurs niveaux (logement, emploi, etc.). Malgré des réussites au niveau individuel, notamment pour le premier type de programmes, les succès restent limités et, notamment, de vives critiques s’élèvent contre les villages d’insertion. Il est important de se poser la question des limites du travail humanitaire dans ses relations avec les institutions et l’Etat. En effet, malgré une volonté affichée des ONG de rester neutres, impartiales et indépendantes, il n’en demeure pas moins qu’elles risquent toujours de dépendre de l’Etat sur le plan financier, législatif et politique. Du cadre offert au travail des ONG par l’Etat dépend l’efficacité de leur action. Il est important pour les ONG de toujours veiller à ces différents risques. Enfin, l’un des objectifs humanitaires et de faire le moins de tort possible. A ce titre, il est important d’avoir en perspective la question de savoir si l’aide humanitaire favorise ou non le désengagement de l’Etat. Le rôle des ONG n’est pas uniquement de palier les manquements de l’Etat : certaines endossent un rôle d’interpellation des pouvoirs publics qui favorise la mise en lumière de situations souvent niées. 70 BIBLIOGRAPHIE Action Contre la Faim. (2010). Quelle place pour le plaidoyer et le témoignage dans l'action humanitaire : quelle communication grand public? Paris. Agence Régionale de la Santé. (2010). 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