Les Roms
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Les Roms
LES R-HOMMES A l’est de l’Europe, en Grèce, l’organisation non gouvernementale Médecins Du Monde nous alerte sur les agressions et tortures racistes perpétrées par le parti « D’ Aube dorée », et autres milices d’extrême droite, à l’encontre de personnes frappées de différence visible : ces crimes racistes en augmentation dans ce pays, plus de 150 cette année, sont frappés d’impunité : les migrants sans papiers portent rarement plainte. A l’autre bout de l’Europe, en France, en ce laid mois de mai, la police, avec des bulldozers, parfois montée à cheval, continue de raser les bidonvilles de Roms multipliés en Seine Saint Denis par exemple, et chasse les familles qui tentaient d’y survivre. Des associations essayent d’aider les personnes se retrouvant à la rue, mais les problèmes sont énormes, ainsi comment aider cet enfant de quatre ans chassé qui a déjà eu deux arrêts cardiaques ? Et comment assurer une aide pertinente dans la durée ? De loin un bidonville effraye les habitants du lieu, et les passants ont un recul devant les personnes assises par terre avec enfants, et gros sacs, teint parfois très gris, femmes avec foulards, jeunes gens aux dents non soignées. Mais à l’intérieur du bidon ville, des trésors d’ingéniosité bricoleuse, un temps de travail non compté comme avant le XIX° siècle, sont mis en œuvre pour la survie quotidienne. A quel prix de fatigue, d’insomnie, d’inventions techniques de fortune font-ils/elles face aux premières urgences : l’eau en premier (l’hygiène des nourrissons, des femmes pendant les règles), le lieux où faire ses besoins, et bien sur la nourriture. Et aussi, et presque en même temps, il faut penser la lutte contre l’ennui mortel de l’enclavement, contre la violence de la fatigue, et aussi contre l’épouvante sourde que produisent tous ces regards torves autour de leur présence physique dans l’espace public — poids mortifère et menaçant que les enfants perçoivent, on le sait, avec l’acuité atroce des premières grandes douleurs incompréhensibles. Les bulldozers n’écrasent pas pour la première fois, mais pour la nième fois, non seulement tous les biens restés dans l’habitat, mais aussi tout ce temps de travail, cette ingéniosité d’autant plus inventive qu’il ‘n y a pas de ressources ni d’arrières, et enfin leur action saccage et déchire les liens sociaux tissés — les différences, les tensions menacent ici comme ailleurs. A chaque destruction, on ne revient pas à zéro, mais avant zéro. La répétition transforme l’épuisement et les vieux désespoirs inutiles en épaisseur du cuir, en désinvestissement d’être ici ou là, en rétrogradation du regard retourné dans l’autre sens, vers le fond le l’oeil où risque de s’éteindre ce qui y scintillait. Détruire n fois non seulement l’objet matériel, mais aussi le fait du travail humain, non seulement l’habitat, mais l’habiter: même précaire et dit « insalubre », un lieu de vie existe ici, où des gens fabriquent du social ensemble. Brûler, écraser, massacrer tout cela devant les yeux d’une famille que l’on met à la rue, et ce à chaque fois qu’ils reconstruisent un autre site, c’est une punition de sauvages, une pratique barbare, d’avant la démocratie. Mis à la rue, la famille traine avec ballots et enfants. Le corps de la mère reste le seul habitat de l’enfant tout petit. Les hommes et les vieux, le blanc des yeux jaune, tournent dans la jungle de la ville : tous vivent dans un temps historique d’avant l’idée d’égalité. 1 De la Grèce, emblème historique de l’idée de démocratie, jusqu’à la France, pays de la révolution qui inscrivit les droits humains dans la constitution, toute l’Europe est concernée. En ce début du XXI° siècle, les préjugés et les rejets contre les Roms s'aggravent, ce qui retentit sur leur situation sanitaire et sociale, malgré la richesse culturelle que représente leur différence dans notre monde global. Les mêmes français qui « adorent la musique tsigane » les fuient quand ils les croisent physiquement. Selon un mécanisme sociologique redoutable, la haine collective s’accroit envers ceux qui sont déjà en situation objective de vulnérabilité, lésés, blessés, par la pauvreté visible, par une maladie stigmatisante, la lèpre, le sida, par un statut politique, ou seulement culturel, d’infériorité , etc.. Les riches méprisent les pauvres qu’ils ne croisent pas, et ils les détestent quand ils les voient physiquement sur-peupler dans un quartier. Lorsque la pauvreté d’un groupe se double d’une grande précarité politique, celle d’être migrant par exemple, la détestation collective contre eux s’accroit et se nourrit d’une production de rumeurs qui les définissent comme immondes et dangereux, de naissance, par essence etc. Actuellement en Europe, ces leviers de formations haineuses planent au-dessus des têtes des migrants Roms sans être clairement dénoncées par les autorités, au contraire on l’a vu en France — Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ y ait point de bandits, d’esclavagistes, de cinglés, de crétins macho etc ., chez eux comme ailleurs : mais les désigner en tant que victimes qualifie leur situation , et non pas leur morale. Les Roms n'ont jamais bénéficié, dans la mémoire européenne, de la reconnaissance collective de leur statut de victime du génocide nazi, contrairement à ce qui s'est passé pour les Juifs, par exemple. Cette dernière injustice stupéfiante est l'une des conditions historiques de la vivacité du racisme qui pèse sur leur présence. Elle permet de ne pas percevoir le vol collectif et permanent des fonds votés pour eux au niveau européen. Elle favorise aussi la non visibilité, et donc l’impunité des crimes commis contre eux en toute légalité ponctuelle, par parfois des groupes de civils comme par les autorités. Cette formidable dénégation de l’histoire passée offre aux partis de droite « dure » (à la française) un levier facile et efficace de séduction populiste. La crise économique gravissime actuelle qui frappe l’Europe se double alors d’une épreuve purement politique et éthique : le degré de civilisation d’un espace collectif est exactement défini par la façon dont sont traités en son sein les plus vulnérables des groupes sociaux. Véronique Nahoum-Grappe Anthropologue Présidente de la section de la LDH de l’EHESS Présidente de l’association d’accueil La Moquette, Compagnons de la nuit 2