LA CAMPTOCORMIE

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LA CAMPTOCORMIE
Rachis, 1995, vol. 7, nO 4 pp 253-256
FAIT CLINIQUE
LA CAMPTOCORMIE :
A propos d'une observation avec revue de la littérature
CAMPTOCORMIA :
A case study and Iiterature review
S. RICHARD
Service de Rhumatologie,
pavillon 2B (Pr M. Bouvier) Centre Hospitalier
Lyon-Sud
69495 Pierre Bénite Cedex
RÉSUMÉ
SUMMARY
La camptocormie est une cyphose lombaire acquise
caractérisée par une incurvation antérieure du tronc,
réductible en décubitus.
Notre observation concerne une femme de 70 ans,
hospitalisée pour des lombocruralgies mécaniques et
une cyphose très gênantes à la marche, sans signe
neurologique associé.
Seule l'IRM objective des anomalies caractéristiques
avec une dégénérescence
d'allure
graisseuse
et
symétrique des muscles paravertébraux dont le volume
est conservé.
Cette affection diffère des autres cyphoses du sujet âgé
car elle se manifeste en orthostatisme.
Sa fréquence est certainement sous-estimée du fait de
nombreuses formes frustes, n'apparaissant
qu'à la
fatigue.
L'utilisation plus large de l'IRM permettra sans doute
une meilleure approche pathogénique de cette affection
qui ne dépendrait pas d'une simple sénescence des
muscles rachidiens mais d'une pathologie musculaire
particulière.
Camptocormia
is an acquired lumbar kyphosis
characterized by an anterior bent of the trunk, reducible
in decubitus.
Our observation concerned a 70 year old woman,
hospitalized for mechanical lombocruralgia and a
kyphosis impeding walking, without neurological sign.
The most characteristic abnormality was seen on MRI as
a fatty degeneration and symetrical involvement of
para vertebral brawn along but muscular preserved
volume.
This disease differs from other kyphosis met in elderly
because the bent is seen in orthostatism.
Its frequency is certainly underestimated because it could
itlso exist as a stade of draft, occuring only when the
patient is tired.
The larger use of MRI will allow a better
pathophysiological approach of this disease which would
not depend upon a simple senescence of the muscles, but
probably upon a particular muscular pathology.
Mots clefs: Camptocormie
Keys words : Camptocormia
- Cyphose lombaire - IRM - Muscle.
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- Lumbar kyphosis - MR1 - Muscle.
S.RICHARD
La camptocormie peut être définie comme une cyphose
lombaire acquise, caractérisée par une incurvation antérieure du tronc, réductible en décubitus. Individualisée depuis
une dizaine d'années, elle est d'une fréquence difficile à
apprécier étant donnée la rareté des publications qui lui ont
été consacrées jusqu'à maintenant. Sa physiopathologie
prête également encore à discussion.
OBSERVATION
Une femme de 70 ans est hospitalisée pour une cyphose
entraînant une attitude courbée en deux à la marche et associée à des lombocruralgies de type mécanique. Dans les
antécédents, on note une multiparité (4 grossesses), une
thyroïdectomie subtotale réalisée à l'âge de 28 ans pour un
goître, justifiant un traitement substitutif par L Thyroxine,
et un rhumatisme psoriasique de siège périphérique, diagnostiqué en 1981 et parfaitement quiescent. L'examen
neurologique est normal. Les examens biologiques, notamment les paramètres de l'inflammation, la numération-for-
Figure 1:
IRM. Dégénérescence
normal des psoas.
mule sanguine, les enzymes hépatiques et musculaires,
l'électrophorèse des protéines sanguines, les bilans thyroïdien et phosphocalcique, sont normaux.
Parmi les autres examens complémentaires, les radiographies standard du rachis lombaire montrent un spondylolisthésis de L5 sur SI, la densitométrie et la scintigraphie
osseuses sont normales. L'IRM de la colonne lombaire
graisseuse
des muscles
paravertébraux.
Aspect
L'electromyogramme
des muscles paravertébraux
est
considéré comme d'interprétation
difficile. Les clichés
standard du rachis montrent des signes banals pour l'âge.
La tomodensitométrie montre des muscles spinaux hypodenses, de structure hétérogène, de densité basse (entre 10
et 30 UHu) et atteints dans leur globalité. Les psoas et les
muscles des ceintures scapulaires et pelviennes sont normaux.
L'IRM objective l'anomalie la plus caractéristique:
une
dégénérescence
d'allure graisseuse,
symétrique,
des
muscles paravertébraux, avec disparition de l'architecture
musculaire normale mais à volume musculaire conservé.
montre "une atrophie graisseuse massive des muscles paravertébraux intéressant l'ensemble des muscules spinaux,
alors que le psoas et le carré des lombes ont un aspect
quasi-normal" (figure 1).
La patiente est remarquablement améliorée par des mesures
simples: kinésithérapie du rachis dorso-Iombaire et port
d'un lombostat en coutil baleiné remontant jusqu'à D7.
L'étendue des lésions est proportionnelle à l'ancienneté et à
la sévérité des signes cliniques.
Les biopsies des muscles paravertébraux retrouvent dans
l'étude de Hilliquin (1) 10 fois sur 16 un infiltrat par des cellules mononucléées et dans tous les cas (12 biopsies), dans
l'étude de Laroche (3), une adipose endomysiale, avec sacs
nucléaires, des R.R.F. (ragged red fibers) et des fibres musculaires persistantes irrégulières et atrophiques. En microscopie électronique des anomalies mitochondriales coexistent avec une désorganisation myofibrillaire.
Sur le plan thérapeutique Hilliquin (1) propose d'utiliser la
corticothérapie sous différentes formes : en injection intradurale, qui donnerait les résultats les plus spectaculaires, ou
en bolus de méthylprednisone relayé par un traitement per
os à faibles doses avec des effets plus prolongés.
L'étude plus récente de Poullin (6) confirme les notions précédentes en insistant sur l'hypodensité précoce des muscles
paravertébraux en TDM.
DONNÉES DE LA LITTÉRATURE
Nous avons retenu principalement les séries de Laroche (1)
et de Hilliquin (1) qui totalisent 31 cas. La moyenne d'âge
est de 70 ans environ avec possibilités de début relativement précoce (58 ans dans un cas) et une prédominance
féminine marquée. Des antécédents familiaux de "cyphose
lombaire" sont mentionnés. L'existence de lombalgies est
fréquente. L'examen neuropsychique est normal, sauf dans
5 cas, où un syndrome parkinsonien discret est retenu. Les
examens biologiques n'apportent aucune donnée positive,
mis à part un taux parfois discrètement
augmenté des
enzymes musculaires. Il n'y a pas de syndrome inflammatoire, ni de signes de dysthyroïdie.
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S.RICHARD
DISCUSSION
neurones de la corne antérieure de la moelle évoquée par
Serratrice (8), ne paraît pas devoir être retenue étant donnée
l'absence de signes neurologiques. L'idée d'une myopathie
primitive d'apparition tardive semble la plus intéressante,
compatible avec l'apport de l'imagerie moderne qui montre
un volume musculaire conservé avec des zones hypodenses.
Bien que la corticothérapie ait pu donner des résultats intéressants, il nous paraît sage de s'en tenir à des mesures
simples, dépourvues d'effets secondaires, qui, dans notre
cas, ont permis un véritable "redressement" de la patiente,
en associant lombostat de maintien et kinésithérapie active.
La camptocormie diffère profondément des autres cyphoses
rencontrées chez le sujet âgé et qui relèvent le plus souvent
d'une ostéoporose avec tassements vertébraux ou d'une
cyphose de Schmorl, avec leur caractère irréductible. Elle
se manifeste en effet en orthostatisme, se réduit partiellement lorsque les mains prennent appui sur les cuisses ou
sur des cannes et totalement lorsque le sujet se met en
décubitus. Si elle réalise dans les cas typiques une véritable
cassure du tronc, elle peut exister à l'état d'ébauche, ne survenant qu'à la fatigue, si bien que sa fréquence est certainement sous estimée.
Liée à une déficience
des muscles paravertébraux,
qu'authentifie l'imagerie moderne, la camptocormie reste
cependant de pathogénie indécise. Une atteinte neurogène
initiale a été avancée, relevant d'une compression mécanique chronique et étagée des branches postérieures des
nerfs rachidiens par l'arthrose interapophysaire. Emise par
Penisson-Besnier (5) et Revel (7) sur des arguments histologiques et électromyographiques
fragiles, cettéhypothèse
paraît peu compatible avec les études tomodensitométriques (4). La responsabilité d'une atteinte focalisée des
CONCLUSIONS
L'intérêt clinique de la camptocormie doit être souligné,
d'autant que l'amélioration des malades peut être obtenue
par des moyens simples et sans danger.
L'utilisation plus large de l'IRM permettra sans doute une
meilleure approche pathogénique de cette affection, qui ne
dépendrait pas d'une simple sénescence des muscles rachidiens niais d'une pathologie musculaire particulière.
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