Ary van Wijnen, Critique d`Albert Schweitzer dans les 10 dernières

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Ary van Wijnen, Critique d`Albert Schweitzer dans les 10 dernières
Ary van Wijnen
Traduction : Annie Bobenrieter
Critique d'Albert Schweitzer dans les 10 dernières années de sa vie
Trois catégories de personnes l'ont formulée :
1. Le milieu politique proche du gouvernement des Etats-Unis, à la suite des prises de position d'Albert
Schweitzer contre les expériences atomiques en 1957 et 1958.
2. La jeune génération des intellectuels africains par le biais de la revue « Jeune Afrique » parue en
1962 et du film « Le Grand Blanc », réalisé en 1995.
3. Les médecins militaires ayant séjourné dans les anciennes colonies françaises, tel le Dr. André
Audoynaud dans un livre publié en 2005 avec pour titre : « Dr. Albert Schweitzer et son hôpital de
Lambaréné. L'envers d'un mythe ».
1. La critique provenant des Etats-Unis :1
Aux États-Unis, Albert Schweitzer était considéré comme un héros. Selon un sondage Gallup publié en
1955, il était le 5ème homme le plus considéré dans le monde; en 1956 il était devenu le 4ème.
Il est resté très populaire aux USA, les années suivantes, mais l'admiration avait fait place à la colère au
sein du gouvernement américain, à la suite de sa prise de position contre les essais atomiques des
grandes puissances américaines et russes, dans un appel retransmis par Radio Oslo le 23 avril 1957. Il
devint Persona non grata pour le gouvernement du Président Eisenhower.
Schweitzer dénonça le danger pour l'homme, des retombées radioactives dues aux essais atomiques,
chaque nouvel essai était une catastrophe pour l'humanité, qu'il fallait, disait-il, empêcher à tout prix.
A cette époque, les armes atomiques étaient au cœur de la politique de défense nationale américaine,
incontournables si l'on voulait assurer la défense d'un monde libre. Et voilà qu'un homme, mondialement
reconnu comme une autorité morale, contrecarrait la politique de sécurité menée par les États-Unis.
Le gouvernement était donc très agacé et croyait à une manipulation de la part des autorités
communistes. Schweitzer jouissait toujours d'une grande popularité, ce qui incita le gouvernement à la
plus grande prudence. Le gouvernement américain publia un démenti officiel, pseudo-scientifique, dans
lequel il minimisa à la fois la quantité des rejets radioactifs et le danger qu'ils représentaient pour
l'homme, en affirmant que les essais étaient incontournables si l'on voulait préserver la liberté.
Des protestations contre les essais atomiques avaient déjà eu lieu partout dans le monde, mais l'appel
de Schweitzer, retransmis dans beaucoup de pays, leur donna un nouvel essor.
C'est ainsi que des pays tels la Norvège, la Suède, la RDA, les Pays-Bas, le Royaume Uni avec la
participation du célèbre philosophe Bertand Russel, le Japon, la Suisse, l'Irlande se mobilisèrent.
Même la Russie se mobilisa sous l'impulsion du célèbre scientifique Andrej Sacharov.
Officieusement, le gouvernement américain fit preuve de moins de retenue. La CIA intercepta quatre
lettres, entre mai et juillet 1957, adressées respectivement au Président du comité du Prix Nobel,
Gunnar Jahn, et au Directeur de Radio Oslo, Fostervoll, dans lesquelles ils débattaient de la publication
future de son appel.
Dans certains journaux américains, les mises en garde de Schweitzer étaient considérées comme une
propagande en faveur des communistes et qu'il fallait s'en moquer.
Entre -temps, les essais atomiques se multiplièrent et Schweitzer, outré à la fois par leur poursuite et le
danger qu'ils représentaient, décida de lancer un nouvel appel. Trois nouveaux appels furent retransmis
par Radio Oslo les 28, 29 et 30 avril 1958.
Ce nouveau coup d'éclat de Schweitzer, mit les Etats-Unis en mauvaise posture, car la Russie venait
d'annuler ses essais, le 30 mars 1958, et les manifestations mondiales de protestations les isolèrent, car
leur politique de défense représentait une menace pour l'humanité. En même temps, on cherchait
activement, au sein du gouvernement, à prouver que Schweitzer avait des liens avec les communistes.
L'ambassadeur américain en Norvège dans un écrit, affirma que, même si l'appel de Schweitzer
1
Mon exposé concernant les critiques des USA est basé sur l'étude faite par le Professeur d'histoire américain L.H. Wittner,
parue dans le « Bulletin of Atomic Scientists » N° 51, p. 55-61. Il avait eu accès aux documents concernant le conflit entre le
gouvernement Eisenhower et Schweitzer, alors non divulgués.
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défendait les thèses communistes, rien ne permettait de penser que des agents étrangers avaient été
impliqués, puisque le texte de l'appel retransmis était manuscrit.
En mai 1958, le FBI commença à enquêter sur les activités de l'Association Américaine d'Aide à l'Hôpital
de Lambaréné, la « Fellowship ». Au bout du 3ème compte-rendu, le FBI dût admettre qu'il n'avait rien
trouvé de suspect.
En juin 1958, le Consul Général américain au Congo, James Green, rendit visite à Albert Schweitzer à
Lambaréné. Le Ministère des Affaires Étrangères, le State Department, lui avait interdit de discuter
d'essais atomiques avec Schweitzer, ce qu'il fit tout de même (sous prétexte que ce dernier avait entamé
le sujet) et rédigea une note au State Department pour lui assurer que Schweitzer n'avait aucune
sympathie pour le système communiste ni l'intention de soutenir les soviétiques, mais qu'il avait agi par
conviction humanitaire. Ses convictions coïncidaient malencontreusement avec la politique actuellement
menée par les soviétiques.
Cet ensemble de faits : la croyance erronée en la manipulation de Schweitzer par les communistes, les
protestations mondiales grandissantes et l'arrêt momentané des essais russes, ont conduit les EtatsUnis durant l'été 1958, à changer de tactique. Fin Août, le Président Eisenhower annonça que les EtatsUnis allaient stopper les essais atomiques dans l’atmosphère, à partir du 31 octobre 1958.
Schweitzer était extrêmement soulagé. Sa popularité augmenta encore et selon un sondage Gallup il
était devenu le 3ème homme que le monde admirait le plus, mais le gouvernement du Président
Eisenhower ne lui pardonna pas de s'être immiscé dans les affaires de l'Etat américain.
A partir de 1958, Eisenhower ainsi que le Ministre des Affaires Etrangères Dulles ont cessé d'envoyer
leurs vœux à l'occasion de l'anniversaire du docteur, et en mars 1959, Eisenhower refusa de participer à
la cérémonie de remise du titre de Dr. Honoris Causa que l'Université de Princeton voulait décerner à
Schweitzer.
Les choses ont changé avec la venue du Président Kennedy. Il était en bons termes avec Schweitzer. Le
Gouvernement des Etats-Unis était à présent convaincu que les rejets radioactifs des essais atomiques
étaient dangereux et que les armes atomiques ne devaient plus être utilisées.
Lorsqu'en automne 1961, l'Union soviétique mit fin au moratoire établi depuis 1958, en reprenant les
essais atomiques qui avaient été stoppés depuis ce moment-là, Kennedy les attaqua violemment en se
servant de l'Appel de Schweitzer pour consolider son argumentation. Kennedy proposa à l'Assemblée
des Nations Unies, d'interdire les essais et de stopper la prolifération des armes atomiques. L'union
soviétique ayant refusé d'obtempérer, Kennedy annonça début 1962, la reprise des essais atomiques
américains.
Effrayé par cette nouvelle, Schweitzer adressa une lettre à Kennedy, le 20 avril, afin de lui rappeler que
les retombées radioactives pouvaient avoir des conséquences dramatiques même pour les générations
futures. Ce fut peine perdue, puisque Kennedy mit sa menace à exécution et ordonna la reprise des
essais américains.
Un mois plus tard, Kennedy se justifia auprès de Schweitzer, dans une lettre qu'il lui adressa, lui
rappelant qu'il était responsable de l'avenir de son pays et de son peuple et qu'il était de son devoir de
prendre les décisions qui garantiraient la sécurité des Etats-Unis.
En même temps, Kennedy engagea des pourparlers pour faire interdire les essais atomiques, et durant
l'été 1963, un accord fut enfin signé, interdisant les essais atomiques dans l'atmosphère et sous l'eau.
Schweitzer était extrêmement heureux et envoya une lettre à Kennedy le 8 Août 1963 : « Cet accord,
Monsieur le Président, est un grand événement, sans doute le plus grand événement dans l'histoire du
monde ». « Cet accord me donne l'espoir qu'une guerre entre l'Est et l'Ouest pourra être évitée ».
Kennedy était enchanté et reconnaissant pour cet éloge et fit immédiatement publier la lettre. Schweitzer
a dû être extrêmement satisfait d'apprendre, à la fin de sa vie, que ses efforts en faveur de la paix et sa
contribution aux protestations contre les armes atomiques, avaient porté leurs fruits.
En 2010, cette controverse entre le gouvernement des Etats-Unis et Schweitzer a été reprise dans le
film : « Albert Schweitzer, une destinée vouée à l'Afrique » et fortement dramatisée.
L'irritation du gouvernement américain à la suite des Appels de Schweitzer retransmis par Radio-Oslo,
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s'est transformé en film d'espionnage. La CIA l'espionnait continuellement, ouvrait ses lettres, envoyait
un agent à Lambaréné afin de trouver, sur place, des éléments prouvant sa connivence avec les
communistes.
2. La critique de l'Afrique
Les deux sujets qui alimentaient la critique d'origine africaine sont les suivants:
L'hôpital de Schweitzer était trop vieux et il avait une attitude paternaliste vis-à-vis des Africains.
On peut aisément comprendre que la jeune génération africaine ait pu être choquée par l'attitude de
Schweitzer dans ses relations avec les Africains. Ils ne connaissaient pas très bien son histoire, ils
venaient d'obtenir leur indépendance et souhaitaient rompre avec l'époque coloniale, dont Schweitzer
était un symbole.
La revue « Jeune Afrique » avait été l'une des premières (1962) à publier les critiques qui lui étaient
faites par l'Afrique. Elle critiquait l'hôpital : « le monde entier imagine, que Lambaréné est le seul coin où
l'on puisse se soigner en Afrique, alors que l'hôpital Albert Schweitzer soigne plus mal que partout
ailleurs en Afrique », l'attitude de Schweitzer, qu'elle traitait de colonialiste, son paternalisme et son
arrogance puisqu'il semblait sous-estimer ouvertement les qualités de l'Africain.
La critique concernant l'hôpital était en partie justifiée, car le village-hôpital en soi, ne répondait pas aux
normes d'hygiène d'un hôpital classique, et pourtant on pouvait y pratiquer de la bonne médecine, guérir
des malades, sans avoir trop de problèmes avec l'hygiène.
Les Gabonais résumaient la situation en disant : «Chez Schweitzer on est mal logé, mais bien traité»
Comment peut-on expliquer cela ?
Lorsque je suis arrivé à Lambaréné en 1963 – de mai à octobre 1963 comme étudiant en médecine et à
partir de 1965 comme médecin pour une durée de 10 ans, - j'ai trouvé un village-hôpital défraîchi.
Schweitzer l'avait construit en 1927/28, et les cases avaient pris de l'âge. Il n'avait pas jugé nécessaire
de les repeindre pour leur seul aspect.
L'hôpital aurait eu meilleure allure si l'une ou l'autre case avait été repeinte. Il n'y avait pas d'eau
courante, seulement des citernes; entre autres près de la salle d'opération, si bien que l'on disposait
d'eau fraîche à tout moment.
Des sortes de canaux servant à la récupération de l'eau de pluie et à son évacuation, sillonnaient les
rues de l'hôpital, les mauvaises langues parlaient d’égouts, ce qui n'était pas le cas. Lorsqu'on nettoyait
les cases, l'eau sale était parfois jetée dans ces canaux. Mais ils étaient régulièrement nettoyés.
Il n'y avait pas non plus de latrines à l'hôpital. Les malades utilisaient des vases de nuit, que les gardiens
vidaient dans le fleuve (Ogooué) ; eux-mêmes se soulageaient, soit dans le fleuve, soit dans la forêt ?
Cet aspect des choses fonctionnait donc sans problème, et l'hygiène de l'hôpital n'avait pas à en souffrir.
La présence des chèvres et des poules que les patients amenaient à l'hôpital étaient autrement plus
problématique.
Comment pouvait-on, dans ces conditions, fournir un travail médical performant ?
Pour deux raisons :
• Les bâtiments où s'exerçait principalement le travail médical, étaient nettoyés régulièrement et en
profondeur, ils étaient propres.
• La notion d'hygiène est tout à fait relative, et dépend du contexte. Les Gabonais sont plus résistants
aux infections, que les allemands, car leur mode de vie leur fournit un système immunitaire résistant.
Nous avions rarement à nous plaindre d'infections post-opératoires à l'hôpital Schweitzer, contrairement
aux hôpitaux allemands dont les conditions d'hygiène sont d'un autre niveau. Les rapports à propos de
germes multi-résistants et les statistiques annonçant 15 000 morts par an dus aux infections à l'hôpital,
sont éloquents.
La propreté des bâtiments principaux était due à l'effort constant des collaborateurs. La salle d'opération
était nettoyée les jours sans opérations, et les autres bâtiments, tels la Grande Pharmacie, la Case
Bouka (pour les nouveaux opérés), la Case Japonaise (pour les patients de médecine interne), la Case
Suédoise (pour les enfants), la Salle d'accouchement, la Case Maternité (pour les femmes enceintes), le
laboratoire et la dentisterie, tous les samedi matins. Notre travail aurait bien entendu été simplifié, si les
locaux construits en bois, avaient eu l'eau courante. Le résultat eut pourtant été le même, les locaux
étaient propres.
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Pour ce qui est du traitement médical, Schweitzer a probablement fait le maximum de ce qui pouvait être
fait à cette époque, par un médecin dans sa situation, c'est-à-dire au fin fond de la Forêt Vierge. Dans
son livre intitulé A l'Orée de la Forêt Vierge, il décrit tout le travail qu'il avait accompli pour ses malades.
Il avait à lutter contre la maladie du sommeil, très fréquente à cette époque-là, et tous les soirs il rendait
visite à ses patients pour vérifier si tout allait bien et s'ils n'avaient besoin de rien, ce que les médecins
ne faisaient plus par la suite.
A l'exception du premier séjour, de 1913 à 1917, Schweitzer était toujours entouré de jeunes médecins
bien formés, souvent spécialisés en médecine tropicale. Il n'était plus seul responsable de l'activité
médicale à Lambaréné. La réputation de Schweitzer a toujours attiré l'un ou l'autre spécialiste à
Lambaréné, qui venaient soutenir leurs collègues. La conception de Schweitzer de soigner ses malades
entourés de leurs familles, s'est répandue dans beaucoup d'hôpitaux en Afrique; c'était une idée géniale.
Les membres de la famille s'occupaient du linge et de la confection des repas. Le malade était rassuré
et le personnel soignant s'occupait de la partie médicale.
Schweitzer pouvait donc faire fonctionner son hôpital avec un minimum de personnel, et réduire ainsi le
coût de fonctionnement.
Ce n'était pas Schweitzer qui soignait les malades, mais ses infirmières. Depuis le début, il était entouré
d'infirmières dynamiques et bien formées qui donnaient le maximum d'elles-mêmes pour assurer une
bonne qualité de soins aux malades, comme j'ai pu moi-même le constater. La bonne réputation dont
jouissait l'hôpital était en partie due au travail des infirmières.
• L'attitude de Schweitzer vis à vis des Africains, était l'autre sujet de critique.
Schweitzer avait beaucoup de respect pour l'Africain et ses capacités, et fidèle à son époque, il
considérait que l'Africain d'alors, n'avait pas encore atteint le niveau de maturité de l'européen, il le
considérait donc comme un jeune frère dont il fallait fairel'éducation en lui inculquant notamment, les
principes de base de la morale chrétienne.
D'ailleurs Schweitzer doutait parfois de cette façon de voir surtout lorsqu'il apprit les horreurs perpétrées
durant la première guerre mondiale et se demandait de quel droit nous aurions encore quelque chose à
dire aux Africains. Il décrit aussi dans ses livres, qu'il a lui-même beaucoup appris des Africains, et dans
son beau récit, il parle de l'instituteur Ojembo montrant tous les efforts de celui-ci pour aider, éduquer et
contribuer au développement de ses concitoyens pour leur assurer une vie meilleure, et nous fait sentir
ainsi tout l'intérêt qu'il avait pour eux, et lorsqu'ils donnaient le meilleur d'eux-mêmes, le profond respect
qu'il leur manifestait.
Lorsque Schweitzer débuta, le Gabon était un pays primitif et la population peu évoluée. Pas étonnant
alors que Schweitzer utilisât à cette époque-là dans ses livres, les termes d'indigènes, d'enfants, et de
peuple primitif. Ils étaient ainsi, et il devait se battre constamment contre cet état de fait. Mais à l'opposé
de beaucoup d'autres, il exigeait que l'on traitât l'africain avec humanité, et sa philosophie du « Respect
de la vie » ne lui permettait pas de manquer de respect à l'Africain. Sans quoi il renierait son propre
principe.
Cependant, il y a souvent une différence entre ce que dit une personne et ce qu'elle fait, et sa crédibilité
sera mise en doute. C'était bien différent chez Schweitzer, toute sa vie en est la preuve, il a toujours fait
ce qu'il a dit qu'il ferait. Pourtant ce n'était pas toujours facile de vivre selon ses principes, il n'était pas un
saint, et parfois il perdait patience. Tout particulièrement en ce qui concerne le travail que les familles
des patients avaient à exécuter à l'hôpital; il avait une façon diplomatique de formuler les choses dans
son livre A l'Orée de la Forêt Vierge lorsqu'il dit: ce sont des hommes libres, que l'on ne peut forcer à se
plier à une vie bien réglée. Et pourtant Schweitzer était tributaire du travail des Africains et l'on ne peut
qu'imaginer toute l'énergie et la patience qu'il lui aura fallu pour cela.
Par conséquent, il est facile de comprendre que ses bonnes résolutions l'aient parfois abandonné et qu'il
ait fini par donner une gifle à quelqu'un.
Bien que l'on puisse parfaitement admettre l'attitude de Schweitzer vis-à-vis des Africains et ses
relations avec eux durant la période qui précède la deuxième guerre mondiale, il est plus difficile de
saisir son comportement, après 1945, alors que l'Afrique avait fortement changé. Je peux me l'expliquer
par le fait que Schweitzer était fatigué, à la fin de sa vie, de s'être battu pendant de longues années au
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fin fond de la forêt vierge, frustré et déçu par sa collaboration avec les Africains, qu'il doutait des progrès
du continent africain et de sa population contrairement à la jeune génération.
L'appel des Gardiens était un autre signe témoignant de son conservatisme et de son attachement au
passé. Tous les matins, les gardiens venaient de l'hôpital jusqu'à la chambre de Schweitzer pour l'appel.
C'est ici qu'était distribué le travail quotidien que ceux-ci devaient exécuter en contrepartie des soins que
recevaient leurs familles. Les Gardiens devaient se mettre en rang, comme chez les militaires, les pieds
joints pour saluer Schweitzer. Il enlevait son casque colonial pour répondre à leur salut et distribuait le
travail.
On a également reproché à Schweitzer de ne pas avoir encouragé et assuré la formation des Africains.
C'est vrai en partie, il aurait sans doute pu faire plus dans ce sens. Différents hôpitaux missionnaires en
Afrique avaient construit depuis longtemps déjà des écoles d'infirmiers. Mais Schweitzer était persuadé
que le développement devait se faire lentement et par étape. Il a depuis le début, formé du personnel
soignant en pratique, mais pas en théorie.
D'une façon générale, Schweitzer pensait qu'il fallait d'abord développer l'agriculture, le métier manuel et
ensuite seulement former des intellectuels, tels les médecins, les juristes, les physiciens etc. C'est
pourquoi il considérait que l'indépendance donnée aux pays africains vers 1960, était trop rapide et
précipitée.
Il aurait d'abord fallu que les institutions de l’État aient des bases solides. En cela il avait probablement
raison, car le mauvais fonctionnement de ces institutions dans ces nouveaux États Africains, entraînaient
abus et corruption de la part de ses dirigeants qu'elles ne contrôlaient plus.
En 1995, Ba Kobhio Bassek, régisseur, a tourné le film « Le Grand Blanc ». Ce film est, à mon avis, un
premier essai à prendre au sérieux, qui dresse un portrait de Schweitzer vu par l'Africain, par les
intellectuels de l'Afrique moderne. Mais ce film exagère terriblement et le personnage de Schweitzer est
une caricature.
La scène au bord du fleuve, où l'on voit Schweitzer hurler et chasser les gens dans leurs pirogues, puis
se faire brusquement acclamer, est très exagérée. Il lui est arrivé de crier, les gens l'ont parfois applaudi,
mais pas de cette façon-là, où lui-même en est l'instigateur, où il se donne lui-même en spectacle. Puis il
y a une autre scène terriblement exagérée, où l'on voit le docteur gifler une personne, dans une rue de
l'hôpital, avec une telle force que le pauvre homme tombe à terre. La caricature de Schweitzer, peut-être
voulue par le régisseur, ne correspond pas à l'homme que j'ai connu, comme je l'expose plus loin. La
3ème scène, où un patient ayant subi une extraction dentaire fut aspergé par un sceau d'eau afin d'être
calmé, n'a sans doute jamais eu lieu. En tout cas, aucune des personnes de l'hôpital que je connais, n'a
été témoin de cela.
Le régisseur du film « Le Grand Blanc » est déçu et triste, car il considère que l'action de Schweitzer en
Afrique n'a pas permis la rencontre de deux cultures : la culture européenne et la culture africaine. Selon
lui, Schweitzer ne s'est jamais intéressé à l'africain qu'il côtoyait, trop absorbé par sa propre pensée et
parce qu’il était trop arrogant.
Son amertume réside dans le fait que Schweitzer refusait de considérer l'Africain comme un être
capable d'autonomie et de créativité.
D'un point de vue africain, ce type de raisonnement est compréhensible, et représente tout au plus une
face de la médaille, car il se pourrait aussi que Schweitzer ait sous-estimé le potentiel et la capacité des
africains à se développer. Mais il est également possible, et je tiens personnellement cela pour plus que
probable, qu'il ait bien analysé le caractère des gens qu'il côtoyait et leur potentiel, mais qu'il doutait de
leur évolution qui, selon lui, devait se faire plus lentement que ce qui venait de se passer. Il faut
également noter que la critique, en Afrique, venait plus rarement du Gabon où il était bien connu.
La plupart des Gabonais éprouvait pour lui du respect et de la gratitude. Pour eux il était un père sévère,
mais un bon père, plein de sollicitude. Ils l'ont honoré en l'appelant « Grand Docteur » et le jour de sa
mort, le 4 septembre 1965, j'ai moi-même assisté à toutes les manifestations en son honneur. De
septembre à Noël 1965, un flot continu de Gabonais, venant de près ou de loin, débarquait tous les jours
à l'hôpital pour danser en l'honneur du docteur. Comme leur présence entravait le bon fonctionnement
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de l'hôpital, nous leur avons demandé de venir uniquement le week-end.
Dans la croyance gabonaise, la place que va occuper le défunt dans le monde des ancêtres dépend
beaucoup de la durée des danses qui sont faites en son honneur. On danse peut-être durant une
journée pour un villageois, peut-être une semaine pour le Chef du village, pour Schweitzer ils ont dansé
pendant 3 mois. La place que va occuper le défunt est très importante, car s'il occupe une place
importante, il aura beaucoup d'influence et si le défunt a été bon pour son prochain il le sera
probablement aussi pour ses ancêtres, et ainsi il peut continuer à aider les gens sur Terre.
3. La critique française :
Les médecins militaires, qui avaient exercé leurs fonctions dans les anciennes colonies françaises, sont
à l'origine de la critique française. L'un d'entre eux, le Dr. Audoynauds, le critique vivement dans un livre
intitulé Le docteur Schweitzer et son hôpital de Lambaréné. L'envers d'un mythe, publié en 2005, et
dans le film documentaire de Georg Misch, « Anatomie d'un Saint », qui fut projeté sur Arte le 30
novembre 2011.
Dans le film, le Dr. Audoynaud exprime sa pensée:
• « Il s'entendait bien avec Albert Schweitzer et le respectait »
Je doute fort que le Dr. Audoynaud connaissait bien Albert Schweitzer. Ses déclarations dans le livre et
dans le film montrent qu'il n'avait aucun respect pour lui. Le médecin de l'hôpital public à Lambaréné
avait en principe peu de contact avec l'hôpital Schweitzer. Je ne me souviens pas avoir vu le Dr.
Audoynaud. Il est fort possible cependant, qu'il soit venu quelquefois. A cette époque, les médecins de
l'hôpital public venaient parfois déjeuner le dimanche. Il est possible que le Dr. Audoynaud soit venu et
ait profité de l'occasion pour discuter avec Schweitzer. Habituellement, il n'était pas facile de lui parler,
surtout à une époque où les touristes et les visiteurs débarquaient tous les jours pour prendre une photo
ou pour lui demander un autographe ou encore pour lui parler. Il restait donc peu de temps pour le
collaborateur ou le médecin militaire. Durant 6 mois, j'ai moi-même eu peu d'occasions de discuter
longuement avec lui, mais en contrepartie j'ai pu l'observer au travail, à table, durant le recueillement du
soir, lors de festivités.
• « Il était interdit d'écraser les fourmis »
Sa philosophie du « Respect de la vie » était absolue, c'est-à-dire qu'elle englobait toute forme de vie
quelle que soit la situation et quelle que soit l'époque. Si nous ne respectons pas ce principe nous
sommes coupables. Mais Albert Schweitzer savait bien que nous vivions dans un monde plein de
mystères où toute vie se développe au détriment d'une autre vie. Les hommes ne peuvent se soustraire
aux lois de la nature et doivent souvent faire des compromis. Il est donc important de mettre en pratique
le principe du respect de la vie au quotidien et de s'y soustraire quand on ne peut plus faire autrement.
Schweitzer a souvent recueilli des pélicans que les africains lui apportaient. Pour les maintenir en vie, il
devait les nourrir et tuer des poissons. Un jour des chauves-souris avaient élu domicile dans les
palmiers de l'hôpital; un des chiens avait tous les symptômes de la rage, et on craignait une épidémie.
Schweitzer donna son accord pour chasser les chauves-souris et pour faire euthanasier tous les chiens
qui se trouvaient à l’hôpital y compris son chien favori.
Ce n'était pas un sentimental, qui voulait préserver toute vie en dépit du bon sens, comme certains
l'affirmaient en donnant des exemples ridicules. Non, il voulait tout simplement que l'on évite d'écraser
les fourmis inutilement, et que l'on s'écarte de leur chemin afin de les laisser vivre.
•
« Au nom du principe du « Respect de la Vie », Schweitzer a refusé de faire de son hôpital un
endroit propre et hygiénique »
C'est faux. Si pour des raisons d'hygiène il avait fallu détruire des fourmis, des micro- organismes, des
mouches, Schweitzer aurait donné son accord (cf. les exemples du pélican et des chiens) mais cela
n'était pas nécessaire. L'hôpital fonctionnait bien, et il y régnait suffisamment de propreté pour permettre
une activité médicale performante même si Schweitzer ne pouvait visiblement pas se défaire de son
concept de village-hôpital. C'était tout à fait compréhensible à son âge, mais il était parfaitement
conscient que son hôpital était devenu trop hors-norme et que des changements étaient nécessaires. Il
disait à ce propos : « Faites cela après ma mort, moi je ne peux plus le faire ».
Du reste, Schweitzer était tout à fait prêt à donner son accord pour les transformations, contrairement à
ce que l'on aurait pu croire, mais il fallait avancer de bons arguments. Lorsqu'on avançait de bons
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arguments, il se laissait convaincre. Ainsi, depuis des années déjà, l'hôpital disposait d'électricité dans la
salle d'opération, dans la Grande Pharmacie (qui comprenait la salle de consultation, la pharmacie et le
laboratoire) à la maternité, dans la salle de radiographie et de dentisterie. L'hôpital s'était procuré un
appareil de radiographie, des instruments modernes pour la chirurgie, le laboratoire et la Maternité.
•
« L'Hôpital Albert Schweitzer a-t-il contribué au bien-être de la population? Je ne le crois
pas »
L'hôpital a énormément contribué au bien-être des gens. Au commencement, il n'y avait pas un seul
hôpital dans cette région centrale du Gabon. La population était totalement dépendante de l'hôpital
Schweitzer; par la suite, l’État a fait construire des hôpitaux et pourtant les patients continuent à venir à
l'hôpital Schweitzer aujourd'hui encore, grâce à sa bonne réputation.
On peut affirmer qu'au Gabon, au moins un membre par famille a été soigné à l'hôpital Schweitzer, ce
qui représente un tiers de la population.
•
« La photo représentant Schweitzer avec un stéthoscope, n'est qu'une mise en scène
destinée à la publicité »
En effet, Schweitzer a été beaucoup photographié; il s'y prêtait volontiers afin de contenter les nombreux
visiteurs venus de très loin pour le voir. D'un autre côté, ces séances photos et tous les agissements de
ces visiteurs et touristes à la fin de sa vie, le tourmentaient beaucoup.
Un jour où nous étions occupés à peindre la tôle ondulée pour les toits en sa présence, un groupe d'une
vingtaine de touristes débarqua. Schweitzer s'adressa à sa fidèle collaboratrice, Ali Silver, en ces
termes: « Rassure-moi Ali, ce ne sont quand même pas de nouveau des touristes? » Trop tard; ils
l'entourèrent pour se faire photographier avec lui, lui firent dédicacer des livres qu'ils avaient apportés. Il
se laissa photographier patiemment avec chacun d'entre eux, et dédicaça les livres. Plus tard,
Schweitzer me confia: « Tu vois, ces visiteurs apportent des livres dans lesquels j’inscris mon nom alors
que je ne connais pas les auteurs, que je ne leur ai jamais parlé; ces derniers se font beaucoup d'argent
en utilisant mon nom ».
La photo représentant Schweitzer avec un stéthoscope a été faite par Erica Anderson, comme beaucoup
d'autres. Elle voulait faire le maximum de photos de Schweitzer, dans différentes situations, et nous lui
devons, ainsi qu'à Jérome Hill, le beau film documentaire et différents albums photos qui lui ont été
consacrés. Elle était cependant assez envahissante, et se permettait de faire des photos alors que
Schweitzer n'avait pas donné son accord. Certaines photographies, comme celles avec le stéthoscope
sont probablement une mise en scène organisée par Erica, mais cela ne signifie pas qu'elles étaient
destinées à faire de la publicité pour Schweitzer; Erica voulait simplement des photos très pertinentes
pour les publier dans son livre.
•
« A l'hôpital Schweitzer on stérilisait les instruments en les faisant bouillir dans l'eau, alors
qu'à l'hôpital public on avait déjà un autoclave »
C'est exact. A l'hôpital Schweitzer on continuait à stériliser les instruments en les faisant bouillir dans
l'eau jusqu'en 1963; les bactéries étaient ainsi éliminées, mais cette méthode était démodée et peu
commode. Un autoclave eut été plus approprié et aurait facilité le travail.
L'hôpital s'est par la suite doté d'un autoclave, peu de temps avant ou peu de temps après le décès de
Schweitzer. Les affirmations du Docteur Audoynaud induisent le lecteur en erreur, car d'une part, il
prétend que son hôpital était plus moderne que celui de Schweitzer et qu'on y était mieux soigné mais
se garde bien, d'autre part, de dire qu'il était peu fréquenté par les indigènes. Les malades se rendaient
à l'hôpital Schweitzer et non à l'hôpital public. Depuis 1930, date à laquelle il fut construit et jusqu'à nos
jours (bien que l'on ait construit récemment un tout nouvel hôpital) cet hôpital n'a jamais pu fonctionner
normalement à côté de l'hôpital Schweitzer, car les patients ne s'y rendaient tout simplement pas. En
1963, j'ai visité une ou deux fois l'hôpital public au courant de l'après-midi, il est vrai, et chaque fois il
était quasiment vide; je n'y ai rencontré ni malades ni personnel soignant. La salle d'opération et le
laboratoire se trouvaient dans des bâtiments en pierre, disposaient d'eau courante, étaient plus
modernes et plus faciles à entretenir, mais la propreté laissait à désirer.
Je peux aisément imaginer la frustration que devait éprouver un médecin militaire disposant d'un hôpital
plus moderne que celui de Schweitzer, n'ayant pas grand-chose à faire car les malades allaient chez
Schweitzer, dans ce village-hôpital vieillot qui ne répondait pas aux normes d'hygiène classique. Dans le
monde entier, c'est Schweitzer qui occupait le devant de la scène et personne ne mentionnait le travail
accompli par les médecins militaires français.
Ary van Wijnen, Critque d’Albert Schweitzer
C'est cela qui a probablement irrité le Dr. Audoynaud et l'a conduit, selon moi, à se rebeller et à entamer
une campagne de dénigrement à l'encontre de Schweitzer.
• « Schweitzer pratiquait une médecine curative et non une médecine préventive »
C'est en partie vrai. Schweitzer était fidèle à son époque. La prise de conscience qu'il valait mieux
prévenir que guérir, ne s'est faite que bien plus tard. Pourtant tout au début déjà, Schweitzer se rendait
sur les chantiers pour vacciner les bûcherons contre les maladies infectieuses. Il était d'avis et il avait
raison, que c'est l'Etat qui avait pour mission de s'occuper de la campagne de vaccination, de la
protection maternelle et infantile, de la nutrition, de l'amélioration des conditions d'hygiène dans les
villages et non uniquement les hôpitaux.
En effet, les colonies françaises ont créé plus tard, le Service des Grandes Endémies, chargé de
combattre la tuberculose, la lèpre, la maladie du sommeil etc...
• « Schweitzer était violent, il frappait les gens et leur « bottait » les fesses »
Schweitzer n'était pas violent, c'était un homme pacifique, sensible, ayant beaucoup d'humour, un vieil
homme sérieux, très charismatique, mais très colérique et il a très bien pu l'une ou l'autre fois gratifier
quelqu'un d'une gifle ou d'un coup de pied au derrière (je n'ai jamais assisté à ce genre de scène, mais
elle m'a été rapportée).
Je me trouvais un jour dans la Grande Pharmacie avec Schweitzer qui écrivait des lettres, assis à son
ancienne table de consultation, lorsque qu'un homme entra brusquement traînant derrière lui un Caïman
qu'il voulait lui vendre. Lorsque Schweitzer aperçut l'animal blessé, il se mit en colère, hurla et injuria
l'homme, qu'il attrapa par l'oreille, le fit sortir de la Grande pharmacie, le traîna jusqu'au fleuve Ogooué
(situé à plus de 100m de la pharmacie) pour l'obliger à remettre l'animal dans l'eau, lui rendant ainsi sa
liberté. J'étais très impressionné qu'un homme de 88 ans puisse déployer une telle énergie et une telle
force. Ce fut la démonstration d'un accès de colère devenu légendaire, qui caractérisait Schweitzer. Il
avait écrit, dans un de ses livres, que c'était un trait de caractère hérité de son grand-père Schillinger
qu'il avait toute sa vie cherché à combattre sans aucun résultat.
• « Schweitzer aurait été, soit- disant, un précurseur du mouvement écologique »
Schweitzer, tout comme ses concitoyens, je pense, n'avait pas clairement conscience des dégâts que
l'homme infligeait à son environnement, mettant sa propre existence en danger.
Sa philosophie du Respect de la Vie correspondait à celle du mouvement de protection pour
l'environnement. Il a développé le principe du « Respect de la Vie » comme un fondement de la morale.
Il y inclut les hommes, les animaux et les plantes, donc le respect de la nature, un principe que nous
sommes prêts à mettre en pratique en raison des dangers qui nous menacent, le respect de toute la
nature, de l’écosystème, la protection du climat. Ce principe auquel nous adhérons par pur égoïsme,
puisque nous ne voulons pas mettre notre existence en péril, confirme le bien-fondé de l'éthique de
Schweitzer et fait de lui un précurseur de l'écologie.
« Schweitzer était en réalité:
- un philosophe insignifiant
- un théologien reconnu
- un musicien dont les interprétations de Bach n'étaient pas celles de notre époque
- un médecin, mais un mauvais médecin »
• « Un théologien reconnu »
Le Dr. Audoynaud rend hommage au théologien. Il ne pouvait ignorer l’œuvre avant-gardiste de
Schweitzer, L'Histoire des recherches sur la vie de Jésus, et les autres œuvres de théologie tout aussi
remarquables, telle La Mystique de l'Apôtre Paul.
• « Un Musicien, dont l'interprétation de Bach ne correspondait pas à celles de l'époque »
Schweitzer avait une façon de jouer très lente, que j'aime beaucoup, alors que d'autres l'apprécient
moins; à chacun sa façon. Pour les spécialistes, il n'était pas un organiste génial, et sa technique aurait
pu être améliorée. Il jouait avant tout pour lui-même, la musique le calmait. Les gens racontent que
lorsqu'il jouait sur son piano après une journée de travail éprouvante, il en sortait régénéré comme s'il
avait pris une douche, retrouvant ainsi une énergie qui lui permettait de travailler le soir, assis à son
bureau, jusqu'à minuit et même au-delà. S’il se produisait en concert c'était dans le but de récolter des
fonds pour son hôpital. Il ne prétendait pas être un des grands virtuoses de son temps.
Ary van Wijnen, Critque d’Albert Schweitzer
Le livre que Schweitzer a consacré à Bach est presque tout aussi avant-gardiste que celui sur L'Histoire
des recherches sur la vie de Jésus, car il attire l'attention du monde musical sur le fait, qu'on ne peut
comprendre la musique de Bach sans connaître les textes qui l'ont inspiré. C'est particulièrement vrai
pour les Chorals de Bach, car il a puisé son inspiration et la forme musicale de ceux-ci dans les textes.
Bach est comme un peintre qui exprime à travers cette forme musicale, tantôt la joie, tantôt la douleur,
ou la tristesse etc., nous explique Schweitzer. De nos jours un certain nombre d'éléments dans son livre
sont dépassés, mais il reste beaucoup de bonnes choses, très précieuses et toujours valables. Son livre
est encore une référence.
• « Un médecin oui, mais un mauvais médecin »
J'ai longuement développé cet aspect dans les chapitres qui précèdent et donné, je l'espère,
suffisamment d'éléments qui contredisent cette affirmation.
En résumé, on peut affirmer que la majeure partie des critiques faites à Schweitzer sont réfutables. Elles
sont dues la plupart du temps à une méconnaissance de sa personnalité et de son œuvre; on commet
l'erreur de le juger selon des critères modernes. On a tout à fait le droit de critiquer Schweitzer, son
œuvre et sa pensée, mais avec plus de respect et avec une connaissance approfondie de sa vie et de
son œuvre.
Dr. Med. Ary van Wijnen.
Médecin, né en 1936 aux Pays Bas (Friesland)
A passé son baccalauréat et fait ses études de médecine à Groningue. En 1963, il fait son stage pratique de médecine à
Lambaréné chez le Dr. Schweitzer; diplômé en médecine en 1965.
Médecin à Lambaréné de 1965-1967 après avoir été invité par AS et à nouveau de 1969 à 1973 et de 1981 à 1985. Dans
l'intervalle, nouvelle formation dans les hôpitaux hollandais et à l'institut de médecine tropicale à Amsterdam (MPH) et durant 4
ans, médecin-chef à l'hôpital pour lépreux et responsable du programme de lutte contre la lèpre à Kaduna au Nigéria. Après
1985, médecin à l'hôpital Albert Schweitzer de Haïti et de 1989 à 2003 au DAHW à Würzbourg en Allemagne, médecincoordonnateur des actions mises en place en Afrique pour lutter contre la lèpre et la tuberculose. A la retraite depuis 2003, il
continue à rédiger des comptes-rendus pour la WHO.
Ary van Wijnen, Critque d’Albert Schweitzer

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