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rras ailleurs.indd 5 José Emilio Pacheco Tu mourras ailleurs roman traduit de l’espagnol (Mexique) par Gérard de Cortanze Minos La Différence 29/10/2015 12:27 Tu mourras ailleurs. Je porte avec moi la terre et la mort. Quevedo/Sénèque Tu mourras ailleurs.p65 7 06/01/2009, 11:46 Tu mourras ailleurs.p65 8 06/01/2009, 11:46 À Fernando Benítez, à Noé Jitrik. Tu mourras ailleurs.p65 9 06/01/2009, 11:46 Tu mourras ailleurs.p65 10 06/01/2009, 11:46 SALONIQUE De l’annulaire et de l’index il entrouvre le store métallique : dans le parc, là où repose le puits recouvert d’une tour de maçonnerie, est assis un homme, le même qui, hier, sur le même banc, lisait la même rubrique, « Petites Annonces », du même journal : El Universal. Des enfants jouent au football. Le gardien du parc parle avec un balayeur. Une odeur de vinaigre imprègne tout. Dans une des maisons, qu’au travers du store métallique M pourrait apercevoir, se trouve une vinaigrerie. Nous ne sommes pas à proximité d’appartements tous identiques ni d’une villa aux carreaux blancs construite il y a soixante ans, quand le terrain sur lequel reposent le puits en forme de tour et l’homme qui lit assis sur un banc, observés au travers du store métallique entrouvert, n’était que le faubourg d’un village aujourd’hui absorbé par la ville. Il ne s’agit pas non plus d’un immeuble édifié vers 1950. Enfin, M ne peut s’amuser à jouer aux devinettes. Il ne s’agit pas d’un jeu, mais bien d’une énigme qui le hante depuis qu’il est venu habiter au second étage de la Tu mourras ailleurs.p65 11 06/01/2009, 11:46 12 maison de sa sœur (date de construction : 1939. Patio intérieur sans plantes. Escalier en colimaçon. Terrasse encerclée par des immeubles neufs. Chambre qui devait être une chambre de bonne, aujourd’hui investie par M ; il y vit et observe un homme assis sur un banc lisant les « Petites Annonces » du quotidien El Universal). Nous insistons : cette devinette n’est pas un jeu : il s’agit d’une énigme dont le point de départ pourrait se situer ce jour de 1946 ou de 1947 vers midi, lorsque, descendant d’un taxi, M sentit dans le parc une odeur de vinaigre. Mais M essaie peut-être de résoudre un autre problème : l’homme assis sur le banc du parc est-il là pour le persécuter ? Si tel était le cas, M serait acquitté. Serait-il alors victime d’une paranoïa exacerbée par une réclusion volontaire à peine voilée et cela à l’occasion de certains voyages interrompus – il faut bien le reconnaître – dans les premiers mois de 1960 ? Même si dans son délire subsistent la lucidité, l’esprit inquisiteur, la capacité déductive, la foi en sa force propre qui caractérisent, pour notre malheur, le M que nous connaissons tous, ce dernier doit bien se poser un certain nombre de questions dont l’évidence se justifie si l’on veut prendre en compte la situation décrite au début. En admettant même que l’homme ne soit pas un persécuteur, pourquoi est-il ici à heure fixe, à faire toujours la même chose et à se retirer quand le jour décline1 ? In1. Moment précis où probablement un autre observateur se substitue à lui. Tu mourras ailleurs.p65 12 06/01/2009, 11:46 13 contestablement, si l’homme surveillait M, il n’utiliserait pas cette façon infantile et littéraire. Alors : [a] C’est un ouvrier qualifié que l’automatisation a mis au chômage. Il lui est très difficile de trouver un autre métier, car son habileté dans une branche déterminée de l’industrie, sa haute spécialisation, sa maîtrise garantissent son inexpérience pour les autres secteurs technologiques. À ce que laisse deviner, obliquement, le champ visuel créé par deux lames presque invisibles écartées grâce à l’action d’un levier créé par l’annulaire et l’index, l’homme a au moins cinquante ans : ce qui explique sa ténacité à examiner scrupuleusement les offres, les sollicitations, les menaces de la rubrique imprimée en corps huit : Recherchons hommes de 20 à 25 ans pour Groupe financier prestigieux... Besoin urgent de mécaniciensélectriciens pour usine de produits chimiques. 25 à 35 ans... Entreprise hôtelière recherche un chef du personnel parlant anglais... Jeunes gens, bonne présentation, expérience souhaitée pour cafétéria... Démarcheurs pour vente porte-à-porte d’articles de luxe. Commission intéressante... Voyageur de commerce, anglais exigé, présentant bien, 24-30 ans... Et il se laisse emporter par la lecture d’autres petites annonces qui n’ont plus rien à voir avec les urgences qui sont les siennes : Farben de Mexico. Insecticides, raticides, fumigènes. Technique allemande, action immédiate. Une entreprise à la mesure de vos besoins... Tu mourras ailleurs.p65 13 06/01/2009, 11:46 14 Ernesto Dominguez Puga, détective. Filatures discrètes, surveillance, mauvais payeurs, vols, adresses personnelles, enquête de moralité. Sérieux, efficacité, rapidité, honnêteté, discrétion garantie. Présentez-moi votre problème. Prix raisonnables, autorisation gouvernementale... Pepe : reviens. Maman très malade en ton absence. Elle t’a tout pardonné... Devenez un dirigeant. Instructeur des deux sexes... Attractive young American couple, recently arrived, wish to correspond and meet with couples and ladies who would like to get a little more out of life. Own home and very discreet. Photo and phone appreciated... Petite chienne cocker perdue mercredi cité Juarez. Répond au nom de « Sultane »... Pour cause de départ vends une élégante demeure meublée. État neuf... Un rêve intime. Pour ceux qui savent et peuvent vivre bien... La barrière fatidique de la quarantaine. L’étape du décollage économique. L’accumulation du capital. L’inhumanité du système. Les cinq cent mille jeunes ou plus qui, chaque année, se retrouvent sur le marché du travail. La dépendance. Le sous-développement. L’engorgement du marché. L’enrichissement des riches. La paupérisation des pauvres. La barrière fatidique de la quarantaine. Et cet homme a envoyé cent demandes d’emploi et n’a reçu que onze réponses – toutes négatives. Grâce à la voiture d’un ami, il est taxi de nuit. Avec un salaire inférieur de moitié à ce qu’il gagnait avant, il permet à sa famille de ne pas mourir de faim. Il a laissé dans cette affaire son énergie et sa jeunesse. Sa récom- Tu mourras ailleurs.p65 14 06/01/2009, 11:46 15 pense : d’interminables heures de lecture sous un peuplier noir recouvert de graffiti à environ quatorze ou quinze mètres du puits. Chez cet homme, jadis serein, calme, apparaissent aujourd’hui des tics, des mouvements qui sont des plaintes ou comme une protection inconsciente. Un jour, il ouvrira les yeux et découvrira que sa jeunesse s’est enfuie. Et le voilà : condamné à passer devant M tous les jours de toutes les années qui lui restent à vivre, à s’asseoir sur le banc du parc imprégné de l’odeur de vinaigre, avec dans les mains cette même page de El Universal ; pour que M l’observe, en fasse un persécuteur – lui, qui pourtant a si peu à voir avec l’histoire de M – et rende ainsi plus vivables son oisiveté, sa réclusion, sa peur, par des déductions qui ne sont ni brillantes ni originales, inspirées par la lecture des journaux qui s’entassent dans sa chambre avant d’aller alimenter, imbibés de pétrole, le vieux calorifère incommode, placé en plein air, sur le petit balcon aux dalles rectangulaires sur lequel tombent les aiguilles de pin et certains mois ces chenilles que les enfants appellent « cinglantes » et que M, nostalgique, vivisectionne à l’aide d’une lame de rasoir puis écrase1 ou jette dans le feu. Là, les chenilles, prêtes à se précipiter sur la grille, dans la cendre mouchetée de braises, évoquent l’imagerie catholique de l’enfer. 1. Ce qui provoque la sécrétion d’un liquide jaune purulent. Tu mourras ailleurs.p65 15 06/01/2009, 11:46 Tu mourras ailleurs.p65 16 06/01/2009, 11:46 DIASPORA I. Moi, Josèphe, juif de naissance, natif de Jérusalem, prêtre, parmi les premiers à combattre les Romains, contraint après ma reddition et ma captivité à devenir le témoin de ce qui arriva, je me propose aujourd’hui de vous faire le récit de cette histoire. II. Fatigués des pillages et du mépris, les Juifs se soulevèrent, expulsèrent le procurateur romain et établirent leur propre gouvernement. Josèphe, nommé commandant militaire de Galilée, tenta de pactiser avec l’ennemi. Les Zélotes, avec à leur tête Jean de Giscala, l’en empêchèrent. Alors, Josèphe défendit la forteresse de Jotapata. Quand les légions de Vespasien brisèrent la résistance, Josèphe et quarante de ses proches se cachèrent dans une grotte. Trente-neuf se donnèrent la mort les uns après les autres. Josèphe sauva sa vie par la ruse ; il se livra à Vespasien et lui prophétisa que son fils Titus Flavius et lui régneraient sur toutes les terres et toutes les mers. III. Titus investit Giscala et Jean se réfugia à Jérusalem. La population entière vint l’accueillir. Jean sou- Tu mourras ailleurs.p65 17 06/01/2009, 11:46 18 tint qu’il fallait défendre la capitale. Les Zélotes avaient bon espoir : les peuples du Moyen-Orient se joindraient à eux pour chasser l’oppresseur. En proie à des luttes intestines, Rome était de plus en plus isolée. Les Gaulois et les Germains se soulevèrent. Néron mort, les généraux se disputaient l’Empire. Galba fut assassiné en plein Forum. Othon régna trois mois et deux jours et se suicida en apprenant la déroute de Betriacum. Ses troupes se mirent aux ordres de Vitellius que les légions de Germanie venaient d’élever au trône des Césars. IV. Vespasien différa sa marche sur Jérusalem, prétextant qu’il n’était pas opportun de combattre à l’étranger alors que la guerre civile ravageait l’Italie. Plus tard, l’armée d’Orient se souleva contre Vitellius et exigea de son Général qu’il secourût la patrie souillée par l’imposture. Vespasien accepta le titre d’Empereur et partit à Alexandrie pour se joindre à Tibère Alexandre, préfet d’Égypte. Antonius Primus, procureur de Mesia, fut contraint d’entreprendre une marche sur Rome. Sabinus, le frère, et l’autre fils du nouveau César prirent la tête de la rébellion. Vitellius accula les légions germaines dans le Capitole et les anéantit en incendiant le Temple de Jupiter. Le lendemain, Antonius Primus entra dans Rome. On découvrit Vitellius caché dans son palais. Promené à travers la ville, il fut conduit, nu, jusqu’au Forum. Sur la Via Sacrée, on le couvrit d’outrages. Pour finir, son cadavre fut jeté dans le Tibre. Tu mourras ailleurs.p65 18 06/01/2009, 11:46 19 V. Chez les Juifs une nouvelle révolte éclata. Simon bar Giora se souleva contre Jean de Giscala ; il libéra les esclaves et organisa la rébellion dans les montagnes. Il mit à sac les villes iduméennes qu’il traversait et rallia beaucoup d’hommes à sa cause. Il finit par se présenter au pied des murs de Jérusalem. VI. Ses troupes s’étant retournées contre lui, Jean de Giscala dut se réfugier dans le Temple. Simon bar Giora se fit ouvrir les portes de la ville. Aussi, avant de rejoindre Rome, Vespasien ordonna-t-il à Titus Flavius de prendre Jérusalem et de mettre fin à la guerre des Juifs. SALONIQUE [b] C’est un maniaque sexuel qui, avec patience et maîtrise, attend de se fondre dans la vie quotidienne du parc afin de choisir une victime, parmi ces enfants qui jouent et courent dans les allées au sortir de l’école. Les iniquités commises en cet endroit ne semblent guère perturber l’observateur. Quant au reste, il est parfaitement plausible qu’au vu de la régularité inébranlable avec laquelle l’homme s’assied pour lire dans le parc il finira par l’interroger et obtiendra comme réponse une histoire similaire à celle proposée dans l’incise a ; ou bien une réplique irritée dans laquelle foisonneront les concepts du parc en tant que voie publique, livré à la volonté d’un citoyen qui n’agit pas au détri- Tu mourras ailleurs.p65 19 06/01/2009, 11:46 20 ment d’un autre ; ou peut-être encore la découverte émue que le lecteur et l’observateur partagent fraternellement les mêmes habitudes – minoritaires, obscurément paternelles, désavouées par exception –, dans une société chaque fois plus respectueuse des singularités et des penchants sexuels. Alors, pourquoi dissimule-t-il ? Sans doute la rubrique « Petites Annonces » est-elle un moyen d’éviter la surveillance et la suspicion. Ainsi, celui qui observe ce harcèlement sur le banc du parc aride avec une odeur de vinaigre aura-t-il recours à l’hypothèse a, d’une certaine façon la plus crédible et celle qui vous et moi peut nous affecter. L’aplomb avec lequel cet homme se tient aux aguets est déjà en soi pervers. Acteur né, il vit sa créature, se met dans la peau de son personnage, est l’ouvrier déplacé par les progrès de l’électronique et qui n’a plus d’emploi, le technicien que notre époque a acculé au désespoir. C’est pour cette raison qu’il lit l’une après l’autre sans sauter une seule ligne les annonces classées qui couvrent huit pages de El Universal, y compris celles qui n’ont rapport que de très loin avec ce qu’il recherche : résidences à Acapulco, immeubles à Las Lomas, zone touristique à Insurgentes. Très loin aussi, par moments, la barrière de brouillard et de poussière de salpêtre des lacs aujourd’hui à sec, et qui permet de distinguer – en soulevant une des lamelles supérieures du store – les escarpements et les contreforts de l’Ajusco. Radieux parfois, rarement, plu- Tu mourras ailleurs.p65 20 06/01/2009, 11:46 21 tôt sombres, si lugubres qu’il suffit de les regarder pour comprendre : le pessimisme de ceux qui habitent la ville ; leur irritation à fleur de peau par-delà leur courtoisie brisée ; la douleur dans la région bronchiale, la certitude que les montagnes interdiront toute sortie ou toute fuite ; et, finalement, certaines théories sur la localisation géographique des superstitions, lesquelles, au cours de certaines périodes de l’histoire, ont exigé ou favorisé des sacrifices humains. DIASPORA VII. Titus sortit de Césarée avec trois légions et un grand nombre de troupes auxiliaires. Il campa à Gabat Saul à trente stades de Jérusalem et, avec six cents cavaliers, partit observer la ville. Il espérait que, ravagée par la discorde entre Simon et Jean, Jérusalem allait se rendre sans combattre. VIII. Face à la tour des Femmes, un grand nombre de Juifs sortit des murailles et s’interposa entre Titus et les soldats. Titus chargea à travers l’ennemi et se fraya un chemin sans qu’aucune flèche ne le touche. Puis, il divisa ses légionnaires en trois campements et se rendit à Scopo, mont qui dominait Jérusalem. IX. L’imminence du siège provoqua un pacte entre les rebelles. Pleins de fureur, ils s’élancèrent contre la Tu mourras ailleurs.p65 21 06/01/2009, 11:46 22 dixième légion, occupée à dresser ses fortifications et parvinrent à la disperser. Mais l’arrivée en renfort de la garde prétorienne contraignit les attaquants à se replier dans la ville. X. Pour empêcher d’autres incursions, Titus disposa sept lignes de défense : l’infanterie devant, les archers et les arbalétriers au milieu, la cavalerie en dernier. Il ordonna la destruction des murs, fit raser les ronciers et couper les arbres fruitiers qui croissaient entre Scopo et Jérusalem. Puis il fit dresser son campement à proximité de la tour des Femmes. La deuxième légion s’établit au pied de la tour des Chevaux. La dixième resta sur le mont des Oliviers. XI. Simon commandait quinze mille hommes et avait retranché son quartier général dans la tour Fasael. Jean occupait le Temple avec huit mille partisans. Ils n’avaient ni l’un ni l’autre aucune envie de se rendre et inventèrent de nouvelles ruses contre les Romains. Les légionnaires étaient profondément déconcertés : la discipline de tout un peuple qui a formé ses jeunes garçons à l’art de la guerre technique et sans scrupules était tenue en échec devant les portes d’une ville surpeuplée, divisée et désarmée. SALONIQUE [c] C’est tout le contraire, c’est un père, un père qui a perdu son fils et qui revient chaque jour sur des Tu mourras ailleurs.p65 22 06/01/2009, 11:46 23 lieux si souvent foulés par le petit être chéri disparu. Ici, probablement, il lui a appris à faire ses premiers pas, à donner des noms aux choses, à lancer et à rattraper une balle. C’est là qu’il lui a acheté son premier ballon, un dimanche, et qu’il vit couler ses larmes quand ses mains le laissèrent échapper. Là, il l’aida à enfourcher les branches les plus basses ; lui enseigna le sentier des fourmis entre les herbes ; répondit à ses questions quand ils rencontrèrent un moineau mort ; l’empêcha d’escalader la tour jaune, si étrange, qui recouvre le puits. Il le vit grandir, étudier, se faire des amis, s’éloigner. Aujourd’hui, il revient, tel un fantôme, pour retrouver ses pas. Il tourne volontairement le dos aux jeux, il ne regarde pas les autres enfants (ils ont peut-être l’âge de son fils) ; mais la rumeur de leurs ébats, l’aridité du parc, les constructions inégales, l’atmosphère imprégnée de vinaigre composent l’unique fraction du monde qui appartient en propre à celui qui est mort. Que cherche-t-il dans les petites annonces ? Rien. Une forme de pudeur, une façon de cacher son chagrin devant les autres et de s’épargner leur compassion, la joie féroce qui se dessine sur certains visages quand ils expriment leur pitié pour les choses qui ne les touchent pas. L’homme dissimule ainsi l’étrangeté, l’étonnante diminution signifiée par la perte d’un être que nous jouons à faire revivre. Incapacité de trouver du réconfort dans la réflexion, oubli provisoire dans la drogue, les calmants, l’alcool. Étrange façon de porter le deuil, Tu mourras ailleurs.p65 23 06/01/2009, 11:46 24 sa présence sur ce banc du parc, à quelque quatorze ou quinze mètres du puits, sous le peuplier noir couvert de graffiti, n’est peut-être qu’une forme inconsciente et muette de prière. Une telle douleur mérite, donc, du respect. Et surgit la gêne de l’équivoque, l’ambiguïté qui occasionnera des jugements aussi opposés qu’injustes chez un certain spectateur prétendant voir dans la perte inconsolable de ce fils une preuve de l’hypothèse ainsi simplifiée, dans l’incise b. DIASPORA XII. Les Juifs essayaient d’empêcher que les Romains n’élèvent leurs plates-formes de bois contre les murailles de la ville édifiées sur deux collines. Avec des flèches, des pierres et des brandons, ils mettaient en fuite les soldats chargés de pousser les béliers ou de construire des terre-pleins. Pour protéger ses hommes, Titus ordonna d’élever deux tours d’assaut équipées de balistes et de scorpions. XIII. De ces installations, des machines légères, des archers et des frondeurs lancèrent leurs projectiles contre les défenseurs de Jérusalem. Quinze jours avant de commencer le siège, les béliers démolirent la première muraille et les Romains s’engouffrèrent dans la brèche fraîchement ouverte. Jean et ses troupes défendirent le portique septentrional du Temple, la tour Antonia et le Tu mourras ailleurs.p65 24 06/01/2009, 11:46 25 tombeau d’Alexandre. Simon occupa la tombe du grand prêtre Jean et le canal qui acheminait l’eau jusqu’à la tour des Chevaux. Souvent les assiégés se lançaient dans les luttes au corps à corps. Moins bien armés et ignorant tout de la technique ennemie, ils ne devaient compter que sur leur seul courage, leur capacité de résistance et leur espérance de survivre. En retour, pressés par leur soif de vaincre, les Romains luttaient infatigablement. Le repos de la nuit était parcouru de frissons et l’aube venue le combat reprenait. XIV. Cinq jours plus tard, Titus s’emparait de la seconde muraille. Il investit l’enceinte avec mille soldats choisis parmi les meilleurs de chaque centurie. Les Juifs, au lieu de se rendre, avancèrent par les rues obliques, encerclèrent les Romains et les boutèrent hors de la ville. Ils pensèrent alors que les envahisseurs n’oseraient plus pénétrer dans Jérusalem : résister sans abandonner les murailles, c’était leur offrir le triomphe sur l’Empire. SALONIQUE [d] Ou il est l’amant d’une femme qu’il doit retrouver dans le parc, rencontre ardemment souhaitée et dernier recours après de multiples rendez-vous manqués, de vains appels téléphoniques, d’amicales et diverses médiations. Héros d’une histoire sordide, relation de deux êtres qui Tu mourras ailleurs.p65 25 06/01/2009, 11:46 26 ont dépassé la quarantaine et jouèrent dans leur mariage respectif, bien souvent, le rôle de victimes. Avant d’en arriver là, ils passèrent par les étapes suivantes : rencontre lors d’un baptême, dans un bureau de comptables ou dans le grand magasin qui les emploie tous deux ; flirt anachronique et d’autant plus poussif que monotone, prévisible, tant de fois recommencé, voué à l’échec ; réflexions imposées par une éthique distillée dans les feuilletons télévisés et les romans-photos : ai-je le droit de briser mon foyer pour ce qui n’est sans doute qu’une passade ? – Trouver enfin le grand amour après toutes ces souffrances, ne voilà-t-il pas ma triste vie enfin justifiée ? prétextes, retards, absences, soupçons, discussions ; rendez-vous minables toujours placés sous le signe de la culpabilité dans des hôtels sinistres ; rupture, peut-être dans le même lit, et utilisation de phrases toutes faites : – je t’adore mais on ne peut continuer ainsi – je crois que mon mari s’en est aperçu et tu n’imagines pas jusqu’où il est capable d’aller – surtout mes enfants... mais la honte... la honte... tu comprends – ce n’est pas leur faute ; et pour ne pas altérer le code invariable : prière, promesse de tout lui abandonner, suicide, désastre organisé et particulièrement grotesque chez un homme qui a dû connaître tout cela quand il avait vingt ans ; malaise, humiliation de devoir vieillir, de devoir résister au naufrage conjugal, nostalgie d’une autre dont le souvenir restituera la jeunesse ; Tu mourras ailleurs.p65 26 06/01/2009, 11:46 DU MÊME AUTEUR AUX ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE Batailles dans le désert, roman, 1987 ; 2e éd. 1998 ; 3e éd. coll. « Minos », 2009. La Lune décapitée, nouvelles, 1991. Le passé est un aquarium, poèmes, 1991. Titre original : Morirás lejos. Cet ouvrage a été publié pour la première fois à La Différence en 1988. © Editorial Joaquin Mortiz, 1967. © SNELA La Différence, 30, rue Ramponeau, 75020 Paris, 2009, pour la traduction en langue française. Tu mourras ailleurs.p65 4 06/01/2009, 11:46