Hasta la vista

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Hasta la vista
Fiche n° 989
Du 28 mars au 9 avril 2012
Hasta la vista
HASTA LA VISTA
pas tant à la perte de leur virginité qu'à la
possibilité de devenir des puceaux comme
les autres : c'est en suivant ce programme
que le film réussit finalement à tracer sa
voie, belle et surprenante.
de Geoffrey Enthoven
Belgique – 1 h 53
Sortie 7 mars 2012
Trois copains - un tétraplégique, un
cancéreux paralysé des jambes et un quasiaveugle - décident de partir en vacances
sans leurs mamans pour faire la route des
vins jusqu'à l'étape ultime, un bordel
handicap friendly où chacun pourra laisser sa
virginité. Belge, puceau et handicapé : voilà
un film qui ne partait pas vraiment avantagé.
Mais, relevant le défi de ce synopsis a priori
intenable, Hasta la vista mise précisément
sur la malléabilité des clichés. Faire un film
sur des puceaux dont la quête ne se résume
Elle consiste avant tout à éviter la voie toute
tracée d'un rythme ascendant jusqu'au
happy-end gaga, pour se mettre au diapason
de ses personnages en avançant avec
l'enthousiasme inquiet des premières fois :
partir à la recherche de ses fantasmes,
osciller entre la surprise et la déception,
avancer à l'aveugle sans jamais tenir
linéairement une tonalité ou considérer le
voyage comme réussi ou raté. Directement
branché sur les réactions épidermiques du
trio, le film épouse un rythme complètement
cyclothymique - grande excitation qui
débouche sur une aigre lucidité, refoulement
du handicap et retour à la réalité du refoulé qui le secoue jusqu'à l'épuisement. Et c'est
très beau parce qu'avec un tel rythme, la joie
qui prend le relais de la déception ne
dédommage jamais que partiellement les
personnages, lesquels s'alourdissent toujours
plus du poids des tristesses passées. Le film
donne ainsi l'impression de reculer plus qu'il
n'avance, d'une usure physique autant que
morale qui n'est jamais récupérée ailleurs.
Cette énergie qui va en s'amenuisant renvoie
à l'honnêteté avec laquelle est traitée le
handicap : là où l'on aurait pu attendre une
sorte de lent affranchissement au prix des
illusions du pèlerinage, on est précisément
dans la tendance inverse, dans l'hébétude
épuisée du voyage et l'ironie du désespoir.
De Chronicle à Hasta la vista, d'ailleurs,
une scène revient : celle du puceau
vomissant devant la fille inespérée soudain
devenue accessible. Cette montagne de vomi
- à la fois conséquence de l'alcool ou de la
maladie et fatalité du puceau condamné à
passer à côté des meilleures occasions de sa
vie - dresse une frontière douloureuse,
infranchissable, entre le puceau et sa
sexualité ou, plus largement entre lui et la
possibilité, entr'aperçue, d'une autre vie.
Ce pessimisme se nuance pourtant lui-même
grâce à la logique du trio, esquissant
plusieurs pistes et plusieurs conclusions qui
se modèrent et s'interpellent entre elles,
évitant à la fois de basculer dans l'angélisme
(les scènes d'agressions injustifiées du trio
sont très justement amenées) et dans le
pessimisme complaisant qui n'en serait que
le revers, tout aussi malhonnête. Au bout du
voyage, difficile de se dire que quoi que ce
soit a été résolu, et de voir, dans ce « hasta
la vista » conclusif, autre chose qu'une
manière pour celui qui le prononce de se
retirer de la souffrance par une forme de
dandysme. Hasta la vista ne se satisfait
d'aucune illusion, surtout pas de celle qui
consisterait à croire que le film de puceau
s'arrête au constat victorieux de la virginité
perdue (la sortie du bordel le montre très
bien, jouant sur le cliché du gamin devenu
homme puis redevenu gamin), et à ne pas
voir son envers mélancolique : le puceau, en
fait, aspire au rythme de la bête de sexe, et
cette première fois ouvre le chapitre des
fatigues et des blessures à venir. Cronic’art
Que trois ados décident de s’offrir une virée d’été en Espagne pour y chercher l’aventure et potentiellement perdre ce foutu pucelage, n’est pas a priori le point de
départ le plus original du monde.
Mais si ces ados lubriques sont des handicapés (aveugle ou en chaise roulante), le film devient tout de suite plus intriguant.
Le temps d’une première heure enlevée – qui doit beaucoup à l’insolence de ses jeunes acteurs –, Hasta la vista, du Flamand Geoffrey Enthoven, réussit cette hybridation un peu folle
des enjeux du teen-movie (sexe, défonce et mauvais esprit) avec le drame lié au handicap, dont il ne force jamais le trait ni ne tait la douleur.
En prenant plus de risques, peut-être en se confrontant davantage à la question de ces corps infirmes qui se découvrent des désirs (et à son extension scato), le film aurait même pu être
l’un des plus beaux spécimens de l’espèce rare du teen-movie européen Les Inrocks
Hasard du calendrier ? Quelques semaines après Intouchables, voici venir sur nos écrans un nouveau film à oser prendre comme sujet le
handicap. Non content de militer, lui aussi, pour le droit du handicapé à être un sujet burlesque, Hasta la Vista aborde le thème de sa sexualité.
Pourtant pas exempt de facilités, le film s’avère plutôt convaincant.
Les road-movies révoltés, c’est moins facile sur les quatre roues d’un fauteuil roulant que sur les deux d’un chopper. Pourtant, Lars, Philip et
Jozef ne s’en laissent pas compter : depuis que ces trois jeunes Flamands ont appris l’existence d’un « bordel pour handicapés » en Espagne, ils
n’ont de cesse de se rendre là-bas. Quitte à le cacher à leurs proches dévorés d’inquiétude, et à s’attacher les services d’une infirmière-chauffeur
quelque peu iconoclaste.
Hasta la Vista se situe donc à la conjonction
de la comédie hormonale (mâle, faut-il le
préciser ?) et du drame social sur fond de
handicap. Si la recette est inédite, l’alchimie
prend bien, et pour cause : le matériel n’est
pas fictionnel, les ados, même cloués dans
un fauteuil ou affligés de cécité, ont des
poussées d’hormones comme les autres. La
grande réussite du film tient à
l’homogénéité de ces deux aspects, aux
accents de vérité d’un scénario qui, du
même coup, fluidifie considérablement son
humour. Transcendant leur condition de
personnages-prétextes, Gilles De Schrijver
(Lars), Tom Audernaert (Jozef) et Robrecht
Vanden Thoren (Philip) donnent une vie
sincère à leurs rôles – il convient d’ailleurs
de souligner la performance des acteurs, qui
selon toute vraisemblance ne sont pas
handicapés.
Le réalisateur Geoffrey Enthoven fait siens
les objets du handicap, leur donnant une
existence principalement burlesque. Son
regard reste cependant extérieur, sans pour
autant être un œil moqueur. Son propos
semble être de maintenir le spectateur dans
une position inconfortable, et assez
politiquement incorrecte, de voyeur. Parfois,
pourtant, il va faire un usage judicieux et
émouvant des gros plans : dans ces corps
suppliciés, ce qui demeure vivant le serait-il
plus fortement que chez les valides ?
Pour toutes ces qualités, le film n’en est pas
exempt de défauts. Parfois, ainsi, Hasta la
Vista échoue à maintenir l’équilibre précaire
entre ironie paisible et désespoir qui
caractérise son humour. Et parfois, le film
va parvenir à des moments de cinéma d’une
Après le raz de marée Intouchables, nous étions
bien en droit de serrer les dents à l'idée d'une
nouvelle comédie débordant de bons sentiments
mettant en scène un infirme au grand cœur. Oui,
mais c'était sans compter sur la provenance de
Hasta la Vista : les Flandres, cette douce contrée
productrice de talents grinçants, incorrects et
percutants. Voilà donc abordé de plein front le délicat
sujet de la sexualité des handicapés, sous l'aune de
la comédie, et loin du pathos qu'on ne pouvait que
craindre.
grande subtilité où, soudain, les horizons
s’élargissent.
On peut aisément saluer l’ampleur de
l’audace de Hasta la Vista, d’oser – ce n’est
pas trop tôt – traiter le handicapé comme
une personne à part entière, aussi digne
d’agacement que de compassion, de haine
impulsive que d’amour. Mais, si l’on doit
saluer quelque chose dans le film, c’est
avant tout d’avoir réussi à dépasser même
cela, d’être parvenu à créer des moments de
réelle beauté où la question du handicap ne
se pose plus, comme elle ne devrait jamais
se poser. Critikat
P
hilip, Lars et Jozef sont handicapés : aveugle, paraplégique et même totalement paralysé
pour le premier. Pourtant, ils sont traversés par les mêmes désirs que tous les jeunes
hommes de leur âge : conquérir leur indépendance, vivre des relations amoureuses et
sexuelles. Aspirations qui leur semblent interdites.
Quand l’un d’entre eux apprend l’existence d’une maison close en Espagne « pour des
gens comme nous » , ils n’ont plus qu’une idée en tête : entreprendre un voyage censé les
mener jusqu’au lupanar El Cielo. Ignorant la destination finale, les familles acceptent.
Mais l’état de santé de Lars se détériore et ses parents lui interdisent ce périple. Les trois
amis décident de partir quand même.
Hasta la Vista a d'abord le grand mérite d'écarter
tout misérabilisme, au moyen notamment d'un
humour savamment dosé, bien moins présent qu'on
ne s'y attendrait (en particulier au vu d'une affiche
un brin potache, en décalage total avec le ton du film
qu'elle illustre). Le film de Geoffrey Enthoven
s'intéresse ainsi à une étrange clique composée de
trois ados handicapés (deux en fauteuil roulant, le
troisième armé de redoutables culs-de-bouteille),
accompagnés malgré eux par une infirmière wallone
généreuse, chauffeuse de fortune d'un road trip
insensé : un voyage libérateur vers une maison close
espagnole, destinée à libérer les jeunes d'une
virginité encombrante. L'occasion pour l'improbable
bande de se prendre de douloureux vents de la part
de jeunes filles effarouchées par ces freaks
entreprenants, quand toutefois la réussite de l'un
d'entre eux n'est pas anéantie par la jalousie
mordante de son comparse moins chanceux.
Ne le cachons pas : le sujet effraie. Handicap, sexualité et prostitution pèsent lourd dans
une même barque. Mais très vite l’humour dédramatise, et s’imposent la belle amitié et la
personnalité des trois garçons. Philip ne ménage pas son entourage et s’autorise bien des
excès ; en apparence le plus pataud, Jozef est le cœur tendre et subtil du trio ; arraché par
un cancer à une vie d’adolescent normale, Lars sait que le temps lui est compté. S’ajoute
Claude, infirmière imposante et bourrue
La Croix
Si certaines situations prêtent inévitablement à rire
(on pense notamment à la catastrophique première
nuitée en solo des jeunes hommes, trop fiers pour
accepter l'aide de leur accompagnatrice), le ton de
Hasta la Vista est assurément tendre, mais en
aucun cas complaisant. Les péripéties du quotidien
sont ainsi filmées avec beaucoup de retenue, les
regards compatissants ou gênés interceptés, et les
conversations dépouillées de tabous et de fausse
pudeur. En ressortent des dialogues savoureux,
parfois cruels, rendant justice à l'évidente alchimie
liant des acteurs talentueux. Les badauds appâtés
par l'atout sexe risquent toutefois d'être fort déçus à
l'arrivée, puisqu'aux dires de son réalisateur, Hasta
la Vista ne s'intéresse pas tant à l'objectif qu'au
parcours de ses protagonistes. La sacrosainte perte
de leur virginité se révèlera alors des plus
anecdotiques, si ce n'est qu'elle offrira une scène
tout en douceur, unique occasion pour nos héros de
se retrouver débarrassés de leur infirmité. Ecran
large
Conte scientifique, intelligent et poétique
Cette même semaine et jusqu’au 2 avril seulement :
L’OEIL de l’ASTRONOME de Stan Neuman – France – 1 h 30
Et du 4 au 9 avril donc une seule semaine :
PORTRAIT AU CREPUSCULE de Angelina Nikonova – Russie – 1 h 45
Inertie coupable au pays de la vodka