Plan de Commentaire de l`Incipit d`INDiANA.

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Plan de Commentaire de l`Incipit d`INDiANA.
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Plan de Commentaire de l’Incipit d’Indiana.
Introduction :
George Sand publie son premier roman Indiana en 1832, succès de librairie qui suscite
rapidement l’enthousiasme mais aussi de nombreuses critiques. Elle fait précéder son ouvrage
d’une préface qui évolue au fur et à mesure des rééditions, insistant d’abord sur la vérité de la
peinture de mœurs qu’elle propose puis donnant en 1842 une interprétation plus engagée de
l’œuvre contre toutes les formes d’oppression des femmes et des êtres faibles de la société.
L’incipit du roman, lieu de tous les possibles, morceau attendu qui doit tout à la fois donner
au lecteur des informations liminaires, établir une atmosphère et laisser suggérer une intrigue,
nous présente une scène statique dans le salon du Lagny : la jeune Indiana, son cousin Ralph
et son vieux mari semblent s’ennuyer au coin du feu, accompagnés de leur chienne Ophélia.
La fébrilité du mari, jaloux et brutal, contraste avec l’immobilité morbide des deux autres
personnages, noyés dans un décor surchargé et tout en clair-obscur. Nous nous demanderons
comment cette entrée en matière d’une lenteur inquiétante réussit tout à la fois à présenter les
lieux et les personnages principaux tout en maintenant un doute intrigant sur la raison de leur
réunion silencieuse.
Cette scène apparaît tout d’abord comme la peinture très esthétisée d’un lieu, le salon
du Lagny au crépuscule. Se mêle subtilement à cette description une série de portraits, qui
entrent en écho les uns des autres. Dans le figement grandissant de l’action transparaît enfin
une atmosphère pesante dont on ne saisit pas encore tous les enjeux.
1. Un Tableau à la Rembrandt.
a. Un coin du feu bourgeois par une soirée d’automne.
-informations initiales sur le cadre spatio-temporel : mentions géographiques : « castel de la
Brie » requalifié plus loin de « commode manoir avec ces dépendances ». Temporelles :
« soirée d’automne » et plus loin « ce soir-là ». – climatiques : « pluvieuse et fraîche », puis
« humide ». Incertitude du lieu entre le manoir nocturne, isolé, typique du romantisme, et le
salon bourgeois.
- Contraste de cet extérieur froid et sombre avec la chaleur protégée du salon : « au fond de »,
« tisons », « bûches pétillantes ».
- mention immédiates de quelques rares objets symboliques : l’âtre, la pendule, la chaise. =>
le lecteur perçoit par ses objets qu’on est dans un salon, même si le lieu n’est pas nommé
explicitement avant le deuxième paragraphe (« la longueur du salon »). Règne un certain flou
sur la disposition des personnages et des objets, quelques touches qui établissent une
atmosphère, une esquisse pleine d’ombre plus qu’une représentation structurée des lieux.
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b. Le décor surchargé du salon apparaissant dans les pas de Delmare.
Nouvelle phase de description lorsque Delmare arpente la pièce. Le narrateur suit la
« promenade » du mari pour décrire la pièce, avec ses pauses qui rythment la peinture grâce à
l’anaphore (« parfois… parfois »), sans dire d’abord que Delmare regarde ce que lui,
narrateur, décrit ; on s’échappe même un instant de cette focalisation interne (« dont l’œil se
fut vainement » = l’œil de tout un chacun), avant de la retrouver (« jeta un regard lucide »).
=> la description semble éclairer momentanément les environs du personnage, comme dans
les tableaux de Rembrandt (mentionné plus bas).
-Salon XVIIIe siècle, dans le style baroque « Louis XV », allégories « Amours nus »,
peintures et sculptures, « caprices tortueux » typiques du baroque, scènes champêtres « fleurs
de biches » « sangliers ». Indiana devient elle-même une partie du décor par analogie « « fleur
(…) dans un vase gothique », de même que Ralph « fort beau cavalier » (l’italique souligne le
suranné de sa tenue) d’un autre siècle. Contraste entre ce faste suranné et le personnage de
Delmare, homme issu de la révolution. Esthétique et courant philosophique dépassés =>
vieillesse du salon accentuée.
- récurrence du motif de la cheminée qui revient tout au long du texte en se précisant :
« marbre blanc incrusté de cuivre », « plaque de tôle qui occupait le fond de la cheminée »,
etc.
C’est le centre de la scène, d’où part la lumière, qui prend de plus en plus d’importance dans
l’extrait.
c. Un clair-obscur qu’on aurait pu voir : une méta-description.
Dernière phase de description ouverte par la complexe mention de Rembrandt.
- champ lexical de la lumière et de l’ombre dominant et alterné (« lueurs » « tons rouges »,
« s’assombrissait » « mystérieuses profondeurs » « s’éteindre » « éclat » « lumineux »,
« ombres »…), en lien avec le champ lexical du feu (« flamme », « braise », « tison »…).
=> par cette alternance, le texte mime le mouvement de la lumière, il joue tout à la fois de
l’immobilité de la scène (description statique) et des légers mouvements qui l’animent et que
peut rendre la successivité du langage à l’inverse d’un tableau, même de Rembrandt, qui doit
choisir un état de la lumière pour suggérer les autres.
- occasion de rajouter des éléments au décor déjà « chargé » (le mot relaie « surchargé »
quelques paragraphes plus haut) : « cadres ovales » ; « console » ; « plafond peint » ;
« lourdes tentures ».
-L’incertitude, l’ « inconstance » lumineuse semble troubler l’énonciation, la focalisation : « Il
y avait peut-être » ; « On eût dit » : touche à l’interprétation incertaine du « tableau », ses
évocations miroitantes. « On eût pu saisir » plus difficile à comprendre : la focalisation se
trouble, le tableau s’ouvre à d’autres possibles dans un temps plus large, des parties du salon
cachées dans le temps choisi pour la description mais qui deviendraient visibles si le narrateur
restait plus longtemps. Le narrateur joue discrètement avec son lecteur, en suggérant qu’il
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pourrait continuer son tableau grâce aux jeux de lumières. En même temps qu’une esthétique
du clair-obscur, il réfléchit donc à la temporalité de la description.
Transition : En même temps que l’incipit fournit au lecteur des informations sur le lieu, il
propose une série de portraits des personnages principaux du roman, à l’exclusion de Raymon
qui n’apparaîtra qu’un peu plus tard.
2. La Galerie de Portraits croisés.
D’abord « trois personnes rêveuses », focalisation externe, on ne sait rien d’eux, se
poursuit dans le premier paragraphe. « Deux de ces hôtes », « le troisième ». Delmare est le
premier qui se détache du groupe, s’individualise et s’oppose aux autres marqués par la
« soumission » tandis que lui est marqué par « l’agitation ». Son portrait est de loin le plus
travaillé de cet incipit.
a. Delmare, un vieux colonel acariâtre.
- un vieux tyran : le narrateur devenu momentanément omniscient nous informe sur sa
position (« maître de maison ») son état civil (colonel Delmare) et son passé (« vieille
bravoure », « ancien militaire »). Le portrait se penche ensuite sur son physique (« jadis
beau… moustache grise ») qui ouvre sur un portrait psychologique (« œil terrible…chiens »).
Le portrait devient ironique (« excellent maître ») pour souligner l’aspect tyrannique du
personnage habitué à commander.
- un militaire reconverti dans l’industrie : les expressions à connotation souvent dysphoriques
(« roideur convenable », « contentement perpétuel ») montrent un vieux (« rhumatismes »)
militaire nostalgique et plein de rancune (« jours d’éclats » # « en retraite » « oublié »
« ingrate » « condamné ») ; même ses succès ne font qu’accroître son mauvais caractère
(« industriel heureux » # « humeur »).
- un jaloux : le portrait psychologique fonctionne régulièrement par hypallage (« bâillement
mélancoliques », « regard lucide et profond ») pour donner malgré la focalisation externe une
profondeur, une intériorité au personnage. L’expression du regard marque la surveillance
attentive de sa femme : « œil attentif qui couvait » « œil de vautour ». Cette attitude jalouse
est récurrente (« trois ans ») mais semble n’être plus qu’une habitude « pour s’occuper » (la
suite du texte confirmera que Delmare ne voit plus en Ralph un danger).
- un sorcier : les jeux de lumière le font finalement ressembler à un « sorcier ». Figure
dominante, « maître » de la parole et de la lumière, il possède un « charme » sombre.
Toutefois, cette transfiguration n’est proposée qu’avec des précautions (« on eût dit » ;
« ressemblait assez ») qui jettent un doute sur la réalité de son pouvoir.
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b. Indiana, une jeune femme étouffée.
- Indiana n’est pas nommée. Elle se définit immédiatement par son statut social, « femme » de
Delmare « depuis trois ans ». Son portrait est très rapide, accentuant encore la domination et
l’inexistence du personnage. Elle est pourtant la protagoniste du roman, le personnage
principal. De même que dans l’excipit, ce sont les hommes qui dominent.
- son physique reste très obscur. Elle est belle (« trésor »), elle est « jeune », sa pose est
évoquée avec son « coude » et son « genou » mais sans qualification particulière. Sa beauté
apparaît mais de manière détournée : « précieuse » et par une comparaison (« semblable à une
fleur ») faite pour marquer le décalage de sa fraîcheur juvénile et du cadre empesé.
- une femme fragile : champ lexical dominant : « trésor fragile et précieux » « fluette »,
« pale »…
- le contraste de la jeunesse et de la vieillesse, un portrait croisé avec Delmare.
- un être triste et à plaindre : insertion du portrait et choix d’énonciation surprenants. S’ouvre
pas un « Car » justificatif. On passe ainsi du colonel à sa femme sur le mode de la
justification, à nouveau avec un retour à la narration omnisciente (« dix-neuf ans »). Adresse
au lecteur pour l’inciter à une réaction sensible (« vous eussiez plaint ») mais au conditionnel
passé, qui indique une médiation du regard par le narrateur. Le narrateur voit, et transmet
l’émotion au lecteur. Il faut le croire. Dramatise la scène, attire puissamment l’attention sur ce
personnage qui pourrait sembler secondaire. Compense par l’effet émotionnel la faible place
dans le texte.
c. Le mystérieux troisième personnage.
- Ralph n’est pas non plus nommé, on ne sait même pas sa position vis-à-vis des deux époux.
Il reste jusqu’au bout « l’homme assis ». Crée un mystère autour de lui, d’autant que son
portrait est un mélange de qualités et de défauts.
- Portrait physique globalement mélioratif : jeunesse, tenue, « vigueur », « beauté de ses
mains », « élégance de son costume ».
- cependant l’ensemble du portrait est péjoratif : « traits régulièrement fades ». Le narrateur
joue de l’hyperbole paradoxale en préférant Delmare au jeune homme. Il use d’un détour
rhétorique en invoquant le jugement du « moins artiste des hommes », accentuant encore
l’hyperbole dépréciative.
- ce qui est alors jugé est moins son apparence physique que l’absence de caractère qui s’en
dégage. La fadeur du personnage est précisée par une ultime comparaison avec un « cavalier »
désirable du siècle de Louis XV, moment du raffinement extrême des mœurs et des
apparences, le siècle policé par excellence. Par différence avec « le goût philosophique »,
c’est-à-dire des Lumières, le narrateur promeut une esthétique du caractère fort, tranché.
- Le double croisement des portraits : Ralph est comparé à Delmare, et il est mis en parallèle
du portrait d’Indiana par juxtaposition de leurs caractéristiques principales : « cette femme
frêle et souffreteuse et cet homme dormeur et bien mangeant ». Le portrait de Ralph est donc
l’occasion de bien distinguer, individualiser chacun.
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d. Un portrait détonant, la chienne Ophélia.
Le groupe des trois personnages partage la « gravité » (« gravement occupées », « il arpentait
avec gravité »), la tristesse et l’ennui. La chien est isolée par son caractère (« seule figure
heureuse »), mais aussi par la syntaxe avec une tournure présentative (« c’était… ») qui
annonce un nouveau personnage imprévu. Effet de surprise, non mentionnée dans l’esquisse
générale du début + animal absent du roman traditionnel. Ici à l’inverse, élevé au même rang
que les autres.
- une description physique très précise insistant sur la beauté majestueuse de la chienne.
- un être personnifié, doué de sentiments : « spirituelle physionomie » « mélancolie », «
tendresse ». Permet la revalorisation de « l’instinct » partagé par l’homme et l’animal, aux
dépends de la « raison ». Continue la critique du « goût philosophique » entamée avec le
portrait de Ralph. Derrière les portraits apparaît discrètement un manifeste philosophique
typique du romantisme.
Transition : C’est l’aboiement d’Ophélia et son premier mouvement qui va clore l’incipit en
réouvrant la scène à la parole et à l’action, juste après notre extrait. Notre scène, si elle est
presque figée, présente cependant déjà quelques éléments de narration qui créent une attente
et un début d’intrigue.
3. L’atmosphère pesante d’une soirée silencieuse
Le silence et l’immobilité permettent la description artistique et la transfiguration onirique
de la scène. L’action commence en sourdine par quelques mouvements répétitifs.
a. Une scène figée où l’on regarde plus que l’on n’agit : le point de vue
changeant du narrateur.
- une immobilité régulièrement rappelée, liée au champ lexical de la tristesse et de l’ennui.
Forte domination des imparfaits de durée (« s’agitait ») et de répétition (« étouffait quelques
bâillements ») qui marquent des actions insignifiantes découlant de l’ennui.
- le jeu des regards : tout l’extrait est rythmé par des verbes de perception visuelle :
« regarder », « jetât un regard », « examiné », « fatigua son œil », etc.
- même le narrateur insiste sur son propre regard qu’il oppose à la cécité du lecteur (« si vous
l’eussiez vu ») et au jugement de l’ « artiste ».
- l’animal lui-même a des yeux qui « étincelaient de plaisir ».
A défaut d’agir, on observe, tout le monde observe tout et tout le monde, narrateur compris.
Ce jeu de regards croisés débouche sur les fantasmes du narrateur, qui voit dans ce salon « les
héros de conte de fées » et les « murs d’une citée fantastique ». L’action bloquée, l’ennui,
provoquent une échappée dans l’imaginaire. Le narrateur semble contaminé par l’état d’esprit
des personnages, « personnes rêveuses ».
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b. La fébrilité suspecte et suspicieuse de Delmare.
- désoeuvré, Delmare cherche vainement à s’occuper. Il s’occupe d’abord du feu (« frappait la
pincette »), puis insistance sur ses mouvements : marche « pesamment », arpente son salon,
etc.
- il cherche aussi à « s’occuper » en observant les lieux, puis les autres personnes. Même cette
occupation débouche sur un échec malgré ses efforts. . L’adverbe « peut-être », répété deux
fois en anaphore, mime à la fois la suspicion inquiète du mari et l’incertitude des relations
qu’entretiennent les deux jeunes gens (mélange de focalisation interne et externe).
La formule conclusive « bien certain de n’avoir pas même un sujet de jaloux » souligne le
pathétique presque comique de son action. Elle enclenche une ultime action marquée par le
passé simple : « retomba », « enfonça les mains ». Le personnage renonce alors à parler où
agir, vaincu et happé par le statisme des deux autres. L’impossibilité d’agir est accentuée par
cet échec d’un homme d’action, habitué à commander.
c. La triviale agitation du chien, rempart momentané à l’immobilisation
totale de la scène.
Un ultime espoir d’action reprend avec l’entrée en scène du chien. Cependant les mouvements
redeviennent répétitifs, à l’imparfait, entre les caresses de Ralph et les mouvements « en
cadence » de sa queue qui rappellent les mouvements de l’horloge évoqués au début du
passage.
La scène n’est alors plus perturbée par aucune action réelle, et c’est l’évocation des jeux de
lumière qui prend finalement le relai du chien pour animer cette nature morte. Delmare, à la
fin du passage, semble à nouveau marcher « d’un pas égal » pour tromper son ennui. A
l’inverse, les deux autres personnages « craignaient de déranger l’immobilité ». Une lutte
sourde perdure entre l’immobilité et le mouvement, qui se clos avec le mouvement du chien.
C’est donc un adjuvant (le chien) qui résout le conflit entre Delmare-sorcier et Idiana-Ralph
pétrifiés. Cette lutte est aussi allégorique. Elle oppose le rêve, les fées, l’imaginaire produits
par l’immobilité silencieuse à la trivialité grotesque de l’action de Delmare.
Conclusion :
L’incipit d’Indiana joue d’un contraste très fort entre la trivialité d’une scène de
famille bourgeoise et l’esthétisation extrême de la peinture, allant jusqu’à vouloir égaler par
les mots le génie de Rembrandt et finissant par libérer un imaginaire fantastique aux antipodes
du lieu réel. Présentant trois des quatre personnages principaux du roman, ainsi que le salon
du Lagny, lieu central du roman, il établit en outre une atmosphère trouble, entre la pesanteur
d’un ennui indépassable et la lutte sourde des deux jeunes gens et du vieux mari ; cette lutte se
passe de mots et de gestes, consistant dans le conflit entre l’immobilité et le mouvement, la
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jeunesse étant paradoxalement associée à l’immobilité et au silence, en résistance face au
colonel en retraite, reconverti dans l’industrie. Si le lecteur ne comprend pas encore toutes les
raisons de cette opposition, il voit s’affronter des caractères qui symbolisent déjà des « types »
selon l’expression choisie par George Sand dans la Préface de 1832 : la femme opprimée, la
jeunesse effacée, le pouvoir despotique et bourgeois.
L’intrigue se met ainsi en place à un triple niveau : le conflit des personnages,
l’esthétique de l’œuvre et la symbolique du récit. Par les zones d’ombre qui persistent sur le
personnage de Ralph, et la présence agitée d’Ophélia à ses côtés, la narration trouve ensuite
un nouveau souffle et cette brillante scène d’exposition laisse place à l’action, la parole et la
colère du Colonel.

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