Le chirurgien digestif - Chirurgie

Transcription

Le chirurgien digestif - Chirurgie
ANALYSE RÉTROSPECTIVE, CRITIQUE ET FINANCIÈRE
DU MÉTIER DE CHIRURGIEN VISCERAL EN PRATIQUE LIBERALE
Docteur
Clinique des Cèdres, Grenoble
Depuis quelques années, l’opinion publique est régulièrement interpellée par les chirurgiens et leurs
problèmes… Un véritable malaise, une réelle crise d’identité secoue en effet la profession. Les causes
en sont bien sûr multiples et nous allons essayer d’en analyser les plus caricaturales.
Avant toute chose, il faut bien savoir que la gravité de la situation ne tient pas seulement aux
revendications des chirurgiens en activité, mais – et c’est ce qui nous paraît essentiel – de la crise des
vocations qui font que cette spécialité est de moins en moins choisie par les étudiants en formation…
L’aphorisme fameux (par qui serez-vous opéré demain ?) prend tout son sens.
En guise de préambule, il nous faut faire un peu de sémantique. Qu’est-ce qu’un « chirurgien
viscéral » ? Pendant de nombreuses années, la chirurgie digestive et des « parties molles » étaient
assimilée à la « chirurgie générale ». Depuis 1998 est apparue une compétence en chirurgie
« digestive ». Mais de nombreux chirurgiens « généralistes » effectuent aussi cette activité ce qui
induit une grand imprécision. Le terme actuel qui tend à remplacer l’adjectif « général » (peu gratifiant
sans doute…) est celui de « viscéral », qui tient compte de l’activité digestive mais englobe également
les actes apparentés (chirurgie pelvienne, gynécologique ou sénologique, entre autres).
La chute des vocations… et ses origines
Est-elle réelle cette chute ? L’analyse des statistiques de l’Ordre des Médecins ou de l’Assurance
Maladie ne laisse guère de doute : depuis 1984, l’effectif des chirurgiens viscéraux est passé de 4,47
à 2,85 % de l’ensemble des médecins en activité (libérale ou publique).
Cette chute régulière semble de type « structurel », puisant ses causes dans un bouleversement
profond de la profession. Ainsi, le taux moyen d’évolution annuelle des effectifs en chirurgie viscérale
est en chute de 2 % depuis 1989… Il n’en va pas de même dans les autres spécialités comme on
peut le voir dans le graphique suivant extrapolé d’une étude du DREES de 2001, actualisée en 2007
(http://164.131.244.17/drees/seriestat/seriestat115.htm) :
Effectif en % de spécialistes
14,0
12,0
10,0
8,0
Chirurgie générale
Anesthésie
Radiologie
Medecine du Travail
6,0
4,0
2,0
07
20
99
98
97
00
20
19
19
19
96
94
93
92
91
90
89
88
87
86
85
95
1
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
84
0,0
Ainsi, la proportion de chirurgiens viscéraux passe de 10,4 % en 1984 à 3,9 % en 2007. Il y a de nos
jours plus de radiologues et… de médecins du travail que de chirurgiens viscéraux !
Alors, pourquoi ne veut-on plus être chirurgien en 2008 ? Les raisons que l’on peut avancer sont
hélas ! bien nombreuses.
Ce métier nécessite tout d’abord une formation particulièrement longue, additionnant la formation
médicale commune, les cinq années d’internat et les deux d’assistanat hospitalier, on arrive au
minimum à 13 ans avant de parvenir à une indépendance professionnelle complète, permettant une
installation dans le secteur libéral… La durée de ces études est donc ressentie par le candidat comme
un « investissement » dont légitimement il se sent en droit d’en attendre un « retour » ultérieur.
Cette période de formation est en outre particulièrement prenante : séances de bloc opératoire, cours
et gardes d’urgence occupent assez bien l’emploi du temps…
Ces contraintes étaient, il n’y a pas si longtemps, bien acceptées par les candidats qui se pressaient
nombreux pour le peu de places disponibles : seuls les mieux placés au concours d’internat pouvaient
y prétendre. Ils s’engageaient dans un métier à haute responsabilité, grande respectabilité et forte
rémunération. Telle était la règle.
Or, depuis une vingtaine d’années, on assiste à une dégradation des attraits de ce métier. Les
contraintes initiales sont identiques, mais il s’y ajoute une certaine banalisation du métier dans l’esprit
du public, qui comprend de plus en plus mal que l’acte chirurgical présente certains aléas
inéluctables. Dans le secteur public, l’omniprésence de l’administration a depuis longtemps
« contrôlé » et « dressé » le pouvoir médical. Dans le secteur libéral, on assiste à une augmentation
importante du nombre de procédures judiciaires et à la chute substantielle du pouvoir d’achat.
La règle du jeu a donc changé, et en toute logique, cette profession ne passionne plus. Surtout dans
notre société de loisirs, à l’heure de la loi sur les 35 heures…
C’est ainsi que pour devenir chirurgien (et singulièrement chirurgien viscéral), il n’est plus du tout
nécessaire d’être bien classé au concours d’internat… Les premiers choisissent d’autres spécialités,
moins dépréciées, moins exposées, plus rémunératrices.
Mais qu’en est-il réellement de la rémunération d’un chirurgien viscéral, et surtout de la chute de son
pouvoir d’achat depuis une trentaine d’années ?
Le revenu du chirurgien : méthodes de calcul comparatif et évolutif
Le chirurgien n’est certes pas un « smicard » et dans l’absolu, ne pleure pas sur son sort. Cependant,
si l’on compare son niveau de vie actuel à celui de ses aînés des années soixante-dix, on tombe de
haut ! On va voir que cette chute du pouvoir d’achat est considérable. Nous allons tout d’abord étudier
le « chiffre d’affaires », ou encore gain brut, duquel il faut bien sûr retrancher les « charges » pour
connaître le « bénéfice », qui pourra, lui, être comparé au revenu net d’un salarié.
La totalité de notre démonstration financière utilisera comme monnaie le franc.
Pour les besoins de notre démonstration et pour s’affranchir des aléas des calculs selon les époques,
nous avons inventé un « chirurgien-type », qui aurait pratiqué toujours les mêmes gestes entre 1970
et 2007. Bien sûr, ce chirurgien n’existe pas mais c’est la rémunération de son activité qui nous
intéresse. Voilà la liste des interventions que ce chirurgien aurait pratiquées chaque année :
Nombre d’actes
annuels
Valeur KC
1970 - 1995
Valeur KC
1995 - 2004
Cholécystectomies
70
80
120
Appendicectomies
80
50
70
Hernies inguinales
120
80
80
Colectomies
25
200
200
Grêles, occlusions
20
100
100
Actes
2
Rectums
10
300
300
Proctologie
50
50
50
Gastrectomies
4
200
200
Hystérectomies
6
100
140
Varices
50
80
80
Petite chirurgie
150
30
30
Seins
15
100
100
Cette activité est donc assez importante, représentant 3 600 K par mois. À ces actes, nous avons
affecté les différentes nomenclatures, qui ont varié au cours du temps : un bref historique s’impose.
Les actes sont honorés en fonction de la « nomenclature des actes professionnels » (NGAP), selon
un coefficient, la lettre-clé « K » (« KC » à partir de 1990). Il est instructif de constater que la valeur de
cette lettre-clé, exclusivement chirurgicale, n’a pas suivi — loin s’en faut ! — les indices du coût de la
vie, au contraire des lettres-clés de consultation « C » et dans une moindre mesure, « CS » (données
CNAM), la chute en valeur absolue est de plus de 60 % de sa valeur de 1970 ! :
EVOLUTION DES LETTRES CLES EN FRANCS CONSTANTS
40,00
20,00
0,00
-20,00
Série1
-40,00
Série2
Série3
-60,00
0
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
1989
1988
1987
1986
1985
1984
1983
1982
1981
1980
1979
1978
1977
1976
1975
1974
1973
1972
1971
1970
-80,00
En 1980, le ministre de la santé de l’époque, pour compenser la chute des honoraires chirurgicaux, a
autorisé les chirurgiens, sous certaines conditions, à majorer leurs honoraires qui deviennent
« libres » : c’est l’invention du « secteur 2 ». En contrepartie, l’Assurance Maladie prend en charge
une partie des charges sociales des chirurgiens restés en « secteur 1 », à honoraires conventionnels.
La possibilité de fixer librement leurs honoraires donne une véritable bouffée d’oxygène aux
chirurgiens du secteur 2, la limite étant la solvabilité des patients ! En effet, le supplément d’honoraire
n’est pas remboursé par les caisses et reste du ressort des mutuelles complémentaires. D’où de
nombreuses critiques (notamment de la part des politiques) accusant le système d’instaurer une
médecine « à deux vitesses», ce qui n’est pas complètement faux… En tout état de cause, cette
libéralisation des honoraires ne coûte pas un franc à l’Assurance Maladie : une façon de régler un
problème en faisant payer les autres…
Pour la période 1992 – 1994, l’émergence des actes sous cœlioscopie (cholécystectomies et
appendicectomies pour notre chirurgien-type) ont conduit les praticiens à facturer des ajouts (K 40/2),
3
vivement contestés à l’époque par les CPAM… Mais la valeur de la lettre-clé KC reste vissée à 13,7
Francs.
Une refonte de la nomenclature en 1995 a permis une réévaluation de certains actes mais toujours
sans toucher à la valeur de la lettre-clé KC. Le législateur a de plus accordé des suppléments, intitulés
KFA (pour des actes de valeur < 120 KC) ou KFB (actes > 120 KC) et dont la valeur était
respectivement de 200 FF et 400 FF.
Les « bricolages » continuent en 2004, le législateur se refusant obstinément à réévaluer la lettre-clé
KC. Suite à un large mouvement de contestation, il accorde une nouvelle lettre, « majoration
temporaire de chirurgie » (MTC), d’une valeur de 11,5 %, utilisable pour les actes qui peuvent
prétendre déjà à la cotation KFA/KFB. Le ministre de la santé de l’époque fait alors la promesse de
réévaluer les honoraires des chirurgiens de 25 % lors de la mise en place de la nouvelle
nomenclature, « classification commune des actes médicaux », ou CCAM.
La mise en œuvre de cette CCAM ouvre une nouvelle ère dans la rémunération des chirurgiens. À
chaque acte est maintenant assigné un code et aussi un tarif qui est donc spécifique : c’est très
simple. Simple en apparence seulement, car il est prévu des « modificateurs », de nouvelles lettresclés qui permettent là encore des majorations… Le modificateur « J », dit de majoration transitoire
permet d’augmenter les tarifs de 6,5 %, pour tous les chirurgiens. Le modificateur « K » autorise une
majoration supplémentaire de 11,5 %, mais est réservée aux chirurgiens restés en secteur 1, et à une
nouvelle catégorie, dite de « secteur 2 optionnel » (nous en reparlerons plus loin).
Notre but est donc d’évaluer le chiffre d’affaires obtenu par notre chirurgien-type, en comparant cinq
possibilités de rémunération : secteur 1 conventionnel, secteur 2 avec des taux moyens de
dépassement de 0, 15, 40 et 100 %. Ces cinq revenus seront comparés au chiffre d’affaires réalisé
par le même chirurgien, avec les mêmes actes, en 1970, sur lequel sera appliqué un coefficient
correcteur annuel indexé sur le coût de la vie et publié par l’INSEE. Cet index a été recalculé pour une
base 100 en 1970 (ce qui donne, au passage, un indice 615,13 en 2007).
Résultats : l’évolution des recettes
Cette évolution est résumée dans le graphique suivant : les recettes sont exprimées en % par rapport
à la recette de notre chirurgien de 1970 indexée au coût de la vie. La lecture directe est donc très
facile.
EVOLUTION DES RECETTES RAPPORTÉES À CELLES
DE 1970 INDEXÉES
sect 2 / 0%
60
sect 2 / 15%
sect 2 / 40%
40
sect 2 / 100%
Revenus 1970
indexé
Secteur 1
20
0
-20
-40
-60
1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
4
On voit bien la chute régulière des recettes du secteur 1 qui ont perdu la moitié de leur valeur en
1989… Selon le coût de la vie les recettes fluctuent jusqu’en 1995 où les adaptations de
nomenclature portent leurs fruits (KFA / KFB). Depuis 2004, on assiste à une amélioration plus
sensible, avec le supplément « MTC » (qui profite aussi au secteur 2), et surtout en 2005, la mise en
œuvre de la CCAM qui permet aux recettes en secteur 1 de repasser la barre des – 40 % d’écart.
Néanmoins, le déficit actuel reste très important, de plus d’un tiers en moins, en francs constants par
rapport à ce que seraient ces recettes si elles avaient été indexées au coût de la vie.
Pour ce qui concerne le secteur 2, les recettes sont évidemment fonction du taux moyen de
dépassement d’honoraires. Les effets bénéfiques de la CCAM sont beaucoup moins marqués que
pour le secteur 1, ce qui est normal puisque nos chirurgiens n’ont pas droit au modificateur « K ».
On notera enfin l’effet pervers de la CCAM sur tous les honoraires qui perdent encore 2 % depuis
2005, malgré les timides ajustements en 2007.
Pour obtenir des recettes du même ordre que celles de 1970, il serait nécessaire à notre chirurgien de
prendre un dépassement d’honoraire moyen de 72 %.
Mais les recettes, ou « chiffre d’affaires » ne résument bien sûr pas le pouvoir d’achat ! Il est
nécessaire de lui retrancher les charges obligatoires qui vont très singulièrement modifier ces chiffres.
L’évolution des charges
Nous limiterons notre étude sur les charges à trois catégories : la CARMF (assurance invalidité
retraite des médecins), l’URSSAF (cotisation personnelle pour les allocations familiales et d’assurance
maladie) et la RCP (assurance responsabilité civile professionnelle). Nous allons suivre nos cinq
chirurgiens-type, dont les taux de cotisation sont assez complexes…
La CARMF
Elle comprend les cotisations aux régimes suivants : le régime de base, le régime complémentaire, le
régime de prévoyance, l’ASV (allocation supplémentaire de vieillesse) à partir de 1980 et l’ADR
(allocation de remplacement de revenu) à partir de 1988. Les cotisations à ces régimes peuvent être
forfaitaires, proportionnelles plafonnées ou non, ou encore prises en charge par l’Assurance Maladie.
Et tout cela varie bien sûr selon les époques… Nous nous sommes donc astreint à recalculer les
cotisations historiques de nos différents chirurgiens-types, ce qui donne le tableau suivant :
Evolution des cotisations CARMF
(Source CARMF, valeur absolue, en FF)
160 000
140 000
120 000
Sect 1
Sect 2 / 0%
100 000
Sect 2 / 15%
Sect 2 / 40%
80 000
Sect 2 / 100%
INDEXÉ
60 000
40 000
20 000
07
05
04
03
02
01
06
20
20
20
20
20
20
99
98
97
95
00
20
20
19
19
19
94
93
96
19
19
19
91
90
89
88
87
86
85
84
83
82
81
80
79
78
77
76
75
74
92
5
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
72
71
73
19
19
19
19
19
70
0
On relève la cassure des courbes en 1993, correspondant à l’introduction d’une cotisation
proportionnelle (1,4 % puis actuellement 1,6 %) dans la limite de 5 fois le plafond de la Sécurité
Sociale.
Par rapport à 1970, la cotisation en secteur 1 a été multipliée par 3,9 en francs constants. Concernant
les cotisations retraite, l’évolution démographique de la profession fait craindre une augmentation
dramatique dans les prochaines années…
L’URSSAF
Cet organisme collecte les cotisations obligatoires d’assurance maladie, d’allocations familiales et la
CSG-CRDS. Là encore, les cotisations sont forfaitaires (avant 1974), proportionnelles plafonnées ou
non. À noter en 1991 l’apparition de l’impôt « CSG-CRDS » et un taux de cotisation maladie qui
plafonne à 15,75 %... Les courbes sont profondément modifiées en 1988 lors de l’introduction d’une
part déplafonnée dans la cotisation d’allocation familiale.
Pour rester logique, nous imaginons que nos chirurgiens de secteur 2 ont choisi à partir de 1980
l’option « CANAM » pour leur assurance maladie, dont les taux sont nettement plus avantageux que
ceux de l’URSSAF (0,6 % sur le plafond + 5,9 % sur 5 fois le plafond, au lieu de… 9,8 % non
plafonné!).
Evolution cotisations URSSAF
(Source URSSAF, valeur absolue)
350 000
300 000
Secteur 1
Secteur 2 / 0 %
250 000
Secteur 2 / 15 %
Secteur 2 / 40 %
Secteur 2 / 100 %
200 000
Indexée
150 000
100 000
50 000
04
02
00
98
96
94
92
90
88
86
84
82
80
78
76
74
72
06
20
20
20
20
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
19
70
0
On notera que les cotisations de l’URSSAF pour notre chirurgien-type secteur 1 sont très
sensiblement inférieures en francs constants aux cotisations de 1970, puisque partiellement prises en
charge par l’Assurance Maladie.
La RCP
Les primes de l’assurance en responsabilité civile professionnelle sont effectivement en croissance
rapide. Il est très difficile de trouver des montants de cotisation en remontant jusqu’en 1970 : les
assureurs, au contraire des organismes officiels que sont le CARMF et l’URSSAF, sont privés, labiles,
et parfois même éphémères !
Néanmoins, nous pouvons avancer des chiffres de cotisation en remontant jusqu’à 1983. Pour les
besoins de la cause, les cotisations des années entre 1970 et 1983 sont simplement extrapolées à
l’aide des indices INSEE en prenant comme référence 1983… Qu’on nous pardonne cette liberté.
Il faut noter qu’il existe une certaine concurrence entre les assureurs, et les tarifs mentionnés ici sont
probablement parmi les plus bas du marché… On constate malgré cela, une très rapide croissance de
6
la cotisation à partir de 1995, pour devenir multipliée par six en 2005 par rapport à celle de 1983, en
francs constants !
Evolution des cotisations RCP
70 000
60 000
REELLE
50 000
INDEXEE
40 000
30 000
20 000
10 000
04
06
20
20
00
98
96
02
20
20
19
19
92
90
88
86
84
82
94
19
19
19
19
19
19
19
78
76
74
72
80
19
19
19
19
19
19
70
0
Or, cette croissance n’est pas, comme on pourrait le croire, le fait de la multiplication des procédures
judiciaires, dont le nombre absolu est assez stable depuis les années 2000. Par contre, les indemnités
accordées par les juges en cas de condamnation croît de façon inexplicable. Les assureurs sont donc
contraints d’augmenter dans la même proportion les cotisations… Ou alors décident de jeter l’éponge
et de se retirer de ce marché ! Si rien n’est fait pour enrayer cette spirale infernale, il sera tout
simplement impossible de trouver un assureur qui veuille bien prendre en charge certains chirurgiens.
On notera enfin que la prime d’assurance RCP est forfaitaire, nullement proportionnelle à l’activité
opératoire, au chiffre d’affaires ou au secteur d’activité.
Les autres charges
Beaucoup d’autres charges pèsent sur les revenus des chirurgiens, et sont également en croissance
rapide : salaires (et charges induites) des personnels employés (secrétaires et aide opératoires),
redevances dues aux cliniques, participations aux divers congrès ou centres de formation médicale
continue. Dans notre analyse, dans un soucis de simplification, nous négligerons tous ces derniers
aspects.
De ce fait, notre analyse finale est à prendre comme marginale supérieure, la réalité quotidienne étant
certainement encore moins brillante…
La soustraction finale : le pouvoir d’achat
Le « bénéfice » du chirurgien libéral résulte de la soustraction chiffre d’affaires moins la somme des
charges. Nous retrouvons nos cinq chirurgiens-types et leurs résultats. C’est seulement ce bénéfice
qui peut être rapproché du revenu net d’un travailleur salarié.
Nous avons comparé pour cette démonstration les bénéfices réels de nos 5 chirurgiens à un
« bénéfice idéal », qui serait obtenu par un chirurgien dont les recettes, indexées au coût de la vie,
seraient diminuées des charges de 1970, également indexées au coût de la vie. On obtient le tableau
suivant :
7
EVOLUTION DU BÉNÉFICE RAPPORTÉ AU BÉNÉFICE 1970 INDEXÉ,
CHARGES 1970 INDEXÉES
Sect 1
60
Sect 2 / 0%
Sect 2 / 15%
40
Sect 2 / 40%
Sect 2 / 100%
20
Indexé
0
-20
-40
-60
-80
1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
La lecture de ce tableau donne une assez bonne idée de l’évolution du niveau de vie du chirurgien
digestif depuis 1970. L’écart avec une activité 1970 indexée est largement amplifié puisque les
recettes ont significativement diminué alors que les charges ont franchement augmenté… en francs
constants naturellement.
De 1970 à 1973, la valeur de la lettre clé « K » suit sensiblement l’inflation : le niveau de vie est
stable.
De 1974 à 1980, avant l’heure des honoraires libres, on assiste à une perte de plus de 20 % du
pouvoir d’achat… ce qui débouche sur l’invention du « secteur 2 ». Mais de 1981 à 1994, on assiste à
la poursuite de la chute pour tous les secteurs. En 1994, un chirurgien aux revenus conventionnels
gagne moitié moins qu’en 1970 !
On constate une amélioration en 1995 avec les avancées à la NGAP, et l’apparition des lettres-clés
KFA et KFB. La forte progression de certaines charges (RCP et CARMF notamment) explique la
reprise de la chute du revenu après 1996, qui égale son record en 2004. C’est alors de 52 % que le
pouvoir d’achat de notre chirurgien de secteur 1 a chuté ! On se souvient de la prise de conscience
nationale du problème, des menaces de la profession et des promesses ministérielles de l’époque.
Les mesures prises améliorent quand même un peu la situation, de manière significative pour le
secteur 1, notre chirurgien type gagnant plus de 10 % de pouvoir d’achat.
2005, c’est l’arrivée de la CCAM, mais complètement dénaturée : au lieu d’une redistribution des
ressources selon la pénibilité et le poids des différents spécialités (ce qui aurait conduit à voir certains
spécialistes diminuer significativement leur recettes), il est mis en place un pâle « copier-coller » de la
NGAP, avec des aménagements finalement mineurs. C’est bien ce que démontre nos courbes de
bénéfice qui ne font que stagner pour nos chirurgiens type.
Au final, en 2007, un chirurgien installé en secteur 1 a un pouvoir d’achat de 41 % inférieur à
son aîné de 1970 pour la même activité, c’est à dire pas très loin de la moitié en moins…
Ce qui revient à dire que si un chirurgien de secteur 1 avait l’ambition d’avoir le même niveau de vie
que lui, il serait nécessaire, toutes charges étant égales par ailleurs, de revendiquer une recette
annuelle de 1 590 000 FF ; c'est-à-dire qu’il faudrait que l’Assurance Maladie lui octroie une
augmentation des tarifs conventionnels de + 60 % en moyenne…
De nos jours, si un chirurgien de secteur 2 ambitionne d’avoir les même revenus qu’en 1970, toujours
pour la même activité (et l’on ne voit pas très bien en vertu de quel principe il devrait y renoncer), il lui
serait nécessaire, compte tenu des charges qui évoluent au prorata des recettes, de demander un
dépassement moyen d’honoraires de 90 %.
D’autre part, pour qu’un chirurgien inscrit en secteur 2 effectue le même bénéfice que son collègue de
secteur 1 — une sorte de secteur 2 « minimum» — , il doit prendre au moins un dépassement
8
d’honoraires moyens de + 25 %, compte tenu du mécanisme de calcul des charges. En d’autres
termes, il est inutile de s’installer en secteur 2 si le dépassement moyen pratiqué est inférieur à
25 %.
Encore s’agit-il de dépassement moyen. N’oublions pas qu’un grand nombre de patients n’ont aucun
dépassement à régler : tous ceux qui relèvent de la CMU, les patients aux faibles moyens sans
mutuelle, la plupart des patients opérés en urgence ou en accident de travail et, pour beaucoup de
chirurgiens, les patients porteurs d’un cancer. Par exemple, notre chirurgien de secteur 2 « minimum»
devra en fait prendre 31 % en moyenne s’il n’applique ce dépassement qu’à 80 % de sa clientèle.
Le secteur 2 optionnel et la CCAM
Les mutuelles ou les politiciens démagogues qui estiment qu’un chirurgien ne devrait pas, sous
prétexte de « tact et mesure », facturer des dépassements d’honoraires de plus de 40 %, estiment
donc qu’un chirurgien en 2006 ne « vaut » que les deux tiers de son prédécesseur de 1970…
Singulière dépréciation.
Peut-on imaginer une profession quelconque voir son pouvoir d’achat fondre de moitié en trois
décennies ? Quelles conséquences, grèves, blocages et autres manifestations en résulteraient ?… et
depuis combien de temps ?
Les « rapports » demandés par le ministre de la santé sur l’état de la chirurgie française s’accumulent,
en pointant toujours les mêmes injustices et le même malaise. En 2004, le ministre « avait compris le
message » et proposé des avancées. Outre un déblocage immédiat par augmentation de 11,5 % des
tarifs conventionnels (la fameuse lettre clé « MTC »), il promettait — entre autres — une ouverture du
secteur 2 aux chirurgiens qui le souhaitaient, et une augmentation de 25 % des tarifs lors de la mise
en œuvre de la nouvelle nomenclature CCAM. Qu’en est-il quatre ans plus tard ?
Le secteur 2 est toujours bloqué pour les chirurgiens qui ont fait l’erreur de s’installer en secteur 1 et
qui subissent leur « demi-tarif » imposé…
L’une des mesures prises en 2004 consistait à inventer un mixage des secteurs 1 et 2 sous la forme
d’un « secteur 2 avec option de coordination ». Ce nouveau bricolage, toujours d’actualité, intègre les
hypothèses suivantes :
• Dépassement d’honoraires limités à 15 % en valeur maximum, sur 70 % des patients
maximum (ce qui correspond finalement à un dépassement moyen de 8,05 %).
• Pas de dépassement pour les mineurs de moins de 16 ans.
• Possibilité de coter le modificateur « K », qui majore les honoraires conventionnels de 11,5 %
(comme les praticiens de secteur 1).
• Enfin, prise en charge par l’Assurance Maladie des charges sociales personnelles, comme les
praticiens du secteur 1, mais au prorata des actes effectués au tarif conventionnel.
La polémique n’a jamais cessé entre les chirurgiens qui estiment que ce secteur 2 optionnel ne rend
pas compte des promesses de 2004 (augmentation des recettes de + 25 %) et le ministère de la santé
qui affirme le contraire. Voyons ce qui en est pour notre chirurgien type et si, pour lui, cette option est
intéressante.
A première vue, l’amélioration des recettes est patente. Notre chirurgien type qui a opté pour cette
formule voit ses honoraires augmenter de 21,6 % en 2005 par rapport à 2004. « L’effet CCAM » est
plus mesuré en secteur 1 (+ 13,4 %) et de moins de 4 % en secteur 2.
9
Variation des RECETTES en % depuis 2004
25,00
Sect 1
20,00
Sect 2 opt
Sect 2
15,00
10,00
5,00
0,00
2004
2005
2006
2007
Le problème, c’est que ces chiffres prometteurs sont en grande partie annihilés par l’évolution
croissante des charges et l’absence de toute indexation au coût de la vie. Et ces jolis chiffres se
tassent sensiblement quand il s’agit de considérer les bénéfices et non les recettes…
Variation du BÉNÉFICE en % depuis 2004
25,00
Sect 1
20,00
Sect 2 opt
Sect 2
15,00
10,00
5,00
0,00
2 004
2 005
2 006
2 007
-5,00
Alors, le secteur 2 optionnel, une bonne affaire ? La réponse est très mitigée : pour un chirurgien en
secteur 1, l’amélioration du bénéfice entre 2004 et 2007 est de 17,7 %, et de 21 % pour le secteur 2
optionnel.
Bien entendu, les chirurgiens installés en secteur 2 ne s’y retrouvent pas du tout : l’amélioration est
quasi nulle par rapport à leur bénéfice de 2004… mais qu’on ne s’y trompe pas, ces promesses ne
leur étaient tout simplement pas destinées ! Pour eux, ils ont les honoraires libres : qu’ils se
débrouillent avec et qu’ils ne comptent pas sur les tutelles pour améliorer leur ordinaire. Telle est la
règle.
En valeur absolue, choisir le secteur 2 optionnel c’est obtenir le niveau de vie d’un chirurgien en
secteur 2 qui prendrait 28 % de dépassement moyen… C’est encore bien loin du compte et vraiment
très loin du retard accumulé depuis 1970.
Il existe en outre de nombreux inconvénients. Le praticien cumule les inconvénients du secteur 2
(niveau des charges pour partie, nécessité de « réclamer » des honoraires supplémentaires,
complexité comptable) à ceux du secteur 1 (absence de liberté complète, niveau de rémunération
imposé) et en plus… il doit tenir un état scrupuleux de son taux de dépassement pour ne pas
dépasser la limite de 70 % des patients. Enfin, bien qu’il puisse quitter son secteur optionnel à tout
10
moment, les avantages consentis sont à la merci du bon vouloir du ministère, des ajustements
tarifaires ou des limitations de tous ordres…
Perspectives…
Notre propos était de démontrer le plus scrupuleusement possible que le niveau de vie d’un chirurgien
viscéral libéral se dégrade irrémédiablement depuis une trentaine d’année. Nos chiffres sont aisément
vérifiables.
Cette confirmation mathématique suscite un certain pessimisme quant à cette profession. Nous avons
dit plus haut que la crise des vocations en chirurgie viscérale, libérale en particulier, était motivée par
toutes sortes de raisons.
Il est bien certain qu’à l’heure de la civilisation des loisirs, où tout s’arrête dès le vendredi midi pour
cause de RTT, la pénibilité, les horaires et la « lourdeur » de ce métier font tache…
Malheureusement, dans ce domaine, il n’y a guère de solution : le métier de chirurgien ne sera jamais
à mi-temps !
Se pose bien sûr le problème de l’exposition judiciaire et la sensation de travailler sous une
« pression » de plus en plus importante de la part des patients, et où le moindre faux-pas ou résultat
décevant entraîne ipso facto expertise et procédure judiciaire. Ceci est d’autant plus vrai depuis la
mise en place des procédures gratuites pour les patients dans le cadre du CRCI, destiné à compenser
les aléas thérapeutiques et qui fait un gros succès… La conséquence directe est une fantastique
augmentation des primes d’assurance RCP. Là encore, peu d’amélioration à attendre, à défaut de
limiter et d’encadrer par la loi la valeur des indemnisations prononcées par les juges et qui obèrent
gravement le budget des assureurs (et adaptent leurs cotisations).
Un jeune chirurgien pouvait encore autrefois compter sur une compensation financière de ces
contraintes. Or, voilà que son niveau de vie s’effrite de manière très conséquente. Il est donc
logiquement tenté par d’autres perspectives professionnelles, moins prenantes, moins exposées,
moins tendues, et plus lucratives…
Comment dès lors envisager l’avenir à moyen terme, c’est-à-dire dans les 10 ans qui viennent ?
Le graphe ci-dessous (source DREES) montre l’évolution de l’âge moyen des spécialistes et des
chirurgiens généralistes. On retrouve le décalage entre les deux courbes, lié à la durée des études de
chirurgie, mais surtout le vieillissement général lié à une insuffisance de renouvellement des
générations.
Evolution de l'âge moyen des chirurgiens
et de l'ensemble des spécialistes
50
Chirurgie générale
49
Ensemble des
spécialistes
48
47
46
45
44
43
42
41
11
20
00
19
99
19
97
19
98
19
96
19
94
19
95
19
93
19
92
19
90
19
91
19
89
19
88
19
86
19
87
19
85
19
84
40
Mais ce vieillissement n’est pas homogène au sein des chirurgiens, et la population des chirurgiens
viscéraux est de loin la plus touchée comme le montre le graphe suivant (source DREES) :
Pyramides comparatives des âges
30,0
25,0
20,0
15,0
10,0
5,0
0,0
Chirurgie générale
Urologie
Orthopédie
Urologie
Chirurgie générale
> 70
60-65
65-70
< 30
30-35
35-40
40-45
45-50
50-55
55-60
Orthopédie
Le décalage entre la répartition des âges des chirurgiens viscéraux et celle des urologues et des
orthopédistes est on ne peut plus caricaturale.
Il semble donc nécessaire de rendre le métier de chirurgien viscéral attractif pour les étudiants en
médecine. La revalorisation des revenus est l’un des impératifs — certainement pas le seul. C’est une
façon de compenser les nombreuses contraintes de cette profession qui apporte tout de même une
contribution active de toute première importance à la santé de nos concitoyens. On peut s’interroger –
mais nous entrons là dans le « politiquement incorrect »… — sur la « rentabilité » à ce titre d’autres
spécialités beaucoup plus en vogue…
On l’a vu, pour un chirurgien viscéral avec une bonne activité, réalisant des actes uniques invasifs, la
perte de niveau de vie par rapport au même chirurgien de 1970 est de l’ordre de la moitié.
Naturellement, l’Assurance Maladie est bien incapable de réduire ce déficit. La seule possibilité pour
maintenir sa rémunération dans l’état actuel des choses, consiste donc à majorer ses honoraires dans
le cadre du secteur 2. Encore faut-il le faire avec élégance et efficacité. La pratique du dépassement
d’honoraire entachée d’abus et d’excès scandaleux entretient à l’œil myope de nos ministres une
image de « nantis » que nous ne sommes pas.
Mais, sauf révolution, la pratique du secteur 2 ne peut pas disparaître. Les nouveaux interlocuteurs
sociaux de la profession, comme les Mutuelles, devront bien entendu en tenir compte. Les courbes
que nous avons montrées ne peuvent pas continuer éternellement vers le bas.
Sinon… il faut sincèrement se reposer la seule vraie question : « par qui serez-vous opéré
demain ? »
12