l`interview sur les césariennes de Ann Ceuppens

Transcription

l`interview sur les césariennes de Ann Ceuppens
Débat
Le Débat
Césarienne sans raison médicale : injustifiable ?
L’année dernière, le nombre de césariennes en Belgique a dépassé le cap symbolique des 20%. Cette
augmentation s’accompagne d’une nouvelle tendance : la césarienne à la demande, sans raison médicale. Selon une enquête du Journal du Médecin, 15% des gynécologues répondent favorablement à une
telle demande. Est-ce bien justifié ? Un débat entre Ronny Goethals, chef du département de gynécologie et directeur médical adjoint de l’AZ Maria Middelares à Gand, et Ann Ceuppens, Médecin expert des
Mutualités Libres !
Pourquoi davantage de femmes souhaitentt-elles accoucher par césarienne ?
Ronny Goethals - Ce n’est pas aussi simple. Les
césariennes sont effectivement
plus nombreuses, mais seule
une minorité est réalisée à la
demande de la patiente. Les gynécologues sont de plus en plus
soumis à la pression de mettre
“l’enfant parfait” au monde et
optent dès lors parfois pour une
césarienne. Accoucher par
Ronny Goethals
voie basse ou par césarienne
AZ Maria Middelares Gand
n’est pas une science exacte.
Il y a une zone intermédiaire,
dans laquelle la meilleure option n’est pas toujours
évidente et dans ces cas, les médecins opteront
aujourd’hui plus facilement pour une césarienne.
Il y a toutefois des cas évidents, comme les accouchements par le siège. Dans ce cas, une césarienne
est probablement la meilleure option. Toutefois, si
les médecins n’optent que pour des césariennes,
16
ils n’acquièrent pas suffisamment d’expérience et
d’expertise pour réaliser des accouchements par voie
basse. Cela me préoccupe.
La formation des médecins joue-t-elle un rôle ?
R.G. - Je crains en effet que les médecins qui sont formés actuellement aient plus tendance à pratiquer une
médecine défensive et optent donc plus facilement
pour une césarienne. Ils tomberont ainsi dans une
spirale négative. Si le premier accouchement d’une
femme se fait par césarienne, les suivants aussi. En
un mot, la meilleure manière d’éviter une césarienne
est d’opter pour un accouchement par voie basse la
première fois. Les éventuels deuxième et troisième
accouchements pourront ainsi plus facilement se
faire par voie basse. La clé pour réduire le nombre
de césariennes est donc ce premier accouchement.
Ann Ceuppens - En effet. C’est pourquoi il est essentiel de sensibiliser les futures mamans aux risques
liés à une césarienne sans raison médicale et à
l’importance d’accoucher par voie basse la première
fois. Ce serait déjà un bon pas en avant.
Débat
Quels sont les risques liés à une césarienne ?
R.G. - Il revient en outre également aux centres de
formation et aux hôpitaux universitaires d’accorder
davantage d’attention à l’importance de ce premier
accouchement par voie basse. Si les médecins
pratiquent de plus en plus de césariennes, ils maîtriseront moins les accouchements par voie basse.
Nous serons alors confrontés à un problème de
qualité qui peut constituer une menace pour la santé
publique. Pensons par exemple à une césarienne
pratiquée durant la 32e semaine, alors que l’accouchement aurait encore pu être reporté. Cela alourdit
les soins néonataux. C’est un problème et j’appelle
donc ces établissements à apprendre l’obstétrique de
la manière la plus correcte et objective possible.
A.C. - Une autre manière de sensibiliser les médecins serait la publication des taux de césarienne par
hôpital, par analogie aux indicateurs de qualité. Cette
transparence pourrait entraîner un changement de
comportement des médecins. Informer uniquement
la patiente n’est en effet pas
suffisant. Pour endiguer le
nombre croissant de césariennes, nous devons viser
Si les médecins pratiquent de
une approche plus large.
A.C. - Une césarienne est et reste une opération. Les
risques sont donc plus importants qu’en cas d’accouchement par voie basse. Il est
important de souligner qu’il
y a des risques tant pour la
mère que pour l’enfant. Le
bébé peut ainsi connaître des
complications respiratoires,
très certainement en cas de
césarienne anticipée. Une
césarienne ne doit de préférence pas être réalisée avant
Ann Ceuppens
Mutualités Libres
la 39e semaine de grossesse,
car l’immaturité néonatale et
la morbidité sont plus importantes. Pour les mères,
les risques d’infection et le risque de complications
lors d’une prochaine grossesse sont plus importants.
L’hospitalisation est également plus longue et son
coût est donc plus élevé pour la patiente et l’assurance maladie.
Est-il donc justifié que 15%
des gynécologues
répondent favorablement à
une demande de césarienne, comme l’a révélé
une enquête de l’Association flamande d’obstétrique
et de gynécologie ?
plus en plus de césariennes,
ils maîtriseront moins les
accouchements par voie basse.
Nous serons alors confrontés
à un problème de qualité qui
peut constituer une menace
pour la santé publique.
R.G. - Je peux les comprendre
jusqu’à un certain point. Le
raisonnement de ces médecins est en effet qu’il n’y a
parfois pas suffisamment de
bons arguments pour ne pas
opter pour une césarienne.
Certains médecins subissent en outre parfois la
pression de ne pas “perdre” de patients, car ce n’est
pas bon pour le financement de leur hôpital. Si une
femme souhaite une césarienne et que le médecin
refuse, le risque est en effet grand qu’elle obtienne
ce qu’elle veut ailleurs. Ou imaginons que le médecin
opte pour un accouchement par voie basse malgré la
demande de la femme, que quelque chose se passe
mal et que la femme porte plainte. Ce facteur intervient également.
Comment sensibiliser les médecins et les
futures mamans ?
A.C. - En tant qu’organisme assureur, nous pouvons
très certainement jouer un rôle important dans
l’information sur les risques d’une césarienne sans
raison médicale, tant pour la mère que pour l’enfant.
Sans perdre de vue qu’il y a parfois de réelles indications médicales pour une césarienne et que cette
intervention peut sauver des vies. Nous souhaitons
bien entendu également éviter le scénario inverse, à
savoir des femmes qui refusent une césarienne alors
que la situation l’exige.
Et il y a encore évidemment l’aspect financier…
R.G. - En effet, une césarienne coûte plus cher, tant
pour l’assurance maladie
que pour la patiente. C’est
pourquoi je plaide pour
l’introduction d’un honoraire
d’urgence pour un accouchement par voie basse.
Pour l’instant, l’honoraire
est toujours le même, que ce soit en journée, la nuit,
en semaine ou le week-end. Ce n’est pas logique. Si
l’INAMI créait cet incitant financier, les gynécologues
seraient peut-être encouragés à opter plus rapidement pour un accouchement par voie basse.
A.C. - Une césarienne sans raison médicale est en
effet généralement planifiée et représente donc de
l’argent facile en comparaison avec un accouchement
par voie basse. Dans ce dernier cas, le gynécologue
doit en effet être en stand-by pendant plusieurs
heures, ce qui n’est pas le cas pour une césarienne.
R.G. - Je me rends bien compte que cet honoraire
d’urgence serait peut-être nécessaire pour 50% des
accouchements et engloutirait donc une bonne partie du budget. Il serait toutefois bénéfique à la santé
publique et aura au final des retombées financières.
Le nombre de césariennes en serait réduit et la durée
d’hospitalisation raccourcie.
Propos recueillis par Steven Vervaet
[email protected]
17