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Aux évêques de France
OFC 2016, n° 01
Mia madre,
de Nanni Moretti
Depuis près de trente ans, Nanni Moretti est sans contexte un des meilleurs, sinon le
meilleur cinéaste italien, son dernier film Mia madre ne contredira pas ce jugement.
Dans ses films, il a développé plusieurs thématiques, j’en ai repéré trois : la satire sociale, la vie
familiale et l’engagement politique. Ces thèmes sont toujours déclinés à travers des procédés,
plus précisément un style qui, lui, est commun à chaque œuvre : l’autobiographie et la
délicatesse d’écriture.
Dans Mia madre, ce style est bien entendu présent mais ce dernier film conjoint les trois
thématiques qui sont précédemment privilégiées par tel film ou tel autre ; on est ici devant, en
quelque sorte, un film-somme, mais sans jamais la lourdeur que pourrait laisser entendre un tel
qualificatif.
La dimension intimiste et familiale est sans doute celle qui est la plus évidente – elle fut
récompensée par la palme d’or attribuée en 2001 à La chambre du fils. Ici, une sœur et son
frère accompagnent les dernières semaines de vie de leur mère. La délicatesse de Moretti évite
heureusement le pathos lié à un tel événement. L’engagement politique est exprimé par
l’activité professionnelle de la fille, elle est réalisatrice de film – en quelque sorte un double de
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Moretti – et développe comme sujet de tournage les conséquences pour les ouvriers du rachat
de leur entreprise par un investisseur américain. Quant à la satire, elle est certes exprimée par
l’acteur qui incarne ce patron américain, ici interprété par John Turtorrro, mais aussi par une
multitude de scènes, de répliques, de détails qui placent sur le visage du spectateur davantage
de sourires que de larmes.
Le jeu subtil des acteurs permet d’exprimer toute la tendresse de Moretti pour ses
personnages, ne manquant cependant jamais de souligner leurs limites, leurs défauts, leurs
richesses. C’est cette sœur cinéaste mégalomane et qui le sait, le frère trop parfait, l’ex-mari
dépassé, l’acteur hollywoodien jamais sûr de lui, etc. Voici une belle humanité qui ne biaise pas
avec ses propres failles et recherche simplement l’honnêteté.
Alors que j’allais voir ce film de Moretti avec quelque réserve, je le préfère de beaucoup dans
Journal intime (qui demeure pour moi son meilleur film) que dans La chambre du fils, je
reconnais volontiers son grand art dans Mia madre.
Dans ce monde qui pense que pour dire les choses il faut les affubler de clignotants et de
surtitres, sans parler de cette 3D dont on peine à mesurer les avantages en dehors d’une
image assombrie et d’un mal de tête à l’issue de la séance… et combien de films ne prennentils pas leurs spectateurs pour des esprits faibles incapables de saisir la moindre expression de
second degré, Nanni Moretti fait toujours le pari de la subtilité et de l’intelligence. On comprend
dès lors sa révolte et sa colère face à la vulgarité d’un Berlusconi (Le caïman), dont
heureusement on peinerait à trouver quelque équivalent en France ! Il lui préférera
naturellement un pape qui doute et qui erre dans les rues de Rome (Habemus papam).
Ceci fait évidemment de lui un cinéaste de l’espérance, la mère mourante, qui fut universitaire
et latiniste, l’incarne avec élégance, ainsi que l’exprime la dernière réplique du film : alors qu’on
l’interroge sur ce qui occupe sa pensée, elle répond : « demain ».
Soulignons enfin que lors du festival de Cannes 2015, Nanni Moretti reçut pour Mia madre le
prix du jury œcuménique.
+ Mgr Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
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