Juste un ami ? - Les Éditeurs réunis
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Juste un ami ? Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 1 16-12-22 10:27 Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Wake, Jules [Talk to me. Français] Juste un ami ? Traduction de : Talk to me. ISBN 978-2-89585-512-5 I. Valentin, Laure. II. Titre. III. Titre : Talk to me. Français. PR6123.A33T3414 2017 823’.92 C2016-942148-1 Copyright © 2016, Jules Wake Published in Great Britain by Choc Lit Limited as Talk to Me Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication. Édition LES ÉDITEURS RÉUNIS lesediteursreunis.com Distribution au Canada PROLOGUE prologue.ca Distribution en Europe DILISCO dilisco-diffusion-distribution.fr Suivez Les Éditeurs réunis sur Facebook. Imprimé au Québec (Canada) Dépôt légal : 2017 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale de France Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 2 16-12-22 10:27 Jules Wake Juste un ami ? Traduit de l’anglais par Laure Valentin Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 3 16-12-22 10:27 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 4 16-12-22 10:27 Pour Donna, présente à chaque étape du chemin, ainsi que Tricia et papa, qui y ont toujours cru. Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 5 16-12-22 10:27 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 6 16-12-22 10:27 Prologue Si quelqu’un avait l’air viril même en rose layette, c’était bien Daniel. La robe de chambre en polaire, trop petite de plusieurs tailles, mettait en valeur ses larges épaules et révélait un torse subtilement musclé, moucheté d’une aguicheuse toison de poils blond foncé en forme de V. Son sourire penaud dévoilait une dent ébréchée qui ne manquait jamais de me déstabiliser. —— Bonjour. Il avait prononcé ce mot hésitant d’une voix légèrement enrouée en sortant de la salle de bains. Aussitôt, ces sales traîtresses d’hormones se manifestèrent. —— Salut, répondis-je d’une petite voix haut perchée, avec des manières de Minnie Mouse, rougissant comme une tomate trop mûre. Pourquoi ne pouvais-je pas être détendue, calme et affable en ce fameux matin du lendemain ? Il avait passé la nuit à la maison. Pour la première fois. Rien de plus normal. En soirée, les gens sortaient ensemble, puis ils rentraient chez eux, passaient la nuit les uns chez les autres. Pas de quoi en faire toute une histoire. Devais-je lui proposer le petit déjeuner ? Un café ? Non, il ne buvait pas de café. —— Tu veux une tasse de thé ? J’étais justement… 7 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 7 16-12-22 10:27 J’indiquai la cuisine d’un hochement de tête, les yeux toujours rivés sur les siens. Je regrettais de ne pas m’être rasé les jambes avant la fête de la veille, si seulement je n’avais pas fait la larve paresseuse. —— Merci, Olivia, ce serait super, dit-il avec bien plus d’enthousiasme que n’en méritait une tasse de thé tout à fait ordinaire. J’avais espéré qu’il se retirerait dans le salon pendant la préparation, mais non, il avait fallu qu’il me suive dans le couloir. Tout en m’efforçant de ne pas le regarder, j’entrepris de remplir la théière, de sortir les sachets de thé et les tasses, de lisser les serviettes de table et d’essuyer les plans de travail qui n’en avaient absolument pas besoin. Malgré tout, je ne pus m’empêcher de remarquer que la ceinture de la robe de chambre s’était légèrement dénouée, offrant une vue encore plus dégagée sur son torse. J’en avais la bouche aussi sèche que si chaque goutte d’humidité l’avait désertée. Machinalement, je versai deux cuillérées de sucre dans son thé et le remuai, avant de m’arrêter. L’intimité du moment nous enveloppa dans sa lumière lorsque je lui tendis la tasse. Ses doigts effleurèrent les miens et, à son contact, une étincelle d’électricité remonta le long de mon bras et un élan de nostalgie me submergea. Je penchai la tête et regardai fixement la crasse incrustée dans le lino, qui n’avait pas encore été remplacé. Amis. Nous étions amis. Je pouvais le faire. Il n’était pas obligé de le savoir. —— Merci, Olivia… Sa phrase resta suspendue, inachevée comme s’il prenait soudain conscience de la situation. —— Je devrais peut-être, euh… 8 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 8 16-12-22 10:27 Il jeta un œil dans le couloir par-dessus mon épaule, vers la chambre de ma colocataire. —— … aller voir si Emily en voudrait un. Voilà, il l’avait dit. Son prénom. Ma locataire actuelle, Emily. Mon estomac se tordit en deux comme si un boulet de démolition l’avait percuté de plein fouet. D’ailleurs, les conséquences étaient strictement les mêmes. Des gloussements me parvenaient depuis la chambre d’à côté, que les foutues chansons d’amour du dimanche de Steve Wright ne suffisaient pas à masquer. Ce n’était probablement pas un choix très judicieux ce matin-là, d’autant plus qu’il passait justement la ballade la plus sirupeuse du monde, Without You de Nilsson. Bon sang, mais qu’est-ce qui avait dérapé hier soir ? Toute la semaine, mes hormones avaient dansé la lambada, en pleine ébullition. Daniel et moi nous étions échangé quotidiennement des messages ambigus. J’avais acheté un petit haut moulant irrésistible, que j’avais mis avec mon pantalon noir préféré, celui qui suggérait subtilement que je ne portais aucun sous-vêtement. Tout ça pour rien. J’avais sincèrement cru qu’après toutes ces années d’hésitation, nous étions enfin prêts à franchir le Rubicon. La voix de Nilsson partait dans les aigus. « I can’t liiive, if living is without yooou. Can’t live, I can’t give anymororore. » N’importe quoi. Évidemment qu’on pouvait vivre, il suffisait de s’y faire et surtout de ne pas perdre son temps à s’apitoyer sur son sort en écoutant des chansons mièvres à la radio. Un nouvel éclat de rire traversa la fine cloison et je distinguai le timbre plus grave de Daniel. Puis ce fut le silence. 9 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 9 16-12-22 10:27 Mon imagination débordante me présenta le visage d’Emily, rayonnant et hilare, son rire soudain interrompu par un baiser. Je me dirigeai d’un pas pesant vers le poste pour basculer sur Radio 4, mais je me trompai de fréquence. Super, du cricket. Je levai les yeux au ciel. Voilà qui ne m’était d’aucun secours. Quelqu’un ne pouvait pas être de mon côté pour une fois ? Ne pouvait-on pas m’accorder une journée de répit ? Le cricket aussi avait ses propres connotations. Toutes reliées à Daniel. Peu de gens s’en rendaient compte, mais c’était avant tout mon ami – pourtant, dès l’instant où il avait rencontré mon père et mon frère, Ben, et discuté de sport avec eux comme les hommes savent si bien le faire, ils s’étaient découvert une adoration mutuelle pour le cricket. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Daniel s’était inscrit au club de cricket du village, White Waltham, et il était devenu un élément inamovible dans ma vie, presque un membre de la famille à part entière étant donné que mon cousin, Barney, et mon futur cousin par alliance, Piers, jouaient également dans la même équipe. Je devais sortir de l’appartement. Autant faire enfin ce que je repoussais depuis des lustres et aller voir si je pouvais dégoter la tenue parfaite pour le mariage de ma cousine Lucy, qui approchait à grands pas. Une affreuse pensée me traversa brusquement l’esprit. Seigneur, je vous en prie, faites que Daniel ne propose pas à Emily de l’accompagner au mariage. Non, ça ne durerait pas aussi longtemps. Ce n’était sans doute qu’une histoire sans lendemain. À moins que… ? 10 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 10 16-12-22 10:27 Chapitre 1 Ce discours de mariage, quelle plaie ! Où était passé le fameux : « Je suis hyper nerveux ! Ma femme est magnifique. Merci d’être venus » ? Comme s’il pouvait entendre mes pensées, Daniel leva les yeux au même moment et m’adressa l’un de ses sourires à un million de kilowatts suivi par un clin d’œil discret, alors que le marié se lançait dans une homélie digne du prix Nobel de littérature. Mon cœur effectua son traditionnel saut périlleux médaillé d’or aux Jeux olympiques et je me sentis rougir de la tête aux pieds. Six semaines. Il sortait maintenant avec Emily depuis six longues et interminables semaines et j’avais toujours cette réaction stupide en sa présence. Je lui répondis par un sourire poli et crispé. Je pouvais le faire. Amis, nous étions amis. Nous l’avions toujours été et, je devais l’accepter une bonne fois pour toutes, nous ne serions jamais que cela. Oh, Seigneur, tu n’as qu’à imaginer un mur de brique, des orphelins en train de se noyer, une paëlla garnie de gros morceaux de crevette bien juteux avec des tranches de chorizo… Rien n’y faisait. Comme d’habitude, mon pouls s’emballait, dansait la salsa et me faisait tourner la tête. Puis la chute, la prise de conscience. Je me sentais malade. Encore une fois. Tandis que la main d’Emily se frayait un chemin vers les épaules de Daniel, je reportai mon attention sur Piers, le marié, tout en feignant d’être totalement captivée par 11 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 11 16-12-22 10:27 son récit décousu, qui nous exposait comment il avait trouvé le véritable amour à Neasden en trois minutes chrono. L’histoire ne m’intéressait pas, car Lucy me l’avait déjà racontée, mais si je jetais le moindre coup d’œil vers le couple en face de moi, ma jalousie débridée risquait de provoquer une combustion spontanée. Et voilà, à présent je me sentais mesquine et bornée. Ils étaient heureux. J’aurais dû être heureuse pour eux. Des rires éclatèrent dans la salle. J’avais raté le mot de la fin. Le marié tendit son verre pour un toast et nous nous levâmes. Aussi inconvenant que cela paraisse, je quittai la table en abandonnant mon dessert à moitié grignoté pour me rendre avant la cohue dans les toilettes des dames. Si mes yeux étaient un peu trop brillants, le miroir me rassura, j’avais l’air normale. La jalousie vous infligeait de curieuses tortures à l’intérieur, et j’étais convaincue que tôt ou tard, cela finissait par se voir à l’extérieur. Malheureusement, je ne pouvais pas bouder au petit coin pendant le reste de la soirée. Serrant ma pochette sous le bras, je me mis en quête d’un verre salutaire. Bien sûr, je tombai nez à nez avec ma mère qui m’attendait en patrouillant devant le bar – elle savait que je ne tenais pas très longtemps sans un bon verre de vin. Elle lança un regard triomphant vers ma tante Brenda, éblouissante dans son costume en soie rose fuchsia. —— Eh bien, Olivia, n’est-ce pas formidable ? Lucy a rencontré Piers lors d’un speed dating. —— Oui, maman. Je le savais. Ce n’était pas parce que les mariés s’étaient rencontrés à l’occasion d’un speed dating que le reste du monde devait se prêter à l’exercice. Très honnêtement, je préférais encore 12 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 12 16-12-22 10:27 m’arracher les ongles des pieds avec une paire de tenailles rouillées. Malheureusement, le succès de Lucy avait donné une brillante idée à mon autre cousin, Barney, grand entrepreneur devant l’éternel. —— Tu vois, ça peut marcher. Son regard pétillait, à la fois invitant et implorant. —— Je suis désolée, dis-je sans être désolée le moins du monde. Ce n’est vraiment pas mon truc. Quelqu’un veut boire quelque chose ? —— Tu sais que les speed datings de Barney ne sont ouverts qu’aux célibataires exigeants, intervint tante Brenda, dont les boucles d’un roux flamboyant, rebondissant sous l’enthousiasme de sa fierté maternelle, juraient atrocement avec sa tenue. Il n’accepte pas n’importe qui, tu sais. Uniquement sur invitation. —— Je le sais, Tante Bren. Ça a l’air formidable, mentis-je. Formidablement affreux. —— Je suis certaine que Barney fait un travail exceptionnel, mais… —— Olivia ! Il faut te remettre en selle, s’exclama ma sœur Kate en nous interrompant. Non. La seule chose qu’il me fallait, c’était un bon verre de vin. Et d’abord, d’où sortait Kate ? Bon sang, maman n’avait pas besoin de renforts. Tante Bren et elle s’en sortaient très bien toutes seules. —— Franchement, maman, elle est devenue tellement rasoir ! Aucun sens de l’aventure. 13 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 13 16-12-22 10:27 Parce que sa vie dans un appartement cossu de Darling Harbour à Sydney faisait d’elle un nouveau Ranulph Fiennes ? Pas très pionnier, comme esprit. Certains partaient en Australie avec pour seul bagage un vieux sac à dos qui avait usé ses bretelles au festival de Glastonbury, sans avoir besoin d’un ensemble de valises assorties qui ferait pâlir d’envie Victoria Beckham. —— Ce n’est pas gentil, Kate, dit maman, plus que jamais déterminée à nous traiter sur le même pied d’égalité, avant de se tourner vers moi avec son air je-m’inquiète-pour-toi. C’était devenu un grand classique. Bon, j’avais perdu un peu de poids que je n’avais guère le luxe de perdre, et après ? Cela n’avait absolument rien à voir avec mes amours non partagés – j’avais juste un peu de mal à manger par moments. J’avais pris l’habitude de me cacher dans ma chambre avec un bon livre chaque fois que Daniel était dans les parages, ce qui m’avait fait sauter un certain nombre de repas. Heureusement, il dormait moins souvent chez nous ces derniers temps et je pouvais me rattraper au petit déjeuner. —— Cela dit, ce serait sympa de ta part si tu pouvais aider ton cousin. Maman revenait à la charge, comme ces mouettes qui vous chipaient des frites en bord de mer. —— Ses affaires démarrent à peine. Nous devrions le soutenir. —— C’est un « nous » de majesté ? demandai-je avec une désinvolture affectée. En réalité, je me sentais un peu comme une pauvre frite détrempée, sur le point d’être gobée. Je savais exactement où cette discussion me conduisait. 14 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 14 16-12-22 10:27 —— Alors papa et toi, vous participerez aussi ? —— Ne sois pas ridicule, ma chérie. —— Et toi ? Je me tournai vers Kate avec un petit sourire. Si je devais tomber, alors je l’entraînerais dans ma chute. —— Désolée, ma belle, mais je retourne bientôt au pays des kangourous. Je ne voudrais pas leur donner de faux espoirs… et puis, j’ai Greg. Ah oui, le fameux golden boy, surfeur à ses heures, qu’elle avait rencontré moins d’une semaine après son arrivée en Australie. D’après la description qu’elle en faisait, on devinait qu’ils formaient un couple renversant sur la plage de Bondi, ou dans les endroits que fréquentait la haute société de Sydney. Kate était splendide, elle me faisait penser à un chien de pedigree, un braque de Weimar, toute pimpante, brillante et lisse. Moi ? Je tenais plus du golden retriever : de longues jambes, les yeux marron et d’innombrables boucles blondes – mais avec le regard tout de même un peu plus vif. —— Olivia, reprit tante Brenda. Une jolie fille comme toi. Barney manque cruellement de femmes séduisantes, tu sais. La flagornerie ne la mènerait nulle part, surtout en ce qui concernait Barney, le cousin que j’aimais le moins. —— Il est temps pour toi de te jeter à l’eau, dit Kate sur un ton légèrement inquiet. —— Quoi ? répondis-je. J’avais décidé que mon sourire ne flancherait pas. Je devais brouiller les pistes. 15 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 15 16-12-22 10:27 —— Je me baigne souvent, c’est juste que je n’aime pas nager en eaux profondes. Réponse concise et efficace, même si ces derniers temps mon public avait tendance à se lasser de mes répliques. —— Olivia ! Arrête ça. Tu dois vraiment l’oublier et passer à autre chose. Je lui lançai un regard étonné. Oh, mon Dieu ! Est-ce que Kate était au courant ? Je croyais pourtant avoir assuré, réussi en beauté à cacher mes sentiments : je souriais beaucoup, je riais trop fort et j’évitais surtout de regarder dans une certaine direction. Regardez, les amis, je m’amuse follement. Je ne suis pas du tout amoureuse de Daniel. Pas du tout agacée qu’Emily soit tout le temps pendue à son cou. Pas du tout… en train d’imaginer l’effet que ça me ferait s’il se penchait sur moi et se mettait à mordiller cet endroit entre mon cou et mon oreille… non, non, chasse vite cette image. Le visage de Kate exprimait une curiosité non dissimulée. Oh, zut, ses antennes de sœur étaient mieux accordées que je le craignais. Avait-elle vu clair dans mon jeu ? —— Mike ne te méritait pas… Ouf, perdu. Merci, merci. Mike était une autre erreur, une de plus. On pourrait presque croire que j’en faisais la collection. Il datait du Jurassique pour moi, c’était de l’histoire ancienne. Elle tâtonnait dans le noir, mais je ne comptais pas la mettre sur la piste. Plissant les paupières pour regarder par-dessus son épaule, j’aperçus Daniel en compagnie d’Emily. —— Pourquoi ne pas essayer ? conclut Kate. 16 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 16 16-12-22 10:27 Sa mine sérieuse et grave me donnait envie de la serrer dans mes bras. Elle était si loin du compte. Telle une acheteuse compulsive à qui l’on aurait confisqué ses cartes de crédit, mais incapable de s’éloigner des magasins, je levai une nouvelle fois les yeux derrière Kate. La main d’Emily caressait le dos de Daniel et ses doigts jouaient avec les cheveux blonds sur sa nuque. À force de les voir en permanence l’un avec l’autre, j’aurais pu devenir immunisée, de la même manière que notre corps développe une résistance aux microbes, mais non, chaque fois que je les voyais ensemble, je m’enrhumais de nouveau. J’étais une vraie chiffe molle. Je devais faire quelque chose. Passer à l’action et arrêter de me montrer aussi faible et pathétique. Je me tournai de telle sorte que la tête de Kate vienne les masquer à ma vue. Une thérapie alternative. Un traitement. Voilà ce dont j’avais besoin. La pilule serait sans doute amère, mais ça pouvait fonctionner. —— D’accord. Je ne sais pas qui fut la plus surprise par mon assentiment serein – moi, ma mère ou Kate ? Tante Bren, quant à elle, se contenta de sourire tranquillement. C’était acté. J’avais donné mon feu vert. Un sourire de pure jubilation vint illuminer le visage de Kate. Je souris à mon tour en réprimant un spasme de panique. Je m’étais juste engagée à y aller, rien de plus. De toute façon, elle rentrerait bientôt en Australie. Je pourrais toujours me défiler un peu plus tard. J’étais douée pour inventer des histoires, j’étais ce que l’on appelait un esprit créatif, d’après ces profils professionnels ridicules si chers au management. En cas de besoin, je serais capable 17 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 17 16-12-22 10:27 d’inventer un million d’excuses. Rendez-vous de routine chez le dentiste, cours de tricot, crise d’appendicite… n’importe quoi ferait l’affaire. Malheureusement, c’était sans compter sur le gène de la ruse machiavélique profondément ancré dans l’ADN de Kate. Daniel sentit Emily se blottir contre lui. Douce, tiède. Le décolleté offert à sa vue était engageant. Il passa un bras autour d’elle et baissa les yeux sur ses cheveux blond platine. On ne pouvait nier qu’elle était magnifique, surtout quand elle levait les yeux vers lui en souriant lascivement, d’un regard qui évoquait le sexe. Tendre, simple et très féminine. En jetant un regard circulaire, il aperçut le DJ qui rangeait son matériel avec cette intense concentration qui signifiait : « J’ai terminé mon travail et je rentre chez moi. » La nuit était bien avancée. Même les serveuses s’étaient réveillées de leur torpeur et débarrassaient les verres à une vitesse supersonique. De l’autre côté de la table, Olivia et sa sœur avaient la tête l’une contre l’autre, cheveux blond fauve contre brun brillant. Il plissa les yeux en regardant Olivia porter à ses lèvres son verre de vin à moitié plein. Elle ne semblait pas y mettre beaucoup d’entrain. Elle avait fait contre mauvaise fortune bon cœur pendant toute la soirée. Il éprouvait de la peine pour elle, mais elle l’avait bien cherché. C’était exactement ce pour quoi elle avait signé. Alors qu’elle buvait une autre gorgée, elle leva les yeux et surprit son regard. Elle lui adressa un sourire pincé. Bien mérité, songea-t-il avant de regretter aussitôt sa pensée. C’était méchant et injuste. Personne ne méritait d’être malheureux, mais bon sang, il avait envie de la secouer. Elle s’était fourrée dans un sale pétrin. 18 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 18 16-12-22 10:27 Décidément, il ne comprendrait jamais les femmes, même s’il avait toujours cru déchiffrer Olivia. Directe, sensée, raisonnable. Il fit la grimace. Ces qualificatifs la faisaient passer pour une fille ennuyeuse, ce qu’elle n’était pas. Depuis combien de temps se connaissaient-ils, déjà ? Depuis le second semestre de leur première année de fac. Il avait tellement de souvenirs avec elle. C’était elle, la voix de la raison, lorsqu’ils sortaient et que les dérapages étudiants menaçaient d’aller trop loin. C’était encore elle qui calmait le jeu dans les snack-bars, quand son comportement de jeune coq dépassait les bornes. Et pourtant, elle y était toujours parvenue, avec humour et fermeté, sans se sentir obligée de jouer les déléguées de classe. Daniel savait d’où lui venait son caractère. Dans sa famille, tout le monde avait cette capacité naturelle à diriger sans paraître trop autoritaire. Bon sang, que diraient ses parents s’ils le savaient ? Avec un couple aussi solide que le leur, il était certain qu’ils seraient atterrés s’ils apprenaient que leur fille fréquentait un homme marié. Il avait lui-même du mal à le croire. Il soupira et sentit Emily s’agiter lorsqu’il resserra son étreinte. Il se ressaisit. Ça ne le concernait pas. C’était une adulte, elle agissait en toute connaissance de cause. Emily avait bien fait de l’avertir ce soir-là, à la fête, sinon il se serait couvert de ridicule. On croyait connaître les gens. Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’on ne les connaissait pas toujours aussi bien. Emily lui avait fait jurer de garder le secret, de ne pas dire à Olivia qu’il était au courant. Maintenant, il le regrettait. D’un côté, il avait envie de lui rappeler le chaos que sa famille avait traversé quand sa propre mère avait eu une liaison, mais d’un autre côté, il 19 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 19 16-12-22 10:27 avait envie de la secouer comme un prunier, car il savait qu’elle en était parfaitement consciente. Et il le vivait comme une trahison. Il remua la tête en essayant de chasser cette sensation de vide. Olivia devait être sacrément amoureuse de ce type. Daniel grinça des dents en songeant au fiasco qu’il avait évité de peu. La main d’Emily caressa sa mâchoire crispée, avant de se poser sur sa cuisse. Il avait sa petite idée sur la destination qu’elle prenait. Simple et direct, c’était exactement ce qu’il lui fallait. Il n’avait pas la moindre envie de rester assis là, à ruminer le passé et à se demander à quoi diable jouait Olivia. La main d’Emily remonta doucement et ses doigts effleurèrent la ceinture de son pantalon. Lorsqu’il baissa les yeux, la belle haussa les sourcils d’un air suggestif et ses lèvres rebondies se retroussèrent comme pour l’inviter. Il pencha la tête et l’embrassa. Oui, Olivia avait fait son choix, et cela ne le concernait nullement. 20 Juste_un_ami_MEP_FINAL.indd 20 16-12-22 10:27