EINSTEIN ET LA SCIENCE DU LANGAGE
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EINSTEIN ET LA SCIENCE DU LANGAGE
EINSTEIN ET LA SCIENCE DU LANGAGE Roman Jakobson Gallimard | Le Débat 1982/3 - n° 20 pages 131 à 142 ISSN 0246-2346 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-debat-1982-3-page-131.htm Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jakobson Roman , « Einstein et la science du langage » , Le Débat, 1982/3 n° 20, p. 131-142. DOI : 10.3917/deba.020.0131 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard. © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. 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On peut ajouter que, pour Einstein lui-même, le langage, de ses rudiments aux différentes étapes de son développement, était devenu un thème préféré d’intense raisonnement métalinguistique, en particulier au cours de la partie américaine de sa vie, celle où il s’est le plus tourné vers le passé. La grande attention que le savant a consacrée à ces questions et son don saisissant pour témoigner avec profondeur et éloquence sur les différents thèmes de ce domaine sont à comparer avec les informations que nous donnent ses biographes sur l’enfance d’Einstein. C’est ainsi, par exemple, que les lignes que le livre très instructif de Philipp Frank consacre au « petit Albert » affirment ceci : « En réalité, il a mis très longtemps à apprendre à parler et ses parents commençaient à craindre qu’il ne fût anormal. L’enfant a finalement commencé à parler, mais il est toujours resté taciturne... » Même à neuf ans, dans la dernière classe de l’école élémentaire, « il continuait à manquer de facilité de parole et tout ce qu’il disait n’était exprimé qu’après mûre considération et réflexion »2. Un certain nombre de ses biographes ont commenté le fait qu’Einstein a été incapable de parler ou a montré de la répugnance à le faire jusqu’à trois ans, et la difficulté qu’il a eue toute sa vie à apprendre et à maîtriser les langues étrangères. En outre, Gerald Holton a publié pour la première fois une assertion de Maja, la sœur d’Einstein, qui écrit que, dans son enfance, l’acquisition de la parole « s’est faite lentement, et que la langue parlée lui est venue avec une telle difficulté que son entourage avait peur qu’il n’apprît jamais à parler »3. L’éminent mathématicien Jacques Hadamard – qui était à cette époque le doyen pour les sciences de l’École libre des Hautes Études créée à New York par des réfugiés français, et professeur invité dans 1. Publiée dans Advancement of Science 2, n° 5 (1941), pp.109-110. 2. P. Frank, Einstein : His Life and Times, traduit [en anglais] par George Rosen, édité et revu par Shuichi Kusaka, New York, Alfred A. Knopf, 1947, pp. 8, 10. [Traduction française par A. Georges, Einstein, sa vie, son temps, Paris, Albin Michel, 1950.] 3. G. Holton, Thematic Origins of Scientific Thought : Kepler to Einstein, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1973, p. 367. Les deux derniers livres de Roman Jakobson en français, aux Éditions de Minuit : Six leçons sur le son et le sens (1976) et La Charpente phonique du langage (1980). Cet article est paru en mai 1982 dans le n° 20 du Débat (pp. 131 à 142). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard Einstein et la science du langage 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 2 2 L’humain dans l’homme Roman Jakobson Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard Au moment même où il envoyait son livre à l’imprimeur, Hadamard reçut, comme il le dit dans une note, « une lettre du professeur Einstein... contenant des informations d’un intérêt capital » ; il ajouta ce témoignage tardif au volume sous la forme du deuxième Appendice. Nous soumîmes l’un et l’autre à un examen serré les réponses « circonstanciées et approfondies » du message d’Einstein et confrontâmes son introspection à l’aperçu linguistique dont je viens de parler. Einstein décrit le caractère intime et presque sans mots de son processus de création en répondant aux questions sur ces espèces de signes qui apparaissent dans son esprit quand il est absorbé dans des découvertes scientifiques : « Les mots et le langage écrits ou parlés ne semblent pas jouer le moindre rôle dans le mécanisme de ma pensée. » Le psychologue Max Wertheimer raconte qu’il avait l’habitude de passer des heures seul avec Einstein tandis que celui-ci lui racontait « l’histoire du développement spectaculaire qui a culminé dans la théorie de la relativité ». Einstein affirmait (des dizaines d’années avant sa lettre à Hadamard !) que, sur ce thème, ses pensées ne lui venaient pas dans une quelconque formulation verbale : « Je pense très rarement en mots. Une pensée vient, et je peux essayer de l’exprimer en mots après coup. » Il riait de la conviction de certaines personnes, qui croient qu’« elles pensent toujours en mots »5. Il est évident que l’évolution de la pensée d’Einstein avait pris les devants sur la consolidation de son langage. Comme en témoigne Einstein dans la lettre jointe au livre d’Hadamard, « certains signes ou des images plus ou moins claires » (les italiques sont de moi), les deux sortes d’« entités psychiques qui semblent servir d’éléments à la pensée », peuvent – déjà dans cette période préverbale – être délibérément réitérés et réordonnés, et devenir ainsi un répertoire personnel de dispositifs significatifs. La question de la reproduction et de la recombinaison conjointes indique que l’identification et le réarrangement de composantes, ou, en d’autres termes, les idées complémentaires entre elles d’invariance et de variabilité 4. J. Hadamard, An Essay on the Psychology of Invention in the Mathematical Field, Princeton, N. J., Princeton University Press, 1945, pp. 96-97. [Traduction française par Jacqueline Hadamard : Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique, Paris, Gauthier-Villars, 1975. Dans la version française, la contribution de Roman Jakobson se trouve p. 93 ; la lettre d’Einstein est incorporée au texte et commentée pp. 82-83 (N.d.T.).] 5. M. Wertheimer, Productive Thinking, New York, Harper, 1959, pp. 213-228. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard plusieurs universités américaines – a fait une enquête sur le processus de l’invention mathématique ; il s’agit d’une recherche qu’il avait commencée à Paris et qu’il a poursuivie en 1943-1944, en relation avec toute une série de conférences qu’il a données à l’École libre. Son travail systématique sur ce sujet aboutit à un livre, publié en 1945. À différentes occasions, il prit contact avec moi pour discuter de problèmes rattachant ce projet séduisant à la science des signes verbaux et des autres signes. Suivant la proposition d’Hadamard, je rédigeai ma conception linguistique, alors succincte, de ce problème embarrassant : les réflexions sans mots. Il l’inséra dans son étude : Les signes sont un soutien nécessaire de la pensée. Pour la pensée socialisée (stade de la communication) et pour la pensée en train de se socialiser (stade de la formulation), le système de signes le plus courant est le langage proprement dit ; mais la pensée intérieure, surtout quand elle est créatrice, use volontiers d’autres systèmes de signes qui sont plus souples, moins standardisés que le langage et qui laissent davantage de liberté, de dynamisme à la pensée créatrice... Parmi tous ces signes ou symboles, il faut distinguer entre des signes conventionnels, empruntés aux conventions sociales, d’une part, et, d’autre part, des signes personnels qui, à leur tour, peuvent se subdiviser en signes constants, appartenant aux habitudes générales, au schéma individuel de la personne considérée et en signes épisodiques créés ad hoc et qui ne participent qu’à un seul acte créateur4. 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 3 3 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard contextuelle, sont une véritable obsession pour Einstein, en ce qui concerne un stade prélinguistique, sémiotique au niveau de l’individu. Pour lui, comme le dit son « Témoignage », il est évident que le « désir de parvenir finalement à des concepts logiquement liés est la base émotionnelle de ce jeu assez vague sur les éléments dont j’ai parlé ». Trois facteurs subjectifs : désir, émotion et « intuition pure », sous-tendent la conception que se fait Einstein de la pensée créatrice en tant que jeu sélectif, assertif et combinatoire. Ses allusions répétées à « ce jeu assez vague » sont en relation avec la profession de foi* qu’il proclame à la fin de ce même témoignage : « Ce que vous appelez pleine conscience est un cas limite qui ne se réalise jamais complètement. » Trait totalement symptomatique de la mentalité d’Einstein et du souvenir qu’il a gardé de la lutte prolongée menée dans son enfance contre le langage hors d’atteinte : dans ses réponses aux questions pénétrantes d’Hadamard et de Wertheimer, et la recherche laborieuse de « mots conventionnels » et l’intervention de ceux-ci dans le « jeu d’association » sont renvoyées – que ce soit par mauvaise volonté ou par incapacité – à un stade évidemment plus tardif, « après coup », à une phase « secondaire » visant un système « assez bien établi » de mots standardisés et de constructions régulières, c’est-à-dire de mots et de constructions qui soient capables d’être reproduits à volonté et, surtout, « communiqués aux autres ». Quand Einstein témoigne que « dans un stade où les mots interviennent le moins du monde, ils sont », dans son cas, passifs, c’est-à-dire « purement auditifs », cela correspond entièrement à la perception correcte par l’enfant de la parole de son entourage couplée avec la production encore défectueuse de ses propres énonciations. On trouve un témoignage semblable dans les « Conversations avec Albert Einstein » que rapporte le physicien R. S. Shankland : « Quand je lis, j’entends les mots. Il m’est difficile d’écrire, et je communique très mal de cette manière6. » Il est remarquable que dans le cas d’Einstein, élucidé par Hadamard, les éléments primordiaux de la pensée habituelle, « avant que les mots n’interviennent », semblent être plutôt de type visuel ainsi que musculaire, apparemment gestuel. Dans ses « Notes autobiographiques », Einstein trace une nette ligne de démarcation entre la pensée personnelle et la communication interpersonnelle7. Dans ce dernier processus, les systèmes conceptuels deviennent « communicables » au moyen de la verbalisation et de règles syntaxiques, alors que le processus de la pensée par lui-même crée ce qu’il appelle « un libre jeu avec les concepts », qui peut même se développer en grande partie sans utiliser de signes connaissables par les sens et reproductibles, et, au-delà de cela, peut se développer « dans une grande mesure inconsciemment ». Comme Einstein l’avait dit une dizaine d’années plus tôt, il n’est que de fixer un ensemble de règles, comparables aux règles arbitraires d’un jeu, et dont seule la rigidité rend le jeu possible, alors qu’« elles ne seront jamais définitivement fixées »8. La relation entre les « concepts qui apparaissent dans notre pensée et dans nos expressions linguistiques » est traitée de deux manières disparates dans les écrits d’Einstein. Dans ses « Remarks on Bertrand Russell’s Theory of Knowledge », il insiste sur le fait qu’il est impossible que les « créations libres de la pensée », qu’elles soient conceptuelles ou verbales, soient obtenues à partir d’expériences sensorielles : « Nous ne prenons pas conscience du gouffre – logiquement infranchissable – qui sépare le monde des expériences * En français dans le texte (N.d.T.). 6. In American Journal of Physics, 31 (1963), p. 50. 7. A. Einstein, « Autobiographical Notes », trad. [en anglais] par P. A. Schilpp, in Shilpp éd., Albert Einstein : Philosopher Scientist, Evanston, Ill., Library of Living Philosophers, 1949. 8. A. Einstein, « Physics and Reality », trad. [en anglais] par J. Piccard, Journal of the Franklin Institute, 221 (1936), pp. 249-382. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard L’humain dans l’homme Roman Jakobson 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 4 4 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard sensorielles du monde des concepts et des propositions »9, en bref les données empiriques brutes de la théorie de la science. D’autre part, Einstein s’en est pris à de nombreuses reprises au langage, parce qu’il nous oblige à travailler avec des mots qui sont inopportunément liés à des notions préscientifiques et inadaptées et qu’il transforme notre instrument conventionnel de raisonnement « en une dangereuse source d’erreur et de duperie ». Par exemple, l’équivalence essentielle de deux concepts est facilement cachée quand on se sert de termes impropres qui les disjoignent. En ce qui concerne l’inclination personnelle et primordiale d’Einstein à attribuer à l’acte de penser une indépendance complète à l’égard du langage, son propre témoignage montre à l’évidence que des aspirations émotionnelles ne sont pas seulement à l’œuvre pour guider sa pensée inventive dans son rôle de philosophehomme de science, mais que celles-ci sous-tendent aussi – quand il s’agit d’événements tragiques comme ceux de la Seconde Guerre mondiale – ses « efforts passionnés pour comprendre clairement » l’humanité et pour atteindre des « vérités générales » supranationales. À ces moments-là, les « mots du langage » apparaissent soudain dans l’arrière-plan. Einstein conclut ainsi l’allocution radiodiffusée de 1941 que nous avons citée plus haut : « Le développement mental de l’individu et sa manière de former des concepts sont, dans une grande mesure, fonction du langage » et du « guidage verbal de son entourage ». Pourtant, l’inventeur insiste encore sur le fait que les concepts scientifiques « ont été établis par les meilleurs cerveaux de tous les pays et de tous les temps » et, naturellement – il n’oublie pas de l’ajouter – cela se fait dans la solitude du processus créateur. Mais, cette fois-ci, il prend aussi en compte l’« effort de coopération pour le résultat final », un effort commun qui, « à la longue », peut surmonter la « confusion des objectifs » contemporaine. En dehors de la familiarité intime, on pourrait presque dire innée, d’Einstein avec les questions fondamentales que pose la place attribuée au langage dans l’esprit humain, le physicien était attaché par de profonds liens spirituels à un remarquable précurseur de la linguistique moderne, l’érudit suisse Jost Winteler (1846-1929). La thèse de Winteler, publiée en 1876, montre une nouveauté et une acuité méthodologiques provocantes dans sa manière d’aborder le système phonologique des langues, avec sa distinction fondamentale entre « traits accidentels » (variations) et « propriétés essentielles » (invariants)10. Mais les principes théoriques de l’auteur ne rencontrèrent qu’une méfiance partiale chez les bureaucrates universitaires. Le courageux chercheur fut ainsi condamné à sacrifier ses plans scientifiques à longue portée et à accepter pour toute sa vie le morne sort d’un professeur, d’abord actif mais retraité de bonne heure. En 1895, Albert Einstein, encore adolescent, après avoir échoué à l’examen d’entrée à l’École polytechnique fédérale de Zurich, prit refuge pendant un an à l’école cantonale d’Aarau et fut là l’élève, le pensionnaire et le jeune ami de Jost Winteler, qui devait par la suite devenir aussi le beau-père de la sœur d’Albert, Maja. À bon nombre d’indices, on voit que ce séjour se révéla bénéfique pour Einstein. Ainsi, Miss Helen Dukas a eu la gentillesse de nous fournir une citation des courts mémoires biographiques écrits par Maja Winteler en 1924 : 9. A. Einstein, « Remarks on Bertrand Russell’s Theory of Knowledge », trad. [en anglais] par P. A. Schilpp, in Schilpp, éd., The Philosophy of Bertrand Russell, Evanston, Ill., library of Living Philosophers, 1946, pp. 277-291, en particulier p. 287. 10. Jost Winleler, Die Kerenzer Mundart des Kantons Glarus, in ihren Grundzügen dargestellt, Leipzig et Heidelberg, 1876. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard L’humain dans l’homme Roman Jakobson 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 5 5 L’humain dans l’homme Roman Jakobson Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard Le jeune étudiant et l’homme plus âgé portaient évidemment le même regard sur les questions politiques. Le professeur Elmar Holenstein de l’université de la Ruhr à Bochum, dans son étude d’ensemble « Albert Einsteins Hausvater in Aarau : Der Linguist Jost Winteler »11, mentionne une lettre inédite écrite en 1901 par Einstein à Winteler qui condamne l’« adoration des autorités » (Authoritätendusel) des Allemands comme étant « le principal ennemi de la vérité ». Un mois avant sa mort, Einstein louait encore ses professeurs d’Aarau, « qui ne se fondaient sur aucune autorité extérieure ». Les conversations quotidiennes entre ce précepteur à l’esprit si clair et cet adolescent sensible firent probablement découvrir à ce dernier le principe essentiel de la thèse de Winteler, et le terme utilisé pour le désigner, la « relativité des situations » (Relativität der Verhältnisse)12, ainsi que la relation indissoluble entre les concepts de relativité et d’invariance sur lesquels repose la théorie linguistique de Winteler, et entre lesquels Einstein a hésité un moment pour nommer sa découverte fondamentale. Parmi les sources inédites de Holenstein, l’une est tout particulièrement intéressante : il s’agit de la lettre écrite le 10 avril 1942 au directeur de la Bibliothèque nationale suisse à propos du professeur d’Aarau Jost Winteler, par l’un des fils de ce dernier, le docteur Jost Fridolin Winteler ; celui-ci cherche à démontrer que le souvenir des relations entre le maître et l’élève et l’appréciation du jugement clair et perspicace du maître sont restés durables : Vom ihm habe ich auch erstmalig Ausführungen über Relativität gehört, die dann Einstein, der die Kantonschule in Aarau besuchte, da die Matura bestand und bei uns wohnte, mathematisch entwickelt hat (1895-1896). C’est lui [le père de Jost Fridolin] qui m’a parlé pour la première fois des principes de la relativité développés mathématiquement par Einstein (1895-1896), qui avait fréquenté l’école cantonale et passé sa maturité à Aarau et qui avait pris pension chez nous. Einstein le reconnaît lui-même, le « germe de la théorie de la relativité restreinte » était déjà contenu dans ces réflexions paradoxales (Gedankenexperiment) qui l’inspirèrent tout au long de l’année scolaire passée à Aarau et qui lui parurent « intuitivement claires »13. Le style emphatique de Winteler frappe celui qui lit la préface de sa thèse de doctorat : Dans son essence, mon travail s’adresse uniquement à ceux qui sont capables de saisir la forme verbale comme cette révélation de l’esprit humain qui se trouve avec l’esprit lui-même dans des rapports bien plus intimes et plus complets que ne le sont les produits, même les meilleurs, d’une littérature plus achevée. Ceux à qui s’adresse mon travail doivent donc concevoir l’étude des pouvoirs latents qui déterminent le mouvement continuel de la forme verbale comme une tâche qui le dispute en intérêt et en pertinence à tous les autres domaines de la science14. 11. In Schweizer Monatshefte 59 (mars 1979), pp. 221-233. 12. Winteler, Die Kerenzer Mundart, p. 27. 13. « Autobiographical Notes », p. 53. 14. Winteler, Die Keremer Mundart, p. VIII. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard Dans la famille d’un professeur à l’école d’Aarau qui était un érudit dans le domaine historicolinguistique, [Einstein] fut accepté avec sympathie et se sentit donc immédiatement chez lui... C’est ainsi que la période passée à Aarau prit de bien des façons de l’importance pour lui, et fut l’une des meilleures de toute sa vie. 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 6 6 L’humain dans l’homme Roman Jakobson Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard Nous avons examiné les idées d’Einstein sur le langage à la lumière de ses attitudes divergentes vis-à-vis de la cognition, d’une part, et vis-à-vis de la communication de l’autre. Nous avons aussi abordé la question de la familiarité entre Einstein, jeune homme, et un éminent pionnier de la linguistique de cette époque. Passons maintenant à la question des inspirations einsteiniennes que reflètent les théories linguistique contemporaines, ou, du moins, aux analogies entre les tendances de la physique et de la linguistique modernes. Malgré la diversité des idéologies relativistes dans les différentes provinces des activités artistiques et savantes, il est hors de doute que leurs principaux slogans, dispositifs et résultats présentent un dénominateur commun. Voici ce que j’ai écrit il y a près de vingt ans pour tenter de décrire les combats qui, à l’échelle internationale, ont animé notre génération : Ceux d’entre nous qui s’occupaient du langage apprirent à appliquer le principe de la relativité aux opérations linguistiques ; nous étions normalement attirés dans cette direction par le développement spectaculaire de la physique moderne et par la théorie et la pratique du cubisme en peinture, où tout est fondé sur la relation et l’interaction entre les parties et les totalités, entre la couleur et la forme, entre la représentation et le représenté. Braque déclarait : « Je ne crois pas aux choses, je ne crois qu’à leurs relations.17 » 15. A. Einstein, « Principles of Research », in Einstein, Ideas and Opinions (fondé sur Mein Weltbild, éd. Carl Seelig), retraduit et revu par Sonja Bargmann, New York, Crown Publishers, Inc., 1954, pp. 224-227. [Comment je vois le monde, nouvelle éd. revue et augmentée, trad. de l’allemand par M. Solovine, Paris, Flammarion, 1958.] 16. Albert Einstein et Michele Besso, Correspondance 1903-1955, traduction, introduction et notes par P. Speziali, Paris, Hermann, 1972, p. 309. [Nous reproduisons ici la traduction française de P. Speziali (N.d.T.).] 17. Ces lignes ont été écrites au seuil des années soixante pour conclure mon livre Selected Writings, La Haye, Mouton, 1962, vol. I, p. 632. [Elles ont été traduites en français par P. Hirschbuhler dans R. Jakobson, Essais de linguistique générale II. Rapports internes et externes du langage, Paris, Éditions de Minuit, 1973, p. 133. C’est cette traduction que nous reproduisons ici (N.d.T.).] Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard Ce passage semble être en totale affinité avec les expressions ferventes qu’emploie Einstein dans son allocution prononcée en 1918 en l’honneur de Max Planck : « La tâche suprême du physicien est d’arriver à ces lois élémentaires universelles à partir desquelles on peut construire le cosmos par déduction pure. Il n’y a aucun chemin logique qui conduise à ces lois, seule l’intuition, s’appuyant sur la compréhension sympathique de l’expérience, peut les atteindre15. » Son disciple d’Aarau a toujours conservé un souvenir exalté de l’« esprit clairvoyant » de Winteler. Parmi toutes les précieuses lettres qu’Albert Einstein et Michele Besso, ces deux amis de toujours, ont échangées entre 1903 et 195516, on rencontre un message désarçonnant envoyé de Princeton à Berne le 16 février 1936, avec des images fiévreuses comme : « le lutin mathématique me harcèle sans cesse », « les affaires humaines sont moins que réjouissantes » et « die Narren in Deutschland » (des fous qui se trouvent en Allemagne). Ce message dramatique comporte une référence capitale à « l’esprit prophétique du professeur Winteler, qui avait reconnu si tôt et si complètement le danger imminent ». La lettre se conclut de manière abrupte sur des mots d’espoir : l’autarcie transitoire de la physique statistique sera en fin de compte surmontée par l’esprit spéculatif universel. 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 7 7 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard En dépit des formes quelque peu différentes que la notion d’« affinités fondamentales » a prises dans les arts et les sciences, la prédominance de la recherche des rapports sur celle des faits en relation rattache le noyau topologique de l’art de ce siècle et la science d’Einstein. Quelque aliénation personnelle que l’homme de science puisse ressentir en face de certaines formes d’innovation artistique, on ne peut pas négliger des témoignages éloquents de solidarité tels que les professions de foi des grands inventeurs modernes de l’art, par exemple la déclaration faite par Piet Mondrian en 1920 et publiée dans Néo-plasticisme (Paris) : « Les plans colorés, tant par position et dimension que par la valorisation de la couleur n’expriment plastiquement que des rapports et non des formes. » Quand je me remémore, quand je relis les différentes choses qui montrent que les avant-gardes artistique, littéraire et scientifique des années vingt et trente à Moscou étaient étroitement entrelacées, je me rends compte combien la connaissance fascinée qu’elles avaient des écrits d’Einstein et de ses partisans a été importante et féconde. Et le Cercle linguistique de Moscou, jeune association expérimentale qui s’efforçait de trouver une théorie rénovée du langage et de la poésie, et le rameau historiquement plus tardif de cette même tendance, ce qu’on a appelé l’École structurale de Prague, se sont explicitement référés aux tentatives méthodologiques faites par Einstein pour mettre en relation les problèmes centraux de la relativité et de l’invariance. Un des exemples qui illustrent cette relation proclamée est le Projet de terminologie normalisée, préparé et publié par le Cercle linguistique de Prague pour la Conférence de phonologie de 193018. Dans la liste des «notions fondamentales », la première place appartient à l’opposition phonologique et cette entrée est suivie par une référence aux éléments opposés eux-mêmes, appelés unités phonologiques. Cette hiérarchie architectonique s’est encore rapprochée du « nouveau point de vue physique » du fait que l’analyse structurale de l’univers verbal a remplacé l’ancienne approche mécanique. Dans la « Théorie de la relativité d’Einstein », telle que la conçoit le philosophe Ernst Cassirer, « il n’existe que l’unité de certaines relations fonctionnelles, qui sont désignées de manière différente selon le système de références dans lequel nous les exprimons »19. Deux des linguistes américains les plus originaux, Edward Sapir (1884-1939) et Benjamin Lee Whorf (1897-1941), ont essayé d’évaluer la relativité de la forme de pensée et Sapir se réfère directement à la « relativité physique d’Einstein »20 : c’est un autre exemple significatif d’une initiative linguistique audacieuse qui a abordé à dessein le cadre conceptuel d’Einstein et la question directe, quoique restrictive, qu’Einstein a posée dans son allocution radiodiffusée de 1941 : « dans quelle mesure le même langage signifie-t-il la même mentalité ». Tout impact implique nécessairement des similarités, mais aussi des clivages d’opinion fort instructifs. Peut-être les concordances les plus parlantes entre l’innovation en physique et l’innovation en linguistique contemporaine sont-elles ces coïncidences qui semblent dues à une évolution purement indépendante et convergente. Ce genre de correspondances latentes révèle que ces sciences différentes suivent des cours qui sont dans une grande mesure parallèles. Et l’exigence d’Einstein, qui demande au physicien théoricien de s’efforcer d’atteindre le plus haut niveau possible de précision rigoureuse dans sa description des relations pures (comme dans son discours prononcé en 1918 pour le soixantième anniversaire de Max Planck, que nous avons cité plus haut), et le pendant exact de cette exigence, qui est de procéder à une investigation toujours plus stricte dans le monde physique considéré comme un réseau de composantes reliées entre elles – ces deux exigences correspondent éloquemment aux tâches de la linguistique de pointe. Lorsqu’on 18. In Travaux du cercle linguistique de Prague 4 (1931), pp. 309323, en particulier p. 311. 19. E. Cassirer, Substance and Function and Einstein’s Theory of Relalivity, New York, Dover, 1923, p. 398. 20. E. Sapir, Selected Writings, Berkeley, University of California Press, 1949, p. 159. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard L’humain dans l’homme Roman Jakobson 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 8 8 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard compare attentivement les concepts fondamentaux de la physique relativiste et les constituants du langage tels que la linguistique contemporaine les analyse et les définit, on découvre un isomorphisme frappant dont il est facile de trouver des exemples aux différents niveaux de la structure verbale. Un petit nombre d’exemples phonologiques très répandus suffiront à montrer que le problème est général. Les traits distinctifs qui remplissent la principale fonction des sons du langage sont, comme les appellerait Einstein, des idées rigoureusement relationnelles, connues intuitivement comme des oppositions binaires. C’est ainsi, par exemple, que dans les systèmes consonantiques qui font un usage sémantiquement discriminatoire du trait dit « bémol », les consonnes bémolisées sont phénoménologiquement équivalentes ; dans notre perception, la principale chose qui les distingue, c’est un abaissement particulier de leur formant inférieur. Dans différentes langues, nous observons certaines différences dans les modalités sensi-motrices de ce processus. Par exemple, on peut obtenir un effet auditif assez semblable par la labialisation et par la pharyngalisation, ou, en d’autres termes, en rétrécissant soit l’extrémité antérieure, soit l’extrémité postérieure de la cavité buccale. Mais, puisque la différence entre ces deux cas particuliers n’est jamais utilisée à des fins sémantiquement discriminatoires, le dénominateur commun l’emporte sur la différence (ainsi que sur quelques autres modalités tout aussi superficielles). La typologie des langues pose l’invariance structurale du trait en question et les lois universelles du langage montrent qu’elles n’admettent pas plus d’une seule opposition de bémol (présence ou absence)21. En linguistique, le principe d’équivalence (au lieu de l’identité mécanique) impose des limites à la signification qu’on peut attendre d’une étude des détails séparés, non coordonnés, d’une expérience et bien plutôt nous fait découvrir progressivement que les relations fondamentales qui sous-tendent l’univers verbal (aussi bien que l’univers physique) sont en très petit nombre, et que ce petit nombre est réglé par des lois. « Nun fiel mir ein » (Alors il m’apparut) : cette phrase des « Notes autobiographiques »22 d’Einstein est comme un premier aperçu de la théorie générale de la relativité et comme un slogan commun aux sciences contemporaines, tendant toutes à transformer une abondance de matériaux bruts en un petit nombre de lois générales. Le problème de l’équivalence s’est révélé aussi pertinent pour le principe de la relativité que pour la découverte des universaux linguistiques. Une révision substantielle du modèle de l’espace-temps, quelles que soient les différentes manières d’exposer ces questions dans les différentes sciences, nous entraîne loin de l’ancienne routine mécanique. Parmi ces vues nouvelles en linguistique qui doivent entraîner une discussion interdisciplinaire essentielle, on peut mettre en avant la notion de synchronie dynamique, le cours réversible des événements en train de s’accomplir et l’idée que tout changement en cours est une simultanéité intrinsèque d’oscillations sensibles. Niels Bohr a insisté à de nombreuses reprises sur le lien profond qui attache à présent la physique et la linguistique ; nous avons consacré ensemble à cette question un séminaire commun au Massachusetts Institute of Technology, à la fin des années cinquante. Nous avons étudié avec une grande attention les « exigences de l’invariance relativiste », pour prendre l’expression favorite de Bohr23, en ce qui concerne la recherche et la structure des constituants ultimes à la fois de l’univers physique et de l’univers linguistique, les « quanta élémentaires », nom que la physique leur a donné et que les linguistes ont emprunté à la physique. Les linguistes de notre génération se sont efforcés de concevoir la masse verbale comme une 21. Cf. R. Jakobson et L. Waugh, The Sound Shape of Language, Bloomington, Ind., Indiana University Press, 1979, p. 113 sqq. 22. « Autobiographical Notes », pp. 64-65. 23. N. Bohr, Atomic Physics and Human Knowledge, New York, Wiley, 1958, pp. 71-72. [Traduit en français par E. Bauer et R. Omnes : Physique atomique et connaissance humaine, Paris, Gauthier-Villars, 1961.] Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard L’humain dans l’homme Roman Jakobson 09 Jakobson.qxd 18/10/2004 13:15 Page 9 9 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard matière « discontinue » qui est composée de quanta élémentaires et révèle ainsi sa structure « granulaire »; cette tentative prolonge pour une part un ensemble d’efforts plus anciens. Cependant, elle fait preuve en même temps d’une évidente dépendance à l’égard du développement des sciences exactes, qui a été, j’en suis témoin, une authentique source d’inspiration pour la linguistique d’avant-garde du premier tiers de notre siècle, à la fois dans les centres scientifiques de l’Ouest et de l’Est24. Enfin, mentionnons que deux problèmes polaires et inséparables ont pénétré les différentes sciences : il s’agit de la symétrie (avec ses diverses transformations) et de l’asymétrie, d’une part, et de la rupture de symétrie, de l’autre. Dans son ouvrage Thematic Origins of Scientific Thought, Gerald Holton a fait remarquer que les arguments de symétrie ont pris dans la physique d’Einstein un rôle initiateur et vital. Des concepts dans une grande mesure analogues trouvent une application encore plus étendue dans l’analyse de toute structure linguistique. Mais il faut bien voir qu’en recherche linguistique tout l’ensemble symétrieasymétrie, à la fois dans son engagement ontologique et dans son rôle de dispositif purement formel, appartient plus aux victoires de demain qu’aux solutions trouvées hier ou aujourd’hui. Pourtant, nous pouvons peut-être nous consoler sur ce point avec une pensée qu’Einstein n’a notée que quatre semaines avant sa mort : « Pour nous... cette séparation entre passé, présent et avenir ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit-elle25. » Une théorie scientifique qui fait époque peut se régénérer dans la poésie de son temps en un mythe élémentaire. C’est ainsi, par exemple, que le poète russe d’avant-garde Vladimir Maïakovski a loué l’« esprit futuriste d’Einstein » dès les premiers regards inquiets qu’il a jetés en 1920 sur la théorie de la relativité et jusqu’à la veille de son suicide en 193026, et qu’en 1929 il a consacré son dernier drame, Banja (Les Bains), à la victoire écrasante de cet esprit si exceptionnel sur le prétendu absolu du temps. Roman Jakobson. Traduit de l’anglais par Catherine Malamoud. Gerald Holton and Yehuda Elkana, éd., Albert Einstein, Historical and Cultural Perspectives : The Centennial Symposium in Jerusalem. ©1982 by Princeton University Press. Essay by Roman Jakobson, pp. 139-150, reprinted by permission of Princeton University Press. 24. A. Einstein et L. Infeld, The Evolution of Physics, New York, Simon and Schuster, 1942, pp. 263-313. [Traduit en français par M. Solovine : L’Évolution des idées en physique, Paris, Flammarion, 1938, pp. 243-289.] 25. Einstein et Besso, Correspondance, p. 539. 26. Voir Victor Ehrlich, Twentieth-Century Russian Literary Criticism, New Haven, Yale University Press, 1975, p.151. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - LECOMTE Alain - 82.67.72.42 - 19/10/2011 14h58. © Gallimard L’humain dans l’homme Roman Jakobson