Que faire avec l`Iran

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Que faire avec l`Iran
Point d’æncrage
Que faire
avec l’Iran
jusqu’au 30 juin 2015 ?
Des pistes pour la
nouvelle phase de
négociations sur le
programme nucléaire
iranien, et au-delà.
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Résumé Constats : #1 Les négociations sur le dossier nucléaire représentent l’unique voie de sortie progressive d’une opposition ouverte avec l’Iran. Sans progrès dans ce domaine, la situation géopolitique au Moyen-­‐Orient risque d’empirer. # 2 La normalisation des relations avec l’Iran passe avant tout par la gestion d’un rapport de force et la construction graduelle d’une désescalade. #3 C’est en restant fidèle au régime du Traité sur la non-­‐prolifération des armes nucléaires (TNP) qu’on le sauve : sortir des conflits géopolitiques par des réponses précises aux risques de prolifération en Iran. #4 Historiquement très présente en Iran, la France a payé un coût économique beaucoup plus élevé que ses partenaires européens depuis 2009. #5 Quelle que soit l’issue des négociations nucléaires, la levée des sanctions sera technique et lente. Ce temps peut être mis à profit pour préparer un retour ciblé des opérateurs économiques français. Propositions : #1 : Plafonner les capacités iraniennes d’enrichissement de l’uranium, c’est-­‐à-­‐
dire limiter le nombre de centrifugeuses dont peut disposer l’Iran. #2 : Proposer de transformer le fonctionnement du réacteur d’Arak afin qu’il ne produise qu’une fraction du plutonium prévu, en utilisant de l’uranium enrichi à 5% comme combustible, et en maintenant son régime en-­‐dessous de 20MW. #3 : Proposer des mesures de confiance entre l’Arabie saoudite et l’Iran, notamment sur le dossier irakien. #4 : Initier un groupe de travail public-­‐privé pour soutenir le retour des entreprises françaises sur le marché iranien. #5 : Inciter les opérateurs financiers européens à soutenir le retour des entreprises européennes en Iran. Envie de nous suivre ? De nous rejoindre ? Retrouvez l’ensemble de nos travaux et évènements à : www.pointdaencrage.org @pointdaencrage facebook.com/pointdaencrage 3 L’échec, le 24 novembre 2014, des négociations censées aboutir à un accord final sur le programme nucléaire iranien constitue une déception pour beaucoup d’observateurs. L’optimisme prévalait depuis la signature d’un accord intérimaire en novembre 2013. L’absence de compromis un an plus tard a conduit les négociateurs à se donner, à nouveau, sept mois (jusqu’au 30 juin 2015) pour négocier un texte acceptable pour tous. Dans ces conditions, il est plus que jamais crucial de bien comprendre les multiples facettes de cette négociation, de même que de saisir son importance pour le Moyen-­‐Orient et pour le régime de non-­‐prolifération nucléaire. Les Etats-­‐Unis se sont très tôt inquiétés de la diffusion de la technologie nucléaire militaire. Le fait que le programme nucléaire militaire de la France ait été conduit dans le plus grand secret tient entre autres au fait que les Américains ne voyaient pas d’un bon œil la prolifération d’une telle arme, même auprès d’alliés proches. Le Traité sur la non-­‐prolifération des armes nucléaires (TNP), qui s’appuie sur les compétences de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), créée en 1956, a ainsi eu pour objectif d’interdire la diffusion de l’arme nucléaire et d’encadrer l’usage civil de l’énergie atomique. Signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, le TNP distingue ses membres en deux catégories d’Etats. Sont reconnus comme dotés de l’arme nucléaire les Etats ayant procédé à un essai nucléaire avant le 1er janvier 1967, ce qui inclut donc les Etats-­‐Unis, l’URSS, le Royaume-­‐Uni, la France et la Chine. Tous les autres Etats sont considérés comme non dotés. Les Etats dotés s’engagent à ne pas diffuser les technologies et moyens nécessaires à la conception et à la fabrication d’armes nucléaires auprès d’autres Etats (article I), et les Etats non dotés à ne pas tenter de s’en procurer (article II). Il existe deux corollaires à cette distinction juridique. La première, par l’article IV, reconnaît le « droit inaliénable de toutes les Parties au Traité de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques». Il encourage de plus une large coopération entre les Etats dans ce domaine. La seconde, par l’article VI, engage les parties à aboutir, par la négociation, à un «désarmement [nucléaire] général et complet ». Le traité donne mandat à l’AIEA de vérifier le respect de ces dispositions par les Etats non dotés (article III). L’Agence a pour autorités de tutelle l’Assemblée générale des Nations unies mais aussi le Conseil de sécurité. L’Iran fait partie des premiers signataires du TNP et est, à ce titre, soumis à l’ensemble des obligations qui incombent aux Etats non dotés. A ce jour, l’AIEA n’a pas déclaré que l’Iran était en violation manifeste de ses obligations – l’Agence est la seule instance habilitée à le faire. Néanmoins, c’est bien le Conseil des gouverneurs de l’Agence, sur recommandation de son directeur général, qui a alerté le Conseil de sécurité sur le caractère suspect du programme nucléaire iranien en février 2006, ce qui aboutit à la résolution 1696 (2006), qui est la base juridique de l’action internationale en faveur de la résolution de la crise actuelle. Ces suspicions, de plus en plus étayées, ont également été amplifiées par la communication outrancière et les menacées proférées par le président Ahmadinejad au sujet de la sécurité des pays du Golfe et d’Israël. Le caractère théocratique et révolutionnaire du régime politique iranien, son soutien au régime syrien de Bachar Al-­‐Assad, ont enfin achevé de présenter l’Iran comme un Etat « dangereux », source d’instabilité et de menace pour la sécurité internationale et les intérêts de la France. 4 Dans le même temps, les conflits au Moyen-­‐Orient rendent indispensable le dialogue avec Téhéran, voire la coopération dans le cas de la crise irakienne. Au-­‐
delà de ses expressions religieuses conservatrices, la société iranienne donne régulièrement à voir sa sophistication et sa richesse. Enfin, il est de moins en moins certain que la communauté internationale parvienne à préserver le régime de non-­‐prolifération, dont l’avenir dépend en partie de l’issue de la crise iranienne. Le paradoxe auquel la communauté internationale est ainsi confrontée est le suivant : si l’acquisition par l’Iran de l’arme nucléaire est une perspective inacceptable, car porteuse de trop de risques, l’Iran reste un producteur d’hydrocarbures, une économie et un acteur régional trop important pour être ignoré ou simplement ostracisé. La relation à l’Iran est actuellement essentiellement conflictuelle, mais il est nécessaire pour la France de se préparer à un autre rapport à ce pays. Le dossier nucléaire est la première étape, sans laquelle rien n’est possible. Il est impératif de préparer les suivantes dans l’hypothèse où un accord pourrait être trouvé. Il est ainsi dans l’intérêt de la France de jouer un rôle proactif pour assurer une issue positive à ces négociations, se positionner comme un intermédiaire sérieux dans les discussions qui suivront sur les dossiers régionaux (Irak et Syrie) et préparer un éventuel retour des opérateurs économiques français en Iran. Ce qui frappe, c’est la superposition d’un calendrier politique, celui des négociations sur le nucléaire, qui sont peut-­‐être les plus complexes de l’histoire des relations internationales, et d’un calendrier économique, celui de la levée des sanctions et du retour des opérateurs économiques en Iran. Sur ces deux tableaux très distincts, chacun navigue entre l’officiel et le non-­‐dit. La France peut tirer son épingle de ce jeu complexe. 5 I.
Nucléaire : un accord robuste et équilibré est possible 1. Créer les conditions acceptables de sortie de l’isolement pour Téhéran Les négociations en cours entre le P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU associés à l’Allemagne) et l’Iran se tiennent dans le cadre d’un accord intérimaire conclu à Genève le 24 novembre 2013 pour une durée initiale de six mois, reconduit le 18 juillet 2014 et à nouveau le 24 novembre dernier, dit Plan d’action conjoint. Ces discussions sont les premiers contacts politiques et techniques de haut niveau entre l’Iran et la communauté internationale au sujet de son programme nucléaire controversé depuis le Dialogue global entrepris par l’Union européenne (UE) en 1997; cette initiative prometteuse s’était effondrée en 2005 du fait des prises de position américaines maximalistes et de la politique de provocation du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad. L’accession à la présidence de la République de Hassan Rohani, religieux réputé modéré qui a joué un rôle important dans les précédentes négociations, a facilité la conclusion de l’accord intérimaire de Genève et donc le lancement de négociations véritables. Si l’élection de Rohani a changé le contexte politique, il est clair que c’est surtout le régime de sanctions drastique imposé à l’Iran qui l’a forcé à se montrer plus ouvert. Les mesures de rétorsion contre l’Iran ont été graduellement renforcées depuis décembre 2006 et la résolution 1737 du Conseil de sécurité, et en particulier depuis les mesures adoptées par l’Union européenne à compter de janvier 2012, touchant spécifiquement les secteurs des hydrocarbures, des transports et des finances et achevant d’enfoncer l’économie iranienne dans une crise économique profonde et durable. 2. L’accord intérimaire de Genève du 24 novembre 2013 porte exclusivement sur la question nucléaire1 Il s’agit pour la communauté internationale d’obtenir deux choses : a) des garanties satisfaisantes que l’Iran ne cherche pas à se doter d’une arme nucléaire, b) des garanties que l’Iran ne puisse pas non plus disposer des moyens techniques et industriels permettant d’en obtenir une rapidement, ce qui est résumé par l’idée d’atteindre la « capacité de seuil ». Mais la négociation est contrainte par deux éléments : a) Le comportement des autorités iraniennes depuis 2003 a engendré un déficit de confiance considérable2. b) Le TNP, qui régit les droits et devoirs dans le domaine nucléaire des Etats qui y sont parties, n’est pas doté en lui-­‐même d’un mécanisme de vérification suffisamment efficace. Pour ces deux raisons, un accord final, spécifique et robuste, avec l’Iran est nécessaire pour mettre un terme à cette crise, sans obérer pour autant la possibilité de l’Iran à accéder aux usages pacifiques de l’énergie nucléaire. 1 Contrairement au Dialogue global qui incluait plusieurs sujets très différents et n’a pris en compte la question nucléaire que tardivement. 2 Les efforts de dissimulation, la non-­‐déclaration de sites nucléaires (notamment les installations d’enrichissement protégées de Natanz et Fordo) et la restriction des inspections de l’AIEA. 6 Les trois principales étapes de l’arme nucléaire 1.
La matière fissile Le cœur de toute arme nucléaire est constitué par de la matière fissile. Celle-­‐ci peut être de l’uranium hautement enrichi ou du plutonium. ð A l’état naturel, le minerai d’uranium est composé à 99,3% de l’isotope U238, qui n’est pas fissile, et à 0,7% de l’isotope U235, fissile. L’enrichissement est le processus par lequel la concentration en U235 est augmentée. Pour qu’il puisse servir à une arme nucléaire, l’uranium doit être porté à un taux d’U235 supérieur à 90%. ð Le plutonium n’existe qu’à l’état de traces dans la nature, dès lors qu’il est un produit de la fission de l’uranium au sein d’un réacteur nucléaire. L’isotope fissile le plus stable est le Pu239. Schématiquement, un noyau d’U238 est susceptible de se transformer en Pu239 par capture de neutrons. Un processus chimique complexe doit par la suite être appliqué au combustible usagé extrait du réacteur afin de séparer le Pu239 du reste des produits de fission. Par rapport à l’uranium, une quantité moindre de plutonium est nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire (facteur 3 environ). 2.
La militarisation Au-­‐delà de la production du cœur fissile, amorcer la réaction en chaîne requiert un appareillage relativement sophistiqué, qui doit pouvoir être suffisamment robuste et miniaturisé pour être employable. L’Iran aurait conduit des expérimentations sur des lentilles explosives –
l’amorce typique d’une arme nucléaire – sur le site de Parchin, auquel l’AIEA réclame l’accès depuis plusieurs années. Arguant qu’il s’agit d’une installation militaire sans rapport avec son programme nucléaire, le gouvernement iranien a jusqu’ici refusé. 3.
La vectorisation Cette dernière étape consiste à disposer des moyens pour employer l’arme nucléaire. Ceux-­‐ci sont repartis en deux catégories : ð Les missiles balistiques, déployés depuis le sol, ou pour les plus sophistiqués, depuis des sous-­‐marins ; ð Les plateformes aéroportées (bombes ou missiles de croisière). L’Iran développe depuis le début des années 2000 un programme balistique dynamique, sous couvert notamment de recherche spatiale (les technologies employées sont très similaires). Ce programme a notamment bénéficié de transferts de technologie depuis la Corée du Nord. Si l’arsenal balistique iranien est de loin le plus volumineux de la région, les missiles qui le composent pèchent par une faible précision et une charge utile modeste (entre 750kg et une tonne). 3. Les points durs de la négociation a) L’établissement du niveau maximum auquel l’Iran pourra enrichir l’uranium à l’avenir. •
L’Iran continue de produire du combustible nucléaire civil, tout en ayant accepté de geler ses activités d’enrichissement les plus suspectes. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord de Genève, toutes les activités d’enrichissement à 20% ont été suspendues et l’Iran n’a pas enrichi d’uranium 7 au-­‐delà de 5% d’U235, ce qui correspond au niveau nécessaire à la fabrication de combustible pour la production d’énergie nucléaire civile. Les activités d’enrichissement à 20% étaient l’un des principaux points de tension avec la communauté internationale et l’AIEA, ce seuil correspondant à la limite au-­‐delà de laquelle l’uranium est considéré comme hautement enrichi. La variation du taux d’enrichissement de l’uranium par centrifugation n’est en effet pas linéaire, et disposer d’un stock suffisant d’uranium enrichi à 20% sous forme gazeuse (hexafluorure d’uranium, ou UF6) permet d’obtenir rapidement la matière fissile nécessaire à une arme (concentration supérieure à 90% d’U235). •
Cette suspension temporaire de l’enrichissement est un des principaux acquis de l’accord intérimaire et l’enjeu de l’accord final est de la rendre définitive. Le P5+1 souhaiterait voir la suspension entérinée comme norme dans le cadre de l’accord final et limiter définitivement à 5% le taux maximum auquel l’Iran pourrait prétendre enrichir de l’uranium à l’avenir. Une telle disposition va bien au-­‐delà des exigences du TNP, et constituerait donc pour l’Iran une concession de taille, assimilée à un abandon de souveraineté. Concrètement, le P5+1 souhaite plafonner le nombre maximal de centrifugeuses que l’Iran pourrait opérer (le chiffre de 4000 centrifugeuses circule officieusement). Jusqu’ici, la partie iranienne s’est déclarée disposée à réduire le nombre total de centrifugeuses en activité (plus de 19.000 sont installées et environ 9000 en fonctionnement) en échange d’un accès à des technologies permettant d’en employer de plus performantes, capables d’enrichir l’uranium à un rythme plus soutenu. Cette perspective est inacceptable pour la communauté internationale, dès lors que les capacités globales d’enrichissement de l’Iran demeureraient inchangées. b) L’usage du réacteur d’Arak (IR-­‐40). • L’Iran maintient l’ambiguïté sur l’usage de ce réacteur. C’est un réacteur de recherche à eau lourde d’une puissance de 40 mégawatts destiné à la recherche et à la production d’isotopes médicaux3. Le fonctionnement normal de ce réacteur devrait produire entre 10 et 12 kg de plutonium chaque année, ce qui pourrait fournir le matériau de base pour la fabrication d’une ou deux armes nucléaires4. Il n’est pas possible de récupérer le plutonium autrement qu’au travers d’un processus complexe, le retraitement, pour lequel des installations spécifiques sont nécessaires. •
L’AIEA n’a pas à ce jour constaté l’existence d’activités de retraitement C’est jusqu’ici la base de l’argumentation iranienne pour que les négociations actuelles excluent l’IR-­‐40 de leur champ. Néanmoins, l’attitude passée de l’Iran en termes de transparence avec l’AIEA rend ce simple constat insuffisant en l’état pour garantir que le combustible usagé de l’IR-­‐40 ne pourra pas être détourné vers un usage militaire. Enfin, contrairement aux centrifugeuses, la destruction de ce réacteur de vive force une fois qu’il sera entré en service (et donc chargé de combustible) aurait des conséquences importantes en termes de dispersion de 3 Sa faible puissance rend évident qu’il ne sera pas destiné à la production d’électricité. 4 Pour rappel, Israël, l’Inde et le Pakistan, qui ne sont pas partie au TNP, ont tous trois recours à des réacteurs de ce type pour produire le plutonium de leur arsenal nucléaire. 8 radionucléides dans l’environnement et au sein des populations civiles, limitant d’autant plus la liberté d’action des puissances susceptibles d’intervenir. C’est l’absence de prise en compte de l’IR-­‐40 qui avait conduit le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, à bloquer la première version de l’accord de Genève, arguant, à raison, que l’importance de la filière d’enrichissement de l’uranium ne devait pas faire oublier la filière plutonium, tout aussi viable pour la fabrication d’une arme nucléaire. 4. Perspectives de négociation et rôle de la France a) Filière uranium : l’objet central des négociations La suspension de l’enrichissement au-­‐delà de 5% semble acceptable aux yeux de Téhéran, même si c’est l’axe principal de l’opposition à un accord final des milieux conservateurs, qui n’ont de cesse de mettre en avant les « droits inaliénables » de l’Iran en matière d’enrichissement. Il s’agit désormais essentiellement pour les parties de se mettre d’accord sur un nombre de centrifugeuses, nombre qui reposera essentiellement sur des considérations techniques. b) Filière plutonium : enjeu crucial de l’accord final Début juin 2014, la partie iranienne a proposé de modifier l’IR-­‐40 afin qu’il ne produise plus qu’un kg de plutonium environ par an au lieu des 10 à 12 kg prévus. Il est probable que cette preuve de bonne volonté ait contribué à l’extension de la période actuelle de négociations obtenue en juillet. Cela étant, ces modifications seraient facilement réversibles et cet engagement ne peut constituer une garantie suffisante, dès lors qu’une décision politique pourrait remettre un programme nucléaire militaire en marche rapidement. L’IR-­‐40 est un réacteur à eau lourde et fonctionne donc à l’uranium dit naturel (taux d’U235 de 0,7%). Le fait qu’il produise des quantités suffisamment importantes de plutonium pour qu’il soit considéré comme un risque majeur de prolifération tient essentiellement à son fonctionnent à l’uranium naturel, plus riche en U238, et donc produisant plus de Pu239 (voir encadré supra). De plus, sa faible teneur en U235, qui est le moteur de la réaction nucléaire, oblige à faire fonctionner ce réacteur à haut régime, ce qui augmente d’autant plus sa production de plutonium. ! Une première option pour lever cette inquiétude résiderait dans sa conversion en réacteur à eau légère Cela reviendrait à utiliser de l’uranium enrichi à 3% ou 4% d’U235. C’est techniquement possible, et le taux annuel de production de plutonium d’un tel réacteur serait bien moindre (de l’ordre d’un kg), tout en préservant sa fonction nominale. La capacité de l’Iran à se doter rapidement d’une arme serait donc réduite d’autant sans qu’un empiètement sur ses droits au titre du TNP puisse être dénoncé. Néanmoins, ce serait ignorer une dimension politique centrale. L’IR-­‐40 est de conception iranienne, et l’installation est souvent mise en avant par les autorités comme une illustration du savoir-­‐faire scientifique et technologique de l’Iran. Une conversion sur la base de schémas perçus comme imposés par le 9 P5+1, quand bien même elle serait agréée par les négociateurs, serait très difficile à faire accepter à l’opposition conservatrice qui pourrait mettre en difficulté la présidence Rohani et, à terme, la perspective d’un accord final. ! Une seconde option, plus souple, devrait être privilégiée. Cette solution devrait faire pleinement appel aux moyens techniques et industriels iraniens sans concours extérieur. Une telle solution peut exister dans la combinaison de deux mesures techniques complémentaires : -­‐
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Utilisation d’uranium enrichi à 5% comme combustible en lieu et place d’uranium naturel sans modification structurelle du réacteur. Fonctionnement du réacteur à une puissance nominale réduite à 20 MW, voire 10 MW, au lieu de 40 MW. Chacune de ces deux mesures réduirait significativement la production de plutonium dans cette installation, à des niveaux comparables à celui d’un réacteur à eau légère, tout en assurant largement les niveaux de production d’isotopes médicaux recherchés par l’Iran, et ce, sans modifier la conception du réacteur ni avoir recours à des savoir-­‐faire extérieurs. Une fois une telle solution mise en œuvre, les moyens techniques et industriels nécessaires pour revenir à la formule précédente et obtenir le plutonium d’une seule arme seraient de nature à être détectés rapidement par l’AIEA, ce qui réduit d’autant le risque d’une « course à la bombe ». ! La France est idéalement placée pour porter cette proposition. La crédibilité du ministère des Affaires étrangères sur cette crise est très forte, que ce soit auprès de nos alliés ou de la partie iranienne, du fait de son action continue et parfois singulière en faveur de sa résolution. La France avait été à l’initiative d’une proposition de conversion du réacteur IR-­‐40 en réacteur à eau légère en 2005, aux côtés de l’Allemagne et du Royaume-­‐Uni. En proposant au nom du P5+1 cette solution, la France marquerait la dimension constructive de son action, en faveur de la résolution de cette crise et en faveur du respect du régime global de non-­‐prolifération dont le TNP est le socle. Ce rôle sera d’autant plus évident au regard de l’action du Ministère en amont de la conclusion de l’accord de Genève, qui, s’il n’avait pas incorporé la filière plutonium, serait rapidement apparu comme incomplet et donc inutile. En assumant ce rôle de fermeté et en démontrant son engagement à proposer des solutions concrètes aux obstacles qui existent à la conclusion d’un accord final, la France sera parvenue à trouver un rôle singulier d’une grande valeur : ouvrir la porte à une normalisation attendue des relations avec l’Iran sans remettre en cause le régime de non-­‐prolifération. ! Il existe ainsi une solution technique qui permet à la fois de sauver le régime de non-­‐prolifération et de poser des conditions plus contraignantes que celui-­‐ci. Cela permettrait non seulement d’obtenir un accord pour le présent, mais d’encadrer les évolutions futures des activités nucléaires iraniennes. 10 II.
Un accord pour progresser également sur les dossiers régionaux, en commençant par l’Irak 1. La place de l’Iran dans la région Un gouvernement de technocrates qui parle « l’occidental ». La politique du président Rohani, marquée par un certain pragmatisme, est mue par la volonté d’inverser la « courbe d’infréquentabilité » d’une République islamique soucieuse d’afficher sa capacité à traiter les véritables problèmes du pays : l’inflation, les sanctions de la communauté internationale et l’isolement diplomatique du pays. Ce gouvernement, en rupture avec son prédécesseur, s’illustre davantage par son pragmatisme que par l’expression exacerbée d’une idéologie contre-­‐productive et nuisible à l’image du pays. Une image à bout de souffle. Malgré une image désastreuse, l’Iran est l’un des pays les plus stables de la région, elle dispose de la bureaucratie étatique nécessaire et surtout d’une classe moyenne qui a résisté à la fois aux tribulations du régime et aux conséquences des sanctions. Cette situation a créé une économie et une organisation dite « de résistance », qui lui ont permis de développer un potentiel économique et scientifique aujourd’hui demandeur de savoir-­‐faire, de biens et de capitaux étrangers. 2. Un acteur en voie d’expansion dont les positions dans la région sont en contradiction avec celle de la France Principal soutien du Hezbollah, l’Iran dispose de leviers internes au sein des communautés chiites ou alliées au Moyen-­‐Orient, capables d’influer sur l’exercice des politiques voisines. Néanmoins, le soutien iranien au régime de Bachar Al-­‐Assad, le passif iranien au Liban ainsi que ses différends politiques et idéologiques avec ses voisins arabes du Golfe entrent en contradiction avec les intérêts français, sur quasiment tous les plans, et demeurent les principaux obstacles à un dialogue régional. a) Favoriser le rapprochement des deux rives du Golfe. Arabie Saoudite : Allié stratégique des Etats-­‐Unis depuis les accords Quincy (1945), le Royaume a activement soutenu Washington dans sa lutte contre le terrorisme après le 11 septembre, et dans sa lutte d’influence contre Téhéran depuis la révolution islamique. Riyad a très mal accueilli l’accord provisoire sur le nucléaire le qualifiant de « beaucoup trop profitable à Téhéran » et demeure l’un des opposants principaux dans le Golfe, au retour de Téhéran dans la communauté internationale. Malgré la dynamique régionale amorcée par Hassan Rohani et en dépit d'intérêts communs face à Daech -­‐ qui constitue une menace tant pour Téhéran que pour Riyad -­‐ la détente n’est pas d’actualité. Qatar : Les désaccords entre Doha et Riyad sur le soutien aux Frères musulmans en Egypte, les divisions sur l’opposition syrienne -­‐ en plus de l’accueil favorable du Qatar d’un accord provisoire sur le nucléaire -­‐ ont creusé le froid entre les deux monarchies. L’arrivée au pouvoir de Sheikh Tamim en 2013 a orienté la diplomatie qatarienne vers plus de consensus et une politique régionale plus inclusive et moins interventionniste. L’émirat reste soucieux de veiller à entretenir des relations avec ses voisins et a favorablement accueilli les accords provisoires de novembre 2013. 11 Les autres pays du Golfe: Téhéran poursuit son opération « re-­‐séduction » et sa « politique de petits pas » pour réintégrer son environnement régional. Le sultanat d’Oman, qui possède de bonnes relations avec les deux rives du Golfe, a poursuivi ces dernières années son rôle traditionnel de médiateur entre l’Iran et les principaux alliés régionaux de l’Occident permettant un dialogue occasionnel direct entre Téhéran et Washington. L’Emirat du Koweït, médiateur habituel du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) mène une politique historique de bon voisinage et ne fait pas d’exception à l’Iran, tant par sa communauté chiite nombreuse (30%), sa proximité avec la République islamique et le traumatisme de l’invasion irakienne. b) L’Irak, point de concordance ? Conscient d’une nécessité d’alternance dans un contexte de crise, Téhéran a accepté une candidature alternative à Nouri Al-­‐Maliki, au pouvoir depuis 2005, au siège de Premier ministre en soutenant la candidature d’Heidar Al-­‐Abadi à l’été 2014. Partisan d’un Irak faible pour y maintenir l’influence gagnée après la chute de Saddam Hussein, cette décision émane surtout d’une volonté iranienne de coopérer avec tous les acteurs s’opposant à Daech – malgré son absence au sein de la coalition internationale – et de se placer comme acteur crédible sur l’échiquier régional en monnayant cette bonne foi pour briser la méfiance de ses voisins. L’intérêt pour le maintien de l’unité irakienne est commun entre les pays occidentaux et l’Iran. La République islamique d’Iran (RII) compte en son sein une communauté kurde comptant 13% de sa population. En plus d’éveiller un éventuel sentiment d’autonomie au Kurdistan iranien à moyen terme, la proclamation d’un Kurdistan autonome en Irak – avec qui l’Iran partage 1599 km de frontière – où Washington et Tel-­‐Aviv ne manqueront pas de ménager fortement leurs intérêts, risque d’être problématique pour l’Iran. Ainsi, la relative stabilité du gouvernement irakien actuel et la lutte contre Daech pourraient se révéler être une première phase test de rapprochement entre Riyad et Téhéran. En effet, cette « inclusivité » du dialogue politique irakien, nécessaire à la stabilité du gouvernement et de l’unité nationale, est dans l’intérêt des deux pays. c) Quelle réaction israélienne ? Une dénonciation très ferme de cet accord est à prévoir de la part d’Israël au vu des tensions qui caractérisent les relations entre Tel-­‐Aviv et Téhéran. Néanmoins, le degré et la capacité de nuisance de ce « mécontentement » sont variables et difficiles à pronostiquer, tant par l’impopularité de l’opération Bordure protectrice à Gaza en août 2014, des heurts à Jérusalem de l’automne et de l’échec des derniers pourparlers qui ont fortement dégradé l’image d’Israël sur la scène internationale. La marge de manœuvre à dénoncer avec crédit et efficacité l’accord qui permettrait le retour de Téhéran dans le concert des nations se trouve réduite dans un contexte international actuel défavorable pour l’Etat hébreu. d) Le dossier syrien, le facteur à isoler Le régime de Bachar Al-­‐Assad est l’un des principaux garants des intérêts iraniens dans la région. Le principal allié russe au Moyen-­‐Orient a été l’un des seuls soutiens arabes de poids de l’Iran au déclenchement de la guerre Iran-­‐Irak. Téhéran ne voit pas de transition politique en Syrie sans Bachar Al-­‐Assad, chose impensable en l’état pour la France, ce qui constitue une impasse durable. 12 Le dossier syrien doit ainsi être isolé des négociations plus globales avec l’Iran. Des concessions iraniennes ne doivent pas pouvoir conduire à un assouplissement de la position européenne et américaine vis-­‐à-­‐vis du régime syrien. Il est indispensable que la question du nucléaire iranien soit réglée avant que les deux sujets soient liés. C’est seulement dans cet ordre que les négociations sur le nucléaire pourront avoir un impact positif sur le dossier syrien. ! La France peut utiliser son image de partisan d’un juste équilibre pour inviter l’ensemble des pays du Golfe à dialoguer avec l’Iran. Des mesures de confiance pourraient être élaborées sur différents aspects du dialogue régional sur l’Irak, que tous les acteurs régionaux sont obligés d’initier en raison de la menace commune que représente Daech. Ce dossier pourrait ainsi servir de tremplin pour reconstruire le dialogue entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Plus l’accord final trouvé sera robuste, moins Ryad sera en position de s’opposer à la réintégration de Téhéran dans le dialogue régional. III. Éviter la « double-­‐peine » commerciale pour la France : préparer le retour des opérateurs français 1. Le coût des sanctions pour la France Les sanctions économiques imposées au pays ont largement pénalisé les entreprises européennes et particulièrement françaises qui ont, petit à petit, quitté le marché iranien. Cette dynamique a été d’autant plus forte que la France, qui a longtemps été un partenaire culturel, politique mais aussi économique de l’Iran, doit aujourd’hui faire face à une réduction importante des parts de marchés de ses entreprises et voit les partenariats industriels forts (automobile, pétrole) remis en question. La France a, sur ce sujet, suivi une voie différente d’autres pays européens, en ayant une politique proactive de retrait auprès de ses entreprises depuis 2009. 2500 2000 1500 2005 1000 2013 500 0 Export français en Iran (en ml €) 13 L’exemple le plus récent concerne le marché automobile. Jusqu’en 2011, Peugeot et Renault se partageaient 40% du marché. L’Iran représentait alors le deuxième marché de Peugeot et des chiffres montrent le réel poids de ce marché toujours considéré comme sous-­‐exploité. En 2012, les deux constructeurs quittent l’Iran et doivent anticiper une baisse de volume de près de 600 000 véhicules. Renault provisionne alors une perte de 512 millions d’euros. En 2014, alors que le marché iranien repart timidement, les constructeurs français sont toujours dans l’attente de solution bancaire et les constructeurs asiatiques renforcent leur présence. A titre d’exemple, les ventes de véhicules chinois auraient bondi de 288% au premier trimestre 2014 pour des volumes faibles. Les sanctions internationales à l’encontre de l’Iran 1. Les sanctions américaines La rupture des relations diplomatiques entre les Etats-­‐Unis et l’Iran en 1980 a amené les américains à sanctionner rapidement l’Iran dans les années 1980. Les avoirs iraniens sont gelés dès 1979, suivis d’embargo militaire (1984) et pétrolier (1995). Deux éléments importants structurent les sanctions américaines contre l’Iran : 1) un décret présidentiel (1995) interdit le commerce et les investissements en Iran 2) l’Iran and Lybia Sanctions Act, renommé en 1996 Iran Sanctions Act (ISA, dite loi d’Amato-­‐Kennedy), interdit tout projet pétrolier de plus de 20 millions de dollars en Iran. L’ISA a une portée extraterritoriale impliquant toute entité commerçant avec les Etats-­‐Unis. 2. Une internationalisation des sanctions durant les années 2000 Le Conseil de sécurité de l’ONU a imposé et élargi les sanctions de 2006 à 2010 : embargo sur les technologies et les composants de la filière nucléaire ; gel d’avoirs de personnes et d’entités liées au programme nucléaire ; embargo sur les armes et sur les transports ; interdiction d’accueil des banques utilisées pour le développement de la filière nucléaire iranienne. L'Union européenne a imposé ses propres restrictions depuis 2007 : interdiction du commerce d’équipements servant à l’enrichissement de la filière nucléaire ou relevant d’une technologie duale ; interdiction d’accès des institutions financières iraniennes au réseau interbancaire SWIFT ; mise en place d’une liste noire et gels d’avoir contre les personnes et entités sanctionnées ; interdiction de l’export de technologie concernant les domaines gazier et pétrolier ; embargo contre le pétrole iranien ; interdiction de la fourniture de services financiers (dont les assurances) à l’Iran et à toute entité facilitant le commerce de ses hydrocarbures. 3. Le renforcement des pressions extra-­‐légales L’extraterritorialité consiste à appliquer la législation américaine à toute entité commerçant avec les Etats-­‐Unis ou libellant des transactions en dollars. Depuis le milieu des années 2000 et l’aggravation des sanctions contre l’Iran, les Etats-­‐Unis ont utilisé l’extraterritorialité de l’ISA pour contraindre le système bancaire international à isoler l’Iran. Le département du Trésor américain a réussi à internationaliser l’isolement de l’Iran en menaçant les banques de poursuite ou d’interdiction d’accès au dollar. Alors qu’une partie du commerce avec l’Iran reste non sanctionné, l’impossibilité de trouver une banque européenne garantissant les transactions a fait plonger les échanges entre l’Europe et l’Iran. En France, ces pressions ont été combinées, dès 2008, à une volonté politique de voir les entreprises françaises quitter le pays. 14 2. Une levée lente et délicate La signature d’un accord politique concernant le programme nucléaire iranien est un prérequis essentiel à la levée de toute sanction. Les différentes sources juridiques des interdictions de commercer et autres sanctions (listes noires d’entités et de personnes) compliquent cependant la levée des sanctions concernant le commerce avec l’Iran. La puissance d’influence du département américain du Trésor affaiblit encore la lisibilité des entreprises dans leur préparation d’un retour sur le marché iranien. Au-­‐delà des débats juridiques, pour retourner sur le marché iranien non-­‐
sanctionné, les entreprises françaises doivent guetter le retour des relations entre banques internationales et iraniennes. Cette période post-­‐
accord sera également difficile et contraignante pour le commerce pour d’autres raisons qu’il faut anticiper. D’une part, la structure de l’actionnariat des entreprises iraniennes a évolué et a vu les autorités publiques et semi-­‐publiques, notamment le Corps des gardiens de la Révolution islamique5, renforcer leur présence dans l’économie iranienne. Alors que ces entités sont très souvent sanctionnées et sur liste noire, parfois à titre personnel, il sera difficile lors de la période de transition d’identifier aisément l’actionnariat de futurs partenaires ou sous-­‐traitants iraniens. D’autre part, les technologies duales constituent une incertitude pour le développement des relations commerciales. Si une entreprise européenne doit pouvoir recevoir l’agrément des autorités des pays de l’Union européenne, l’application de l’extraterritorialité des sanctions unilatérales américaines est plus difficile à envisager. 3. Préparer l’après sanction Les négociations qui se sont ouvertes depuis 2014 aiguisent l’appétit des entreprises françaises, européennes et américaines quant à un retour possible sur ce marché à fort potentiel de 80 millions d’habitants, doté d’une population jeune et bien éduquée, de revenus pétroliers importants et d’une structure étatique stable. Après le départ précipité, et souvent forcé, des acteurs économiques français, leurs partenaires historiques se sont tournés vers d’autres partenaires, bien souvent asiatiques, et le retour d’une relation de confiance prendra du temps. Pour cela, la France et ses entreprises ne doivent pas agir en réaction et doivent trouver des solutions viables aux blocages actuels dépassant le cadre des négociations pour reconstruire un réseau commercial efficace. Les entreprises internationales devront renouer des contacts commerciaux avec des partenaires locaux et la concurrence sera féroce. Si un tissu entrepreneurial de qualité existe en Iran, refuser de préparer les futurs accords font craindre un retard pour travailler avec les entreprises iraniennes les plus stratégiques. Le climat concurrentiel apparaît plus favorable aujourd’hui alors que les entreprises concurrentes américaines et britanniques sont, pour le moment, cantonnées à des échanges peu concrets. L’éventualité d’un accord et d’un retour commercial de ces pays renforcerait encore la concurrence sur les grands projets et sur les partenariats entre entreprises. 5 Egalement appelée Pasdaran ou Gardienne de la Révolution, l’organisation paramilitaire est aux ordres du Guide suprême, Ali Khamenei. 15 La période de transition sera cruciale pour « préparer » les entreprises françaises. Le tissu des PME et des ETI françaises à fort savoir-­‐faire doit être aidé sur ce sujet qui peut faire l’objet de différentes lectures entre les pays européens et les Etats-­‐Unis. Une information discrète mais large des entreprises françaises de la part des administrations, de même qu’une communication de la part des entreprises de leurs stratégies, sont essentielles. Un enjeu immédiat de préparation du retour des opérateurs français est celui de l’attitude des banques. Les sanctions actuelles ne touchent pas la totalité des échanges économiques avec l’Iran mais les banques refusant désormais d’assurer toute transaction avec l’Iran en raison du principe d’extraterritorialité des lois américaines et de la pression relayé par le Trésor américain. Le marché devient donc impénétrable. Ce blocage doit être pris à bras le corps par le gouvernement et être relayé à l’Union européenne par une concertation avec les autres pays européens. La France doit utiliser l’implication forte qu’elle a sur le dossier nucléaire iranien à son profit. Depuis 2008, l’intransigeance politique française et la volonté de voir les entreprises françaises quitter l’Iran a fait de la France un pilier de la fragilisation économique de l’Iran. Croire aux sanctions et à la défense du TNP place la France dans une position privilégiée qu’elle doit renforcer par sa capacité à changer de cap au moment clé. ! Un groupe de travail large regroupant acteurs publics et privés permettrait de soutenir le retour des entreprises françaises sur le marché iranien. Ce groupe de travail pourrait prendre en charge des activités d’accompagnement des entreprises dans une période de transition où il faudra identifier les partenaires locaux non sanctionnés et favoriser un retour rapide des relations bancaires. 16 Conclusion La difficulté des négociations internationales sur le nucléaire iranien et la levée des sanctions contre l’Iran ne peuvent pas effacer l’importance d’un retour de l’Iran sur la scène internationale comme voie d’apaisement des tensions régionales. La résolution du dossier nucléaire iranien et le maintien de l’Iran dans le jeu international sont également des éléments clés pour la sauvegarde du Traité de non-­‐prolifération, qui doit être un objectif fort dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Quoiqu’on pense de l’Iran et de son régime, la coopération avec ce pays est donc essentielle. La France, qui a entièrement joué le jeu de l’isolement économique de l’Iran depuis 2009, ne peut enfin pas être « sanctionnée » une seconde fois en manquant le retour des opérateurs économiques européens et américains dans le cas d’une levée des sanctions. La première prolongation de l’accord intérimaire jusqu’au 24 novembre 2014 n’a pas permis de dénouer favorablement les négociations sur le nucléaire. Une nouvelle période de six mois s’ouvre aux négociateurs, en deux phases. Mais ce serait une erreur de considérer pour autant que l’on dispose de temps. Bien au contraire, avec le temps, cette négociation est susceptible de connaître le même sort que le Dialogue global de l’Union européenne avant elle : les élections de mi-­‐
mandat ont changé les équilibres politiques du Sénat américain, désormais susceptible de valider un nouveau paquet de sanctions unilatérales contre l’Iran. Et du côté iranien, il est probable que la difficulté à s’entendre avec le P5+1 sera exploitée par les partisans d’une ligne dure pour servir la rhétorique isolationniste d’une République islamique menacée par l’Occident. C’est le sens de la convocation du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, sommé par les parlementaires conservateurs de s’expliquer devant le Majlis6 sur les concessions faites aux Occidentaux. Plus que jamais, il est urgent d’agir, et il est urgent que la France continue à agir. 6 Le Parlement iranien. 17