Le parcours de l`enfant placé : réalités et
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Le parcours de l`enfant placé : réalités et
Le parcours de l'enfant placé : réalités et perspectives Intervention de Barbara Walter aux Assises Nationale des Avocats A la fois directrice d'une maison d'enfants pendant plusieurs années et directrice Recherche et projets au niveau de toute la SLEA, j'ai une vision de la place de l'enfant à la fois intérieure au niveau d'une MECS et extérieure au niveau de l'ensemble des établissements de la SLEA. Et cette vision est mise en tension aussi du fait de ma place au conseil d'administration du COFRADE (association nationale qui veille à l'application en France et par la France de la convention internationale des droits de l'enfant dont nous fêtions il y a deux jours le 25ème anniversaire). Ainsi, lorsque je parle de l'enfant, j'englobe toute personne jusqu'à 18 ans comme le stipule cette convention internationale des droits de l'enfant. Le thème de ces assises peut s'entendre de deux manières selon si je mets ou non un accent sur le a : chacun a sa place (a sans accent) signifie non seulement que l'enfant a une place dans l'institution mais qu'il y a sa place dans une considération individuelle de sa personne. chacun à sa place (à avec accent) signifierait que l'enfant est cantonné à la place qui lui est assigné : l'enfant doit être là et pas ailleurs. Si d'emblée, je postule que l'enfant a une place dans l'institution, alors je peux faire le pari que l'enfant sera accueilli à bras ouverts comme on le ferait pour un ami qui arrive chez nous. Mais, même si virtuellement il a une place - virtuel car un logiciel renseigné par les établissements permet au conseil général du Rhône de connaître en temps réel les places disponibles - dans le concret cela s'avère plus compliqué. Exemple, très concret : dans une maison d'enfants destinée à accueillir des enfants de 5 à 18 ans, j'ai une place disponible dans une chambre à deux lits dont l'un est occupé par une petite fille de 8 ans. Deux solutions s'offrent à moi : J'attends une proposition pour accueillir une fille d'à peu près le même âge que celle déjà présente dans la chambre ou bien je provoque un mouvement de déménagement interne en fonction du profil des enfants déjà présents jusqu'à libérer une chambre seule qui me permettra d'accueillir l'adolescent que voudrait me confier le conseil général. Ainsi, la notion de place se pose dès la demande d'admission pour l'enfant à venir et pour les enfants déjà présents. Certes l'enfant aura une place en maison d'enfant au sens administratif puisque la mesure ordonnée par le juge sera exécuté et au sens budgétaire en permettant de réaliser le taux d'occupation prescrit et toucher ainsi le prix de journée. Mais la place assignée à l'enfant est souvent éphémère et peut, comme on vient de le voir, varier en fonction de départs ou de nouvelles admissions... Toujours dans le chapitre des admissions, la tendance à choisir l'enfant que l'on va accueillir est grande. Pour peu que certains enfants déjà présents dans l'institution génèrent des tensions et mettent à mal les professionnels, bref pour peu que l'institution soit agitée par des crises, ce qui n'est pas rare en MECS, il est clair que l'on va privilégier l'accueil d'un enfant qui ne présente pas ou peu de symptômes d'opposition ou de comportements violents. Donc, encore une fois, virtuellement l'enfant a une place dans l'institution mais il lui faut en quelque sorte passer le cap de la sélection sinon à se voir assigné une place par défaut. 1 Mais rassurons-nous, certains établissements jouent le jeu de la non sélection et accueillent en fonction des places disponibles les enfants dans l'ordre d'arrivée des demandes. L'enfant a donc une place d'emblée mais, de fait, a-t-il réellement sa place ? Faire de l'accueil inconditionnel n'est pas chose aisée. Réunir sur un même lieu des enfants aux problématiques similaires ou identiques peut être générateur de crise, et là je pense plus particulièrement à l'accueil d'adolescents en crise comme le fait Bergame ou à l'accueil en urgence comme c'est le cas pour Les Esses. Cela nécessite de gérer des crises en permanence. Les problématiques des uns et des autres s'attisent mutuellement, s'enflamment à tout moment et ne permettent pas à un jeune de trouver sa place, c'est à dire à construire un espace où il se sent en sécurité, où il se sent chez lui et existant pour quelqu'un. Parce qu'il est important, voire essentiel d'exister pour quelqu'un Et pour que l'enfant se sente être important pour quelqu'un, il faut que ce quelqu'un s'engage à son côté, fasse un bout de chemin avec lui et tienne le coup dans la durée. De fait, la notion d'engagement auprès de l'enfant rejoint la notion de permanence. En effet, chacun s'accorde à dire qu'un enfant ou adolescent a besoin d'affection et de considération pour grandir. Il a besoin de savoir qu'il compte pour quelqu'un, pour un adulte qui va s'engager avec lui sur un parcours de vie. Or, le droit du travail actuel semble vouloir inscrire la prise en charge d'un enfant ou d'un adolescent dans une logique quasi marchande. Le temps du salarié est compté et ne laisse guère de liberté ou de créativité pour qu'une relation de confiance s'instaure entre ce salarié et l'enfant ou l'adolescent. Exemple : Un jeune va très mal et explose le lieu où il est accueilli, Un adulte devrait pouvoir le sortir de l'établissement, partir avec lui à pied ou à dos d'âne sur plusieurs jours, ce qui aurait des effets thérapeutiques. Mais l'inspection du travail nous condamne pour n'avoir pas respecté l'amplitude horaire. Le salarié était volontaire, un temps de récupération était prévu à la fin du séjour, l'enfant allait mieux au retour... Le droit du travail raisonne en terme de droit et non de bien être de l'enfant. L'enfant a une place assignée et les salariés doivent se relayer auprès de lui dans un temps strictement encadré. Une cohérence dans le parcours pas toujours envisagée Dans l'étude des dossiers de 110 adolescents ayant fait un séjour dans nos établissements on constate la multiplicité des mesures et prises en charge réalisées auprès de l'enfant et auprès de sa famille. Famille d'accueil, AEMO, placement en foyer, le tout entrecoupé de fins de prise en charge et de retours à la case départ. Ni le jeune, ni la famille ne peuvent comprendre la stratégie sous-jacente à ces différentes mesures. Trop souvent encore, l'enfant et sa famille subissent ces prises en charge multiples ou successives sans que ne soient véritablement évalués leurs besoins, les objectifs à atteindre et les indicateurs qui permettraient de vérifier l'avancée dans la réalisation de ces objectifs. Parce que donner une place ou sa place à un enfant, c'est aussi rendre lisible pour lui et pour sa famille cette place et la cadrer dans le temps. Bien sûr que le juge pour enfants rencontre annuellement l'enfant mais l'enfant et sa famille auraient du mal à nommer précisément les critères 2 qui détermineraient le retour en famille ou la poursuite en institution. Et cela laisse penser que la place de l'enfant est figée une fois pour toutes. Encore un exemple pour illustrer : dans la MECS que j'ai dirigée un frère et une soeur étaient arrivés à 6 et 7 ans et y sont encore à 17 et 18 ans. De par leur ancienneté ils ont forcément une place dans la MECS mais je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils ont leur place parce qu'à l'aube de leurs 18 ans, ils perdent cette place pour un ailleurs incertain. A l'inverse, l'enfant peut perdre sa place ou être transféré à une autre place sans que son avis ne soit pris en compte. Autre exemple, une fratrie de 5 enfants est dispersée : 2 familles d'accueil pour le plus jeune 3 ans et la plus âgée 16 ans. les 3 autres passent 3 ans ensemble à la maison d'enfants. Un juge pour enfants de l'Isère dont dépendaient ces enfants décide de déplacer ces 3 enfants de la MECS vers des familles d'accueil. Sans aucun état d'âme il leur annonce cette décision lors de la convocation annuelle et provoque ainsi chez ces enfants une frustration très violente. Ces 3 jeunes ont donc, à leur tour, été séparés et orientés chacun dans une famille d'accueil différente. Ni l'avis des enfants, ni les arguments de la maison d'enfants, ni les préconisations de la loi de protection de l'enfance n'ont permis d'éviter la totale fragmentation de la fratrie et cela au prix d'une grande souffrance pour les enfants. On ne peut faire comme si l'enfant placé avait sa place dans l'institution sans considération pour sa place dans sa famille et au sein d'une fratrie. Et quid de ces enfants ou adolescents que l'on accueille en foyer ou en MECS pour des problèmes de comportements non adaptés, souvent violents. Ces mêmes jeunes sont au bout d'un certain temps renvoyés avec un changement d'institution ou une fin de prise de charge pour les mêmes motifs qui ont fait prendre la mesure de placement par le juge pour enfants. On donne une place à un enfant du fait de certaines caractéristiques et bien sûr dans un souci de protection et on retire cette place à l'enfant du fait de ces mêmes caractéristiques comme si on rendait l'adolescent responsable de n'avoir pas su saisir la chance d'être protégé. Et on crée ainsi des situations sans issue. Des portes se ferment devant des enfants et surtout des adolescents qui multiplient les problématiques et dont le parcours chaotique est jalonné de placements, d'abandons, de ruptures, de fins de prise en charge, de séjour en psychiatrie... Ces jeunes dont on n'hésite plus à parler de "patates chaudes" et dont on ne sait que faire tellement ils mettent à mal les autres enfants, les adultes, l'institution. Ces jeunes sont parfois appelés "les incasables", ce qui renvoie bien à la réalité qu'aucune de nos cases n'est en capacité de les accueillir. Il devient de plus en plus difficile de trouver une place à ces jeunes qui mettent à mal les institutions collectives dans lesquelles on voudrait les voir se couler ou se mouler. Alors, si nos cases ne sont pas adaptées, adaptons ou tentons d'adapter autour de ces jeunes un environnement capable de les apaiser, de les accrocher, de leur permettre de se sentir chez eux. C'est bien cette difficulté de trouver une ou la place adaptée à l'enfant qui pousse la SLEA à réfléchir sur des alternatives ou des modes de prise en charge plus 3 respectueux de la place de l'enfant et de sa famille même en situation de déplacement ou de séparation. Il n'y a pas de solution miracle parce que la violence de certains jeunes nous renvoie toujours à notre propre vulnérabilité quel que soit le niveau de diplôme que nous possédons. En revanche, cela nous pousse à réfléchir et à vouloir expérimenter des modes de prise en charge alternatifs et des outils plus adaptés aux besoins perçus actuellement dans le domaine de la protection de l'enfance. Et je vais ici évoquer 4 points qui apparaissent essentiels dans la réflexion que mène la SLEA : 1) Favoriser le non abandon de l'enfant La diversification de ses modes de prise en charge engage la SLEA à mieux travailler la fluidité du parcours d'un jeune qui devrait, au regard de ses besoins singuliers, pouvoir être accueilli à la fois dans une famille d'accueil et dans un ITEP, ou bien trouver une perspective de formation via le CEPAJ même s'il est en accueil externalisé, ou encore être pris en charge dans un lieu d'apaisement au lieu d'être renvoyé en cas de crise. Cette fluidité de parcours au sein de l'association devrait favoriser le principe de non abandon. Ainsi, l'enfant ou l'adolescent quelle que soit sa situation pourra trouver des lieux adaptés à sa problématique singulière sans craindre d'être abandonné du fait justement de sa problématique. 2) Offrir l'hospitalité Le principe de non abandon s'ancre dans une forme de bienveillance vis à vis de l'enfant ou de l'adolescent mais ne suffit pas à garantir à l'enfant un parcours serein. Le terme d'admission fait perdre à l'arrivée d'un enfant ou d'un adolescent sa dimension d'accueil. Admettre une personne relève d'un pouvoir institutionnel alors qu'accueillir relève d'un processus humain. Et pour aller plus loin dans cette notion d'accueil il conviendrait de parler d'hospitalité. Offrir l'hospitalité à un jeune c'est lui signifier qu'il ne représente pas simplement un effectif calculé en prix de journée mais qu'un espace lui est proposé pour qu'il puisse s'y installer et qu'il puisse s'y sentir chez lui. Dans l'hospitalité il y a la notion d'intimité à la fois partagée et règlementée. L'adulte partage des temps de vie avec le jeune tout en préservant sa vie privée. C'est ce que nous expérimentons depuis maintenant deux ans dans des unités de vie très petites (2 jeunes) et en présence de deux personnes ayant le statut d' accueillant familial. La conception en est simple. Les jeunes ont leur espace, leur appartement et sont donc chez eux. Des adultes ont leurs appartements dans la même maison, partagent le quotidien avec les adolescents et les aident à construire leur place dans la société. Le projet avance en fonction du rythme des enfants, de l'amélioration de leur problématique. C'est l'exemple type de l'espace qui s'adapte en permanence à l'enfant et non pas l'inverse. 3) Privilégier la proximité La diversification des modes de prise en charge, le principe de non abandon, de continuité dans le parcours, le principe d'hospitalité ne sauraient se penser en dehors 4 de la notion de proximité. Cela signifie qu'il faut penser la prise en charge de l'enfant (sauf décision contraire du juge) au plus près de son environnement habituel, ce qui permet à cet enfant de ne pas changer d'école et de préserver son réseau amical. Cette proximité permet également une gestion plus souple des accueils : accueil de jour, accueil séquentiel, accueil en hébergement discontinu... Et pourvoir passer de l'un à l'autre sans qu'il ne s'agisse d'une rupture pour l'enfant et sa famille. 4) Un véritable travail avec les parents Certains me diront que la séparation de l'enfant d'avec sa famille est parfois nécessaire. Certes je ne nie pas qu'il existe des parents absolument toxiques pour leur enfant. Mais si ces parents étaient majoritaires cela devrait inquiéter notre société qui ne favorise pas l'apprentissage et l'exercice de la parentalité. La SLEA ne renonce pas à proposer des mesures d'éloignement mais, dans le même temps elle pense nécessaire d'aider les familles à réinvestir leur rôle en retrouvant une place dans la société et auprès de leur enfant. En effet, il est impensable que l'enfant déplacé de sa famille ou bénéficiant d'une mesure éducative au sein de la famille puisse évoluer sereinement, même avec l'aide de professionnels, sans que les parents ne soient eux aussi accompagnés dans une perspective professionnelle, économique, relationnelle. Il convient de constituer autour de cette famille un environnement de soutien à la fois éducatif mais aussi social et humain. En effet, ce n'est qu'à ce prix que le retour de l'enfant dans sa famille peut se construire sereinement et que l'investissement éducatif des parents prenne véritablement en compte l'intérêt de l'enfant. Car dans la majorité des cas nous n'avons pas à faire à des parents toxiques mais à des parents dépassés par la gestion du quotidien, par des problèmes économiques, des problèmes conjugaux ou relationnels, par une forme de pauvreté structurelle qui empêche parfois de s'affirmer devant son propre enfant et de faire preuve d'autorité. Il s'agit donc bien désormais d'aider les parents à trouver un équilibre professionnel, économique, relationnel pour les rendre disponible à l'éducation de leur enfant. Dit autrement, il s'agit d'aider les parents à aller mieux pour que leurs enfants aillent mieux. Ainsi, actuellement la SLEA est engagée dans un véritable travail de réflexion sur des orientations qu'elle pressent comme incontournables dans un avenir proche et dont la réalisation devrait se faire, bien sûr, on l'aura compris, à moyens constants. Barbara Walter Directrice Recherche et projets Société Lyonnaise pour l'Enfance et l'Adolescence (SLEA) 5