Réflexions suite à l`intervention de Jean-Michel Blanquer

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Réflexions suite à l`intervention de Jean-Michel Blanquer
Département de recherche
Sociétés humaines et responsabilité éducative
Séminaire « Ecole et République »
Séance du 17 septembre 2015
QUELS OBJECTIFS FIXER AU SYSTEME EDUCATIF ?
DANS QUELS BUTS ECONOMIQUES ET SOCIAUX ?
REFLEXIONS SUITE A L’INTERVENTION DE JEAN-MICHEL BLANQUER
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Réactions à l’intervention de Jean-Michel Blanquer sur la question de l’évaluation (Jean-Marie Ketele), p.1
Quelle(s) évaluation(s) pour quels objectifs et pour quel public ?, p.2
Etablir des objectifs au système éducatif en Communauté flamande (Gaby Hostens), p.2
Le système de « gestion par objectif » au Danemark (Torben Rasmussen), p.3
Le système de « gestion par objectif » en Angleterre (Linda Evans), p.4
Une proposition pour l’Ecole française (Bernard Hugonnier), p.4
Réactions à l’intervention de Jean-Michel Blanquer sur la question de l’évaluation
Propos engagé par Jean-Marie de Ketele
Tout d’abord, il est certain qu’il faille lutter contre le pessimisme contreproductif concernant l’évaluation et lui
préférer une formule stimulante : une évaluation « sympathique » plutôt qu’ « antipathique » (bilan) ainsi que
favoriser des mécanismes d’aide et d’accompagnement en mettant toujours l’accent sur le progrès des
établissements et prenant en compte les forces autant que les lacunes dans l’évaluation. D’autre part, il y a un
instrument d’évaluation externe pour réguler constructivement le système éducatif à l’aide de supports positifs (la
DEPP, les deux inspections générales et même les inspections régionales). La contractualisation des académies
semble aussi importante. Toujours dans cette optique, il faut songer à maintenir le débat sur la question de
l’évaluation avec l’esprit d’une évaluation au service de l’excellence, mais reste à définir les critères de
l’excellence…
Une évaluation tous les trois ans, sans oublier le préscolaire, paraît être un bon rythme. En Belgique francophone
par exemple, des évaluations sont organisées au CE1, en sixième, en quatrième et en terminale et dans les cantons
romands, il existe des épreuves externes (standardisées vs non standardisées) dont certaines à « enjeux faibles »
pour la régulation et d’autres à « enjeux élevés » pour la certification et l’orientation.
Reste la question de la discipline : faut-il n’évaluer que le français et les mathématiques ? Quels autres domaines
évaluer ? La motivation par exemple ? Par ailleurs, il semble impératif de conserver une vision « systémique » de
l’évaluation, de l’élève jusqu’au ministère, mais également dans le sens inverse, d’où l’importance de distinguer les
objectifs d’apprentissage et les objectifs institutionnels. Les objectifs d’apprentissage commencent bien
évidemment avec les acquis des élèves. Les objectifs institutionnels quant à eux sont de grands indicateurs qui vont
permettre de faire une régulation, notamment par des contractualisations descendantes. Aussi faut-il distinguer
l’approche « bilan » et l’approche « formative ». Dans l’approche bilan, est pris en compte le niveau des acquis,
mais le niveau des acquis se fait-il uniquement par sommation successive en prenant en compte les moyennes des
élèves, puis les moyennes de classe, puis les moyennes des établissements, etc. ou en prenant en compte dans
l’analyse l’unité initiale qu’est l’élève ? Ce qui a un impact considérable sur l’évaluation des progrès, car que
regarde-t-on en définitive : les moyennes à chaque niveau supérieur ou le progrès en repartant de l’unité l’élève?
D’autre part, il faut réajuster les indicateurs d’équité qui trop souvent ne prennent en compte que la corrélation
entre le niveau socio-économique et les acquis. Ces acquis d’ailleurs sont-ils homogènes ou non et à partir de quel
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seuil ? Dans l’approche formative, c’est le niveau de progrès ou de régression qui est pris en compte en sachant
que le niveau de progrès est très difficile à mesurer à cause de l’équivalence des objets mesurés sur des temps
différents.
Il est d’autre part un axe important à considérer : celui des finalités, des « macro-compétences », des objectifs
généraux, des capacités, en tout cas des compétences de plus en plus pointues et qui vont jusqu’à des savoirs à
restituer. Mais alors où doit-on s’arrêter dans les objectifs à évaluer ? Et de quelle manière les évaluer ? Les
compétences transversales ne peuvent pas s’évaluer de la même manière que les savoirs, etc. De plus, si on
prétend évaluer les finalités que sont : promouvoir le développement personnel dans toutes ses dimensions, aider
chaque élève à progresser dans la confiance et l’estime et la connaissance de soi et s’approprier les éléments clés
de la culture, amener chaque élève à être responsable et à apprendre à vivre avec autrui pour construire de
manière durable une société démocratique et fraternelle, assurer à tous les élèves des chances égales
d’émancipation… est-ce qu’à travers les objets que l’on va prendre en considération dans l’évaluation, ces finalitéslà pourront être évaluées ? Rien n’est moins sûr. Quelles sont alors les stratégies complémentaires à prévoir ?
Quelle(s) évaluation(s) pour quels objectifs et pour quel public ?
Réflexion collective engagée par les participants
Comment en effet passer de ces finalités-là (les valeurs de la république) à des objectifs opérationnels
mesurables ? Tout est-il quantifiable dans l’éducation ? Comment peut-on mesurer l’acquisition des valeurs à
promouvoir à l’école ? Quid des autres acquis, des talents ? Comment les évaluer ?
Le problème qui se pose lorsque l’on évoque la question de l’évaluation est en réalité un problème de définition :
ne confond-on pas en fin de compte deux types d’évaluation dont les finalités seraient différentes ? D’un côté,
celles qui sont destinées à évaluer la classe et les élèves par les professeurs, et d’un autre côté, une évaluation
« bilan » ou « sommative » qui est destinée en revanche au pilotage du système, et pas nécessairement basée sur
la masse mais sur un échantillon par exemple, et non nécessairement annuelle. D’autre part, pourquoi une
évaluation bilan serait-elle plus antipathique qu’une évaluation diagnostique si l’on part du principe qu’une
évaluation faite en fin d’année peut servir de base pour la nouvelle année ? Cela pourrait servir notamment à
créer, sur la base des forces et des faiblesses constatées, des outils d’analyse permettant de faire des
regroupements et de s’adresser ainsi de manière différenciée à chaque groupe d’élèves.
Etablir des objectifs au système éducatif en Belgique
Sujet engagé par Gaby Hostens
Lorsque l’on parle d’objectifs économiques et sociaux dans un pays comme la Belgique avec la liberté
d’enseignement et l’autonomie pédagogique, il y a souvent des tensions entre les priorités du monde politique et
donc les objectifs imposés par le gouvernement et le parlement, et les organisateurs de l’enseignement qui
souhaitent définir le contenu de l’enseignement et être aussi libres que possible.
Ainsi, au début de la législature de cinq années, le ministre doit présenter une vaste note politique sur des objectifs
stratégiques et opérationnels après consultation des partenaires du monde éducatif, économique et social. Voici
quelques titres parlants concernant ces objectifs : « Aujourd’hui champions en mathématiques ; demain aussi
champions en opportunités égales pour tout le monde » (période 2004-2009), « Développer pleinement les talents
de chacun qui étudie (qu’il soit jeune ou adulte). », diversifier la carrière des enseignants », « Renforcer la
formation des enseignants », « Renforcer la qualité par la création d’un environnement riche en information »,
« Donner la responsabilité pour la qualité aux institutions » (période 2014-2019). Les objectifs stratégiques fixés
concernant trois domaines : l’équité, les enseignants et les institutions scolaires responsables de la qualité de
l’enseignement et sont accompagnés d’un calendrier pour parvenir à la réalisation législative de ces objectifs. Au
terme de chaque année, le ministre doit justifier de ce qui a été fait l’année précédente en évaluant le progrès
réalisé et annoncer en conséquence les objectifs particuliers pour l’année suivante. Mais les évaluations chiffrées
existent très peu en Belgique.
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D’autre part, différents niveaux interviennent dans la mise en place des objectifs. Aussi, au niveau des
organisateurs d’enseignement (catholique, communal, provincial, état), les objectifs qu’ils établissent et qui leur
sont propres sont prioritaires même s’ils intègrent dans leur propre programme scolaire les objectifs politiques.
Par exemple, au niveau des organisateurs d’enseignement catholique, des activités pédagogiques ont lieu au mois
de septembre pour répondre aux défis actuels telles que « comment accueillir les réfugiés politiques : diversité
démographique et linguistique des institutions » ou encore « comment mieux intégrer les jeunes musulmans et
combattre la radicalisation ». Au niveau des institutions, peu ont des objectifs précis élaborés. Dans l’enseignement
secondaire, les institutions de l’enseignement général ont un intérêt particulier à suivre les réussites de leurs
étudiants dans l’enseignement supérieur et les institutions professionnelles et techniques s’intéressent plus à
l’intégration de leurs diplômés au marché du travail car l’Inspection s’intéresse aux résultats et à ce que ce sont
devenus les étudiants sur le marché de l’emploi.
Du reste, les radioscopies scolaires sont des évaluations externes tous les cinq, six ans depuis 1991 (donc les écoles
ont été évaluées quatre fois jusqu’à maintenant). Quant aux évaluations internes, organisées par les écoles ellesmêmes, elles, sont très répandues pour renforcer la qualité de leur enseignement à l’aide d’amis critiques souvent
professeurs à l’université et pour préparer les évaluations externes. Celles-ci nécessitent un document écrit (sa
propre radioscopie) et cette radioscopie scolaire ne se concentre pas trop sur les disciplines mais sur l’école
entière, sur sa qualité. Enfin, le fait que la communauté française de Belgique enregistre de moins bons résultats
que la communauté flamande peut s’expliquer par le système de gestion par objectifs qui prévaut seulement dans
la seconde communauté mais aussi par la continuité du système flamand et sa plus grande cohérence politique. Un
autre facteur doit être considéré : le poids des parents ; en effet, les parents se préparent longuement pour le
choix de l’école en consultant les documents de l’Inspection. Un autre élément pouvant expliquer cette situation
est que ce sont les chefs d’établissement qui recrutent les enseignants (souvent parmi les anciens meilleurs élèves
en prenant en compte ce qu’ils peuvent donner comme extra aux écoles) et non le ministère comme c’est le cas en
France.
Le système de « gestion par objectifs » au Danemark
Sujet engagé par Torben Rasmussen
Jusqu’en 2013, le Danemark n’avait pas de gestion par objectifs, mais une loi a été adoptée il y a deux ans pour
transformer notre système de gestion par contenu des programmes avec désormais certains objectifs à respecter.
Aussi à présent l’école doit-elle aider chaque élève pour avoir des meilleurs résultats, réduire l’effet des origines
sociales dans les résultats obtenus chaque année et améliorer l’atmosphère d’apprentissage en respectant la
pratique professionnelle de l’école.
L’on a également établi un système d’évaluation avec des tests nationaux obligatoires et l’on a formulé des
objectifs nationaux de compétences et d’habileté, et de connaissances. Les communes, par le truchement des
chefs d’établissements, peuvent ajouter des objectifs supplémentaires et le chef d’établissement a un rôle plus
renforcé : il peut établir les lignes directrices de la pédagogie et de l’organisation de l’enseignement et organiser
des évaluations autres que celles qui sont obligatoires, comme la langue maternelle (en deuxième, quatrième,
sixième et huitième année) les mathématiques (troisième, cinquième et septième année), l’anglais (quatrième et
septième année), les sciences (huitième année). L’enseignant, de plus, doit procéder à une évaluation courante
pour chaque élève accompagnée d’une fiche d‘apprentissage personnelle où sont formulés les objectifs
d’apprentissage permettant de suivre sa progression.
Toutefois, avec ce système, la liberté de méthode se voit compromise et le débat est vif entre les enseignants, les
syndicats d’enseignants et le niveau politique. C‘est donc très novateur pour le système danois qui connaît
désormais un pilotage au niveau national beaucoup plus ferme qu’avant et c’est bien la première fois qu’a été
explicitement fait mention dans la loi d’une gestion par objectifs, dont la plupart d’ailleurs sont mesurables à l’aide
de tests.
Le système de « gestion par objectifs » en Angleterre
Propos engagé par Linda Evans
En Angleterre, il existe un système de gestion par performance en trois parties : la gestion par performance, le
développement personnel et l’évaluation annuelle.
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Dans le système anglais, l’enseignant est évalué (par le chef d’établissement, du moins officiellement), et ce qui est
au cœur de ce système, ce sont les teacher standards : les normes en matière de compétences que les enseignants
doivent atteindre, et ces standards (normes) sont différentes pour les enseignants selon le niveau de leur carrière.
S’il y a des compétences dans lesquelles l’enseignant est faible, il dispose du droit de développement
professionnel : le droit de se développer en tant qu’enseignant.
Les objectifs des élèves quant à eux sont écrits dans le curriculum national. Ce curriculum national a été créé afin
d’encourager la concurrence entre les écoles mais la concurrence est moindre car la plupart des parents
choisissent l’école la plus proche de leur domicile même s’ils sont influencés par les tableaux de de classement de
l’école, dont les résultats des examens sont très importants, et les rapports d’inspection incluent ces données.
Enfin, la gestion par performance s’établit en Angleterre à l’aide de ce qu’on appelle la documentation teachers :
les enseignants doivent écrire tout ce qui se passe dans la classe durant la journée.
Une proposition pour l’Ecole française
Proposition engagée par Bernard Hugonnier
Une question essentielle demeure toutefois concernant la gestion par résultats : dans le livre de Georges Felouzis
sur les inégalités scolaires, l’auteur pose le problème de la manière suivante : si l’on a une école avec des jeunes en
difficulté (80%) et que l’on donne un budget au chef d’établissement pour ces jeunes en difficulté, l’incitation à
faire mieux travailler les enseignants n’est pas importante. En revanche, si le gouvernement promet d’accroître le
budget si l’école diminue de 5% le nombre de jeunes en difficulté d’ici deux ou trois ans, le chef d’établissement va
agir sur les professeurs pour qu’ils soient plus innovants et qu’ils prennent davantage d’actions pour essayer
d’améliorer la situation. Ainsi, cette gestion par résultats, par objectifs, semble donner de meilleures performances
aux Etats- Unis, en Grande Bretagne, et au Danemark.
La question qui se pose est donc la suivante : faut-il essayer d’envisager une telle gestion par résultats en France où
nous avons un déterminisme social dramatique avec des zones d’éducation prioritaires qui ne diminuent pas en
nombre ? Près de deux millions de jeunes qui sont dans ces zones sont en déperdition. Est-ce que l’on pourrait
imaginer que d’avoir une telle gestion par résultats ou par objectifs pourrait améliorer la situation en essayant de
créer des incitations auprès des professeurs pour qu’ils fassent des expérimentations, davantage d’innovations et
trouver des solutions plus efficaces qu’à l’heure actuelle.
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