LE FÉDÉRALiSME CANADiEN

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LE FÉDÉRALiSME CANADiEN
Chapitre I
Le fédéralisme canadien
Section i
LA Théorie du fédéralisme
Un État est fédéral lorsque le pouvoir législatif est séparé entre un parlement
central et des parlements régionaux. Dans un tel système, le pouvoir exécutif
est également double. Il existe un gouvernement central et des gouvernements
régionaux, de même qu’un double pouvoir de taxation. Il s’agit d’une manière
de décentraliser l’exercice du pouvoir étatique. Les différents ordres de
­gouvernement sont sensés entretenir entre eux des rapports de collaboration,
ils ne devraient pas fonctionner de manière subordonnée3.
Ainsi, le fédéralisme suppose une association de collectivités où se
concilient deux tendances contradictoires : la tendance à l’autonomie des
entités fédérées et la tendance à la superposition ou la hiérarchisation de
­l’entité globale sur chacun des membres4.
Ce qui distingue une fédération5 d’une confédération, c’est principalement l’absence de personnalité juridique de ses membres au regard du droit
international6. Dans une confédération, les États membres s’engagent librement, par traité, et demeurent investis de la pleine capacité juridique en droit
   3. Nicole DUPLÉ, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur,
2007, p. 267.
   4. Claude-Albert COLLIARD, Institutions internationales, 9e éd., Paris, Éditions Dalloz, 1990,
p. 82-83.
   5. Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Éditions Bruylant, 2001,
p. 502.
   6. La distinction entre fédération et confédération n’est pas aussi claire que cela dans la doctrine.
Il existe encore une confusion entre ces deux concepts, ce qui explique d’ailleurs qu’on parle de
la « confédération canadienne ». Mais nous croyons qu’une distinction s’impose et qu’une
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international. Dans une fédération, les États – ou les provinces en ce qui
concerne le Canada – ne sont pas libres de briser le pacte fédératif et n’ont
pas la pleine capacité juridique en droit international. Ainsi, une province
canadienne ne peut conclure de traité, pas plus qu’elle ne peut aspirer à être
membre de l’ONU ou de l’OMC.
Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec7, la Cour suprême du
Canada a indiqué que le fédéralisme était un principe fondamental de la
Constitution canadienne et elle a défini partiellement ce principe. Elle établit
un lien entre le fédéralisme et la diversité ainsi que la protection des intérêts
des minorités linguistiques ou culturelles :
Le principe du fédéralisme est une reconnaissance de la diversité des
composantes de la Confédération et de l’autonomie dont les gouver­
nements provinciaux disposent pour assurer le développement de leur
société dans leurs propres sphères de compétence. La structure fédérale
de notre pays facilite aussi la participation à la démocratie en conférant
des pouvoirs au gouvernement que l’on croit le mieux placé pour ­atteindre
un objectif sociétal donné dans le contexte de cette diversité.
[…]
Le principe du fédéralisme facilite la poursuite d’objectifs collectifs par
des minorités culturelles ou linguistiques qui constituent la majorité dans
une province donnée. C’est le cas au Québec, où la majorité de la
­population est francophone et qui possède une culture distincte. Ce n’est
pas le simple fruit du hasard. La réalité sociale et démographique du
Québec explique son existence comme entité politique et a constitué, en
fait, une des raisons essentielles de la création d’une structure fédérale
pour l’union canadienne en 1867.8
En fait, dans les négociations ayant conduit à la Loi constitutionnelle de
1867, les députés anglophones étaient plutôt en faveur de la création d’un État
unitaire, une « union législative » unissant les colonies britanniques d’Amé­
rique du Nord. Les députés francophones plaidaient, pour leur part, en faveur
de la création d’une fédération9. Ce sont eux qui ont eu gain de cause, mais le
caractère extrêmement centralisateur de la Constitution canadienne atteste des
compromis que cette situation a engendrés.
c­ onfédération correspond beaucoup plus à la réalité des Communautés européennes qu’à celle du
Canada ou des États-Unis.
   7. [1998] A.C.S. no 61, [1998] 2 R.C.S. 217.
   8. Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] A.C.S. no 61, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 58 et 59.
   9. Jacques LACOURSIÈRE, Histoire populaire du Québec 1841 à 1896, t. 3, Sillery, Éditions
­Septentrion, 1996.
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Sous-section 1
Les éléments essentiels du fédéralisme
Un État fédéral suppose, on l’a dit, un partage des compétences législatives.
Ces compétences peuvent être exclusives, partagées ou résiduaires. Une
­constitution fédérale établit donc habituellement une liste de compétences
législatives en faveur du pouvoir central ou des provinces, selon le cas, et
laisse les pouvoirs qui restent à l’autre ordre de gouvernement. Au Canada, la
Constitution n’établit pas une seule liste de pouvoirs, mais deux, en plus
d’établir deux types de pouvoirs résiduaires et des compétences concurrentes
ou partagées. Comme le disait le professeur François Crépeau : « Pourquoi
faire simple quand on peut faire compliqué »10 ?
La Constitution canadienne prévoit donc, à l’article 91 L.C. 1867,
une liste de pouvoirs législatifs réservés exclusivement au fédéral et, à son
article 92, une liste de pouvoirs réservés aux provinces. En ce qui a trait aux
pouvoirs résiduaires, l’article 91 prévoit qu’ils appartiennent au fédéral, mais
pas tous. Le paragraphe 92(16) prévoit en effet que toutes les matières
« ­purement locales ou privées » seront régies par les provinces. Enfin, la
Constitution canadienne prévoit certains pouvoirs partagés ou concurrents,
soit les pensions de vieillesse11, l’agriculture et l’immigration12. Dans ces
domaines, le fédéral et les provinces ont le pouvoir de faire des lois.
Le fédéralisme suppose habituellement la présence d’autres éléments
dans l’organisation étatique. D’abord, il entraîne la suprématie d’une constitution écrite, relativement rigide. Les tenants et aboutissants des pouvoirs de
chaque ordre de gouvernement doivent être précisément définis. Les règles
du jeu ne sauraient être modifiées unilatéralement par l’un des Parlements,
qui usurperait alors le pouvoir de l’autre13.
Ensuite, une fédération est souvent caractérisée par la présence d’un
Sénat. Le Sénat est habituellement un organe du pouvoir central où les
­intérêts des membres de l’union sont représentés. Le Canada a un Sénat, mais
il ne remplit malheureusement pas cette fonction. En effet, les provinces ne
participent absolument pas à la nomination des sénateurs, qui ne sont pas élus,
mais nommés par le gouvernement fédéral14. Notre Sénat est donc de type
aristocratique. Il s’agit d’une chambre où les projets de loi devraient être
révisés par des personnes neutres à l’abri des pressions populaires. Dans les
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10. J’ai suivi l’excellent cours de droit constitutionnel du Professeur Crépeau en 1994 et c’est l’une de
ses pensées dont je me souviens encore aujourd’hui, après avoir tout oublié.
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11. Art. 94A L.C. 1867.
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12. Art. 95 L.C. 1867.
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13. Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] A.C.S. no 61, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 74.
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14. Art. 24 L.C. 1867.
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faits, les sénateurs sont membres de partis politiques et le Sénat est un organe
qui plie devant la Chambre des Communes15. Mais il représente un certain
danger au niveau théorique puisqu’il a les mêmes pouvoirs que la Chambre
des Communes et que son consentement est nécessaire à l’adoption de tout
projet de loi fédéral16.
Enfin, un partage des compétences législatives entre deux organes
p­ olitiques suppose des conflits de juridiction. Un organe démocratiquement
élu s’intéresse parfois à des problèmes relevant de la juridiction de l’autre
ordre de gouvernement. De plus, la Constitution étant un texte de compromis,
elle comporte des zones d’ombre et les limites des pouvoirs législatifs de
chaque ordre de gouvernement ne sont pas toujours claires. Une constitution
fédérale prévoit donc l’existence d’un organe juridictionnel dont le rôle est de
trancher ces conflits. Au Canada, les arbitres des règles constitutionnelles sont
les tribunaux, avec la Cour suprême du Canada comme forum ultime. Encore
ici, la Constitution canadienne comporte une remarquable lacune puisque
l’existence de cette Cour n’y est pas prévue17. Les règles qui la gouvernent
sont prévues par une loi fédérale18. On a tenté de corriger cette lacune avec
les projets d’accords du Lac Meech en 1987 et de Charlottetown en 1992,
mais ces projets de réforme ont été, pour d’autres raisons, rejetés.
Sous-section 2
L’évolution historique du fédéralisme canadien
L’année 1867 marque l’union fédérale de trois colonies britanniques : le HautCanada, qui sera alors divisé en deux provinces, l’Ontario et le Québec,
­correspondant aux anciens Haut et Bas-Canada19, le Nouveau-Brunswick
et la Nouvelle-Écosse. S’y ajouteront rapidement d’autres provinces : d’abord
le Manitoba, créé par une loi fédérale en 187020. L’année suivante, la
­Colombie-Britannique se joint au Canada 21. Elle est suivie de l’Île-du-­
Prince-Édouard en 187322. L’Alberta et la Saskatchewan sont créées en 190523.
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15. Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2008, p. 339-340.
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16. Art. 17 et 18 L.C. 1867.
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17. La Loi constitutionnelle de 1867 ne prévoit en effet, à son article 101, que le pouvoir, octroyé au
Parlement fédéral, de « créer, maintenir et organiser une cour générale d’appel pour le Canada ».
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18. Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), c. S-26.
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19. Art. 6 L.C. 1867.
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20. Loi de 1870 sur le Manitoba, L.R.C. (1985), App. II, no 8.
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21. British Columbia Terms of Union, L.R.C. (1985), App. II, no 10.
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22. Prince Edward Island Terms of Union, L.R.C. (1985), App. II, no 12.
 ���
23. Loi sur l’Alberta, L.R.C. (1985), App. II, no 20 ; Loi sur la Saskatchewan, L.R.C. (1985), App. II,
no 21.
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Une dixième province, Terre-Neuve-et-Labrador, s’est jointe beaucoup plus
tard à la fédération canadienne, soit en 194924.
Il appert du texte de la L.C. 1867 que ses rédacteurs ont désiré que le
pouvoir central soit fort. Ainsi les premières années de relations fédéral­provincial ont été marquées par la domination du fédéral, qui bénéficiait des
politiciens les plus aguerris, des principaux pouvoirs et de plus de 80 % des
sources de taxation. Mais la jurisprudence du Comité judiciaire du Conseil
privé a rapidement été très favorable aux provinces25.
Sous-section 3
Le caractère centralisateur du fédéralisme canadien
Le Canada est une fédération fortement centralisée. Certains éléments de la
Constitution canadienne rappellent même l’organisation d’un État unitaire.
Voici un bref aperçu de ces éléments.
Commençons par deux éléments, qui ne sont plus déterminants dans le
contexte actuel, mais qui méritent tout de même d’être abordés. D’abord, les
lieutenants-gouverneurs des provinces sont nommés par le gouverneur général
du Canada26. Donc, dans les faits, ils sont choisis par le gouvernement fédéral.
Ce sont les représentants de la Reine dans chacune des provinces et ils
­disposent d’un pouvoir de sanction sur les lois provinciales27. Cet élément
n’est pas déterminant parce que les lieutenants-gouverneurs sont les repré­
sentants de la Reine et non des fonctionnaires fédéraux. De plus, une
­convention constitutionnelle prévoit qu’ils doivent exercer leur pouvoir de
sanction conformément aux vœux de la population28.
Ensuite, l’article 90 L.C. 1867 prévoit l’existence d’un pouvoir de
désaveu et de réserve des lois provinciales en faveur du gouvernement fédéral.
Le gouvernement fédéral a ainsi le pouvoir d’annuler une loi provinciale qui
lui déplaît. Le lieutenant-gouverneur réserve sa sanction jusqu’à ce que le
gouvernement fédéral décide s’il approuve la loi ou non. Le fédéral a utilisé
ce pouvoir plus de 112 fois, de 1867 à 1943, date à laquelle ce pouvoir a été
 ���
24. Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1949, 12-13 Geo. VI, R.-U., c. 22.
 ���
25. Le Comité judiciaire du Conseil privé, tribunal impérial siégeant à Londres, fut, jusqu’en 1949,
l’instance judiciaire ultime pour le Canada. Ses 82 ans de jurisprudence au cours desquels il a
­abondamment interprété la Loi constitutionnelle de 1867 ont bien entendu marqué le développement
de la fédération.
 ���
26. Art. 58 L.C. 1867.
 ���
27. Art. 69 et 71 L.C. 1867.
 ���
28. Peter HOGG, Constitutionnal Law of Canada, Student Edition, Scarborough, Thompson Carswell,
2006, p. 280.
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utilisé pour la dernière fois29. À l’instar de nombreux auteurs, nous croyons
qu’une convention constitutionnelle interdit dorénavant l’exercice de ce
pouvoir, tombé en désuétude30.
Troisièmement, le fédéral jouit d’un pouvoir d’urgence31 et d’un pouvoir
déclaratoire32. Le premier pouvoir n’est applicable qu’en situation excep­
tionnelle. Le fédéral peut alors envahir les domaines de compétence provinciale. Il a un effet mitigé, puisqu’il n’est applicable que dans des cas rares,
habituellement limités dans le temps.
Quant au pouvoir déclaratoire, il a été utilisé plus de 472 fois depuis
1867 , surtout pour des chemins de fer intraprovinciaux, qu’on a déclarés à
l’avantage général du Canada, mais aussi pour des installations telles que des
ponts, des téléphones, des barrages, des ports, des tunnels, des raffineries, des
restaurants, des théâtres, des mines, des télégraphes, des élévateurs de grains.
« Cette déclaration a le même effet que si l’ouvrage qui en fait l’objet se
­trouvait expressément énuméré à l’art. 91. »34 Le fédéral acquiert ainsi une
compétence exclusive concernant cet ouvrage, ce qui comprend le pouvoir de
le construire, de le réparer, de le modifier, de le détruire et de le gérer. Aussi,
le pouvoir déclaratoire sur un ouvrage s’étend, le cas échéant, à l’entreprise
qui l’exploite et en bénéficie. La jurisprudence n’a jamais défini ce que veulent
dire les mots « pour l’avantage général du Canada ». Il ne s’agit que d’une
condition de forme : le parlement fédéral doit, dans une loi, écrire explici­
tement qu’un ouvrage ou un type d’ouvrage est pour l’avantage général du
Canada. Les tribunaux ne contrôlent pas l’opportunité de recourir à ce
pouvoir.
33
Les quatre éléments suivants ont plus d’impact sur la prépondérance du
pouvoir fédéral. Premièrement, les juges de la Cour suprême ainsi que des
cours supérieures sont nommés exclusivement par le pouvoir central35. Or, les
juges bénéficient d’un large pouvoir dans l’interprétation et l’application des
règles constitutionnelles. Les règles relatives au partage des compétences sont
générales, vagues, souvent ambiguës. C’est l’interprétation judiciaire qui les
 ���
29. Pierre MACKAY, Droit constitutionnel, notes de cours, édition 2006-2007, p. 47, en ligne : <www.
er.uqam.ca/nobel/r31400/jur2515/ndecours/jur2515chap2-2007.pdf>.
 ���
30. Voir notamment Peter HOGG, Constitutionnal Law of Canada, Student Edition, Scarborough,
Thompson Carswell, 2006, p. 125.
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31. Art. 91 (clause introductive) L.C. 1867.
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32. Par. 92(10) L.C. 1867.
 ���
33. Peter HOGG, Constitutionnal Law of Canada, Student Edition, Scarborough, Thompson Carswell,
2006, p. 582.
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34. Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] A.C.S. no 99, [1993] 3 R.C.S.
327, par. 57.
 ���
35. Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), c. S-26 ; Art. 96 L.C. 1867.
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a précisées et en a fixé toute la portée. De plus, la Constitution canadienne est
vieille, elle compte plus de 141 ans. Ce sont les tribunaux qui adaptent ce
texte issu du XIXe siècle aux réalités contemporaines, en utilisant la technique
de l’interprétation évolutive. Cette technique permet d’adapter, dans la limite
du possible, le texte de la Constitution afin qu’il demeure d’actualité et qu’il
puisse, encore aujourd’hui, donner des solutions à des problèmes n’ayant
jamais été envisagés par les politiciens de 186736.
Le fédéralisme canadien découle dans une très large mesure de la
conception que s’en font les tribunaux et plus particulièrement de la conception que s’en fait le plus haut tribunal du pays. À la conférence de Victoria de
1971, le premier ministre Pierre-Elliott Trudeau s’était dit ouvert à ce que les
provinces interviennent dans le choix des juges de la Cour suprême. Mais
lorsqu’il a décidé de procéder au rapatriement unilatéral de la Constitution en
1981, ce même gouvernement n’a plus parlé de réforme de la Cour suprême.
Il n’en est pas question dans la Loi constitutionnelle de 1982. Les Accords de
Meech et de Charlottetown auraient réglé le problème en obligeant le fédéral
à nommer ses juges à partir de noms fournis par les provinces.
Deuxièmement, il n’existe aucun mécanisme de participation des provinces à la législation fédérale. Les provinces ne prennent part à la formation
d’aucun organe législatif fédéral, pas même du Sénat. En vertu de la L.C. 1867,
les sénateurs sont répartis en fonction de critères régionaux, bien que ­certaines
provinces en aient un nombre déterminé37. Dans les faits, ce rôle de repré­
senter les provinces n’a jamais été joué par les sénateurs. Ceux-ci sont soit
des personnes récompensées pour le travail donné à un parti politique, soit
des politiciens en fin de carrière, soit des ministres dont on voulait se
­débarrasser élégamment ou encore, depuis quelques années, des vedettes
médiatiques, rehaussant l’image de l’institution38. Dans tous les cas, ils
sont nommés par le premier ministre en fonction et appartiennent au parti de
celui-ci ou partagent son idéologie.
Quant à la Chambre des communes, elle est composée de députés qui
ne représentent pas, juridiquement parlant, leur région ou leur province, mais
plutôt l’ensemble de la collectivité. La L.C. 1867 consacre le principe de la
représentation en fonction de la population et non celui de la représentation
 ���
36. Reference re : British North America Act, 1867 s. 24, [1929] J.C.J. No. 2, [1930] A.C. 124 ; Renvoi
relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] A.C.S. no 75, [2004] 3 R.C.S. 698,
par. 22-23.
 ���
37. Art. 22 L.C. 1867.
 ���
38. Pensons notamment aux sénateurs Jean Lapointe et Roméo Dallaire.
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des provinces au niveau fédéral39. Ainsi, ni les sénateurs, ni les députés
­fédéraux ne sont mandatés par les provinces. Le Canada ne comporte aucune
chambre fédérative.
Troisièmement, le Parlement fédéral jouit des pouvoirs les plus
i­mportants et possède substantiellement plus de pouvoirs que les législatures
provinciales. Le fédéral occupe les champs les plus importants, il dispose de
tous les leviers macro-économiques, tandis que les provinces ont surtout reçu
des compétences de nature sociale et culturelle, des pouvoirs locaux ou de
nature privée. De plus, le fédéral peut utiliser la théorie des dimensions
­nationales afin de s’immiscer dans des domaines qui relèveraient ­norma­lement
de la compétence des provinces. En cas d’incompatibilité, les lois fédérales
sont prépondérantes. Enfin, la théorie de l’immunité inter­juridictionnelle
fonctionne à sens unique au Canada : les lois fédérales lient les provinces
alors que le fédéral n’est jamais lié par une loi provinciale.
Quatrièmement, il existe un déséquilibre en ce qui a trait au partage des
ressources fiscales. Le fédéral jouit d’un pouvoir fiscal juridiquement ­illimité40
et aucun plafond n’est fixée quant à son pouvoir de dépenser41. Il jouit de plus
de sources de revenus que les provinces et il n’est pas directement respon­
sable de la mise en place, de la gestion et du financement des programmes
sociaux les plus coûteux, soit la santé et l’éducation.
Depuis le début des années 90, les dépenses des provinces en matière
de santé n’ont cessé de croître à une vitesse vertigineuse. Or, au même
moment, le fédéral a coupé dans les transferts aux provinces et a utilisé les
surplus de la caisse d’assurance-chômage afin d’équilibrer son budget et
­éliminer les déficits auxquels il était abonné depuis longtemps. Il y est parvenu
et, depuis 1998, il déclare de confortables surplus qu’il applique au rem­
boursement de la dette nationale. Pendant ce temps, plusieurs provinces ont
de la difficulté à boucler leur budget. Elles sont donc de plus en plus à la
remorque du fédéral qui choisit dans quel programme et à quelles conditions
il offre un soutien financier aux provinces42. C’est ce qui a fait apparaître
 ���
39. Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2008, p. 421.
 ���
40. Par. 91(3) L.C. 1867.
 ���
41. Selon la Cour suprême dans YMHA Jewish Community Centre of Winnipeg Inc. c. Brown, [1989]
A.C.S. no 57, [1989] 1 R.C.S. 1532, dépenser des sommes d’argent dans un domaine n’équivaut pas
à légiférer relativement à ce domaine, même si le gouvernement fixe des règles et des conditions
relatives à l’octroi de ces sommes d’argent.
 ���
42. Luc GODBOUT et Karine DUMONT, Mettre cartes sur table pour résoudre le déséquilibre fiscal,
Sherbrooke, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke,
2005, 56 p.
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l’idée d’un programme national de garderie, de financement de l’éducation
post-secondaire, de santé, etc.
Ces éléments ont porté l’auteur Kenneth C. Wheare à conclure que le
Canada est une quasi-fédération43. Quelques auteurs vont plus loin, en
­affirmant que l’autonomie des provinces n’est pas assurée par la Constitution.
Elle ne subsiste que par la tolérance relative du pouvoir central44. Ainsi, le
Canada serait une quasi-fédération dans laquelle les pouvoirs provinciaux
survivent grâce au bon plaisir du pouvoir central.
Section II
Le partage des compétences législatives
Les règles du partage des compétences législatives au Canada se trouvent à
la partie VI de la L.C. 1867. La plupart d’entre elles sont des compétences
exclusives, donc qui ne peuvent être exercées que par l’un des deux ordres de
gouvernement, à l’exclusion de l’autre. Ces compétences sont énumérées aux
articles 91 à 93 L.C. 1867. Les articles 91 et 92 sont les plus complexes et
comprennent de longues énumérations.
Sous-section 1
La structure de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867
A. La clause introductive
L’article 91 est une disposition longue et complexe, ayant inspiré plusieurs
théories concernant le partage des compétences législatives. Il commence par
ce qu’on nomme la « clause introductive », qui se lit comme suit :
Il sera loisible à la Reine […] de faire des lois pour la paix, l’ordre et le
bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne
tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclu­sivement
assignés aux législatures des provinces ; […].
Des mots « paix, ordre et bon gouvernement », les juges ont inféré que
le fédéral disposait de tous les pouvoirs en cas d’urgence et qu’il disposait
aussi de pouvoirs législatifs exclusifs sur tout sujet intéressant le Canada en
entier.
 ���
43. Kenneth C. WHEARE, Federal Government, 4e éd., New York, Oxford University Press, 1964,
266 p.
 ���
44. Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2008, p. 434.
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1.
La théorie des pouvoirs d’urgence
En cas de guerre, d’insurrection réelle ou appréhendée, en cas de famine,
d’épidémie, de catastrophe naturelle majeure ou de quelque menace sérieuse
à l’État, le fédéral dispose du pouvoir d’adopter des lois ou des décrets
­empiétant sur les domaines réservés aux provinces. En cas de situation
d’urgence, le pouvoir se concentre donc entre les mains du fédéral, pour des
raisons de commodité et d’efficacité.
Ces pouvoirs sont temporaires. Les empiètements sur les champs
p­ rovinciaux sont sensés disparaître lorsque la crise est résorbée, mais ils
peuvent survivre pendant une période raisonnable. Dans l’arrêt Fort ­Frances45,
le Conseil privé a indiqué que la fin de la Première guerre mondiale n’avait
pas entraîné automatiquement la fin de l’état de crise et que les mesures
exceptionnelles adoptées par le gouvernement fédéral pouvaient se prolonger
au-delà de l’armistice.
Qui décide s’il existe une situation d’urgence justifiant un empiètement
sur les domaines réservés aux provinces ? C’est le gouvernement fédéral qui
détient ce pouvoir. La Loi sur les mesures d’urgence prévoit toutefois que le
Parlement fédéral peut annuler une telle décision prise par le gouverneur
général en conseil46. Les provinces ne disposent juridiquement d’aucun
pouvoir à cet égard. À l’occasion de contestations constitutionnelles de
mesures prises lors d’un état d’urgence, les tribunaux ont décidé qu’un conflit
armé international, telles les deux guerres mondiales, constituait une situation
justifiant l’exercice des pouvoirs d’urgence47. Les pouvoirs d’urgence du
fédéral ont également été utilisés lors de la crise d’octobre 1970, durant
laquelle un ministre du gouvernement du Québec et un diplomate anglais
avaient été enlevés48. Enfin, le fédéral peut recourir à ces pouvoirs d’urgence
en cas d’épidémie49.
La question de savoir si une crise économique peut justifier l’utilisation
des pouvoirs d’urgence a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle. Les
 ���
45. Fort Frances Pulp and Power Co c. Manitoba Free Press Co, [1923] J.C.J. No. 2, [1923]
A.C. 695.
 ���
46. Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. (1985), c. 22 (4e supp.), art. 10.
 ���
47. Fort Frances Pulp and Power Co c. Manitoba Free Press Co, [1923] J.C.J. No. 2, [1923] A.C. 695 ;
Co-operative Committee on Japanese Canadians v. Canada (Attorney General), [1946] J.C.J. No. 1,
[1947] A.C. 87; Renvoi relatif à la validité des règlements sur les baux en temps de guerre, [1950]
A.C.S. no 1, [1950] R.C.S. 124.
 ���
48. Loi sur les mesures de guerre, (5 Geo. V, c. 2, Dom.) – 9 & 10 Geo. V, c. 63. Cette loi a été remplacée
en 1988 par la Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. (1985), c. 22 (4e supp.).
 ���
49. Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] J.C.J. No. 1, [1925] A.C. 396 ; Ontario (Attorney
general) v. Canada Temperance Federation, [1946] J.C.J. No. 7, [1946] A.C. 193.
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Le fédéralisme canadien
21
décisions du Comité judiciaire du Conseil privé furent à l’effet qu’une
crise économique ne pouvait être considérée comme une situation d’urgence, à moins qu’elle n’engendre des troubles ou encore une famine50. La
Cour suprême est revenue sur cette décision en 1976, à l’occasion du
Renvoi relatif à la Loi anti-inflation51. La majorité de la Cour y affirma
qu’une période étendue au cours de laquelle un fort taux de chômage
­s’accompagne d’une inflation très élevée justifiait l’adoption par le Parlement
fédéral de mesures extraordinaires empiétant sur des champs législatifs
­provinciaux.
2.
La théorie des dimensions nationales
Tirée elle aussi des mots « paix, ordre et bon gouvernement », la théorie des
dimensions nationales s’applique en tout temps, sans qu’il ne soit nécessaire
de justifier son emploi par l’existence d’une situation critique. Cette théorie
provient de deux dictums du Comité judiciaire du Conseil privé qui avait
déclaré valides des lois fédérales prohibant la vente et la consommation
d’alcool, alors que, jusque-là, la réglementation du commerce des boissons
enivrantes avait été déclarée de compétence provinciale52. Le Conseil privé a
indiqué que le fédéral pouvait adopter des lois concernant des matières qui, à
l’origine, étaient provinciales, mais qui, suivant l’évolution de la société,
­pouvaient affecter l’ensemble du Canada. Cette théorie fut pratiquement mise
de côté par la jurisprudence subséquente du Conseil privé. Il refusa, durant
les années 20 et 30, les arguments fondés sur cette théorie pour justifier diffé­
rents empiétements sur des champs législatifs provinciaux. Toutefois, durant
les années 70, la Cour suprême fit un pas en avant de manière à redonner du
poids à cette théorie53.
Ainsi, dans des circonstances normales, le fédéral peut empiéter sur des
sujets énumérés à l’article 92, lorsqu’il s’agit d’un sujet d’importance pour
l’ensemble de la nation canadienne. Sans en donner de signification précise,
la Cour suprême a indiqué que cette théorie pouvait être utilisée pour légiférer
dans des matières ayant une particularité, une indivisibilité et une certaine
importance nationale. Certains sujets qui, initialement, faisaient partie du
domaine législatif des provinces, peuvent prendre une envergure telle qu’ils
intéressent la nation dans son ensemble. Le fédéral peut alors légiférer sur de
 ���
50. Reference Re : Board of Commerce Act, 1919 (Can.), [1921] J.C.J. No. 4, [1922] 1 A.C. 191 ;
­Reference Re : Employment and social Insurance Act (Can.), [1937] J.C.J. No. 6, [1937] A.C. 355.
 ���
51. [1976] A.C.S. no 12, [1976] 2 R.C.S. 373.
 ���
52. Ontario (Attorney-General) v. Canada Temperance Federation, [1946] J.C.J. No. 7, [1946] A.C. 193;
Reference Re : Canada Temperance Act, 1878 (Can.), [1882] J.C.J. No. 1, 7 App. Cas. 829.
 ���
53. Renvoi relatif à la Loi anti-inflation, [1976] A.C.S. no 12, [1976] 2 R.C.S. 373.
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
tels sujets, surtout si l’omission d’une province de s’occuper de ce sujet peut
avoir des impacts négatifs sur les autres provinces54.
Par exemple, cette théorie justifie l’adoption de lois fédérales concernant la pollution de l’air, la pollution des cours d’eaux interprovinciaux55 et
l’énergie nucléaire56. La jurisprudence a également invoqué la théorie des
dimensions nationales pour placer sous l’égide du fédéral les domaines des
télécommunications57 et de l’aéronautique58. Il peut sembler étrange que les
tribunaux aient eu recours à cette théorie pour justifier le pouvoir fédéral en
ces domaines. Le pouvoir résiduaire fédéral aurait très bien pu faire l’affaire.
Mais celui-ci se bute parfois au pouvoir résiduaire provincial, qui concerne
les matières purement locales ou privées. Ainsi, pour justifier qu’un domaine
non énuméré fasse partie des compétences fédérales, il faut non seulement
qu’il s’agisse d’un pouvoir résiduaire, mais encore il faut que la matière en
cause ait un intérêt dépassant les affaires locales ou privées. La théorie des
dimensions nationales a aussi justifié l’existence de la Loi sur la capitale
nationale59, dans laquelle le Parlement fédéral fait une intrusion excep­
tionnelle dans le domaine municipal60.
B.
La clause déclaratoire
La seconde partie du chapeau de l’article 91 L.C. 1867 se nomme la « clause
déclaratoire ». Séparée de la clause introductive par un point-virgule, elle est
rédigé ainsi :
mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des
termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente
déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la
­présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada
s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets
­ci-dessous énumérés, savoir […].
Les tribunaux ont tiré de ce bout de phrase, apparemment sans intérêt,
la théorie de la prépondérance fédérale ainsi que celle des pouvoirs rési­duaires
fédéraux.
 ���
54. R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] A.C.S. no 23, [1988] 1 R.C.S. 401.
 ���
55. R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] A.C.S. no 23, [1988] 1 R.C.S. 401.
 ���
56. Pronto Uranium Mines Ltd. v. The Ontario Labour Relations Board et al, [1956] O.J. No. 567, [1956]
O.R. 862 (S.C.).
 ���
57. In re Regulation and Control of Radio Communication in Canada, [1932] J.C.J. No. 1, [1932] A.C. 304.
 ���
58. Regulation and Control of Aeronautics in Canada (Re), [1931] J.C.J. No. 4, [1932] A.C. 54.
 ���
59. L.R.C. (1985), c. N-4.
 ���
60. Munro c. La Commission de la Capitale nationale, [1966] A.C.S. no 46, [1966] R.C.S. 663.
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Le fédéralisme canadien
23
Selon la théorie de la prépondérance fédérale, en cas de contradiction
expresse entre une loi provinciale valide et une loi fédérale valide, cette
­dernière doit l’emporter. Il y a contradiction expresse lorsqu’il est impossible
pour le justiciable de se conformer aux deux lois. L’une dit « oui » et l’autre
dit « non »61. On ne peut respecter l’une sans violer l’autre. Une telle situation
est rare62. Il faut être en présence de deux lois s’appliquant dans le même
domaine, aux mêmes personnes. Il faut que la loi provinciale puisse se
­rattacher à une compétence provinciale et que la loi fédérale puisse se rattacher à une compétence fédérale. Il faut enfin un conflit entre les normes63. En
ce cas, la règle fédérale demeure et la règle provinciale n’a plus d’effet, dans
la mesure de son incompatibilité.
Cette clause déclaratoire vient également affirmer que toutes les ­matières
n’étant pas spécifiquement confiées aux provinces relèvent du fédéral. Cette
règle accordant des pouvoirs résiduaires au fédéral est réaffirmée au para­
graphe 91(29).
C. Les compétences législatives exclusives du fédéral
Il s’ensuit une énumération de 29 compétences accordées spécifiquement
au fédéral. Quelques remarques s’imposent quant aux compétences énumérées.
1.
Les matières économiques
La Constitution accorde au Parlement fédéral tous les pouvoirs importants en
matière économique. Il contrôle le commerce international64, la monnaie65, les
taux d’intérêts66, les banques67, de même que la faillite et l’insolvabilité68. Le
 ���
61. Multiple Access Ltd c. McCutheon, [1982] A.C.S. no 66, [1982] 2 R.C.S. 161.
 ���
62. Les exemples pouvant être tirés de la jurisprudence portent souvent sur des cas où une loi
­fédérale permet de faire quelque chose alors que la loi provinciale prohibe le comportement,
voir Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] A.C.S. no 66, [2001] 3 R.C.S. 113. Si
une loi sanctionne un comportement de manière plus sévère que l’autre, telle l’imposition d’une
­suspension du droit de conduire une automobile, alors il n’y a pas vraiment d’incompatibilité : la
peine du législateur le plus sévère emporte l’autre, voir Ross c. Ontario (Registraire des véhicules
automobiles), [1975] A.C.S. no 130, [1975] 1 R.C.S. 5.
 ���
63. Voir Banque de Montréal c. Hall, [1990] A.C.S. no 9, [1990] 1 R.C.S. 121.
 ���
64. Par. 91(2) L.C. 1867.
 ���
65. Par. 91(14) L.C. 1867.
 ���
66. Par. 91(19) L.C. 1867.
 ���
67. Par. 91(15) L.C. 1867.
 ���
68. Par. 91(21) L.C. 1867.
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24
Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
fédéral a aussi les pleins pouvoirs en matière de défense nationale69, en matière
navale70 et en ce qui concerne les pêcheries71.
La Constitution confie au fédéral certaines matières qui, autrement,
auraient été confiées aux provinces par le biais de leur pouvoir en matière de
propriété et de droits civils. Il s’agit des pouvoirs en matière de mariage et de
divorce, d’affaires bancaires, de commerce maritime, de propriété intellectuelle, de billets promissoires, de lettres de change et de faillite. Ces para­
graphes sont considérés comme des exceptions au paragraphe 92(13) qui
confie aux provinces le loisir de créer des lois réglementant le droit privé.
2.
Le droit criminel
L’un des pouvoirs des plus étendus et des plus importants confié au fédéral
est sans doute celui du droit criminel qu’on retrouve au paragraphe 91(27).
Cette disposition sert de base à l’adoption de lois très diverses, allant de la
réglementation des aliments et des médicaments72, à l’interdiction du meurtre
ou de la prostitution, en passant par l’interdiction de la publicité sur le tabac73.
La Cour suprême n’a jamais donné de définition précise de ce qu’est le droit
criminel. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu74, elle indique
qu’une « loi peut être considérée comme relevant du droit criminel si elle
comporte les trois éléments suivants : un objet valide de droit criminel assorti
d’une interdiction et d’une sanction »75. La Cour, dans sa grande retenue, n’a
jamais défini ce qu’est un objet valide de droit criminel. Elle se contente de
donner des exemples : « la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé, la
moralité »76.
Un autre critère pour déterminer si un domaine relève du droit criminel
est de vérifier si les tribunaux l’ont traditionnellement classé ainsi. C’est
un critère complètement tautologique, mais néanmoins efficace et utilisé.
De façon générale, si une loi interdit un comportement parce qu’il est immoral,
asocial ou dangereux au point de stigmatiser son auteur pour marquer
­l’opprobre de la société, cette loi sera de nature criminelle. Une loi inter­
disant la propagation de certaines idées ou imposant une doctrine religieuse
 ���
69. Par. 91(7) L.C. 1867.
 ���
70. Par. 91(10) et 91(13) L.C. 1867.
 ���
71. Par. 91(12) L.C. 1867.
 ���
72. Standard Sausage Co. c. Lee, [1934] B.C.J. No. 119, 1 D.L.R. 706 (C.A.) ; Rex c. Perfection
­Creameries Ltd, [1939] M.J. No. 3, 3 D.L.R. 185 (C.A.).
 ���
73. RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.S. no 68, [1995] 3 R.C.S. 199.
 ���
74. [2000] A.C.S. no 31, [2001] 1 R.C.S. 783.
 ���
75. Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] A.C.S. no 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 27.
 ���
76. Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] A.C.S. no 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 31 ; voir
aussi Renvoi sur la margarine, [1948] A.C.S. no 42, [1949] R.C.S. 1.
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Le fédéralisme canadien
25
sera qualifiée de criminelle. Plus la peine liée à une infraction est importante,
plus elle sera susceptible d’être classée dans la catégorie des infractions
­criminelles.
3.
La taxation
Il faut également souligner les importants pouvoirs de taxation accordés au
Parlement fédéral par le paragraphe 91(3). Cette disposition donne au fédéral
le pouvoir d’établir, par toutes les méthodes, autant de taxes directes
qu’indirectes.
En 1867, les principales dépenses prévues étaient la construction du
chemin de fer, de routes, de canaux, de ports et de ponts, de même que la
défense du dominion. C’était au fédéral d’assumer cela et c’est pourquoi les
colonies lui accordèrent 80 % de leurs sources d’imposition77.
On ne croyait alors pas que la taxation directe pouvait devenir vraiment
lucrative. On prévoyait que le fédéral allait donner aux provinces des subsides
afin qu’elles bouclent leur budget78, mais ces subsides devinrent rapidement
insuffisants.
Les provinces se mirent alors progressivement à imposer des taxes
directes, d’abord aux compagnies, ensuite aux individus, en prélevant une
partie de leurs revenus et de leurs successions.
Le gouvernement fédéral se mit lui aussi, durant la Première guerre
mondiale, à imposer des taxes directes. Ces mesures dites « provisoires »
s’avérèrent permanentes. Durant la Seconde guerre mondiale, le fédéral,
­utilisant ses pouvoirs d’urgence, retira aux provinces leur droit de prélever les
trois taxes qu’elles avaient pris l’habitude d’imposer, soit les taxes sur le
revenu des particuliers, sur le revenu des entreprises et sur les successions. En
retour, les provinces reçurent du fédéral des paiements compensant leurs
pertes de revenus.
Après la guerre, le fédéral proposa aux provinces de continuer dans cette
voie. Un accord intervint avec toutes les provinces à l’exception du Québec
et de l’Ontario.
Lors du renouvellement de l’accord, en 1952, seul le Québec continua
à faire cavalier seul et à lever ses propres impôts.
 ���
77. Peter HOGG, Constitutionnal Law of Canada, Student Edition, Scarborough, Thompson Carswell,
2006, p. 156.
 ���
78. Art. 118 L.C. 1867 (maintenant abrogé).
Constitution-mep-12.indd 25
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26
Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
Ces accords entre le fédéral et les provinces ont évolué jusqu’en 1962 ;
des accords, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoient que chaque province
impose ses propres taxes au taux qu’elle veut, mais utilise les mêmes bases
de taxation que le fédéral79. Le fédéral collecte les impôts au nom de chaque
province de telle sorte que le contribuable ne remplit qu’un rapport d’impôts.
Ainsi, les taxes de la province constituent une partie des taxes perçues par le
fédéral, partie qui lui est redistribuée.
Toutes les provinces, sauf le Québec, fonctionnent de cette manière.
Sous-section 2
La structure de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867
L’article 92 est beaucoup moins complexe que l’article 91 et il n’a pas, comme
celui-ci, généré de théories spéciales. Certains pouvoirs qui y sont énumérés
méritent néanmoins des commentaires.
A. Les compétences législatives exclusives des provinces
Soulignons d’abord le paragraphe 92(2) qui octroie à la province un pouvoir
de taxation directe, dans ses limites et à des fins provinciales. En principe,
puisque le paragraphe 92(2) donne aux provinces le pouvoir d’imposer des
taxes directes pour des fins provinciales, on pourrait penser que le fédéral n’a
pas ce pouvoir, qui serait exclusif aux provinces. Mais cette limite n’est
qu’apparente : les lois fiscales n’indiquant pas à quoi serviront les revenus, il
est impossible a priori de savoir si une taxe dans la province est imposée pour
des fins fédérales ou provinciales80. Les provinces, tout comme le fédéral
d’ailleurs, ont la possibilité de dépenser leur argent où bon leur semble, même
dans des champs relevant de l’autre ordre de gouvernement.
Un paragraphe fort particulier est le 92(10), qui donne à la province le
pouvoir de légiférer à propos des travaux et entreprises d’une nature locale.
Sont cependant exclus de cette énumération les ouvrages suivants, qui sont
confiés au fédéral : les lignes de transport par bateau, qu’elles soient à
­l’intérieur de la province, interprovinciales ou internationales et les ouvrages
ou les entreprises faisant l’objet du pouvoir déclaratoire fédéral.
 ���
79. Peter HOGG, Constitutionnal Law of Canada, Student Edition, Scarborough, Thompson Carswell,
2006, p. 159.
 ���
80. Dow v. Black, [1875] J.C.J. No. 1, 6 L.R.P.C. 272.
Constitution-mep-12.indd 26
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Le fédéralisme canadien
1.
27
La propriété et les droits civils dans la province
Le paragraphe 92(13) est sans doute celui qui donne le plus de pouvoirs
aux provinces. Le Comité judiciaire du Conseil privé s’est penché sur
­l’inter­prétation de ce paragraphe dans Citizen Insurance Co. of Canada v.
­Parsons81. Il a indiqué qu’on devait donner aux mots « propriété et droits
civils » leur sens le plus large. Il déclare que tous les contrats, à l’excep­
tion de ceux visés spécifiquement par l’article 91, sont visés par ce champ
de compétence.
L’expression « droits civils » utilisée au paragraphe 92(13) a une
portée aussi large que lorsqu’elle était utilisée dans l’Acte de Québec. Elle se
­rapporte aux rapports juridiques entre les individus. Cette expression ne
corres­pond pas à ce qu’on appelle les libertés fondamentales ou les libertés
publiques.
Elle comprend donc ce qui est inclus dans le Code civil du Québec82, soit
la capacité des personnes, leur état, le droit de la famille, les successions, les
biens et le droit de propriété, les obligations et les contrats, les priorités et
hypothèques, la prescription et le droit international privé.
Des règles particulières s’appliquent en matière de relations de travail.
Généralement, les relations de travail sont de compétence provinciale. Le
contrat individuel de travail est un contrat. Il est donc régi par les lois provinciales. La réglementation des rapports collectifs de travail relève aussi, en
principe, des provinces. Il existe toutefois des exceptions.
Premièrement, en raison du paragraphe 91(8), accordant au fédéral le
pouvoir de légiférer sur la fixation et le paiement des honoraires et salaires
des officiers du gouvernement du Canada, les provinces ne peuvent légiférer
à propos des conditions de travail des fonctionnaires fédéraux.
Deuxièmement, les provinces ne peuvent régir non plus les relations de
travail dans les entreprises privées exerçant dans des domaines relevant de la
compétence fédérale (banques, entreprises de télécommunication ou de
­transport interprovincial, postes, GRC). Les relations de travail constituent
une partie vitale de l’administration et de l’exploitation d’une entreprise.
Ainsi, lorsque le fédéral est compétent à l’égard des entreprises, il est aussi
compétent pour légiférer sur leurs relations de travail.
 ���
81. [1881] J.C.J. No. 1, 7 App. Cas. 96.
 ���
82. Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
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28
Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
Dans l’arrêt Bell Canada83 de 1966, la Cour suprême a indiqué que
les lois provinciales fixant un salaire minimum étaient inapplicables aux
entreprises fédérales. Elle alla encore plus loin dans l’arrêt Bell Canada84 de
1988, en déclarant que la Loi sur la santé et la sécurité au travail85 était
­inapplicable aux entreprises fédérales parce que cette loi ne porte pas sur la
santé, mais sur l’organisation des relations de travail dans l’entreprise, sur les
conditions de travail et sur la gestion de l’entreprise. Ces éléments étant vitaux
à une entreprise, seul le Parlement fédéral peut y instaurer des règles.
La jurisprudence a de plus étendu cette application aux opérations
connexes qui font partie intégrante de l’entreprise fédérale. Dans l’arrêt
Banque canadienne de l’Ouest86, la Cour fixe toutefois des limites en indiquant que l’assurance-crédit n’est pas une activité vitale ou essentielle à
l’entre­prise bancaire pour quatre raisons : (1) la loi fédérale considère que
l’assurance est une activité distincte des opérations bancaires ; (2) les assu­
rances peuvent être annulées en tout temps et sont vendues après l’octroie du
prêt ; (3) l’assurance ne représente pas de lien avec le remboursement de la
dette parce que l’élément déclencheur n’est pas le défaut de remboursement,
mais la survenance d’un événement malheureux dans la vie de l’emprunteur
et ; (4) les banques exploitent leur département d’assurance de manière
­distincte, l’assurance est distincte de la garantie sur le prêt.
La compétence législative provinciale en matière de droits civils s’étend
à la protection du consommateur. Dans l’arrêt Kellogg’s87, la Cour suprême a
indiqué qu’en vertu du paragraphe 92(13), la province pouvait validement
prohiber la publicité faite aux enfants. Les provinces ont donc le pouvoir
de régir la commercialisation et la vente au détail des produits, en autant
qu’elles ne visent que le marché intraprovincial88. Il s’agit de contrats
de vente, n’échappant pas au droit civil général. Ainsi, une loi provinciale
portant sur le transport, les quotas, l’emballage, l’entreposage, la vente et
 ���
83. Québec (Commission du Salaire Minimum) v. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] A.C.S. no 51,
[1966] R.C.S. 767.
 ���
84. Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité au travail), [1988] A.C.S. no 41,
[1988] 1 R.C.S. 749.
 ���
85. L.R.Q., c. S-2.1.
 ���
86. Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] A.C.S. no 22, [2007] 2 R.C.S. 3.
 ���
87. Québec (Procureur général) c. Kellogg’s Co. of Canada, [1978] A.C.S. no 5, [1978] 2 R.C.S. 211, confirmé
par Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] A.C.S. no 36, [1989] 1 R.C.S. 927.
 ���
88. Shannon c. Lower Mainland Dairy Products Board, [1938] J.C.J. No. 2, [1938] A.C. 708 ; Home Oil
Distributors Ltd. c. A.-G. British Columbia, [1940] A.C.S. no 20, [1940] R.C.S. 444. En revanche,
une loi fédérale sur le blé stipulant que toute transaction interprovinciale de blé doit s’effectuer par
l’intermédiaire d’une commission fédérale est valide. Si les contrats relèvent du commerce inter­
provincial, le Parlement acquiert compétence à leur égard.
Constitution-mep-12.indd 28
9/30/08 11:19:39 AM
Le fédéralisme canadien
29
la mise en marché des produits agricoles dans la province est valide89. La
province peut fixer les prix des produits et établir des contrôles de qualité90.
L’usage de la langue sur les étiquettes des produits concerne la qualité et la
loyauté des transactions entre distributeurs et consommateurs et tombe donc
sous le joug du paragraphe 92(13).
Cette compétence permet aussi aux provinces de réglementer en matière
de professions91. Lue avec le paragraphe 92(16), soit les matières purement
locales ou privées, la compétence en matière de droits civils sert de fondement aux lois provinciales portant sur la circulation automobile92, les règles
entourant les permis d’alcool93, le régime d’assurance-maladie94, les mesures
de sécurité sociale95, etc.
2.
Le paragraphe 92(15) : la sanction des lois provinciales
Cette disposition permet aux provinces d’imposer des peines d’amende ou
d’emprisonnement pour assurer la sanction de ses lois. Il ne s’agit pas ici de
permettre à la province de créer des infractions criminelles, mais simplement
de lui donner l’opportunité d’équiper ses lois de mécanismes de mise en
œuvre. Ainsi, une province peut validement prévoir des peines d’emprison­
nement en cas d’infraction à une loi concernant les valeurs mobilières. Elle
peut même prévoir l’emprisonnement des contrevenants à certaines dispositions de son code de la route.
3.
L’article 92 in fine : les pouvoirs résiduaires provinciaux
La province a le pouvoir d’édicter des lois sur toute matière purement locale
ou privée. Il s’agit d’une catégorie fourre-tout utilisée dans la jurisprudence
du Comité judiciaire du Conseil privé, qui a été très favorable aux provinces.
La lettre de la L.C. 1867, nous l’avons vu, révèle une Constitution très centra­
lisatrice. La jurisprudence du tribunal impérial a, jusqu’en 1949, interprété
les rubriques de compétence d’une manière très favorable aux provinces,
 ���
89. Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2008, p. 509.
 ���
90. Carnation Co. Ltd. c. L’Office des marchés agricoles du Québec, [1968] A.C.S. no 11, [1968]
R.C.S. 238.
 ���
91. Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] A.C.S. no 45, [2002] 3 R.C.S. 372.
 ���
92. Provincial Secretary of the Province of Prince Edward Island c. Egan, [1941] A.C.S. no 20, [1941]
R.C.S. 396 ; O’Grady c. Sparling, [1960] A.C.S. no 48, [1960] R.C.S. 804.
 ���
93. Rio Hotel Ltd c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] A.C.S.
no 46, [1987] 2 R.C.S. 59.
 ���
94. Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] A.C.S. no 86, [1997] 3 R.C.S. 624.
 ���
95. Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] A.C.S. no 39, [1993] 1 R.C.S. 1080.
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
notamment en décidant que le pouvoir fédéral en matière de trafic et de
­commerce se limitait au commerce en général, interprovincial ou inter­
national96 et en interprétant largement le pouvoir provincial en matière de
droit civil de manière à y inclure des matières intéressant parfois davantage
le droit public que les « matières purement locales ou privées ».
Le paragraphe 92(16) justifie qu’une province ou qu’un organisme
délégué, telle une municipalité, adopte des règles locales. La réglementation
des débits de boisson fait partie de ces matières tout comme le commerce
local, la réglementation des rues, certaines mesures visant à prévenir le crime
ou la conduite tapageuse et désordonnée, le zonage ou la santé.
Sous-section 3
Les autres dispositions de la partie VI
de la Loi constitutionnelle de 1867
L’article 93 prévoit la compétence provinciale en matière d’éducation. Il
est séparé de la liste établie par l’article 92 notamment parce qu’il octroie
le maintien de privilèges en faveur des commissions scolaires catholiques
et protestantes. Ces privilèges ne sont plus aujourd’hui applicables au
Québec97. Le paragraphe 93(4) prévoit que le fédéral peut intervenir et
­légiférer en matière d’éducation dans une province si cette dernière omet
de le faire. Jamais cela ne s’est vu, toutes les provinces ayant légiféré en
cette matière. Le fédéral intervient malgré tout en matière d’éducation postsecondaire, en utilisant son pouvoir de dépenser.
L’article 94 concerne l’uniformisation du droit privé, par le fédéral, dans
les provinces de common law. Il est, jusqu’ici, resté lettre morte. C’est plutôt
la jurisprudence de la Cour suprême qui remplit ce rôle.
L’article 94A résulte de deux amendements constitutionnels datant de
1951 et 1964. Il permet aux autorités fédérales et provinciales de légi­férer en
matière de pension de vieillesse et de prestations additionnelles. Les ­pensions
de vieillesse constituent donc une compétence législative p­ artagée.
Enfin, l’article 95 concerne les domaines de l’immigration et de l’agriculture. Il s’agit également de pouvoirs législatifs concurrents avec, en cas
d’incompatibilité, une prépondérance expresse en faveur du Parlement
fédéral. Une entente entre Ottawa et Québec permet à la province de sélectionner, selon ses propres critères, une partie de ses immigrants.
 ���
96. Citizens Insurance Co. c. Parsons, [1881] J.C.J. No. 1, 7 App. Cas. 96.
 ���
97. Art. 93A L.C. 1867.
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Le fédéralisme canadien
31
Section iii
La démarche à suivre pour la résolution
des problèmes de partage des compétences
Sous-section 1
Les règles d’interprétation applicables
Les problèmes de partage de compétences nécessitent un double exercice
d’interprétation. Habituellement, on doit déterminer si une loi pouvait ou
non être validement adoptée par le législateur – fédéral ou provincial – l’ayant
édictée. La démarche à suivre implique l’interprétation de la loi elle-même,
afin d’en saisir l’objet et la portée, et l’interprétation d’une disposition de la
Constitution, pour savoir si la loi en cause peut se rattacher à une rubrique de
compétence appartenant au législateur l’ayant proclamée. En ce qui concerne
les règles d’interprétation applicables lors de la qualification de la loi, il s’agit
des mêmes règles que d’habitude. En ce qui concerne l’interprétation de la
Constitution, les règles sont quelque peu différentes. Voici quelques règles
incontournables.
A. L’intention fédérale
L’un des buts de la L.C. 1867 était d’instaurer un régime fédératif. Les tribu­
naux en sont donc venus, en principe, à chercher le maintien d’un certain
équilibre entre le fédéral et les provinces. C’est la Constitution qui limite les
sphères législatives. La L.C. 1867 partage l’ensemble du champ législatif. On
ne peut plaider qu’une matière, puisqu’elle n’est pas énumérée ou parce
qu’elle n’existait pas à l’époque n’a pu faire l’objet du partage.
L’interprétation judiciaire est un facteur important de l’évolution du
fédéralisme canadien. La L.C. 1867 étant un texte de compromis, ses termes
sont parfois vagues ou généraux. Certains termes de l’article 91, par exemple
la compétence fédérale en matière de trafic de commerce, semblent à ­première
vue contredire les termes de l’article 92 octroyant aux provinces la compétence en matière de propriété et de droits civils. De même, l’article 91 donne
au fédéral une compétence en matière de mariage alors que les ­provinces ont
la compétence législative en matière de célébration du mariage. Les tribunaux
ont donc dû interpréter les limites des pouvoirs de chaque parlement. Néanmoins, le discours contemporain de la Cour suprême laisse officiellement
un rôle fort secondaire aux tribunaux :
Le maintien de l’équilibre entre les pouvoirs fédéral et provinciaux relève
avant tout des gouvernements. Si le débat est judiciarisé, les tribunaux
doivent se reporter à la description de la compétence faite par les constituants pour en dégager les composantes essentielles, en étant guidés par
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
l’interprétation jurisprudentielle. En ce domaine, le sens des mots utilisés
peut être adapté à la réalité moderne dans le respect de la séparation des
pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires.98
La Cour suprême semble donc préférer un fédéralisme de coopération
ou de conciliation à un fédéralisme de confrontation. Mais c’est l’attitude des
gouvernements en place qui, selon elle, sera d’abord déterminante pour le
climat régnant dans les relations entre Ottawa et les provinces. Si d’aventure
les gouvernements sont jaloux de leurs compétences, c’est d’abord à eux
d’agir et de légiférer en conséquence. Une chose est sûre : la procédure de
modification du partage des compétences législatives ne relève pas des tribunaux mais bien du pouvoir politique. Si cette procédure est paralysée durant
des décennies, comme cela semble être le cas en ce moment, les tribunaux
doivent bien prendre le relais afin de faire évoluer les règles constitutionnelles
par le biais de l’interprétation jurisprudentielle.
B.
La constitutionnalité des lois est présumée
On présume que le législateur est un être informé des limites de ses propres
pouvoirs. La loi conserve donc sa validité jusqu’au jugement prononçant son
invalidité.
C. L’interprétation atténuée
Il s’agit d’une règle de retenue judiciaire. Si deux interprétations sont ­possibles,
on favorise celle qui rend la loi conforme à la Constitution. De même, si la consti­
tutionnalité d’une disposition législative est contestée et que le juge peut limiter
sa déclaration d’inconstitutionnalité à une partie seulement de cette disposition tout en sauvegardant le reste, il doit choisir cette option99. Cela permet de
respecter l’intention du législateur. Par exemple, si un terme général est utilisé
dans une loi et qu’il tend à lui donner une portée extraterritoriale, on interprétera ce terme de manière restrictive. Ainsi la règle n’a de portée qu’à l’intérieur
de la province, mais au moins elle y conserve ses effets juridiques.
De même, il existe une présomption à l’effet que les lois canadiennes
respectent le droit international applicable au Canada. On préférera donc l’inter­
prétation conforme aux obligations internationales du Canada100.
 ���
98. Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art 22 et 23, [2005] A.C.S. no 57, [2005]
2 R.C.S. 669, par. 10.
 ���
99. Schachter c. Canada, [1992] A.C.S. no 68, [1992] 2 R.C.S. 679.
100. Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.S. no 3, [2002] 1
R.C.S. 3, par. 46 ; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. ColombieBritannique, [2007] A.C.S. no 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 70.
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Le fédéralisme canadien
33
D. L’interprétation évolutive
Principe dominant de l’interprétation constitutionnelle, l’interprétation évolutive permet aux tribunaux d’interpréter le vieux texte de 1867 afin de l’adapter,
dans la mesure du possible, aux réalités sociales contemporaines. Ce principe
provient de l’arrêt Edwards101 du Conseil privé. À l’époque, des militantes fémi­
nistes désiraient devenir sénatrices. Le gouvernement refusait de considérer
sérieusement leurs candidatures parce que, selon lui, la Constitution ne pré­voyait
pas que les femmes puissent occuper un tel poste. Mme Edwards plaidait que
l’article 23 L.C. 1867, parce qu’il utilise le terme « personne », permettait aux
femmes comme aux hommes d’être nommées à ce poste. Le gouvernement
fédéral rétorqua, avec succès en Cour suprême du Canada, que l’intention du
constituant, en 1867, ne pouvait s’accorder avec cette interprétation.
Le Conseil privé de Londres fut d’accord avec la prétention selon laquelle
les pères de la Confédération n’avaient jamais envisagé que le poste de
­sénateur soit ouvert aux candidatures féminines. Mais il indiqua que les
choses avaient évoluées, qu’aujourd’hui les femmes avaient leur place en
politique et que l’interprétation constitutionnelle devait en tenir compte. Selon
Lord Haldane, la Constitution du Canada est comme un « arbre vivant »
capable de croître dans ses limites naturelles. Les tribunaux doivent donc
adapter la Constitution, destinée à régir l’exercice du pouvoir politique dans
l’État durant une longue période, aux réalités sociales nouvelles, autant que
faire se peut. L’interprétation doit être dynamique pour garder un caractère
d’actualité aux textes constitutionnels régissant le Canada.
C’est ce qui a amené la Cour suprême à conclure que la signification
du terme « mariage » employé à l’article 91 L.C. 1867 n’avait plus la même
signification aujourd’hui en ce que cette institution n’est plus intimement
liée à la religion telle qu’elle l’était en 1867102. Conséquemment, le fédéral
peut, tout en demeurant dans les limites de son pouvoir, prévoir une nouvelle
définition du mariage incluant l’union exclusive de deux conjoints du même
sexe. Également, cela a fait dire à la Cour suprême que le congé de mater­
nité pouvait être considéré comme du chômage au sens de l’article 91 L.C.
1867103.
101. Reference re : British North America Act, 1867 s. 24, [1929] J.C.J. No. 2, [1930] A.C. 124.
102. Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] A.C.S. no 75, [2004] 3 R.C.S. 698,
par. 22-23.
103. Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art 22 et 23, [2005] A.C.S. no 57, [2005]
2 R.C.S. 669.
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
Sous-section 2
La démarche établie dans l’arrêt Parsons104
Pour juger de la constitutionnalité d’une loi lorsqu’une question de partage de
compétences leur est soumise, les tribunaux canadiens utilisent une démarche
comportant, à la base, deux étapes. L’analyse est toutefois compliquée par
certaines théories ou doctrines, qui entrent en ligne de compte dans certaines
situations. Les deux étapes sont les suivantes : (1) la qualification de la loi, et
(2) le rattachement à l’une des rubriques de compétence énumérées dans la
Constitution105.
Les deux étapes sont indissociables et la première a une très grande
incidence sur le résultat de l’autre. En voici la description.
A. La qualification
Afin de déterminer dans quelle rubrique une loi ou une partie de loi peut être
classée, il faut d’abord analyser le contenu de ses règles. On dit alors qu’on
qualifie la loi. On en recherche le but. On décrit sa « caractéristique dominante » ou son caractère véritable. On résume ce sur quoi la loi porte et quels
sont ses effets. Il faut alors aller au-delà des critères primaires de classification des lois. Il faut monter d’un cran dans le niveau de précision. Par exemple,
la Loi sur la santé et la sécurité au travail106 est une loi pouvant être classée
dans le domaine du droit du travail. Bien que cette classification puisse être
utile dans certains contextes, il faut aller plus loin et étudier ce que ses dispositions visent concrètement à faire. Selon le juge Beetz, dans l’arrêt Bell
Canada107, cette loi ne porte pas vraiment sur la santé. Elle régit plutôt les
relations et les conditions de travail dans les entreprises.
Afin de qualifier une loi, on utilise deux critères de détermination : l’objet
de la loi et ses effets. Pour déterminer quel est l’objet de la loi, on étudie
(1) le texte de la loi, (2) le contexte de son adoption, et (3) le problème que le
législateur voulait régler. On tient alors compte de la jurisprudence antérieure,
104. Citizens Insurance Co. c. Parsons, [1881] J.C.J. No. 1, 7 App. Cas. 96.
105. L’analyse qui suit est tirée de la jurisprudence de la Cour suprême. Pour une description de la
démarche de résolution des problèmes de partage des compétences législatives, voir Banque
­canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] A.C.S. no 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 25 à 32 ; Bande Kitkatla
c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture),
[2002] A.C.S. no 33, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 52 à 58 ; Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi
(Can.), art. 22 et 23, [2005] A.C.S. no 57, [2005] 2 R.C.S. 669, par. 8 à 14 ; Renvoi relatif à la Loi sur
les armes à feu, [2000] A.C.S. no 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 16 à 26 ; R. c. Morgentaler, [1993]
A.C.S. no 95, [1993] 3 R.C.S. 463.
106. L.R.Q., c. S-2.1.
107. Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité au travail), [1988] A.C.S. no 41,
[1988] 1 R.C.S. 749.
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Le fédéralisme canadien
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de l’histoire, des débats parlementaires menant à l’adoption de la loi, des
rapports de commissions d’enquête.
Ensuite, pour déterminer quel est l’effet de la loi, on étudie les conséquences pratiques de sa mise en œuvre. Une loi peut avoir plusieurs effets,
mais c’est l’effet primaire qui compte.
On a un problème lorsque l’effet de la loi s’éloigne de son but avoué.
On se trouve alors devant une législation déguisée. Dans Saumur c. Québec108,
un règlement municipal prévoyait l’obligation d’obtenir un permis de la part
du chef de police pour distribuer de la « littérature » sur la voie publique. En
fait, le chef de police utilisait son pouvoir discrétionnaire pour censurer ce
qu’il jugeait inconvenant, en particulier les publications des Témoins de
Jéhovah.
B.
Le rattachement
À cette étape, on rattache l’objet de la loi à l’une des rubriques de compétence. Si le problème auquel on est confronté implique une loi provinciale, on
vérifie si elle peut être rattachée à l’une des rubriques énumérées à l’article 92
(ou à un des autres articles, ce qui est plus rare). Si la réponse est positive, alors
le législateur provincial avait le droit d’adopter la loi, elle est intra vires. Si
la réponse est négative, alors la loi se rattache forcément à l’une des ­rubriques
de l’article 91 ou alors au pouvoir résiduaire fédéral. Si la loi contestée est
une loi fédérale, alors on applique simplement le raisonnement inverse.
Cette étape comporte parfois la nécessité d’interpréter la portée des
rubriques de compétence énumérées. On utilise pour ce faire la technique de
l’interprétation dynamique, sans toutefois dénaturer les pouvoirs accordés par
la Constitution. Ce texte fait habituellement l’objet d’une interprétation large.
L’interprétation grammaticale, plus susceptible de conduire à des absurdités,
est exclue en matière d’interprétation de la Constitution. En effet, la Constitution canadienne est, à cause des données politiques, un texte très rigide, très
difficile à modifier. La dernière réforme constitutionnelle majeure date de
1982 et il est probable qu’il se passe encore quelques décennies avant que les
assemblées législatives canadiennes ne se mettent d’accord sur un nouveau
projet. Ainsi, le constituant n’est pas en mesure d’écarter efficacement une
interprétation jurisprudentielle controversée. Cela commande une vigilance
ainsi qu’une certaine retenue de la part des tribunaux.
En matière constitutionnelle, la méthode d’interprétation systématique
et logique porte aussi le nom d’interprétation conciliatrice : les dispositions
108. [1953] S.C.J. No. 49, [1953] 2 R.C.S. 299.
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
constitutionnelles étant en général rédigées en termes larges et généraux, leur sens
devra être limité de manière à donner effet à chacune d’elles. Les articles 91 et 92
doivent être lus ensemble. On les interprète l’un par rapport à l’autre. La Cons­
ti­tution doit s’interpréter comme un tout cohérent, un système où « chaque
élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble au sens de chaque
élément »109.
Enfin, pour déterminer le sens à donner à chaque rubrique de compétence, les tribunaux utilisent abondamment les données historiques. On tient
compte de l’intention du constituant lorsque le texte en cause a été rédigé. Par
exemple, dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi110, la Cour
suprême est allée vérifier ce que signifiaient les termes « assurance-chômage »
en 1940, lorsque les provinces ont consenti à donner au fédéral ce domaine
de compétence. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Utilisant l’interprétation
évolutive, les tribunaux déterminent comment la signification de ces termes
peut avoir évolué au fil du temps. C’est ainsi que l’expression « assurancechômage » en 1940 ne pouvait inclure les congés parentaux. Mais l’arrivée
massive des femmes sur le marché du travail dans les années 60 a modifié
profondément le monde du travail et a fait prendre conscience que l’arrivée
d’un nouveau-né pouvait être considérée comme un événement forçant un
travailleur à s’absenter contre son gré du travail. C’est ainsi, que le concept
d’indemniser les parents d’un nouveau-né par le biais d’un régime d’assuranceemploi peut être mis sur pied aujourd’hui sans que le fédéral n’empiète indûment sur les pouvoirs provinciaux en matière de soutien à la famille.
Ajoutons quelques critères officieux. Les juges tiennent compte, lors de
la résolution d’un problème de partage des compétences, de l’efficacité de la
mesure et des conséquences ultimes de ce choix. Chacun se fait une conception du fédéralisme canadien et se demande s’il s’agit du type de loi qui devrait
être adoptée par cet ordre de gouvernement. Il est évident que ces critères n’appa­
raissent pas dans la jurisprudence de la Cour, mais un bon plaideur doit quand
même savoir les exploiter.
C. Le chevauchement et le double aspect
Rares sont les cas où les dispositions d’une loi ne se rattachent qu’à une seule
rubrique de compétence énumérée dans la Constitution. De même, de nombreux domaines législatifs contemporains ne correspondent pas aux compétences énumérées en 1867. L’informatique, les technologies de l’information,
109. R. c. Dubois, [1985] A.C.S. no 69, [1985] 2 R.C.S. 350, par. 40.
110. Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] A.C.S. no 57, [2005]
2 R.C.S. 669.
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Le fédéralisme canadien
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les programmes sociaux, les régimes étatiques d’indemnisation, la protection
du consommateur et l’environnement sont des domaines législatifs qui
n’existaient pas en 1867, mais qui sont incontournables aujourd’hui. Si on
réécrivait la Constitution canadienne maintenant, il s’agirait sans doute de
rubriques de compétence énumérées. Par ailleurs, ces domaines ne peuvent
souvent pas être classés dans une seule rubrique de compétence. Ils sont des
amalgames de plusieurs matières111. Ils touchent souvent plusieurs rubriques,
parce que ces domaines comportent parfois de multiples aspects.
Bien que la société canadienne ait profondément changé depuis le
XIXe siècle, ce problème n’est pas nouveau. La jurisprudence a rapidement
été confrontée à des matières ou à des lois touchant à plus d’une catégorie de
compétence et pouvant se rattacher à la fois à une catégorie énumérée à
­l’article 91 et à une catégorie énumérée à l’article 92. Elle a donc développé
deux outils permettant de solutionner ces problèmes : la théorie du chevauchement et la théorie du double aspect.
1.
La théorie du chevauchement
Selon cette théorie, lorsqu’on peut rattacher la caractéristique dominante
d’une loi à une rubrique de compétence appartenant au parlement l’ayant
édictée, elle demeurera valide même si elle produit des effets sur une matière
appartenant à l’autre ordre de gouvernement. En effet, les lois peuvent ­produire
des effets collatéraux et affecter incidemment des matières autres que ce à quoi
elles se destinent en premier lieu, matières relevant nor­malement de la juridiction de l’autre ordre de gouvernement. Les exemples sont courants et on
peut même se demander s’il existe une seule loi n’affectant pas, directement
ou indirectement, un domaine réservé à l’autre ordre de gouvernement.
Les chevauchements sont donc tolérés. Une loi peut affecter des ­matières
qui relèvent normalement de la compétence de l’autre ordre de gouver­nement,
en autant qu’elle le fasse de manière incidente. Si, par exemple, la caracté­
ristique dominante d’une loi fédérale nous permet de la rattacher au droit
­criminel, alors l’impact qu’elle peut avoir sur la propriété ou les droits civils
dans les provinces ne modifie en rien sa validité112. De même, il est impossible
111. Voir à ce propos l’excellente opinion du juge Beetz dans le Renvoi relatif à la Loi anti-inflation,
[1976] A.C.S. no 12, [1976] 2 R.C.S. 373, concernant l’inflation qui ne peut, selon lui, constituer un
sujet législatif en soi. Il s’agirait plutôt d’un amalgame de pleins d’autres sujets, un concept large et
vague susceptible de toucher à des dizaines de domaines.
112. Voir par exemple le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] A.C.S. no 31, [2000] 1 R.C.S. 783.
L’imposition d’un permis pour l’acquisition d’une arme à feu affecte incidemment le domaine de la
propriété, mais sert d’abord et avant tout les fins de la justice criminelle. Il s’agit donc d’un exercice
valide de droit criminel.
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
de légiférer en matière de faillite (une compétence fédérale) sans que cela ne
produise des effets en droit civil (une compétence provinciale). Lorsque le
Parlement fédéral a légiféré en matière de divorce, sa loi a forcément eu
des répercussions sur le statut des personnes et le droit de la famille, deux
­domaines relevant du droit civil, donc de compétence provinciale. Inversement,
une loi provinciale peut mettre sur pied des règles qui ont pour effet de
­prévenir le crime. Si on peut rattacher l’objet de cette loi à une rubrique de
compé­tence provinciale, son effet sur la prévention du crime ne changera rien
au résultat : cette loi sera intra vires.
Jusqu’où peut-on aller ? À quel moment un empiètement devient-il intolérable ? La limite précise est souvent difficile à percevoir. Il faut que
­l’empiètement reste accessoire, il faut qu’il soit acceptable et prévisible113.
Selon la Cour suprême, on entend par « accessoires », « les effets de la loi qui
peuvent avoir une importance pratique significative mais qui sont accessoires
et secondaires au mandat de la législature qui a édicté la loi »114. Il ne faut
donc pas que les dispositions qui empiètent aient un objet et un but relevant
de l’autre ordre de gouvernement. L’empiètement est un effet secondaire, une
conséquence normale, parfois nécessaire de l’exercice régulier d’une compétence législative.
Ce critère de l’« accessoire » relève de la discrétion des juges et aucune
formule précise ne peut nous permettre de prévoir avec précision si un
­empiètement sera jugé accessoire ou non. Seule l’étude exhaustive de la juris­
prudence dans un domaine pourra nous donner une idée de ce qui est toléré
et de ce qui ne l’est pas. La Cour suprême a une « vision du fédéralisme
mettant davantage l’accent sur la possibilité d’une interaction légitime des
pouvoirs fédéraux et provinciaux »115. Donc, l’empiétement est la règle, en
autant qu’il demeure accessoire. Ce n’est qu’exceptionnellement que la Cour
a appliqué la doctrine de l’« exclusivité des compétences » selon laquelle il
faudrait attribuer aux sujets énumérés aux articles 91 et 92 un contenu
minimum, élémentaire et irréductible, échappant au pouvoir législatif de
l’autre ordre de gouvernement.
La Cour suprême applique aussi parfois le critère du « caractère intégré »
des dispositions contestées à l’objet de la loi. Ce critère devient pertinent
lorsque seules certaines dispositions spécifiques de la loi sont en cause. Une
loi peut en effet comporter différents types de règles, dans différents ­chapitres.
Certaines peuvent entretenir un lien évident avec le but général de la loi,
113. Nicole DUPLÉ, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur,
2007, p. 355.
114. Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] A.C.S. no 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 28.
115. Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] A.C.S. no 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 36.
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Le fédéralisme canadien
39
d’autres moins. Par exemple, la Loi sur l’assurance-emploi116 prévoit qu’une
personne perdant son emploi parce que son employeur ferme une usine a droit
à des prestations. Personne ne songera à contester qu’il s’agit là d’un exercice
valide, par le Parlement fédéral, de sa compétence en matière d’assurancechômage. En revanche, lorsque la même loi prévoit un chapitre particulier
octroyant des prestations de maternité/paternité aux père et mère d’un ­nouveau-né,
alors se pose la question du caractère suffisamment intégré de ces dispositions. La Cour suprême a répondu que les dispositions de la loi concernant les
congés de maternité/paternité étaient suffisamment intégrées parce qu’il
s’agissait d’une forme moderne de chômage.
Finalement, soulignons que la théorie de l’empiétement incident ne
permet pas d’envahir un champ législatif appartenant à l’autre ordre de
­gouvernement sous prétexte que ce dernier demeure inactif. La « théorie des
champs inoccupés » ne permet pas à un parlement d’usurper les pouvoirs de
l’autre. Quelques remarques s’imposent néanmoins. Certains champs de
­compétence sont si vastes qu’ils peuvent permettre validement la réglementation d’une matière lorsque l’autre ordre de gouvernement a omis d’utiliser
son pouvoir pour ce faire. Le meilleur exemple demeure celui du divorce. Ce
n’est qu’en 1968 que le Parlement fédéral a adopté sa Loi sur le divorce117.
Jusque-là, aucune loi fédérale ne prévoyait les conséquences de la fin d’un
mariage. Les provinces, en vertu de leur pouvoir en droit civil, ont prévu ces
conséquences. Ces règles sont valides puisque le droit civil englobe les conséquences du mariage et de sa fin. La compétence fédérale sur le mariage et le
divorce est une exception à cette large compétence provinciale. Lorsque le
Parlement fédéral a adopté la Loi sur le divorce, il a occupé son champ. Cela
a créé des conflits de lois qui se sont alors réglés sur la base de la prépon­
dérance de la loi fédérale.
2.
La théorie du double aspect
La théorie du double aspect ressemble à la théorie du chevauchement, mais
elle est un peu particulière et elle est employée surtout lorsqu’il existe des lois
fédérales et provinciales affectant le même sujet. Selon cette théorie, un même
sujet peut, selon les points de vue, être réglementé à la fois par le fédéral et
par les provinces118. Selon la Cour suprême :
vu sous un angle, ce sujet relève de la compétence du Parlement et, vu
sous un autre angle, il est du ressort de la province, la loi fédérale n’aura
116. Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23.
117. L.R.C. (1985), c. 3 (2e supp.).
118. Reference re : Liquor Licence Act of 1877 (Ont.), [1883] J.C.J. No. 2, 9 App. Cas. 117.
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Constitution, fédéralisme et droits fondamentaux
prépondérance que dans la mesure où elle entre directement en conflit
avec la mesure législative provinciale pertinente.119
On utilise cette théorie lorsqu’on est en face d’une législation qui porte
sur une matière à propos de laquelle l’autre ordre de gouvernement légifère
déjà ou lorsqu’une loi ou une partie de loi affecte un domaine relevant de
l’autre ordre de gouvernement. Voici quelques exemples classiques.
Si on prend le thème de l’alcool, on constate qu’à la fois des lois fédérales et provinciales imposent des règles pour la vente et la consommation de
ce produit. Selon l’angle sous lequel on aborde ce sujet, il pourra être soit de
compétence provinciale, soit de compétence fédérale, même s’il ne s’agit pas
d’une compétence concurrente. Ainsi, l’émission d’un permis pour vendre de
l’alcool est régie par des lois provinciales, en vertu du paragraphe 92(9). Les
spectacles de nudité dans les bars sont régis à la fois par des lois provinciales
(qui réglementent les conditions d’octroi du permis, en vertu des para­
graphes 92(9), 92(13) et 92(16)) et par des règles fédérales (le Code criminel120 ­interdit les spectacles indécents, en vertu du paragraphe 91(27)). Enfin,
si on veut prohiber complètement l’alcool, seule une loi fédérale pourrait le
faire parce qu’on exercerait alors la compétence de droit criminel qui lui est
réservée, en bannissant un produit du marché au nom de la moralité, de l’ordre
et de la sécurité ou de la santé publique121.
Un autre bon exemple d’application de la théorie du double aspect est
celui de l’automobile. Selon les points de vue, l’automobile peut faire l’objet
de lois fédérales ou provinciales. La vitesse sur les routes est réglementée par
les provinces. On a en effet rattaché cela au pouvoir de faire des lois en
matière de droit civil et de matière purement locale. L’alcool au volant peut,
à ce titre, être interdit par le Code de la sécurité routière122 et faire l’objet
d’une amende et d’une suspension du permis de conduire. Ce même fléau,
soit celui de la conduite en état d’ivresse est considéré comme un compor­
tement à ce point négligent et dangereux qu’il est sanctionné par le fédéral en
vertu de son pouvoir de faire des lois en matière criminelle. Enfin, les règles
concernant les émissions de CO2 par les voitures sont de juridiction fédérale,
en vertu de la théorie des dimensions nationales (la pollution de l’air est une
matière dépassant les limites des provinces) et de son pouvoir sur le ­commerce
international et interprovincial.
119. Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] A.C.S. no 46,
[1987] 2 R.C.S. 59, par. 5 ; voir aussi Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] A.C.S. no 66, [1982]
2 R.C.S. 161.
120. L.R.C. (1985), c. C-46.
121. Reference re : Canada Temperance Act, 1878 (Can.), [1882] J.C.J. No. 1, 7 App. Cas. 829.
122. L.R.Q., c. C-24.2.
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Avec un peu d’imagination on peut monter une longue liste de sujets
qui peuvent, selon ce qu’on entend faire, être rattachés à la fois à l’article 91
et à l’article 92. La santé, l’environnement, les armes à feu et la cigarette en
feraient certainement partie.
Lorsqu’on est en présence de deux lois, l’une fédérale et l’autre provinciale, portant sur une même matière et qu’on applique la théorie du double
aspect, on peut aboutir à trois résultats. Premièrement, il peut y avoir duplication ou recoupement des règles. La règle provinciale est alors similaire à la
règle fédérale. Elle interdit le même comportement. Le cas de la conduite en
état d’ivresse est un bon exemple. Cette conduite est interdite à la fois par
le Code de la sécurité routière et par le Code criminel. Les deux interdictions
sont valides : il est normal qu’un code de la route interdise la conduite avec
les capacités affaiblies et il est normal qu’un code criminel interdise ce comportement dangereux. Elles peuvent donc cohabiter123.
Deuxièmement, les buts visés par la disposition provinciale peuvent être
différents des buts de la disposition fédérale. On peut réglementer, voire interdire, un même comportement, mais avec un but différent. Un bon exemple est
l’arrêt Rio Hôtel124, dans lequel on contestait les dispositions de la Loi sur la
réglementation des alcools125 du Nouveau-Brunswick réglementant les spectacles de nudité dans les bars sous prétexte que les spectacles de nudité faisaient
l’objet de plusieurs restrictions dans le Code criminel. La Cour a décidé que
la province pouvait se permettre de réglementer ce sujet parce que son but
était de réglementer les types de divertissement pouvant servir à mousser les
ventes de produits alcooliques. L’interdiction visait de plus les propriétaires
des établissements licenciés puisqu’une contravention aux règles résultait en
une suspension de permis. En revanche, le but du législateur fédéral lorsqu’il
légifère en matière d’action indécente126 ou de nudité en public127 est de punir
une conduite socialement inacceptable et la peine sera subie par la personne
s’étant exhibée. Lorsque les buts visés par des règles provinciales et fédérales
valides sont différents, les deux règles peuvent coexister.
Ainsi, dans les deux premiers cas, soit la duplication et les buts différents, les deux règles, provinciale et fédérale, pourront coexister. La troisième
alternative aboutit à une autre solution.
123. Voir également l’arrêt Multiple Access Ltd c. McCutheon, [1982] A.C.S. no 66, [1982] 2 R.C.S. 161,
dans lequel deux règles semblables, l’une fédérale, l’autre provinciale, créant un recours civil en
faveur des victimes de délits d’initiés, furent jugées valides.
124. Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] A.C.S.
no 46, [1987] 2 R.C.S. 59.
125. Loi sur la réglementation des alcools, L.R.N.-B. 1973, c. L-10.
126. Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, art. 173.
127. Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, art. 174.
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Il s’agit du cas de la contradiction expresse. On est alors en présence
de deux règles validement adoptées, l’une fédérale, l’autre provinciale, qui
se contredisent. Pour qu’il y ait contradiction expresse, il faut qu’il soit
­impossible de respecter les deux règles ; en respectant l’une des deux, on
viole nécessairement l’autre. Il y a donc conflit de loi, qu’on doit résoudre
en faveur de la loi fédérale, en vertu de la théorie de la prépondérance des
lois fédérales. Ces situations sont rares parce que les conflits sont habituel­
lement anticipés et évités lors de l’élaboration des projets de loi et du pro­
cessus d’adoption des lois. Par exemple, lors d’une faillite, les paiements
préférentiels sont établis selon la Loi sur la faillite et l’insolvabilité128. Ainsi,
si une loi provinciale prévoit un ordre de collocation différent, son application
sera écartée.
D. L’immunité interjuridictionnelle
Un dernier élément d’importance à considérer face à une question de partage
des compétences est que certaines lois provinciales ne peuvent affecter
­certaines personnes ou certaines entreprises, qui sont soumises à la compétence législative exclusive du fédéral. Les lois relatives aux relations de travail
sont les principales normes affectées par cette règle.
En effet, la règle générale est à l’effet que les relations de travail sont de
compétence provinciale. Le contrat individuel de travail est un contrat. Il est
donc régi par les lois provinciales. La réglementation des rapports collectifs
de travail relève aussi en principe des provinces.
Les exceptions sont les suivantes. En raison du paragraphe 91(8),
a­ ccordant au fédéral le pouvoir de légiférer sur la fixation et le paiement
des honoraires et salaires des officiers du gouvernement du Canada, les provinces ne peuvent réglementer les conditions de travail des fonctionnaires
fédéraux.
Également, les relations de travail dans les entreprises privées rele­
vant de la compétence fédérale ne sont pas assujetties aux lois provinciales.
Il s’agit des banques, des entreprises de télécommunication ou de transport
interprovincial, des services postaux, de la GRC. Les relations de travail
constituent une partie vitale de l’administration et de l’exploitation d’une
entreprise. Ainsi, lorsque le fédéral est compétent à l’égard des entreprises,
il est aussi compétent pour légiférer sur leurs relations de travail.
128. L.R.C. (1985), c. B-3.
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Dans l’arrêt Bell Canada de 1966129, la Cour suprême a indiqué que
les lois provinciales fixant un salaire minimum sont inapplicables aux
­entreprises fédérales.
Dans l’arrêt Bell Canada de 1988130, la Cour suprême a déclaré que la
Loi sur la santé et la sécurité au travail131 était inapplicable aux entreprises
fédérales parce que cette loi ne porte pas sur la santé, mais sur l’organisation
des relations de travail dans l’entreprise, sur les conditions de travail et sur la
gestion de l’entreprise. Ces éléments étant vitaux à une entreprise, seul le
Parlement fédéral peut y instaurer des règles.
La jurisprudence a, de plus, étendu cette application aux opérations
connexes qui font partie intégrante de l’entreprise fédérale. Dans l’arrêt
Banque canadienne de l’Ouest132, la Cour indique que l’assurance-crédit n’est
pas une activité vitale ou essentielle à l’entreprise bancaire parce que :
• la loi fédérale considère que l’assurance est une activité distincte des
opérations bancaires,
• les assurances peuvent être annulées en tout temps et sont vendues
après l’octroie du prêt,
• l’assurance ne représente pas de lien avec le remboursement de la
dette parce que l’élément déclencheur n’est pas le défaut de remboursement, mais la survenance d’un événement malheureux dans la vie
de l’emprunteur,
• les banques exploitent leur département d’assurance de manière
­distincte ; l’assurance est distincte de la garantie sur le prêt.
De manière générale, les lois provinciales n’affectent pas le gouvernement fédéral :
• elles ne peuvent obliger les compagnies fédérales à s’incorporer en
vertu de la loi provinciale ;
• elles ne peuvent imposer des conditions d’existence aux compagnies
fédérales, telles que l’obligation de s’enregistrer dans un registre
­provincial sous peine de dissolution ou imposer un régime de licence
pour lever des fonds nécessaires au capital de l’entreprise ;
129. Québec (Commission du Salaire Minimum) v. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] A.C.S. no 51,
[1966] R.C.S. 767.
130. Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité au travail), [1988] A.C.S. no 41,
[1988] 1 R.C.S. 749.
131. L.R.Q., c. S-2.1.
132. Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] A.C.S. no 22, [2007] 2 R.C.S. 3.
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• en matière de télécommunication et de transport interprovincial,
elles ne peuvent imposer des lois affectant des parties vitales de
l’entreprise ;
• les lois du travail provinciales sont aussi inapplicables aux travailleurs des postes et aux militaires ;
• les membres des forces armées n’ont pas l’obligation d’avoir un
permis de conduire valide dans la province ;
• les lois sur la police ne sont pas applicables à la GRC ;
• beaucoup de lois relatives à la chasse, la pêche, l’adoption et la
famille sont inapplicables aux Autochtones.
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