Le magasin est fermé ICI ET AILLEURS

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Le magasin est fermé ICI ET AILLEURS
ICI ET AILLEURS
Alain Noël
Le magasin est fermé
L
ors de la dernière campagne électorale canadienne, Jean Charest
avait écrit à tous les chefs de partis, afin de faire valoir les attentes du
Québec face au prochain gouvernement
fédéral. La liste des demandes était
longue et substantielle, et elle a été mal
reçue par les conservateurs, qui y
voyaient une négation de leurs efforts
pour accommoder le Québec.
Certaines de ces demandes concernaient les institutions et pratiques
fédérales, et visaient par exemple à
encadrer le pouvoir fédéral de
dépenser, à reconnaître au gouvernement du Québec un rôle dans la nomination des juges à la Cour suprême,
à hausser les transferts pour l’éducation postsecondaire, ou à prévenir une
réforme du Sénat qui réduirait le poids
du Québec au sein du Parlement.
D’autres demandes visaient plutôt
à consolider les compétences et l’autonomie du Québec, en prévenant par
exemple la mise sur pied d’une commission pancanadienne des valeurs
mobilières, en faisant du Québec le
maître d’œuvre des programmes de
soutien aux organismes culturels, ou
en lui accordant une compétence plus
large en matière de formation de la
main-d’œuvre.
Finalement, les demandes de Jean
Charest concernaient aussi des enjeux
de politiques publiques spécifiques à
propos, par exemple, des changements
climatiques, du renouvellement des
infrastructures, de l’exploration gazière
et pétrolière dans le golfe du SaintLaurent, du contrôle des armes à feu, des
jeunes contrevenants ou d’un éventuel
projet de train Québec-Windsor.
L
e moins que l’on puisse dire, c’est
que ces demandes n’ont pas donné
lieu à une relance du fédéralisme d’ouverture. Au total, le gouvernement
québécois a même reculé en 2009, que
l’on pense au plafonnement de la
péréquation, au projet en marche de
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OPTIONS POLITIQUES
OCTOBRE 2009
Commission des valeurs mobilières, ou
au refus de compenser le Québec
comme les autres provinces pour l’harmonisation de la TPS et de la TVQ.
Pourtant, Charest n’avait pas
inventé ces demandes. Pour l’essentiel,
elles reprenaient des positions déjà
exprimées, en droite ligne avec l’approche conventionnelle du Québec
dans les affaires intergouvernementales canadiennes.
La plupart de ces demandes pourraient d’ailleurs être réitérées cet automne.
Mais où en sont aujourd’hui les partis politiques fédéraux sur ces questions ?
Si on fait exception du Bloc québécois, l’accueil semble de moins en moins
enthousiaste. Pratiquement en déroute
au Québec, les conservateurs semblent
maintenant plus disposés à se montrer
intransigeants qu’ouverts. Quant aux
libéraux et aux néodémocrates, qui
misent un peu plus sur le Québec, ils se
gardent bien d’être trop explicites, ne
retenant que les thèmes finalement
assez vagues des valeurs canadiennes et
d’un pays à construire ensemble.
Pour les uns comme pour les
autres, ce n’est pas d’abord au Québec,
mais en Ontario qu’il faut gagner.
D
ans les circonstances, et quel que
soit le prochain gouvernement, le
scénario le plus plausible pour l’avenir
rapproché risque d’être un retour au climat qui régnait en 1998, quand Jean
Chrétien avait dit, en pleine campagne
électorale québécoise, que « le magasin
général était fermé ». Cette attitude, que
Stephen Harper qualifiait en 2006 de
paternaliste et dominatrice, a miné les
relations intergouvernementales et contribué à créer un important déséquilibre
fiscal entre Ottawa et les provinces dans
les années Chrétien-Martin.
Or, le gouvernement fédéral
prévoit d’importants déficits pour les
cinq prochaines années, et tant les
libéraux que les conservateurs s’engagent à le réduire sans augmenter les
impôts ni couper des dépenses
précises. La tentation sera donc grande
de remettre en question les transferts
aux provinces, comme le gouvernement Harper l’a déjà fait cette année
en plafonnant la péréquation. En tout
état de cause, l’heure ne sera sans
doute pas à l’ouverture.
Le gouvernement du Québec
devra donc trouver une façon
autonome de faire avancer ses dossiers,
sans trop attendre de concessions
d’Ottawa. Par le passé, c’est au moins
aussi souvent en occupant le terrain
qu’en négociant des ententes que le
Québec a affirmé son autorité et accru
son autonomie.
À cet égard, l’idée de gouvernance
souverainiste mise de l’avant ce printemps par le Parti québécois apparaît
intrigante. Il y a bien sûr quelque chose
de facile à demander « toujours plus »,
et on voit mal comment une telle
logique pourrait être durable dans le
cadre d’un État fédéral. En même temps,
le plan de Pauline Marois a l’avantage
d’aller au-delà d’une liste de demandes,
en proposant de prendre l’initiative.
Mais cette approche demeure
encore mal définie. Si on peut facilement envisager, par exemple, l’adoption d’une constitution québécoise,
on voit mal comment l’idée d’une
déclaration de revenus unique pourrait être mise en œuvre sans l’accord
du gouvernement fédéral. Plus fondamentalement, on ne sait pas trop
encore à quelles fins et selon quelles
priorités le Québec devrait assumer
plus de pouvoirs.
Quoi qu’il en soit, c’est sans doute
du côté du Québec et des provinces,
bien plus que de celui d’Ottawa, qu’il
faut désormais regarder si l’on souhaite
voir le fédéralisme canadien évoluer
vers ce qu’il n’y a pas longtemps on
appelait encore de l’ouverture.
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal.

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