Pierre Arnaud, un enfant de la mer qui rêvait de montagne

Transcription

Pierre Arnaud, un enfant de la mer qui rêvait de montagne
Exposition
10mai 2015 | Le Matin Dimanche
57
Pierre Arnaud, un enfant de
la mer qui rêvait de montagne
François Bertin/ Collection Pierre Arnaud
Lens (VS) A découvrir une sélection de chefs-d’œuvre suisses parmi les quelque 500 pièces
de la collection d’un homme d’affaires français, d’origine marseillaise, tombé amoureux du Valais.
Isabelle Bratschi
[email protected]
P
arti de rien, curieux de tout,
Pierre Arnaud a constitué
une collection qui reflète ses
passions et révèle l’homme.
Véritables autoportraits de
son propriétaire, les tableaux
qu’il a réunis s’ouvrent sur
un monde grandiose comme les paysages de
montagne, plus intimes, tels les portraits de
paysans.
L’exposition se concentre sur les chefsd’œuvre suisses d’une collection qui compte
près de 500 pièces. A travers une centaine de
toiles, dont une grande partie de l’Ecole de Savièse, c’est l’histoire d’une vie qui se réécrit.
Celle d’un industriel français, né le 2 février
1922, mort le 11 juin 1996, qui tombera amoureux du Valais, après avoir fait fortune dans les
affaires, au Maroc.
C’est le soleil de Tanger et de Casablanca
qui se retrouve dans le «Berger et son troupeau» de Lüthy Oskar Wilhelm. Ce sont les
senteurs de Provence qui semblent émaner de
la «Vue sur le jardin» de Cuno Amiet. Et cet
appel de la nature qui sert de fil conducteur à
toute la collection.
Raphy Dallèves, «Hérémensarde au missel», 1909.
Cuno Amiet, «Nature morte au bouquet et fruits», 1923.
Pierre Arnaud
Homme d’affaires
et collectionneur
(1922-1996)
«Pierre Arnaud était quelqu’un de très
simple, d’un abord facile. Il était jovial, curieux, foncièrement ouvert, continue le commissaire de l’exposition. Régulièrement en vacances en Suisse, à la montagne, il décide un
jour de s’installer à Crans. Un Marseillais en
Valais. Un collectionneur amoureux de cette
région. Quand il redescendait de Crans vers
Sion, il demandait toujours à son chauffeur de
s’arrêter dans un virage pour admirer la vue
sur la vallée du Rhône.»
L’école de Savièse
Pierre Arnaud s’initie à la peinture de l’école
de Savièse, dont il apprécie le côté brut des
portraits et l’élégance des compositions. Il accroche dans le grand escalier de son chalet à
Crans «Confidence à l’abri du bois» d’Ernest
Biéler. On y voit Marguerite Burnat-Provins et
sa sœur toutes deux en robe blanche, telles
des fées, accroupies dans une clairière.
La collection de Pierre Arnaud sera complétée après sa mort par sa fille Sylvie et son
gendre Daniel Salzmann. Dans cette deuxième section de l’exposition qui se décline en
quatre chapitres – la nature morte, l’intériorité, l’intimité et le portrait – on trouve des
œuvres de toute beauté, précieux témoignages des us et coutumes du Valais au début du
XXe siècle. «L’enfant mort» d’Edouard Vallet
est pour Christophe Flubacher «le plus bel
hommage que le peintre pouvait rendre au
Vieux-Pays en montrant qu’au détour d’un village de montagne, sous l’auvent d’une modeste demeure comme dans la noble attitude
d’une mère en pleurs, se cachait l’humaine
condition».
DR
«Quand Pierre
«Pierre Arnaud était un alpiniste chevronné, explique Christophe Flubacher, commissaire de l’exposition. Il a aussi été champion
du monde de pêche sous-marine. De la montagne à la mer, des cimes au fond des eaux, il
touche les extrémités, aime la grandeur, tutoie
le côté sauvage. Les paysages de sa collection
grimpent au pied des cimes alpestres d’Albert
Gos, avant de redescendre vers les coteaux lémaniques, célébrés par Auguste Veillon.»
Les montagnes qu’il affectionne ont plusieurs faces. Elles sont froides, dures comme
celles de Leberecht Lortet, seule exception
française chez les peintres suisses, mais adorateur de notre pays et élève du Genevois
Alexandre Calame. Elles sont tourmentées et
romantiques comme celles de François Diday,
lumineuses à la manière d’Albert Lugardon.
Une nature sauvage
«Pierre Arnaud aime la force de la montagne,
ces géants qui nous dominent, leurs symboliques, reprend Christophe Flubacher. Mais à
l’inverse, il cherche aussi en elle une amie. Les
toiles qu’il achète reflètent cet attachement et
cet amour pour une nature qu’il connaît si
bien.» A l’image du sublime «Requiem dans
les Alpes» de Lüthy Oskar Wilhelm où l’on voit
une paysanne de dos avec sa fille rentrer du travail à la fin du jour. Les lointains massifs sont
encore baignés de soleil, les deux silhouettes,
elles, ne sont plus que des ombres dans la neige. Les gens, perdus dans l’immensité des reliefs, les randonneurs, les dames de la bonne
société discutant sur les rochers… les vues alpines que choisit Pierre Arnaud sont souvent
peuplées de personnages. Elles sont prétextes
à parler de l’humain, de cette vie de labeur, des
saisons, du cycle de la naissance à la mort.
«Pierre Arnaud était un bourreau de travail
doté d’un sens inné des affaires», souligne
Christophe Flubacher. Il débute comme représentant pour un commerce de fruits secs
au Maroc, il trouve un remorqueur pour le port
de Tanger, il monte une entreprise de bateaux
de plaisance. Il fondera aussi Fotolabo. Il touchait à tout parce que tout le touchait comme
aurait pu dire Jean Cocteau. Et la diversité de
sa collection en est la preuve.
Contrôle qualité
Arnaud redescendait
de Crans vers Sion,
il demandait à son
chauffeur de s’arrêter
dans un virage pour
admirer la vue sur
la vallée du Rhône»
Christophe Flubacher,
commissaire de l’exposition
Albert Lugardon, «Le lac Bleu, Arolla», huile sur toile. Photos: Collection Pierre Arnaud
Autre toile qui mérite de s’y attarder, celle
de Marguerite Burnat-Provins intitulée «La
femme aux étains». Une servante est en train
de lustrer une channe dans un intérieur aux
vitrages opaques, caractéristiques du Valais.
Elle la tient avec une infinie délicatesse comme on bercerait un enfant. «C’est un bel
exemple d’idéalisation d’une activité domestique que beaucoup jugeraient ingrate, analyse Christophe Flubacher. Dans une veine
symbolique, Burnat-Provins nous présente
une Marie Madeleine des temps modernes.»
Des paysages de montagnes aux portraits
de paysans burinés d’Ernest Biéler en passant
par les nus de Vallotton ou les natures mortes
d’Auberjonois, la collection de Pierre Arnaud,
complétée par ses héritiers, parle de passions.
«Au fait qu’est-ce qu’un collectionneur?
questionne Daniel Salzmann, président de la
Fondation Pierre Arnaud. Quelqu’un qui souhaite s’approprier une part de patrimoine pour
son seul bénéfice? Je ne le crois pas. Je pense
au contraire que le collectionneur tente d’une
certaine manière de réaliser une œuvre et qui,
dans une très grande majorité des cas, finit un
jour ou l’autre par la rendre au public.» U
A voir
Ernest Biéler, «Confidence à l’abri du bois», 1900. DR Charles-Clos Olsommer, «Recueillement à Savièse».
«Collection Pierre Arnaud,
une passion suisse», jusqu’au
14 juin à la Fondation Pierre
Arnaud, route de Crans 1, Lens
(VS). Ouvert mardi de 10 h à
21 h, de mercredi à dimanche
de 10 h à 19 h. Fermé lundi,
www.fondationpierrearnaud.ch

Documents pareils