Analyse du rapport de la Banque Mondiale1 sur le trafic illégal de bois

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Analyse du rapport de la Banque Mondiale1 sur le trafic illégal de bois
Analyse du rapport de la Banque Mondiale sur le trafic illégal de bois – avril 2012
Analyse du rapport de la Banque Mondiale1 sur le trafic illégal de bois
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Hery Randriamalala, correspondant de FNE à Madagascar & Eglantine Goux, chargée de mission Forêt internationale
Les propositions de la banque mondiale
Le rapport de la Banque Mondiale (BM) est rempli de bonnes intentions, mais il est improbable
qu’elles ralentiraient quoi que ce soit dans la déforestation d’un des pays les plus touchés par le trafic
de bois illégal : Madagascar. Le constat de la BM est alarmant :
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« Dans le monde, toutes les deux secondes, une zone de forêt équivalente à un terrain de
football est illégalement coupée à blanc. »
« Selon les estimations, cette activité criminelle génère environ 10 à 15 milliards de dollars de
revenus annuels au niveau mondial. »
Le pourcentage du bois illégal par rapport aux exportations globales de bois est de: « 80% en
Bolivie, 90% au Cambodge, 70% en Equateur, 70% au Gabon, 70 à 80% en Indonésie, 70%
en Papouasie Nouvelle-Guinée et 80% au Pérou. » Il manque Madagascar : au moins 90% de
l’exploitation est illégale, puisque le bois de rose n’existe plus quasiment que dans les aires
protégées…
Il y a donc urgence à arrêter ce trafic, avant que les forêts n’aient complètement disparu de cette
planète, avec les conséquences que l’on commence à observer et qui pourraient menacer la survie
même de l’espèce humaine. Le catalogue de mesures préconisées par la BM s’attaque au seul
renforcement des capacités judiciaires des pays exportateurs de bois. En effet, la BM constate
l’échec relatif des stratégies en cours :
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« Bien que la prévention soit un élément essentiel de la lutte contre la coupe illégale, elle n’a
pas ralenti la disparition rapide au niveau mondial des arbres les plus âgés. »
« Le système de justice criminelle forestière ne fonctionne pas. Malgré l’accumulation de
données et de preuves montrant le côté mondial de l’épidémie de coupe illégale, la plupart
des crimes forestiers restent cachés, tus ou sont ignorés. Trop souvent, les enquêtes, dans
les rares cas où elles ont lieu, sont du travail d’amateur et non-concluantes, et les quelques
cas soumis aux tribunaux sont de bas niveau, impliquant des gens dont la participation à ces
crimes est due à la pauvreté et à l’exploitation. »
« L’expérience a montré que les stratégies déjà en place pour résoudre le problème de la
coupe illégale de bois ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour inverser la tendance à la
réduction des forêts au niveau mondial. »
« La corruption massive, qui est associée à la coupe illégale, affaiblit les principes généraux
de gouvernance et la force de la loi. »
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http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTFINANCIALSECTOR/0,,contentMDK:23146160~pagePK:148956~piPK:216
618~theSitePK:282885,00.html
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Hery Randriamalala est activement impliqué dans la lutte contre le trafic de bois de rose depuis 2009 : Randriamalala, H. et
Liu, Z. 2010. Bois de rose de Madagascar : Entre démocratie et protection de la nature. Madagascar Conservation & Development 5,
1: 11-22. Supplementary Material.http://journals.sfu.ca/mcd/index.php/mcd/rt/suppFiles/167/128
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La demande : moteur essentiel du commerce de bois illégal
Les mesures proposées sont excellentes, tant isolément que collectivement. Mais un pré-requis est
nécessaire : l’existence d’un Etat de droit ! La loi n’est d’aucun secours lorsque le pouvoir en place
est issu d’un coup d’Etat3 (validé par la Haute Cour Constitutionnelle !). Que faire, lorsque la
législation forestière a été rendue volontairement incohérente et contradictoire par la classe politique
depuis une dizaine d’années, afin de neutraliser la Justice sur ce sujet ? Que dire, lorsque le ministre
en charge des forêts prend, contre l’avis du Chef de l’Etat, un arrêté qui autorise toute l’activité du
trafic du bois4 ? Les trafiquants ont capturé l’Etat, à moins que ce ne soit l’inverse. En tout cas, l’Etat
a fusionné avec les trafiquants. Donc, le rapport de la BM n’est applicable rapidement que dans les
pays où l’Etat est déjà suffisamment fort pour entreprendre ces réformes. Or, dans la liste des pays
exportateurs de bois illégal, plusieurs sont dans une situation comparable à celle de Madagascar. Le
renforcement de l’efficacité de la législation forestière risque de n’être effectif qu’une fois le dernier
arbre coupé. Avec la stratégie du renforcement des capacités judiciaires des pays exportateurs, nous
allons probablement perdre la course avec les trafiquants. Une autre stratégie, plus efficace et plus
rapide, serait préférable. En fait la seule qui soit compatible avec le rythme actuel de la déforestation
est le renforcement de l’efficacité judiciaire des pays importateurs de bois. Le rapport de la BM
l’évoque, mais sans le développer :
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« Aux Etats-Unis, la législation rend possible les poursuites contre quiconque est sciemment
en possession de bois d’origine illégale. L’objectif est d’imposer des pénalités sur la
possession ou sur l’importation de bois illégal afin de faire baisser la demande, éliminant (ou
réduisant) ainsi les bénéfices tirés de ce trafic. D’autres pays devraient adopter une semblable
législation criminalisant l’importation de bois illégal et combler ainsi un vide dans la législation
internationale. » 5
« La tension entre pays producteurs et pays consommateurs est exacerbée par la limitation de
coupe de bois imposée par certains pays producteurs à leurs propres forêts, comme le
moratoire sur la coupe en Chine à la fin des années 1990. Ce moratoire a créé une demande
sans précédent pour le bois provenant d’autres pays, et la Chine a commencé à acheter de
grandes quantités de bois à l’étranger, en particulier en Russie, en Indonésie et dans le reste
du monde. »
A l’instar des Etats-Unis, l’Union Européenne (UE) s’est dotée d’une législation interdisant la mise en
marché de bois illégal sur son territoire. L’Australie réfléchit également à la mise en place d’un outil
similaire à celui de l’UE.
3
Solofo Randrianja et al, Madagascar, le coup d’Etat de 2009, Karthala 2012.
Hery Randriamalala, La bolabolacratie, 2 mars 2012, http://www.madagascar-tribune.com/La-bolabolacratie,17164.html
5
Au Etats-Unis, les importateurs de bois illégal encourent des peines d’emprisonnement et des amendes élevées. L’Union
Européenne devra statuer avant mars 2013 sur les sanctions qu’elle envisage dans sa propre législation.
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Les pays importateurs (essentiellement le Japon, mais aussi l’Amérique du Nord et l’Europe) sont
des Etats développés, suivant la règle du Droit. L’administration y est toute puissante. Il leur est donc
très facile d’imposer un embargo sur toute importation de bois illégal. La Chine est un cas particulier.
Gros importateur de bois tropicaux, elle est également un gros exportateur de produits de bois
transformés, notamment tropicaux. Elle représente donc à la foi l’offre et la demande. Mais en se
penchant sur les flux de bois qui transitent à travers la Chine, on touche à un moteur important de
l’exploitation illégale de bois. Ce n’est qu’en étouffant le marché rapidement que l’on pourra sauver
ce qui reste des forêts tropicales. Mais chaque pays importateur doit vaincre son propre lobby du
bois, convaincre sa propre opinion publique alors que le crime est commis à des milliers de
kilomètres de ses yeux, ce qui permet, pour un temps au moins, d’en ignorer les conséquences. Pour
un temps seulement…
Les pays tropicaux ne sont pas les seuls à être concernés par le bois illégal. Les forêts boréales
occupent le deuxième rang en termes d’illégalité. En Russie, les coupes de bois seraient à 20%
illégales. Il est donc essentiel de s’attaquer à tous les flux de bois illégaux opérant à travers le
monde.
Les demandes de FNE
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Les sanctions encourues pour commerce de bois illégal doivent être identiques au sein des
états membres de l’UE et entre les différentes législations en place ou en cours d’élaboration
dans le monde (Etats-Unis, Europe et Australie), afin d’empêcher des acheminements par des
filières détournées et d’éviter que les ventes de bois illégales aient lieu dans des pays où les
sanctions seraient moins importantes.
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La Commission Européenne doit proposer des règles d’application de son règlement « bois
illégal » ou RBUE, garantissant la mise en place de systèmes solides de vérification de la
légalité des bois, et l’harmonisation des sanctions entre les Etats membres6.
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La liste des produits concernés par le règlement « bois illégal » de l’Union Européenne doit
être révisée pour inclure tous les produits bois, afin que les papiers imprimés et certains objets
pouvant contenir des bois précieux de Madagascar (outils de cuisine et œuvres de maîtres) ne
soient pas oubliés.
6
Retrouver les demandes de FNE, formulés auprès de la Commission Européenne pour la mise en place des règles détaillées du
RBUE :
http://www.fne.asso.fr/fr/publication-du-positionnement-de-fne-et-ses-correspondants-inter-environnement-wallonie-etumweltdachverband-pour-la-mise-en-place-du-reglement-bois-de-l-union-europeenne.html?cmp_id=37&news_id=12604
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