Perturbations anthropiques des cycles du Carbone
Transcription
Perturbations anthropiques des cycles du Carbone
Séminaire PIREN-Seine Perturbations anthropiques des cycles du Carbone et de l’Azote et émission de gaz à effet de serre dans le bassin de la Seine Paris, UPMC, 24 nov 2006 1. Thématique Les cycles du carbone et de l’azote à la surface du globe sont complexes en raison du très grand nombre de processus impliqués, et de leur sensibilité aux activités humaines. Dans les régions les plus anthropisées, les transferts de carbone ou d’azote liés aux activités humaines et aux échanges commerciaux en particulier peuvent être d’un ordre de grandeur équivalent ou supérieurs aux transferts naturels. Les deux cycles du carbone et de l’azote comprennent aussi une part atmosphérique importante avec l’émission des principaux gaz à effet de serre (GES) (CO2, CH4, NOx). Les grands bassins versants fluviaux comme la Seine constituent des échelles bien adaptées à l’étude quantitative des grands cycles biogéochimiques et de leurs perturbations anthropiques : on connaît avec exactitude une des sorties du système (flux hydriques à l’exutoire du bassin), et les travaux du PIREN-Seine ont montré que l’on peut aussi établir des bilans de circulation des matériaux sur de tels espaces régionaux, y compris pour les circulations passées. L’émission de GES par le milieu aquatique (réseau hydrographique, plans d’eau, zones humides) et par les ouvrages d’épuration des eaux usées est également importante et doit être comparée aux émissions d’autres surfaces continentales (sols agricoles, forêts,…) et aux émissions directes par la combustion des fuels fossiles qui font actuellement l’objet d’études spécifiques. L’espace du bassin de la Seine, qui comprend à la fois une mégapole parmi les plus grandes d’Europe et une agriculture parmi les plus productive du monde, est très représentatif des tensions environnementales dans les pays développés. Le PIREN-Seine dispose de bases de données spatialisées et de modèles permettant d’appréhender finement les contributions anthropiques directes des cycles de l’azote et du carbone sur cet espace régional. Nous souhaitons confronter les résultats acquis dans le cadre de ce programme avec ceux issus d’autres démarches, afin d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches dans ce domaine, notamment en matière d’évaluation prospective et rétrospective des perturbations anthropiques des cycles du carbone et de l’azote et des émissions de GES non liées aux combustibles fossiles. 2. Programme 10:00 : Accueil, café 10:15 : Michel Meybeck (Sisyphe, CNRS/UPMC). Introduction. 10:30 : Gwenael Abril (CNRS/Université de Bordeaux I). Les émissions de CO2 et de CH4 dans le continuum fluvial jusqu’aux estuaires. 11:00 : Josette Garnier (Sisyphe, CNRS/UPMC). Emission de N2O dans les milieux aquatiques naturels et artificiels du bassin de la Seine. 11:30 : Mathieu Sebilo (BIOEMCO, UPMC). Approche par biogéochimie isotopique de la dynamique du cycle de l'azote dans les sols agricoles. 12:00 : Benoît Gabrielle (INRA Grignon) et Pierre Cellier (INRA Grignon). Modélisation des émissions de GES par les sols agricoles. 14:00 : Marc Benoit (INRA, Mirecourt). Evolution des pratiques agricoles sur le bassin de la Seine (1950-2000). 14:30 : Guerric Lemaire (LSCE, Gif s/Yvette, CNRS/CEA). Modèle ORCHIDEE du cycle du carbone et des émissions de GES en Ile de France. 15:00 : Gilles Billen (Sisyphe, CNRS/UPMC). Evolution historique de la distribution régionale de l’Autotrophie/Hétérotrophie dans le bassin de la Seine, en liaison avecl’évolution de la population urbaine et de l’agriculture. 16:00 : Discussion Générale 3. Résumé des interventions Michel Meybeck (Sisyphe, CNRS/UPMC). Introduction. L’action humaine a profondément modifié le paysage hydrologique (création de réservoirs, suppressions de zones humides,…) ce qui a entraîné des modifications considérables dans les transferts, les rétentions et les émissions gazeuses des formes du carbone et de l’azote dans le continuum aquatique. Un premier bilan des transferts de carbone dans le continuum aquatique à l’échelle du territoire européen a été établi dans le programme Carbo-Europe. CARBOEUROPE RIVER MODEL : First budget for 8.2 M km² GWP Emission Tg C-CO2.y -1 CO2 + CH4 Lateral carbon fluxes Tg C.y -1 Wetland Water 550 90 30 0.5 CO2 CH4 N2O River systems 54 Inner Estuary 48 Coastline Particulate carbon retention Tg C.y -1 CO2 + CH4 Lakes Reservoirs 10 19 Estuary 4 Un bilan plus précis devrait se baser sur une vision plus détaillée du fonctionnement du continuum aquatique, appuyée par un programme de monitoring comportant des points de contrôle en plusieurs points stratégiques au sein des hydrosystèmes, et déboucher sur une modélisation par bassin versant. R1 to R4: River station S1 to S5: Sediment archives SEWAGE SLUDGE CITIES & INDUSTRIES ATMOSPHERE C1 : Internal POC cycling C2: Internal PIC cycling SOLID WASTES CO2 NATURAL SOIL AGRICULTURAL LAND GROUND WATER LIQUID WASTE z EROSION HEAD PARTICULATE MATERIAL DEPOSITORIES SOURCES z WATERS C1 zR2 zR3 R1 z STREAMS C2 RIVER z POC PIC R4 ESTUARY zR5 COAST TRANSFERS z z RESERVOIRS SLOPES LAKES z S1 UPPER COURSE z S2 ALLUVIAL PLAINS z S3 MIDDLE/LOWER COURSE DELTAIC SEDIMENT z S4 ESTUARY/DELTA COASTAL SEDIMENT z SINKS & EXCHANGES S5 COAST Le bassin de la Seine pourrait être un bon bassin pilote pour une telle modélisation. Gwenael Abril (CNRS/Université de Bordeaux I). Les émissions de CO2 et de CH4 dans le continuum fluvial jusqu’aux estuaires. Rappel sur les gaz à effet de serre : La concentration moyenne de CO2 atmosphérique a s’est accrue de 100 ppm depuis le début du XIXe siècle, celle du méthane de 1 ppm. Le pouvoir radiatif du méthane est cependant 21 fois plus élevé que celui du CO2, ce qui lui fait contribuer pour 20% à l’effet de serre. Méthodes expérimentales pour la mesure directe des émissions de CO2 et de CH4 à travers l’interface eau-atmosphère : * détermination de la pression partielle de CO2 dissous : F(CO2)=Kα.(pCO2eau - pCO2air) * mesure directe à l’aide de chambres flottantes. Résultats : 1. Très grande variabilité des flux de CO2 et de CH4 émis, selon les écosystèmes. Une typologie reste à effectuer pour uine meilleure évaluation d’ensemble. 2. A l’échelle des grands bassins fluviaux (ex. de la Loire), les flux émis par le plan d’eau sont significatifs par rapports aux flux de carbone transportés vers l’aval. 3. Le métabolisme du carbone organique (production primaire, activité hétérotrophe de dégradation de la matière organique) est un facteur de contrôle essentiel des émissions de gaz à effet de serre. (Discussion de plusieurs exemples : la Loire, les estuaires macrotidaux européens, la retenue de PetitSaut en Guyane) Josette Garnier (Sisyphe, CNRS/UPMC). Emission de N2O dans les milieuxaquatiques naturels et artificiels du bassin de la Seine. Deux processus essentiels du cycle de l’azote, la nitrification et la dénitrification, peuvent donner lieu à la production de N2O, le 3ème gaz à effet de serre par ordre d’importance. Les conditions de cette production dans le réseau hydrographique de la Seine sont abordés par diverses méthodes partant d’observations à l’échelle du bassin (aval et amont, + STEPs) , qui ont permis de déterminer les niveaux d’émissions, jusqu’à des investigations en laboratoire qui ont permis de déterminer certains facteurs de contrôle des processus et de les formaliser mathématiquement. L’analyse est poussée jusqu’à la caractérisation des populations bactériennes par des techniques de biologie moléculaire pour appréhender les sources et le devenir des bactéries nitrifiantes (nitrosantes: gène de fonction amoA; nitratantes: gène de structure 16S rDNA ), celle des communautés dénitrifiantes étant en cours avec les gènes de fonction nirS, nirk et nosZ et la DGGE. En ce qui concerne la Basse Seine et son estuaire, soumis aux effluents domestiques de l’agglomération parisienne, un bilan des émissions de N2O et une modélisation de son évolution probable en réponse aux changements à venir dans le mode de traitement de l’azote dans les STEPs parisienne ont été établis. Les émissions du réseau hydrographique amont de la Seine restent à préciser, mais semblent du même ordre que celles des STEPS de la région parisienne. Les émissions directes provenant des sols agricoles seront dans tous les cas dominantes. Mathieu Sebilo (BIOEMCO, UPMC). Approche par biogéochimie isotopique de la dynamique du cycle de l'azote dans les sols agricoles. L’apport possible des techniques de biogéochimie isotopique dans la problématique du cycle de l’azote et des émissions de N2O sont présentées : 1. Le paradoxe de la composition isotopique des nitrates provenant du lessivage des sols agricoles. Elle montre que ceux-ci ne proviennent pas directement des engrais, mais résulte du turnover de la matière organique des sols. La composition isotopique de l’azote des sols agricoles diffère de celle des sols forestiers et des sources primaires d’azote à partir de la quelle elle est constitué, reflétant par là un processus à long terme de pertes gazeuses. 2. L’enrichissement isotopique des nitrates des cours d’eau par rapport par à ceux des eaux souterraines ou de drainage, par le processus de dénitrification riparienne. 3. La possibilité (encore à explorer) d’identifier l’origine (nitrification ou dénitrification) du N2O émis par la mesure des trois masses du N2O (44/45/46) Benoît Gabrielle, Simon Lehuger, Patricia Laville et Pierre Cellier (INRA Grignon). Modélisation des bilans de gaz à effet de serre des systèmes agricoles 1. Nécessité de travailler à l’échelle des systèmes agricoles : Les flux de gaz-traces sont influencés par les conditions de milieu (sol, climat), mais aussi par les pratiques agricoles (travail du sol, fertilisation, etc..). Les stratégies de réduction sont contraintes par les rendements de production agricole. Les bilans doivent aussi inclure les émissions indirectes (synthèse, mise à disposition des intrants) 2. Les modèles disponibles pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre liés aux systèmes de culture : * Modèles 'issus de l'écologie': DNDC (Li et al., U. New Hampshire); DayCent (ex-CENTURY, Parton et al., NREL, Colorado) * Modèles 'de culture': STICS (Brisson et al., INRA); CERES (Hogenboom, U. Georgia); et bcp d'autres... * Modèles avec composante atmosphérique: PASIM (Riedo et al., 1998) pour prairies; ecosys (Grant, Edmonton); Volt'Air (Génermont et al., EGC) L’INRA a surtout travaillé à l’introduction dans CERES de modules représentant la denitrification et l’émission de N2O (Hénault et al., 2005; Gabrielle et al., 2006), la volatilisation de l’ammoniac et sa déposition (Génermont and Cellier, 1997) et les émissions de monoxide d’azote (NO) (Laville et al., 2006). Ces modèles sont validés sur des séries de mesures directe des émissions en champ. Ils ont été extrapolés à celle de 3 petites régions agricoles (Gabrielle, Laville, et al. (Global Biogeochem. Cycles, in press) Les perspectives sont : • Améliorer les modules 'gaz-traces' de CERES (et mettre à disposition pour d'autres modèles) • Tester sur un réseau plus large de sites • Comparer des simulations spatialisées à des mesures intégratrices (mâts, avion) • Utilisation avec des modèles économiques à l'échelle de régions Européennes • Evaluer la contribution des précurseurs de GES (eg, NO) • Simuler les flux d'azote au sein d'un paysage (J.L. Drouet, EGC) Marc Benoit (INRA, Mirecourt). Evolution des pratiques agricoles sur le bassin de la Seine (1950-2000). L’objectif est d’utiliser la connaissance des pratiques agricoles pour évaluer leur impact sur les émissions de N2O. Il s’agit pour cela de mettre en relation les évolutions des pratiques agricoles avec des valeurs expérimentales (ou des modèles de simulation) des dégagements de N2O à l’échelle du bassin de la Seine. Pour cela a été réalisée une analyse bibliographique permettant de mettre en évidence, les facteurs techniques les plus impliquées dans le dégagement de N2O : dose d’N appliquée par type d’engrais, teneur en C organique du sol, texture du sol, drainage, type de culture. Sont ensuite exposées les approches utilisées pour étudier la distribution spatiale et l’évolution temporelle des pratiques agricoles (assolement, successions, itinéraires techniques) à l’échelle des PRA dans le bassin de la Seine. Il s’agira in fine de relier les types de séquences techniques (identifiées, quantifiées, spatialisées) à une valeur de « risque d’émission de N2O », et de déterminer les moteurs de ces évolutions pour enfin tenter de les contrôler. Guerric Lemaire (LSCE, Gif s/Yvette, CNRS/CEA). Modèle ORCHIDEE du cycle du carbone et des émissions de GES en Ile de France. Un projet financé par la Région Ile de France vise à établir le bilan du Carbone à l’échelle régionale. Le projet met en œuvre le modèle ORCHIDEE, qui sera amélioré pour travailler à une échelle intermédiaire entre l’échelle globale et les échelles de parcelles. Il sera validation sur de nombreuses données différentes, notamment issues de la télédétection à haute résolution spatiale La modélisation permettra de tester l’effet des changements d’échelle, de prévoir l’effet relatif sur le bilan de carbone régional des changements climatiques, de l’urbanisation, de l’occupation des sols, des pratiques culturales, … Il devra permettre d’évaluer l’impact de différentes politiques menées sur les émissions. Gilles Billen (Sisyphe, CNRS/UPMC). Evolution historique de la distribution régionale de l’Autotrophie/Hétérotrophie dans le bassin de la Seine, en liaison avec l’évolution de la population urbaine et de l’agriculture. Les caractéristiques géographiques du bassin de la Seine, qui fondent la cohérence du ‘Système Seine’, sont tout d’abord rappelées (structure géologique, distribution de la population, zonation des paysages, des activités agricoles). Le cycle de l’azote à l’échelle de cet espace est ensuite présenté. Du total des sources primaires d’azote entrant dans le système par fixation d’azote atmosphérique, apports de fertilisants et déposition atmosphérique, seul env. 30% est exporté à l’exutoire par le cours de la Seine. Une part importante est exportée à longue distance sous forme de matières alimentaire commercialisée. Les pertes gazeuses, au niveau des sols et de l’hydrosystème font le reste. Le rôle tampon des compartiments azote organique du sol et contenu en nitrates de la zone non saturée et des aquifères est souligné. La comparaison des flux de production agricole et de consommation par l’homme et les animaux domestique permet de définir la distribution spatiale des caractéristiques d’auto- et d’hétérotrophie dans le bassin. L’analyse historique permet de retracer l’évolution temporelle de ces caractéristiques, montrant comment l’approvisionnement alimentaire de Paris a pu être assuré tut au long de l’histoire par l’évolution des techniques agricoles et de la spécialisation commerciale des espaces ruraux qui l’entourent. Au milieu du XXe siècle, cependant, alors que se poursuit la croissance démographique urbaine, la production agricole du bassin parisien et son exportation commerciale dépassent largement les besoins de l’approvisionnement urbain, et le lien organique qui unissait la Ville et son hinterland rural se rompt définitivement. 4. Synthèse des discussions Du débat qui suit ces présentations, il apparaît que la thématique de la production de gaz à effet de serre, tant dans les sols que dans le réseau hydrographique, est à l’intersection de nombreuses préoccupations partagées par diverses équipes. Construire une vision intégrée du rôle des interactions atmosphère-eau-sol dans le cycle du carbone et de l’azote à l’échelle du bassin de la Seine et son réseau hydrographique, pourrait être l’objectif d’un thème très porteur pour la 5ème phase du PIREN-Seine. Il s’agit de mieux comprendre l’effet à long terme des activités humaines sur les phénomènes étroitement liés que sont la contamination nitrique des hydrosystèmes, le stockage/déstockage de carbone et d’azote organique dans les sols et la biomasse, et la production de gaz à effet de serre.