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Eco-Fiche Octobre 2014 LA POLITIQUE MONÉTAIRE ET LE FINANCEMENT DES ENTREPRISES : LA BCE NE PEUT PAS TOUT Financement de la trésorerie des entreprises et actions de la BCE Depuis 2008, 30 % des chefs d’entreprise ont déclaré devoir faire face à des problèmes de trésorerie1. Les besoins en financement se sont accrus : sur cette même période, 65 % des PME ont eu au moins un besoin en financement dont la moitié concernait le financement de leur trésorerie. Le nombre croissant de défaillances d’entreprises (+2,4 % par an en moyenne) appuie ce constat. Parallèlement, ces six dernières années, un tiers des PME ont déclaré que la crise a eu un impact négatif sur leurs conditions d’accès au crédit. Les encours des crédits de trésorerie ont, en effet, fortement fluctué, suivant trois phases distinctes2. La crise des subprimes La crise des subprimes a atteint l’économie réelle dès novembre 2008. La croissance française s’est effondrée dès 2009 (-3,1 %) tout comme celle de la zone euro (-4,5 %). Afin de limiter les impacts de la crise sur le financement de l’économie, la Banque Centrale Européenne (BCE), dont le seul et unique mandat est la stabilité des prix3, a mis en place des actions conventionnelles. La première action de la BCE a donc été de baisser ses taux directeurs afin d’orienter les anticipations des agents. En un an, les taux directeurs ont été abaissés six fois passant de 3,75 % en octobre 2008 à 1 % en mai 2009. La BCE s’est engagée explicitement à maintenir ses taux directeurs à un niveau très bas pour une période de temps donnée. Toutefois, étant donné le caractère exceptionnel de cette crise, la BCE a rapidement opté pour des opérations non conventionnelles d’assouplissement des conditions de crédit (« Credit Easing »). La BCE a acheté directement des titres représentant des crédits à l’économie (billets de trésorerie, obligations privées, bons hypothécaires) afin de peser sur les primes de risque. En contrepartie, la BCE a dû assumer un risque de crédit et de taux qui n’entre pas dans sa fonction ordinaire. 1 Moyenne des résultats du baromètre CGPME-KPMG Les données présentées dans cette éco-fiche sur l’évolution des encours du crédit de trésorerie sont issues des publications de la Banque de France 3 L’inflation ne doit pas progresser de plus de 2 % sur un an dans la zone euro 2 Direction des Affaires Economiques [email protected] - 01 47 62 73 29 1 Enfin, en mai 2009, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a décidé de mener des opérations de refinancement à long terme (« Long Term Refinancing Operations » – LTRO) d'une durée d'un an. Néanmoins, les effets des actions de la BCE tardent à se transmettre au financement des entreprises qui est, de son coté, rapidement soumis à de nombreux obstacles. Du côté de la demande de crédits, 67 % des chefs d’entreprise ont rencontré au moins un obstacle dans leur démarche. Du côté de l’offre, les encours de crédits de trésorerie chutent de manière quasiment continue durant un an : en novembre 2009, le montant des crédits de trésorerie était inférieur de 18,4 % à son niveau de novembre 2008. La reprise de courte durée À la faveur des plans de relance en Europe et dans le monde, la croissance mondiale redémarre timidement. En 2010, la croissance de la zone euro a rebondi (+2 %) tout comme celle de la France (+1,7 %). Afin d’améliorer l’accès au financement des entreprises, de nombreuses actions ont été mises en place au niveau national4. Ainsi, à partir de novembre 2009, les encours de crédits de trésorerie augmentent de nouveau, même si leur progression est assez lente (+0,3 % par mois en moyenne). En octobre 2011, le taux de croissance annuel des crédits de trésorerie atteint 10,6 %. Ce niveau demeure, toutefois, inférieur à son niveau d’avant crise (14,4 % en novembre 2008). La crise des dettes souveraines La crise des dettes souveraines éclate début 2010 à partir de la Grèce. Elle se répand dans toute l’Europe à partir de l’été 2011. Cette crise résulte d’un choc d’anticipations auto-réalisatrices des investisseurs internationaux face à une zone monétaire qui n’avait pas prévu de « préteur de dernier ressort » en cas de crise. À cette époque, les pays membres de la zone euro ne pouvaient garantir qu’ils détenaient suffisamment de liquidité pour rembourser aux détenteurs d’obligations souveraines leur dette : aucun d’entre eux ne maitrîse la création monétaire. Une vague de défiance se forme alors envers certaines dettes souveraines européennes et toutes les catégories de créances qui ont un lien avec elles. Ce nouveau choc a mis un terme aux plans de relance qui ont été remplacés par des mesures de restrictions budgétaires au niveau mondial dès la fin de l’année 2010. La particularité de cette crise est qu’elle a instantanément touché le financement de l’économie réelle. En raison de leur exposition aux dettes souveraines grecque et italienne, les notes de grandes banques, notamment françaises, ont été dégradées quand d’autres ont été placées sous surveillance. Ces banques ont eu plus de difficulté pour emprunter sur les marchés ce qui s’est répercuté sur le financement des entreprises. Par conséquent, en France, les encours de crédits de trésorerie ont diminué de 1 % par mois à partir d’octobre 2011 jusqu’en octobre 2012. L’hétérogénéité des États qui composent la zone euro a rendu difficile l’intervention de la BCE. Intervenir massivement via des mesures non conventionnelles risquait de provoquer de l’inflation dans les pays qui, à l’époque, ne souffraient pas directement de cette dernière crise. Tel un premier pas vers la mutualisation des dettes souveraines, le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) et le 4 Notamment adoption de la loi Brunel « tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers » du 19 octobre 2009 Direction des Affaires Économiques 2 [email protected] - 01 47 62 73 29 Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) ont, ainsi, été conçus pour prendre le relai de la BCE afin de soutenir les États qui éprouvent des difficultés à refinancer leur dette. D’autres mesures ont été prises par la BCE pour tenter de limiter les effets de cette nouvelle crise, notamment : - La signature le 30 novembre 2011 d’un accord entre six Banques Centrales (Fed, BCE, Banque d’Angleterre, Banque du Canada et Banque du Japon). Son objectif était de faciliter l’obtention des liquidités en dollars auprès de la BCE. - Le lancement de deux opérations LTRO à partir du 8 décembre 2011 : le Conseil des gouverneurs a décidé d’effectuer deux opérations de refinancement à plus long terme d'une durée de 36 mois pour un total de plus de 1 000 milliards d'euros à taux très faible. Il s’agit donc pour la BCE, d’injecter de la liquidité dans le système bancaire. Suite à ces mesures, la taille du bilan de la BCE avait atteint des records (3 100 milliards d’euros), ce qui pouvait remettre en cause son indépendance. Par ailleurs, ces plans n’ont pas permis de dénouer l’accès au financement : les banques, ne se faisant plus confiance, ont préféré déposer leurs actifs à la BCE plutôt que de faire circuler la liquidité. Une déclaration et quelques actions ont sauvé l’euro mais n’ont pas relancé suffisamment le crédit La crise des dettes souveraines et de l’euro a connu un retournement significatif en été 2012. Le 26 juillet 2012, Mario DRAGHI, le président de la BCE, a déclaré que son Institution s'engageait à tout faire pour sauver l'euro : la BCE agira en qualité de préteur souverain en dernier ressort et sera prête à intervenir sur les marchés obligataires. Ainsi, une opération « Outright Monetary Transaction » (OMT), a été mise en place le 6 septembre 2012. Elle consiste à racheter sans limite les obligations d’État sur le marché secondaire d’un à trois ans de maturité d’un État en difficulté. Celui-ci doit, en contrepartie, faire appel au FESF et accepter les conditions de ce dernier, notamment en matière de réformes et de mesures d’assainissement budgétaire à mettre en place pour obtenir l’intervention du FESF. Le simple fait de dévoiler cette opération a permis d’apaiser les investisseurs internationaux et de détendre les tensions pesant sur les dettes souveraines des pays les plus en difficulté. La BCE n’a donc pas eu à acheter effectivement des obligations souveraines alors même que les ratios de dettes publiques continuent de se dégrader. Néanmoins, l’impact de ces opérations tarde, de nouveau, à se faire ressentir sur l’économie réelle : la zone euro subit une longue période de récession dès le quatrième trimestre 2011. Elle n’en sortira qu’au deuxième trimestre 2013 (+0,3 %). Depuis la croissance demeure peu dynamique. Par conséquent, les encours de crédits de trésorerie aux entreprises ont continué à diminuer jusqu’en août 2013 à raison de 0,6 % par mois en moyenne. Ce n’est que très récemment que ces encours ont recommencé à s’accroître, même si la tendance demeure très lente. Le taux de croissance annuelle des crédits de trésorerie est de nouveau positif depuis juin 2014 (+1,5 %) : ces encours n’avaient pas suivi une progression positive depuis mars 2012. Direction des Affaires Économiques [email protected] - 01 47 62 73 29 3 La zone euro aujourd’hui : la crise n’est pas finie La zone euro s’enfonce peu à peu dans une trappe déflationniste. Avec un taux d’inflation à 0,4 %, le niveau de progression des prix est particulièrement bas. La BCE s’est donc engagée à maintenir les taux bas durablement : en septembre dernier, le principal taux directeur a été abaissé pour la sixième fois en deux ans, de 0,15 % à 0,05 % soit le niveau le plus bas de son histoire. Mario DRAGHI a, cependant, annoncé que de nouvelles baisses des taux ne seraient pas envisageables étant donné que la limite basse des taux directeurs est désormais réellement atteinte. Toutefois, de nouvelles mesures non conventionnelles ont été décidées. L’objectif sous-jacent est de, outre tenter une énième fois de relancer le crédit, peser sur la dépréciation de l’euro afin de créer de l’inflation importée et améliorer la compétitivité de nombreux États européens. Ainsi, la BCE a annoncé qu'elle rachètera aux banques à partir du quatrième trimestre 2014 et ce, pendant au moins deux ans, des « Asset Back Securities » (ABS). Il s’agit de créances titrisées, c’est-àdire l’agrégation de prêts de diverses origines, telles que des créances d’entreprises, des prêts immobiliers résidentiels, des crédits à la consommation, etc. afin d’alléger le bilan des banques. Par ailleurs, l’Institution de Francfort tente d’inciter les banques à emprunter des fonds via les « Targeted Long-Term Refinancing Operations » (TLTRO) annoncés par la BCE. Deux TLTRO devraient être lancés : ces dispositifs permettent aux banques d’emprunter auprès de la BCE jusqu’à 400 milliards d’euros à des taux très bas. L’objectif est clairement de relancer le crédit en injectant des liquidités dans l’économie réelle, en particulier à destination des entreprises. Le premier TLTRO a été lancé le 18 septembre dernier mais n’a, cependant, pas rencontré le succès escompté. En effet, 255 banques européennes ont souscrit 82,6 milliards d’euros de prêts, soit un volume inférieur de 17,4 milliards à ce que les prévisionnistes anticipaient. Il faudra attendre le 11 décembre prochain pour savoir si les 400 milliards d’euros seront atteints. Six autres opérations de ce type devraient voir le jour jusqu’en 2016. Les raisons de cette déception sont connues. Avec un taux de croissance au deuxième trimestre évalué à 0 %, la crise au sein de la zone euro n’est pas finie. Ainsi, les entreprises et les ménages repoussent leurs investissements. À titre d’exemple, en France, l’investissement des entreprises en 2014 devrait se replier pour la deuxième année consécutive (-0,6 % comme en 2013) du fait de la faiblesse de la demande anticipée et du manque de visibilité, fiscale notamment, à long terme. Parallèlement, cette déconvenue démontre que le cercle vicieux de la déflation s’est d’ores et déjà enclenché, pour le moins en ce qui concerne l’investissement des entreprises. Enfin, les critères de Bâles ont été renforcés en 2010 : en voulant limiter la prise de risque des institutions financières, ceux-ci rendent in fine plus difficile l’octroi de crédits aux entreprises. Ainsi, le dynamisme de la croissance risque de ne demeurer qu’un lointain souvenir. Comme l’a souligné à de nombreuses reprises Mario DRAGHI, « aucun stimulant monétaire ou budgétaire ne peut avoir le moindre effet notable s’il ne s’accompagne pas de réformes structurelles ». Celles-ci « contribuent à une diffusion bien plus efficace de la politique monétaire ». Ainsi, la BCE et la politique monétaire ne peuvent pas tout : elles ne peuvent contribuer qu’à amorcer le retour de la confiance des acteurs économiques en donnant du temps aux États. C’est maintenant à eux de se prendre enfin en charge et de se restructurer. Il faut mener des politiques budgétaires permettant aux entreprises d’améliorer leur compétitivité pour redevenir les relais incontournables de la croissance. Direction des Affaires Économiques 4 [email protected] - 01 47 62 73 29