720 Fish Tank - Association des Cinémas du Centre

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720 Fish Tank - Association des Cinémas du Centre
LE NEWS CULTUREL
FISH TANK d’Andrea Arnold
avec Katie Jarvis, Michael Fassbender, Kierston Wareing
La chronique vive d’une
adolescence dans la grisaille
sociale anglaise, entre Irvine
Welsh et Ken Loach.
L’espace glauque des
barres de béton est
ainsi plusieurs fois
déchiré par de véritables coulées vertes :
parties de pique-nique et de pêche en rivière qui évoque pour
le coup Renoir plutôt
que Loach.
L
umière grise, crasse ordinaire des cités HLM en déshérence, jeunesse
gouailleuse, gouapeuse et boudeuse,
photo granuleuse, caméra à l’épaule…
Dès le début de Fish Tank, on est en
terrain connu et reconnu, quelque part entre un roman d’Irvine Welsh et un film de
Ken Loach. Un bon Loach en l’occurrence,
pas trop idéologiquement fléché, aiguisé à la
Dardenne.
On est entraîné aux basques de Mia, adolescente maussade (vu l’endroit où elle vit, on
peut la comprendre), en conflit ouvert avec
ses copines, sa mère et sa peste de petite
sœur. Mia semble nourrir deux passions : la
danse hip-hop et le cheval blanc attaché
dans un campement gitan voisin. Sur le papier, rien de nouveau sous la grisaille du cinéma social à l’anglaise. A l’écran, pourtant,
ça prend plutôt bien. La mise en place du
film s’opère avec précision et rapidité, la caméra est vive, les dialogues crépitent, et les
acteurs captent d’emblée l’attention.
Katie Jarvis (qui était dans le peloton des favorites pour le prix d’interprétation à Cannes) rappelle la dureté friable et l’obstination butée d’Emilie Dequenne dans Rosetta,
Kierston Wareing incarne une mère usée
mais toujours sensuelle et pulpeuse, et Michael Fassbender (Hunger, Inglourious Basterds) confirme qu’il est le grand acteur anglais du moment en séducteur canaille. Tous
les seconds rôles sont d’ailleurs excellents,
jusqu’à l’incroyable petite sœur de Mia,
mouflette qui jure comme un charretier.
S’il n’avait que ces qualités de dialogues poivrés, de direction d’acteurs au cordeau,
Katie Jarvis, la révélation
d’empathie pour les gueux et de vérisme social, Fish Tank serait un bon film, mais un
bon film déjà cent fois vu, sans plus-value
particulière. Or, Andrea Arnold a réussi à
trouver des lignes de fuite, à s’échapper un
peu des routes balisées du naturalisme social pour emmener son film dans d’autres
endroits que seulement là où on l’attend.
Première grande échappée, le corps de Mia
et l’éveil de son désir sexuel. Quand sa mère
ramène un amant dans le F3 (Connor, joué
par Fassbender, donc), on sent d’emblée le
trouble naissant entre lui et Mia.
Fish Tank ne sera donc pas la dénonciation
démonstrative de la condition ouvrière en
milieu libéral, mais une plongée dans les
questions plus mystérieuses et universelles
afférentes à ce qui se produit dans le corps
et la tête des jeunes filles de 16 ans, traçant
une sorte de suspense érotique, complexifié
ici d’une rivalité potentiellement explosive
entre fille et mère. Cette irruption de sensualité dans un univers a priori politico-sociétal se joue aussi au niveau des lieux filmés, deuxième ligne de fuite du film.
Plus loin, il y aura
une surprenante et
hitchcockienne escapade sur le littoral
sauvage et industriel
du nord de l’Angleterre, mixant contemplation au présent et imaginaire gothique
éternel. Et puis il y a la musique. Si Mia
écoute du rap, Connor est quant à lui fan de
soul sixties et initie la jeune fille à ces voluptés auditives éternelles, échange musical
transgénérationnel qui prélude peut-être à
d’autres fusions.
Tranche de vie prolétaire, étude sur l’adolescence et le désir féminin, attentif aux corps
de ses acteurs et actrices, riche en images
marquantes (un poisson que l’on tue, un torse
d’homme nu, une jeune femme qui urine au
milieu d’un salon, une géographie où coexistent friches industrielles et nature sauvage…),
Fish Tank n’a sans doute pas la singularité ou
la puissance cinématographiques décisives
que revêtaient certains films des frères Dardenne ou d’Abdellatif Kechiche. Mais c’est un
très bon film, qui n’a pas usurpé son prix du
jury cannois, exprimant au mieux les motifs
attendus de son genre mais réussissant aussi
Serge Kaganski
à s’en affranchir.
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Les Inrockuptibles 720 / 15 septembre 2009

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